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Retours sur

Retour sur l’article : « Hiérarchisation des espaces scolaires, différenciations usuelles et processus cumulatifs d’échec »

Choukri Ben Ayed et Sylvain Broccolichi

Notes de la rédaction

Entretien réalisé par Céline Calmejane-Gauzins le 18 septembre 2023.

Texte intégral

Céline Calmejane-Gauzins : Votre article « Hiérarchisation des espaces scolaires, différenciations usuelles et processus cumulatifs d’échec »2 a été écrit en 2001. Pour commencer, je souhaitais donc savoir quels étaient le contexte d’écriture et les objectifs de cet article.

  • 3 THIN, Daniel (1996). « La scolarisation et ses enjeux à Bron ». Dans Henriot-van Zanten, Agnès, Thi (...)
  • 4 BROCCOLICHI, Sylvain (1998). « Inégalités cumulatives, logique de marché et renforcement des inégal (...)

Sylvain Broccolichi : En 2001, cela faisait vingt ans que des transformations de l’organisation scolaire étaient menées en affichant l’objectif de la réussite pour tous. Or, nos recherches et d’autres nous avaient fait constater la persistance de fréquents échecs et d’importantes inégalités scolaires ainsi que le développement inquiétant des ségrégations entre collèges. Il s’agissait alors d’analyser en quoi les transformations opérées avaient contribué à induire ces évolutions décevantes au lieu des progrès visés. Notre article de 1999 pour la Revue française de pédagogie avait déjà relevé la perpétuation des processus cumulatifs d’échec scolaire et de décrochage précoce d’élèves de milieux socialement défavorisés et attiré l’attention sur l’insuffisante recherche des conditions à réunir pour favoriser l’évolution attendue des pratiques pédagogiques et de la réussite des élèves. Et tout comme Daniel Thin dans la banlieue de Lyon3, nous l’avions constaté en banlieue parisienne. Dans d’autres publications, nous avions aussi mis en lumière l’effet incontrôlé et problématique de la rapide suppression des orientations par l’échec (à la fin des années 1980) dans les collèges des quartiers socialement défavorisés, où jusque-là les problèmes d’échec et d’indiscipline étaient limités en orientant hors du collège avant la classe de 4e parfois plus de la moitié de leurs élèves entrés en classe de 6e. Ces collèges s’avéraient en effet bien plus déstabilisés par ce changement que ceux des secteurs plus favorisés, où l’accès en classe de 3e était déjà quasi général, en l’absence de mesures conçues pour réduire l’échec et les tensions associées. D’où leur évitement croissant par les familles et par les professionnels scolaires dotés des moyens de trouver leur place dans des collèges perçus comme plus rassurants4. Il apparaissait alors clairement que de tels processus cumulatifs de concentration de difficultés, de tensions et de sauve-qui-peut des familles d’élèves et des professionnels scolaires ne pouvaient être enrayés par la seule magie d’un projet d’établissement visant « la réussite de tous » dans chaque collège (prescrit par la loi de 1989).

Dans l’article de 2001, nous voulions donc alerter sur ce développement inquiétant de réactions en chaîne conduisant à stigmatiser et à ghettoïser toujours davantage de nombreux collèges de quartiers populaires, mais sans négliger pour autant le rôle des autres vecteurs d’échec et d’inégalité scolaires déjà identifiés qu’il importait aussi de réguler bien plus si l’on voulait vraiment progresser vers une meilleure réussite de tous.

Choukri Ben Ayed : J’ajoute qu’il s’agissait d’un article en forme de point d’étape si l’on regarde la suite, puisqu’il s’efforçait déjà de conceptualiser et de systématiser cette idée de hiérarchisation du système éducatif, en contradiction avec le mythe égalitaire, en pointant aussi les effets de la ségrégation sur la régulation des difficultés d’apprentissage socialement situées ; à la fois du côté des enseignants, des pratiques pédagogiques, et du côté des élèves. C’était un article qui pointait une étape historique dans l’évolution du système éducatif, et nous le percevons maintenant comme un article préfigurateur de tout ce qu’on a pu étudier et analyser par la suite. D’ailleurs, cet article a beaucoup circulé parce qu’il était assez simple à lire et pointait des éléments importants qui se sont avérés par la suite d’actualité, voire en forte aggravation jusqu’à aujourd’hui.

CCG : Justement, depuis vingt-deux ans, qu’est-ce qui a changé, qu’est-ce qui n’a pas changé, qu’est-ce qu’on peut dire aujourd’hui des ségrégations sociorésidentielles et scolaires ?

  • 5 BEN AYED, Choukri, BROCCOLICHI, Sylvain, MONFROY, Brigitte (2013). « Quels impacts de l’assouplisse (...)
  • 6 BEN AYED, Choukri, BROCCOLICHI, Sylvain (2001). « Quelques remarques concernant l’utilisation du co (...)

CBA : D’abord, il faut préciser que la ségrégation n’est pas qu’une inégale répartition des élèves entre établissements. Ce sont des moyens qui ne sont pas les mêmes partout, des enseignants qui ne sont pas les mêmes partout, des conditions de scolarisation qui sont très inégalitaires et qui produisent une rupture d’égalité entre les élèves. En fait, ce qu’on peut dire, c’est que si cet article de 2001 était un peu comme un signal d’alarme, au moins connu par les acteurs qui lisent la revue, il ne nous semble pas avoir inspiré de politiques publiques visant à inverser le cours des choses, ou même éviter que la situation ne se détériore. C’est même plutôt l’inverse qui s’est produit avec l’assouplissement de la carte scolaire5 et l’accentuation de la hiérarchisation entretenue par l’essor des publications de palmarès d’établissements. Tout cela a contribué à intensifier les logiques d’évitement d’établissements de plus en plus stigmatisés, mais pas à inspirer des démarches de régulation des difficultés constatées. En vingt-deux ans, il s’est passé beaucoup de choses, des dérégulations de la carte scolaire, une augmentation très forte de la place de l’enseignement privé, etc., donc une polarisation, un éclatement de l’offre éducative qui peuvent être assimilés à une logique de marché scolaire. D’ailleurs, on avait écrit un article sur les marchés scolaires la même année, en 2001 ; je crois que c’était le premier en France6. Et aujourd’hui, ce que l’on voyait se profiler comme risquant de produire des inégalités, des dégradations des conditions de travail pour les enseignants et de scolarisation pour les élèves, n’a fait finalement que s’accentuer. On pourra en reparler plus tard avec la parenthèse de la politique de la mixité.

SB : Effectivement, il y a vingt-deux ans, nous avions déjà remarqué que les politiques adoptées s’attachaient surtout à maintenir davantage d’élèves dans le système scolaire jusqu’à des niveaux d’études plus élevés à moindre coût, sans se soucier sérieusement des conséquences humaines et pédagogiques sur le terrain, et en particulier de la ghettoïsation d’espaces scolaires devenant explosifs. La stratégie politique consistant à agir avant tout sur l’orientation et la limitation imposée des redoublements pour produire un semblant d’homogénéisation des parcours et d’élévation des niveaux d’étude n’a guère changé, mais ses effets négatifs sont désormais mieux connus grâce à toutes sortes de recherches et d’évaluations réalisées depuis le début du XXIe siècle. Ainsi, plusieurs séries d’évaluations nationales et internationales portant sur les acquis des élèves ont mis en évidence l’essor des inégalités sociales d’acquis des élèves en France (les plus marquées dans l’OCDE [Organisation de coopération et de développement économiques] depuis quinze ans) et l’amplification des difficultés et malaises des élèves et des enseignants, notamment au niveau de l’école primaire. De façon complémentaire, l’évaluation internationale TALIS (Teaching and Learning International Survey) a objectivé les fréquences extrêmes de stress et de malaises exprimés en France par les enseignants et les directeurs d’école du fait des déficits de formation, mais aussi de conditions d’exercice les confrontant à de grandes difficultés sans que des soutiens mobilisables soient prévus pour les aider à y remédier ; et d’après les enquêtes de terrain, l’affectation dans un autre établissement ou l’arrêt maladie restent les « solutions » les plus couramment pratiquées en cas de difficultés extrêmes. Donc depuis vingt-deux ans, les conséquences problématiques des politiques mises en œuvre en France sont bien mieux connues, mais sans entraîner de rectifications notables.

CCG : Qu’est-ce qui différencie la France des autres pays de l’OCDE ? Comment l’expliquez-vous ? Qu’est-ce qui a manqué pour que cela change dans le bon sens ?

  • 7 GARCIA, Sandrine (2023). Enseignants. De la vocation au désenchantement. Paris : La Dispute.

CBA : C’est difficile les comparaisons internationales, mais il y a quand même une intrigue au niveau des évaluations PISA (Programme international pour le suivi des acquis) et des indicateurs publiés annuellement par l’OCDE. Ils signalent entre autres les faibles investissements financiers et les faibles taux d’encadrement des élèves existant notamment dans le premier degré, conjugués à des rémunérations d’enseignants plus faibles que dans la moyenne des pays de l’OCDE et de l’Europe. Ce que l’on vit actuellement et qu’on n’avait pas imaginé avec cette force, c’est le désarroi des enseignants, les difficultés de recrutement, les démissions – Sandrine Garcia a publié un livre sur les enseignants qui quittent l’Éducation nationale7 –, le nombre de contractuels qui explose, etc. À cela, il faut ajouter les formations initiales et continues des enseignants qui ont été tendanciellement affaiblies au cours des dernières décennies alors que le travail enseignant se trouvait complexifié et alourdi par une multitude de changements et d’obligations nouvelles. Cela fait quand même beaucoup d’ingrédients qui font que tous les signaux sont au rouge, en fait.

  • 8 MAMEDE, Maíra, MENDES RIBEIRO, Vanda, BROCCOLICHI, Sylvain, CARMO MEIRELLES TOLEDO CRUZ, Maria do ( (...)

SB : À la suite des travaux soulignant le rôle crucial de l’éducation dans le développement humain, la croissance économique et la cohésion sociale, la plupart des gouvernements ont affiché des objectifs similaires d’amélioration de la qualité de l’enseignement et de réduction des inégalités éducatives, avec des succès variables selon les pays. Dans ceux de l’OCDE, les progrès sont souvent restés faibles, mais la situation française s’est quant à elle dégradée : les difficultés des élèves et des enseignants s’y sont accrues, les acquis des élèves s’y sont nettement affaiblis en fin d’école primaire (d’après les évaluations TIMSS [Trends in Mathematics and Science Study] et PIRLS [Progress in International Reading Literacy – Programme international de recherche en lecture scolaire]) et ils sont devenus les plus inégaux à 15 ans (d’après PISA). L’explication n’est pas simple, car de nombreux facteurs sont en jeu, mais quelques points essentiels se dégagent des travaux sur les changements observés en France et dans des États où de nets progrès ont été obtenus8. Il s’agit notamment de la vigilance et de la persévérance nécessaires dans la longue recherche des moyens d’améliorer les conditions et les pratiques d’enseignement, de négocier des solutions suffisamment consensuelles avec les différentes catégories d’acteurs concernées, puis d’ajuster les mesures prises en fonction des difficultés imprévues constatées dans divers contextes. Les stratégies françaises sont loin de ça et la tendance y est restée de ne pas rechercher sérieusement comment progresser vers les objectifs énoncés, et de ne guère tenir compte des problèmes (en partie prévisibles) engendrés par les mesures prises.

  • 9 IGEN, IGAENR (2013). Actualisation du bilan de la formation continue des enseignants. Rapport no 20 (...)
  • 10 BLANC, Paul (2011). La scolarisation des enfants handicapés. Rapport au président de la République. (...)
  • 11 DEPP (2021). Satisfaction professionnelle et bien-être des professeurs des écoles. Résultats de l’e (...)

La politique d’inclusion instaurée après 2005 illustre ça assez bien : l’objectif semblait louable, mais la mise en œuvre s’est avérée très problématique pour plusieurs raisons. D’abord, les malaises éprouvés par les enseignants face aux difficultés de leurs élèves étaient déjà connus ; or, la politique d’inclusion adoptée impliquait des aménagements de situations bien plus complexes encore pour tenir compte des troubles et besoins particuliers des élèves précédemment exclus des classes ordinaires. Cependant, les investissements dans la formation continue des enseignants ont été réduits de façon drastique au cours des années suivantes9. De plus, au lieu de faire venir des enseignants spécialisés dans les classes ordinaires (comme en Italie ou en Finlande, par exemple) auprès des enseignants ayant à s’initier aux démarches d’inclusion, ce sont des assistants (AVS [auxiliaires de vie scolaire]), puis des « accompagnants » (AESH [accompagnants d’élève en situation de handicap]) sans garantie de compétence pédagogique et très succinctement formés que les enseignants ont eu la charge de manager dans leur classe (sans y être eux-mêmes préparés), pour qu’ils s’occupent tant bien que mal d’élèves ayant des troubles et besoins très spécifiques. Les évaluations réalisées ont vite signalé l’insuffisance des moyens prévus et les graves difficultés professionnelles qui en résultaient10. Mais ces alertes n’ont pas entraîné d’ajustements notables, et l’évaluation TALIS de 2018 a révélé que la France était le seul pays de l’OCDE où une majorité d’enseignants français estimaient « manquer d’enseignants compétents dans la prise en charge d’élèves ayant des besoins éducatifs particuliers » et où « adapter les cours aux élèves à besoins éducatifs particuliers » stressait la plupart des enseignants (80 % d’entre eux au niveau de l’école primaire). Cette grande fréquence de stress des enseignants est aussi à relier à l’accent continuellement mis sur leur responsabilité quasi exclusive dans la recherche de solutions ajustées à leurs élèves, ainsi qu’à la multiplication des demandes institutionnelles chronophages se rapportant aux élèves à besoins particuliers (évaluation, projet, bilan…), sans prendre en considération leurs propres difficultés et doléances. Pourtant, dans le cas de nombreuses situations d’inclusion, tout comme dans celui d’établissements ghettoïsés sans équipe stable, il est flagrant que la résolution des problèmes rencontrés nécessiterait le déploiement d’autres ressources, en coopération avec les équipes de terrain. Or, en France, les échelons supérieurs de l’institution assument très peu ce principe de coresponsabilité. Faute de ressources prévues à cet effet, ils n’identifient pas précisément les difficultés des professionnels de terrain et en restent souvent à des postures injonctives plus ou moins culpabilisantes. D’où aussi la rupture de confiance des enseignants vis-à-vis de leur institution, qui se manifeste de façon très marquée en France dans les résultats de l’enquête TALIS : par exemple, seulement 5 % (8 % dans le cas des professeurs de collège) estiment que les enseignants peuvent contribuer à influencer les politiques éducatives11.

  • 12 Le « Pacte enseignant » est un mécanisme d’indemnisation au sein des écoles, collèges, des lycées d (...)

CBA : Je voudrais juste rajouter un point. On parle plutôt d’inertie que de transformations en fait, mais parmi les transformations majeures, qui ne sont jamais très visibles, on a l’impression que les réformateurs du système éducatif se sont branchés sur un logiciel qui renvoie plutôt à l’organisation du monde de l’entreprise, et pas à celle d’un service public d’éducation. Depuis quelques années, on a vu les auto-évaluations des établissements, les projets d’établissement, les projets éducatifs qui ne sont plus vraiment des projets d’établissement, mais plutôt des projets de structure collective, et aujourd’hui le Pacte enseignant12 qui singularise les carrières, sans considérer la compétence académique de l’enseignant qui en remplace un autre, avec à la clé une possibilité de revalorisation salariale, etc. On a l’impression que plutôt que d’essayer de réhomogénéiser, de réégaliser l’offre scolaire sur le territoire dans l’idée d’une mission de service public pour tous, on a plutôt joué sur l’attractivité des établissements par des options, renforcé l’enseignement privé, appliqué des méthodes un peu similaires à celles du privé dans l’enseignement public avec des établissements de très haut niveau qui sont désectorisés et dont les recrutements sont nationaux, la dématérialisation, la mise en concurrence des élèves et le stress aussi que cela engendre, et la façon de manager les personnels enseignants qui ne correspond pas au contenu de leur mission… On hérite des deux contraintes, d’une part celle de l’idéologie technico-libérale et celle de la lourdeur administrative du système. Et l’on paye les deux : à la fois une administration lourde et une forme de gestion néo-libérale avec le new management public du système éducatif, qui désoriente et ne produit pas du tout les effets attendus.

SB : En 2001, nous avions déjà constaté que les stratégies et mesures adoptées n’étaient pas en adéquation avec les objectifs énoncés. Mais à l’époque, on pouvait y voir la croyance en la vertu d’un mode de pilotage du changement peu coûteux. À la suite des constats d’évolutions négatives qui se sont accumulés depuis, on aurait pu s’attendre à ce qu’au moins une partie des options initiales soient remises en question au profit de celles adoptées par des pays obtenant de meilleurs résultats, en prévoyant une meilleure prise en compte des réalités de terrain pour des formations et aménagements négociés en fonction des difficultés et besoins réels des élèves et des enseignants. Ça n’a pas été le cas et cela interroge sur les priorités des dirigeants politiques, et, peut-être aussi, sur le manque de mobilisations suffisamment convergentes des professionnels et des usagers les plus concernés.

CCG : Je voudrais revenir en arrière sur la question de l’échec scolaire. Vous avez dit que, ce qui pouvait contribuer à l’échec scolaire, c’était le manque de formation en quantité et en qualité. Est-ce qu’il y a pour vous d’autres facteurs qui ont aggravé l’échec scolaire ? Et quels pourraient être, en miroir peut-être, les facteurs et les conditions de la réussite scolaire ?

  • 13 Propos extrait d’un entretien réalisé par Anne Barrère lors d’une recherche collective sur la forma (...)
  • 14 IGEN, IGAENR (2012). Les composantes de l’activité professionnelle des enseignants outre l’enseigne (...)
  • 15 OCDE (2016). Regards sur l’éducation 2016. Les indicateurs de l’OCDE. Paris : Éditions OCDE. https: (...)
  • 16 ALAVA, Séraphin (2016). « L’enseignant face à la difficulté de la classe. Capacité à agir et décroc (...)

SB : Oui, c’est tout un ensemble de facteurs qui sont à prendre en considération de façon systémique si l’on veut ajuster les ressources à mobiliser aux problèmes à résoudre sur les divers terrains existants. Les recherches récentes de Choukri l’ont alerté sur les conflictualités qui se développent dans de nombreux établissements scolaires des quartiers d’habitat social dégradés. Pour ma part, j’attirerai l’attention sur un problème qui concerne en premier lieu l’enseignement primaire et s’avère en lien étroit avec les écueils déjà évoqués en matière de formation et de politique d’inclusion : ce problème et sa conséquence ont été bien résumés par un maître formateur attribuant sa plus grande difficulté au nombre excessif d’injonctions administratives et pédagogiques et concluant ainsi : « On a trop de choses à faire et trop peu de temps, donc on le fait mal »13. Un rapport des inspections générales avait déjà signalé en 2012 l’ampleur de ce problème unanimement dénoncé par les professeurs des écoles14 et il est à rapprocher de la lourdeur extrême de leurs charges hebdomadaires d’enseignement (et plus encore quotidiennes avec la semaine de quatre jours) comparées aux moyennes dans l’OCDE15. D’où leur fatigue et leur disponibilité limitée pour assumer toutes les tâches de préparation, d’évaluation, et de coopération avec les parents de leurs élèves, avec leurs collègues et avec d’autres professionnels concernés par l’inclusion. Or, l’épuisement qui en résulte devient insupportable quand même un fort investissement produit un travail et des résultats qui restent insatisfaisants ; ce processus de vulnérabilisation induit des désengagements défensifs, assimilés par certains auteurs à des décrochages et contribue aussi à expliquer l’augmentation constatée des démissions16.

  • 17 Voir notamment : BEN AYED, Choukri (dir.) [2021]. Grande pauvreté, inégalités sociales et école. So (...)
  • 18 BEN AYED, Choukri (2023). L’école discrimine-t-elle ? Le cas des descendants de l’immigration nord- (...)

CBA : Je voudrais rajouter un point. Depuis que nous avons commencé nos travaux, Sylvain et moi, il y a une trentaine d’années, nous voyons – notamment dans les quartiers populaires – progressivement apparaître des choses qu’on ne voyait pas avant : la paupérisation des territoires, des populations et des infrastructures scolaires, la dégradation du bâti des établissements dont certains sont à la limite de l’insalubrité. Le cas de Marseille fait évidemment couler beaucoup d’encre, mais il n’y a pas que là. Il y a forcément un lien entre la pauvreté qui s’est accrue dans les classes populaires et la pauvreté des services publics dans lesquels ils évoluent et qui font honte à la République17. Dans la dernière enquête que j’ai menée – puisque j’interroge des gens de plusieurs générations –, ces derniers expliquent très bien comment cela s’est dégradé et très vite. On cite souvent les années 1970 comme le début de la ségrégation, mais eux insistent beaucoup sur les années 1990, et disent qu’il n’y a quasiment plus de service public dans les quartiers si ce n’est l’école, mais qui est dans une situation de crise. Ceux qui arrivent à s’en sortir à peu près sont ceux qui font le pas vers l’enseignement privé. Cela signifie que sont concentrés dans ces quartiers des élèves en très grande difficulté avec des effets de normes, de groupes, des pressions entre élèves sur les pratiques vestimentaires, sur les ritualités religieuses. Mes travaux récents montrent une sorte de rupture avec le cadre républicain au sens philosophique du terme, avec une situation objective d’abandon : les gens se sentent abandonnés, les élèves se sentent abandonnés, ils se définissent pour certains par leur religion, ce qu’ils estiment être leur pays même s’ils sont nés en France, etc. Et là, on est au-delà des questions de performances scolaires : on revient sur la question du rôle d’un système éducatif qui est de construire un sentiment d’appartenance, l’idée d’une destinée commune, sans se sentir discriminé18. Au contraire, tout explose complètement : il existe des isolats, des lieux, des établissements dans lesquels les élèves ont peur de venir, sont même menacés. Il y a comme une sorte de prise de pouvoir du contexte local sur les établissements scolaires, avec une absence de réponse de l’institution et avec la crainte qu’il ne soit presque trop tard… Ainsi, certains enseignants se retrouvent face à des contextes dans lesquels il n’est même pas sûr qu’ils puissent réaliser un cours de cinquante-cinq minutes du début à la fin, mais où ils essayent de canaliser cette rage éprouvée par des élèves qui ont vraiment l’impression d’être la dernière roue du carrosse, ils sont pointés du doigt, se sentent méprisés et se construisent un autre monde… Pour finir, ce que j’ai remarqué à l’occasion de l’écriture de mon dernier ouvrage qui ne m’était pas apparu jusqu’ici, c’est le fait que les bons élèves sont stigmatisés par les autres, considérés comme étant passés « du côté de l’ennemi ». J’ai parlé d’un article préfigurateur, on le savait déjà en 2001, mais pas à ce point et nos hypothèses sont validées au-delà de ce qu’on imaginait avec cette dégradation continue du système éducatif.

SB : Choukri a tout à fait raison d’insister sur la gravité de ce sentiment d’abandon qui entraîne des réactions de violence tournée vers ceux qui paraissent mieux traités par les professeurs. À l’école primaire, ces derniers arrivent en général à éviter que les tensions entre bons et mauvais élèves ne prennent de l’ampleur, mais le problème s’intensifie souvent au collège d’une façon qui n’est pas sans lien avec l’affaiblissement des acquis des élèves observé en fin d’école primaire. En effet, ce sont surtout les plus défavorisés socialement qui manquent alors le plus cruellement des acquis nécessaires pour maîtriser les contenus travaillés et répondre aux attentes des enseignants du collège ; ce qui risque alors d’engendrer ce sentiment d’abandon et d’induire des réactions de violence ou du harcèlement. Les déficits d’apprentissage liés aux dysfonctionnements de l’école primaire sont ainsi des vecteurs potentiels d’inégalités scolaires croissantes inductrices de tensions et de conflictualités ultérieures, quand les enseignants des collèges ne parviennent pas à donner une place acceptable à tous leurs élèves. Ces conflictualités s’exacerbent ensuite entre classes ou à l’intérieur des classes quand les inégalités de statut scolaire entre élèves sont visiblement corrélées à des propriétés sociales ou ethniques et à des couleurs de peau, et sont alors interprétées comme des discriminations. Il me semble donc utile de considérer les conflictualités qui se développent au collège et les problèmes associés aux déficits et inégalités d’apprentissage en corrélation avec les propriétés sociales des élèves.

CCG : C’est une sorte de cercle vicieux, d’engrenage que vous décrivez. Les chercheurs dressent des constats qu’ils étayent, et je sais que ce n’est pas votre travail, mais peut-être avez-vous identifié des pistes qui pourraient permettre d’enrayer cet état de fait. Quelles seraient ces pistes pour vous ?

CBA : Alors, il y en a de multiples comme celle de la mixité sociale entre autres, mais j’ai l’impression que la question n’en est même plus là en fait. Ce qui paraît tout à fait étonnant dans ce que l’on vit actuellement, et qui s’est accéléré très fortement ces dernières années, c’est qu’on a l’impression que dans l’institution, dans l’Éducation nationale, on ne sait plus qui est responsable de quoi, qui a des moyens d’agir… On a l’impression que, tandis qu’on décrit une situation qui est quand même grave pour la nation, le sujet de l’école est souvent relégué après plein d’autres sujets, qu’il n’a plus la centralité qu’il a eue et qu’il mérite. L’aspect un peu prestigieux de l’enseignement et de l’institution scolaire a connu une sorte de déclassement. On ne sait pas ce qui se passe au ministère, mais on a l’impression qu’il est complètement étanche aux alertes, qu’il fait rarement appel à des tiers pour essayer justement de trouver des solutions. On a l’impression que cette institution fonctionne indépendamment des réalités de terrain et des recherches portant sur elles, avec des discours qui sont parfois un peu hors sujet ; et surtout – ce qui est à mon sens nouveau –, il y a vraiment une fermeture. Auparavant, il y avait des commissions, des états généraux, des consultations aidant à dégager quelques consensus sur des problèmes majeurs et les réponses à leur apporter, etc. Cette perspective semble délaissée. Et sans être partisan, signalons la présence d’un conseil scientifique autonome et endogène à l’Éducation nationale qui apporte la bonne parole au ministre, avec un choix qui est très orienté : ce conseil qui se veut scientifique ne se soumet pas lui-même à la critique des pairs et fait de l’autoproduction qui va dans le sens d’une orientation politique. La gouvernance est donc complètement isolée, et l’on a l’impression qu’aujourd’hui il n’est pas besoin d’avoir ou d’acquérir des compétences dans le domaine de l’éducation pour être ministre de l’Éducation nationale puisqu’on en change sans arrêt. Nous-mêmes en tant que chercheurs, nous avons le sentiment qu’on ne peut pas coopérer. Je prends un exemple. Nous lançons une collaboration avec le ministère de la Ville et notre interlocuteur ne nous dit pas que quarante-huit heures après, il quitte son poste. On ne sait même pas où le dossier est parti. Cette institution fonctionne comme une boîte noire où tout le monde semble un peu paralysé par des effets de hiérarchie, de présidentialisation du système. Quand on travaille localement avec un DASEN (directeur académique des services de l’Éducation nationale) ou un recteur, on perçoit combien ils sont craintifs à lancer une expérimentation, à se présenter à des réunions… Et au niveau national, on ne sait pas qui fait quoi, qui prend telle ou telle décision, sur quoi elle s’appuie. On voit des gens passer du ministère des Transports au ministère de l’Éducation nationale, ce sont des populations plutôt jeunes et hautement diplômées issues des grandes écoles, mais qui ne semblent connaître ni l’école, ni l’histoire des idées pédagogiques, ni celle de l’échec scolaire, ni toute cette filiation qui pourrait conduire à une accumulation d’acquis. Elles vont gérer un bout d’administration pour quelques mois, et il y a de quoi s’inquiéter quant à la gouvernance globale du système : il ne tient que grâce à l’énergie que mettent des acteurs de terrain dont l’investissement n’est pas reconnu, et qui finissent en effet par s’épuiser comme l’a dit Sylvain tout à l’heure.

  • 19 BROCCOLICHI, Sylvain, LARGUÈZE, Brigitte (2023). « Restauration d’une école sinistrée et leçons tir (...)

SB : Dans un contexte où le haut de l’institution scolaire joue la carte de la responsabilisation des acteurs locaux sans assumer leur propre part de responsabilité dans la résolution des problèmes existants, il nous semble essentiel que les chercheurs n’adoptent pas eux aussi une attitude surplombante et injonctive vis-à-vis des professionnels de terrain et de leurs difficultés. C’est pourquoi nous réalisons bon nombre de nos recherches sur des situations problématiques parfois extrêmes (d’échec, de tension, de ghettoïsation…), sur les réponses qui leur sont apportées et sur ce qu’en disent les acteurs concernés : car ce sont eux qui savent de quoi ils souffrent et (en partie) quels sont leurs besoins. Il nous arrive également de nous impliquer à leurs côtés dans des expérimentations ou des démarches coopératives de résolution de problème qui nous apprennent aussi beaucoup sur les dysfonctionnements et obstacles existants et sur des pistes permettant de les atténuer. C’est ainsi qu’après avoir assumé pendant sept ans la responsabilité scientifique d’un observatoire des parcours scolaires dans une ville particulièrement concernée par des processus cumulatifs d’échec scolaire et de ghettoïsation d’un collège et de plusieurs écoles, j’ai été resollicité (trois ans plus tard) par les responsables locaux pour analyser la situation de la seule école de la ville en proie à de très graves difficultés, puis pour contribuer à la résolution du problème ; avec Brigitte Larguèze, nous avons estimé utile de rapporter le récit de cette expérience riche d’enseignements menée pendant un peu plus de deux ans, et publié précisément dans le numéro hors-série de la revue Diversité, Travailler en banlieue, de février 202319.

Au cours des dernières années, j’ai participé aussi à deux autres recherches qui justement ne veulent pas en rester au constat des difficultés, des échecs, des inégalités, mais qui visent à creuser la question des réponses qui peuvent leur être apportées. L’une, en France, porte sur quelques cas isolés de professeurs qui, malgré tous les obstacles liés au contexte institutionnel, réussissent à maintenir un haut niveau d’ambition et à faire apprendre à tous leurs élèves, y compris les plus compliqués, d’après les observations réalisées. Il en ressort que leurs compétences et convictions hors du commun ont été acquises en grande partie avant leur formation et leurs activités au sein de l’Éducation nationale, lors de parcours et d’expériences tout à fait atypiques. Cela instruit sur la genèse et la teneur des dispositions professionnelles qui sous-tendent leur pouvoir d’agir, mais cela ne fournit pas de pistes pour développer de telles dispositions chez d’autres enseignants dans la situation actuelle.

Par ailleurs, avec Choukri et quelques autres chercheurs français, nous participons à une recherche internationale très stimulante sur les transformations qui ont contribué à de considérables élévations et égalisations des apprentissages des élèves dans un État du Brésil (Mamede et al., 2021 : voir note 7). Ces progrès spectaculaires sur quinze ans résultent d’un large ensemble de mesures portant sur tout ce qui conditionne la qualité de l’enseignement. Elles ont en effet porté à la fois sur le développement de relations coopératives entre État et communes visant une meilleure réussite de tous les élèves, sur les démarches de recrutement et de formation des professionnels scolaires et sur toutes les ressources matérielles et humaines aidant les enseignants à améliorer leurs pratiques pédagogiques : un tiers temps accordé pour toutes les tâches de préparation et de concertation tenant compte des évaluations des acquis et difficultés des élèves, l’amélioration de leurs équipements pédagogiques et surtout, dans chaque école, l’assistance de personnes compétentes pédagogiquement pour assister les enseignants dans leur recherche de solutions aux difficultés rencontrées. En collaboration étroite avec des directions d’école bénéficiant toutes de décharge totale (y compris en école primaire), ces personnes chargées de la coordination pédagogique aident les enseignants à analyser les évaluations de leurs élèves et à résoudre les problèmes qu’ils rencontrent (en étant à leur écoute et en allant régulièrement dans leur classe), et parfois en faisant appel à d’autres catégories de professionnels en soutien. Dans ces conditions, les enseignants ne sont jamais démunis, seuls et désespérés face à des situations difficiles, comme on le voit trop souvent en France. Cela crée chez eux un rapport confiant à leur institution et leur permet de rester constructifs dans leurs confrontations aux difficultés d’apprentissage et de comportement des élèves, même quand celles-ci sont très importantes (suite à la longue fermeture des écoles au Brésil), comme nous avons pu l’observer dans de nombreuses classes en mai et juin dernier. Des pistes existent, donc, mais qui supposent une approche systémique très vigilante et dans la durée. Notamment aussi pour développer des coopérations constructives entre l’État, les collectivités locales et les équipes pédagogiques afin de favoriser des améliorations structurelles et ajuster les solutions aux situations locales. Cet exemple aide à ne pas céder au fatalisme face à l’absence de progrès observée en France jusqu’à présent ; d’autant que l’État qui a su identifier et mobiliser des leviers de transformation pertinents est pourtant l’un des plus pauvres du Brésil et disposait donc de ressources budgétaires plus limitées qu’en France.

CCG : Est-ce que vous avez d’autres choses à ajouter ?

CBA : Il y a un élément évident dans l’enquête que j’ai menée sur la discrimination scolaire, c’est ce que j’appelle le délitement de l’éducation populaire. Dans les quartiers, ce que décrivent les plus anciens que j’ai interrogés, c’est qu’ils avaient l’école, mais aussi des animateurs qui les remettaient dans le droit chemin, leur proposaient des projets culturels intéressants et qui consistaient à sortir du quartier notamment, et surtout ils avaient au sein du quartier des repères, des gens qu’ils connaissaient depuis qu’ils étaient enfants et jusqu’à l’âge d’être jeune adulte. Et ils expliquent comment l’éducation populaire les a sauvés en quelque sorte. J’ai tendance comme d’autres à dire que l’école doit se suffire à elle-même, mais c’est plus compliqué que ça en réalité : ça dépend si l’on parle d’instruction ou d’éducation, mais sur le plan de l’éducation, en ce qui concerne la civilité, l’encouragement. Tout cela s’est complètement effondré. C’est un sujet à part entière et qui est très grave à mon avis. Il n’y a plus de financement pérenne, les personnels sont recrutés sur des contrats très courts, précodifiés, avec peu de liberté de mouvement, en lien avec l’actualité politique des contrats de ville, et sentent qu’ils sont des exécutants d’une idéologie étatique, et non plus des parties prenantes des quartiers. Ce n’est d’ailleurs pas pour rien qu’il y a des centres sociaux qui brûlent. C’est pour les anciens un crève-cœur de voir que ces lieux, dans lesquels ils ont vécu, dans lesquels ils ont grandi, dans lesquels ils se sont épanouis sont les lieux que les jeunes attaquent, et ils se disent qu’il y a quelque chose qui ne fonctionne pas. Ce que je perçois aujourd’hui, c’est que les jeunes manquent de supports : ils n’ont pas de lieu de repli en dehors de l’école. Le seul dispositif un peu stable, c’est celui des contrats locaux d’accompagnement à la scolarité (CLAS) qui existent depuis plusieurs décennies. Mais même dans les CLAS, il y a des élèves qui sont sur liste d’attente parce qu’il n’y a pas assez de place pour les accueillir…

Cette situation est à lier avec le déclin du bénévolat : il n’y a plus de ressources suffisantes pour venir aider ces élèves, et cela a des effets très importants. Pour beaucoup des enquêtés descendant de l’immigration que j’ai interrogés, l’éducation populaire a été le tremplin qui leur a permis de se faire remarquer et de faire une carrière. Aujourd’hui, les enfants tournent en rond et trouvent d’autres occupations qui ne sont pas encadrées.

Mais ce qui est positif, c’est qu’il y a beaucoup d’énergie dans les quartiers : les gens tentent de s’auto-organiser en association, en collectifs, mais cette énergie-là n’est pas captée par l’institution, elle est ignorée par l’institution. On sent qu’il y aurait besoin d’agoras, de lieux de discussion, de lieux de débats pour faire redescendre la conflictualité. Il faudrait que l’Éducation nationale se mette au niveau des gens. La société civile essaye de se structurer, de faire des propositions, il y a eu des états généraux de différents collectifs, donc il y a de la ressource, mais il y a aussi beaucoup de désespoir, car cela ne rencontre pas d’écho au sein de l’Éducation nationale.

  • 20 DORMOY-RAJRAMANAN, Christelle, JOIGNEAUX, Christophe, BROCCOLICHI, Sylvain, MIERZEJEWSKI, Stéphan ( (...)

SB : Les enseignants se sentent eux aussi abandonnés par une institution qui leur fixe des objectifs très ambitieux, tout en les privant des moyens de s’en approcher ; d’où des sentiments mêlés d’impuissance et d’abandon qui produisent des situations de travail empêché. Or, la démoralisation, l’épuisement et les ressentiments qui en résultent sont très contre-productifs dans un métier qui nécessite des succès et des formes de reconnaissance pour entretenir la volonté de s’investir fortement. Dans le Ceará, on l’a vu, les grandes améliorations au niveau des élèves ont été associées à des conditions qui développent le pouvoir d’agir et le moral des enseignants, grâce notamment à du temps accordé pour coopérer utilement avec d’autres professionnels compétents. C’est en créant ainsi les conditions de leur réussite et de leur fierté professionnelle qu’on peut favoriser de réels progrès, bien plus qu’en se limitant à mettre la pression sur eux et en les vulnérabilisant, au risque de provoquer des désengagements défensifs20.

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Notes

2 https://www.persee.fr/doc/diver_1299-085x_2001_num_127_1_1268

3 THIN, Daniel (1996). « La scolarisation et ses enjeux à Bron ». Dans Henriot-van Zanten, Agnès, Thin, Daniel, Vincent, Guy. Politiques scolaires urbaines. Programme pluriannuel en sciences humaines Rhône-Alpes. Villeurbanne : Programme Rhône-Alpes, recherches en sciences humaines, p. 70-140.

4 BROCCOLICHI, Sylvain (1998). « Inégalités cumulatives, logique de marché et renforcement des inégalités scolaires ». Ville École Intégration, no 114, p. 35-52. https://www.persee.fr/doc/diver_1288-6742_1998_num_114_1_6800

5 BEN AYED, Choukri, BROCCOLICHI, Sylvain, MONFROY, Brigitte (2013). « Quels impacts de l’assouplissement de la carte scolaire sur la ségrégation sociale au collège ? Tendances nationales et déclinaisons locales contrastées ». Éducation et formation, no 83, p. 39-57.

6 BEN AYED, Choukri, BROCCOLICHI, Sylvain (2001). « Quelques remarques concernant l’utilisation du concept de “marché” dans le champ scolaire ». Revue Questions Éducatives, no 20, p. 17-114.

7 GARCIA, Sandrine (2023). Enseignants. De la vocation au désenchantement. Paris : La Dispute.

8 MAMEDE, Maíra, MENDES RIBEIRO, Vanda, BROCCOLICHI, Sylvain, CARMO MEIRELLES TOLEDO CRUZ, Maria do (2021). « Un cas extrême de réduction des inégalités scolaires au Ceará (Brésil). Stratégie et efficience de la politique mise en œuvre ». Cahiers de la recherche sur l’éducation et les savoirs, no 20, p. 119-147. https://doi.org/10.4000/cres.5333

9 IGEN, IGAENR (2013). Actualisation du bilan de la formation continue des enseignants. Rapport no 2013-009. Paris : La Documentation française. https://medias.vie-publique.fr/data_storage_s3/rapport/pdf/134000486.pdf

10 BLANC, Paul (2011). La scolarisation des enfants handicapés. Rapport au président de la République. https://medias.vie-publique.fr/data_storage_s3/rapport/pdf/114000307.pdf ; FLORIN, Agnès, GUIMARD, Philippe (dir.) [2016]. Qualité de vie à l’école des enfants en situation de handicap. Revue de questions. https://www.cnesco.fr/wp-content/uploads/2017/10/170929_handicap.pdf

11 DEPP (2021). Satisfaction professionnelle et bien-être des professeurs des écoles. Résultats de l’enquête TALIS 2018. Note d’information no 21.34, figure 4. https://www.education.gouv.fr/satisfaction-professionnelle-et-bien-etre-des-professeurs-des-ecoles-resultats-de-l-enquete-talis-325469

12 Le « Pacte enseignant » est un mécanisme d’indemnisation au sein des écoles, collèges, des lycées d’enseignement général et technique, et des lycées professionnels, destiné aux enseignants qui prennent en charge des missions supplémentaires. Il repose sur la base du volontariat.

13 Propos extrait d’un entretien réalisé par Anne Barrère lors d’une recherche collective sur la formation continue des enseignants à Paris, avec notamment Éric Roditi et Christophe Joigneaux. Il a été repris et analysé davantage dans BROCCOLICHI, Sylvain, GARCIA, Sandrine (2021). « “On n’a pas le temps d’aider les élèves en difficulté !”. Alourdissement du travail des professeurs des écoles et processus de tri des élèves ». Sociétés contemporaines, no 123, p. 51-77.

14 IGEN, IGAENR (2012). Les composantes de l’activité professionnelle des enseignants outre l’enseignement dans les classes. Rapport no 2012-070. Paris : La Documentation française. https://www.education.gouv.fr/les-composantes-de-l-activite-professionnelle-des-enseignants-outre-l-enseignement-dans-les-classes-4601

15 OCDE (2016). Regards sur l’éducation 2016. Les indicateurs de l’OCDE. Paris : Éditions OCDE. https://doi.org/10.1787/eag-2016-fr.

16 ALAVA, Séraphin (2016). « L’enseignant face à la difficulté de la classe. Capacité à agir et décrochage enseignant ». Questions vives, no 25. https://doi.org/10.4000/questionsvives.1942 ; DANNER, Magali, FARGES, Géraldine, FRADKINE, Héloïse, GARCIA, Sandrine (2019). « Quitter l’enseignement. Un révélateur des transformations du métier dans le premier degré ». Éducation et sociétés, no 43, p. 119-136. https://www.cairn.info/revue-education-et-societes-2019-1-page-119.htm

17 Voir notamment : BEN AYED, Choukri (dir.) [2021]. Grande pauvreté, inégalités sociales et école. Sortir de la fatalité. Boulogne-Billancourt : Berger-Levrault.

18 BEN AYED, Choukri (2023). L’école discrimine-t-elle ? Le cas des descendants de l’immigration nord-africaine. Vulaines-sur-Seine : Éditions du Croquant.

19 BROCCOLICHI, Sylvain, LARGUÈZE, Brigitte (2023). « Restauration d’une école sinistrée et leçons tirées ». Diversité, hors-série 17. DOI : 10.35562/diversite.3594

20 DORMOY-RAJRAMANAN, Christelle, JOIGNEAUX, Christophe, BROCCOLICHI, Sylvain, MIERZEJEWSKI, Stéphan (2022). « Les contextes de socialisation professionnelle des enseignant·e·s du primaire comme facteur de vulnérabilisation ? ». Dans Julhe, Samuel, Jurion, Sylvie, Mainguy, Glenn, Sehili, Djaouidah, Thivet, Delphine (dir.). Face à la vulnérabilisation au travail. La Crèche : Geste éditions, p. 171-194.

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Pour citer cet article

Référence électronique

Choukri Ben Ayed et Sylvain Broccolichi, « Retour sur l’article : « Hiérarchisation des espaces scolaires, différenciations usuelles et processus cumulatifs d’échec » »Diversité [En ligne], 203 | 2023, mis en ligne le 26 novembre 2023, consulté le 14 juin 2025. URL : http://journals.openedition.org/diversite/4315

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Auteurs

Choukri Ben Ayed

Professeur de sociologie à l’université de Limoges, chercheur au GRESCO (Groupe de recherches et d’études sociologiques sur les sociétés contemporaines). Ses recherches portent sur les inégalités scolaires, les ségrégations scolaires, les transformations des politiques éducatives, le rapport à l’école des classes populaires. Son dernier ouvrage publié aux éditions du Croquant : L’école discrimine-t-elle ? Le cas des descendants de l’immigration nord-africaine  (2023).

Articles du même auteur

Sylvain Broccolichi

Professeur de sociologie à l’université de Lille et formateur d’enseignants à l’INSPE de Lille, site d’Arras, membre du laboratoire RECIFES (Recherche en éducation, compétences, interactions, formations, éthique, savoirs). Après s’être intéressé aux situations et processus générateurs de décrochages, ses travaux se sont orientés vers les ségrégations et les inégalités scolaires en lien avec les politiques scolaires, puis sur la formation, la socialisation professionnelle et l’évolution des conceptions et pratiques des professeurs des écoles.

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