Texte intégral
1Migrants, exilés, minoritaires, se déplacent rarement au hasard, même dans la violence de l’histoire : ils utilisent des itinéraires pratiqués de longue date par ceux qui les ont précédés, et offrant un élément minimal de repérage et de familiarité dans un monde soumis à la perte et au chaos. Dans l’Europe médiévale et moderne sillonnée, entre autres, par les juifs comme dans celle, actuelle, des sans-papiers en provenance d’Afrique ou d’Asie, hommes et femmes circulent le long des mêmes routes, y compris maritimes, avec des itinéraires, des horaires, des adresses, des hôtes, des intermédiaires, des passeurs. Au moment où les huguenots quittent la France pour la Suisse ou l’Angleterre, à partir de 1685, beaucoup sont munis de ce qu’ils appellent des « routes » (une liste de villes et villages avec les noms des personnes auxquelles s’adresser, et des conseils sur la dangerosité ou la sécurité de tel lieu ou tel itinéraire) – ces documents, confisqués à ceux qui ont été arrêtés, sont parvenus jusqu’à nous. Franchir la ligne de démarcation, passer en Suisse ou en Espagne, dans les années 1940, relève d’une même pratique habituée de chemins en apparence, pourtant, détournés ou inconnus.
2Dans cette longue histoire des déplacements de populations, on ne saurait oublier les chemins – terrestres ou maritimes – empruntés de force par des hommes et des femmes arrachés à leurs terres et à leur vie. Les routes des traites esclavagistes en constituent un exemple frappant, car si les itinéraires des négriers étaient relativement bien balisés, les esclaves durent affronter des voyages vers l’inconnu lors de longues traversées maritimes ou à travers les terres.
3C’est à toutes ces routes empruntées par des migrants, volontaires ou forcés, que ce numéro de Diasporas, le 20e, paru pour la dixième année d’existence de la revue, est consacré.
4Routes matérielles tout d’abord, concrètes, inscrites dans un espace et un temps déterminés, dans une géographie de la mobilité. Certaines ont trait à des itinéraires parfois séculaires, à des parcours empruntés avec régularité, à des savoir-faire transmis à l’intérieur d’une minorité ou d’une famille. Il y a eu ainsi des routes sépharades, huguenotes, vaudoises, hussites, puis grecques, arméniennes, etc., à travers l’Europe des derniers siècles. Il y a aujourd’hui des routes afghanes, turques, roms, africaines… qui parcourent d’abord les territoires du départ avant d’aborder ceux de l’accueil (ou de l’indifférence ou du rejet). Aux historiens, aux géographes, aux sociologues, d’en retracer les chaussées principales, les ramifications irriguant jusqu’aux ghettos ou villages originels, les nœuds, les étapes, les modernes caravansérails. À eux encore de retrouver et publier des itinéraires officiels ou clandestins, des récits de route et de passage.
5Routes immatérielles, également, gravées dans des imaginaires collectifs. Dans un monde globalisé qui fait aujourd’hui mémoire de tout, une autre acception des routes migratoires a surgi depuis deux décennies environ : des itinéraires de mémoire, destinés à donner à comprendre, et parfois à emprunter physiquement, topo-guides à l’appui, les anciens cheminements des émigrants, des fugitifs, des victimes, des déportés. Les juifs, les vaudois, les protestants européens ont ainsi mis en place des itinéraires consacrés aux anciens déplacements des leurs. Quelques grands ports réfléchissent au rôle qui a été le leur au départ des routes maritimes majeures emmenant les Européens vers le nouveau monde. D’autres ports, jadis puissamment impliqués dans le commerce triangulaire de la traite, sont partie prenante de ces routes de l’esclavage qui permettent de reconstituer la naissance d’une diaspora noire dans le monde américain : le programme de l’UNESCO, « La route de l’esclave », porte témoignage de ces routes de l’arrachement, parcours de souffrance mais également, aujourd’hui, supports privilégiés pour un travail historique et mémoriel.
Pour citer cet article
Référence papier
« Éditorial », Diasporas, 20 | 2012, 7-8.
Référence électronique
« Éditorial », Diasporas [En ligne], 20 | 2012, mis en ligne le 01 novembre 2012, consulté le 25 mars 2023. URL : http://journals.openedition.org/diasporas/2988 ; DOI : https://doi.org/10.4000/diasporas.2988
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