Jérémy Guedj, Le Miroir des désillusions. Les Juifs de France et l’Italie fasciste (1922-1939)
Jérémy Guedj, Le Miroir des désillusions. Les Juifs de France et l’Italie fasciste (1922‑1939), Classiques Garnier, 2011, 385 p.
Texte intégral
1Si depuis l’ouvrage pionnier de Renzo De Felice en 1961, Storia degli ebrei italiani sotto il fascismo, plusieurs historiens et historiennes (en particulier Michele Sarfatti, Giorgio Fabre, Marie-Anne Matard-Bonucci) ont renouvelé notre connaissance de l’antisémitisme et de la politique envers les Juifs dans l’Italie fasciste. L’ouvrage de Jérôme Guedj conserve les protagonistes juifs et italiens mais change d’approche en proposant une analyse du regard porté par la communauté juive française – fort diverse au demeurant et dont l’auteur discute de la définition dans son introduction – sur l’Italie fasciste entre la marche sur Rome et le déclenchement du second conflit mondial.
2Le livre est organisé en quatre parties. Dans un premier temps, Jérôme Guedj s’attache à souligner l’image traditionnelle de l’Italie au sein des milieux juifs français sous le titre « La Sœur latine telle qu’en elle-même ». Il y démontre clairement que l’Italie y bénéficie d’une image positive dans la mesure où elle passe pour avoir assimilé les communautés juives d’ancienne implantation, tout en conservant le reflet d’un pays de culture, avec une idée d’universalité par le biais de la latinité. De plus, l’Alliance israélite universelle favorise les occasions de rencontres entre Juifs des deux nations. « Les arguments ne manquent donc pas, qui permettent d’affirmer sans risque que l’Italie occupait une place particulière dans le cœur des Juifs français » (p. 114). Le phénomène fasciste et son accession au pouvoir modifient-ils sensiblement cette perception ? Peu, selon Jérémy Guedj, et d’autant plus que certaines analyses d’observateurs juifs français ne brillent pas par leur pertinence. En 1921, Benjamin Crémieux ne croit pas en la pérennité du fascisme et le 1er janvier 1924, Élie Halévy écrit à son ami le philosophe Alain qu’au moins les trains partent et arrivent à l’heure (p. 127). En revanche, le président de la Ligue des droits de l’Homme, Émile Kahn, marque plus de fermeté vis-à-vis du pouvoir fasciste. De plus, l’auteur souligne à raison que les Juifs italiens ne sont pas, par principe, des opposants au nouveau régime. Parmi les grandes figures de l’exil politique italien, seuls les frères Rosselli sont Juifs. À la fin des années 1920, 26 % des Juifs italiens sont inscrits au Parti National fasciste.
3Néanmoins, la politique italienne comporte des ambiguïtés de la part de Mussolini, « Janus italien » (p. 153). Le pouvoir fasciste montre des sympathies à l’endroit du sionisme (sans doute avec l’objectif de gêner quelque peu la politique britannique en Palestine), accorde aux rabbins italiens par une loi de 1930 le droit de servir d’officiers d’état-civil lors des mariages, à l’instar des prêtres selon les termes des accords du Latran, et Mussolini affirme qu’il n’y a pas en Italie de question juive lors de l’entretien accordé au journaliste allemand, Emil Ludwig, en 1932.
4A contrario, le fascisme encourage une politique antisémite en Libye italienne et au sein de la communauté italienne de Tunisie. L’arrivée au pouvoir d’Hitler change la donne internationale et brouille un peu plus les perceptions parmi les Juifs français, qui ne diffèrent guère d’une large partie de l’opinion française. Dans les années 1933‑1935, l’Italie fasciste continue à entretenir l’espoir qu’elle peut participer à une alliance antinazie. Mais « le temps des désillusions » (p. 273) ne tarde pas, scandé par la guerre d’Éthiopie, la législation raciale appliquée dans l’Empire italien, les lois antisémites adoptées à l’automne 1938. Même si la lettre d’Edmond Dreyfus adressée aux instances parisiennes de l’Alliance israélite universelle, en date du 15 septembre 1936, prévenant des dérives graves que l’Italie est en train d’effectuer, ne parvient pas à provoquer des réactions à la mesure des enjeux, l’Italie fasciste a indéniablement chuté dans l’estime des Juifs français, d’autant plus que cette politique s’accompagne d’une alliance de plus en plus étroite avec le IIIe Reich, ce qui a fait croire à Alfred Berl que la législation antisémite italienne n’avait été adoptée qu’après une pression de Berlin, idée que les historiens ont clairement infirmée.
5Le travail de Jérémy Guedj est pionnier dans la mesure où il aborde une question historique que les études s’intéressant aussi bien aux Juifs français qu’à l’Italie fasciste avaient jusque-là négligée. Avec le souci de la replacer régulièrement dans le contexte et les évolutions de l’Italie fasciste, il offre un ouvrage précis et clair. L’auteur appelle de ses vœux une étude similaire mais cette fois-ci traitant de la communauté juive italienne vis-à-vis de la France (p. 355). Vœu louable mais qui obligera le chercheur à lire entre les lignes de documents filtrés par les obligations et les conditions inhérentes à un régime à vocation totalitaire.
Pour citer cet article
Référence papier
Philippe Foro, « Jérémy Guedj, Le Miroir des désillusions. Les Juifs de France et l’Italie fasciste (1922-1939) », Diasporas, 20 | 2012, 175-176.
Référence électronique
Philippe Foro, « Jérémy Guedj, Le Miroir des désillusions. Les Juifs de France et l’Italie fasciste (1922-1939) », Diasporas [En ligne], 20 | 2012, mis en ligne le 01 novembre 2012, consulté le 21 mars 2023. URL : http://journals.openedition.org/diasporas/3154 ; DOI : https://doi.org/10.4000/diasporas.3154
Haut de pageDroits d’auteur
Creative Commons - Attribution - Pas d'Utilisation Commerciale - Pas de Modification 4.0 International - CC BY-NC-ND 4.0
https://creativecommons.org/licenses/by-nc-nd/4.0/
Haut de page