1Si l’enseignement à distance a connu ces 25 dernières années un réel essor avec le développement des technologies numériques (Audran et Garcin, 2011), cette forme d’enseignement s’est imposée au monde de l’éducation comme seul mode d’enseignement possible dans le cadre de la crise sanitaire liée à la COVID-19. Cette situation particulière se caractérise par deux spécificités majeures : D’une part, quasiment du jour au lendemain, l’ensemble des écoles et institutions d’enseignement supérieur ont dû basculer vers un enseignement à distance ; d’autre part, plutôt que de refléter un choix, la mise en place de ce type d’enseignement répond à une obligation institutionnelle pour faire face à une demande sociétale majeure, à savoir préserver la continuité pédagogique (Villiot-Leclercq, 2020). Ainsi, dans ce contexte, il conviendrait sans doute de qualifier les dispositifs mis en place non pas d’enseignement à distance, mais de mise à distance des enseignements conçus en présentiel. Cette mise à distance des enseignements a engendré des difficultés majeures, tant pour les étudiant·e·s que pour les enseignant·e·s. Ni préparé·e·s, ni formé·e·s à l’ingénierie pédagogique à distance, les enseignant·e·s ont eu recours à des pratiques « artisanales », une forme de « bricolage enseignant » (Baltazart et Chagnoux, 2017 ; Caron, 2021 ; Villiot-Leclercq, 2020). Face à l’urgence, la plupart d’entre eux ont ainsi tout simplement transposé leur enseignement habituellement assuré en présentiel à distance, en diffusant de manière synchrone leurs cours via des outils de visioconférence, ou en mettant à disposition des étudiant·e·s des diaporamas sonorisés (Caron, 2021 ; Peraya et Peltier, 2020 ; Sanchez, 2020). Du côté des étudiant·e·s, on a pu observer non seulement du stress et de la détresse psychologique liés à la crise sanitaire en général (Roux et al., 2021), mais également des difficultés cognitives (problèmes de concentration, surcharge cognitive) et motivationnelles liés à la mise à distance des enseignements (Bergeron-Leclerq et al., 2020 ; Papi et al., 2017).
2Dans ce contexte, notre objectif était de mettre en place un environnement pédagogique susceptible de favoriser les apprentissages des étudiant·e·s et de soutenir leur motivation malgré cette mise à distance des enseignements pendant la période de confinement (Caron, 2021 ; Docq, 2020a ; Roland, 2020). Ainsi, plutôt que d’assurer la continuité pédagogique à travers une simple diffusion des cours à distance selon un modèle « transmissif », nous avons mis en place un dispositif d’enseignement-apprentissage s’inscrivant dans le courant des pédagogies dites « actives », à la fois déployable à distance et adapté à l’enseignement en grand groupe (Bédard et Raucent, 2015 ; De Clercq et al., 2019 ; Lemaître, 2007 ; Vanpee et al., 2008). S’inscrivant dans une perspective socioconstructiviste de l’apprentissage, ces pédagogies ont en commun de permettre à l’étudiant·e de construire activement ses connaissances et ses compétences en interagissant avec l’enseignant·e et ses pair·e·s (De Clercq et al., 2019).
3Partant du principe qu’une des difficultés majeures de l’enseignement à distance concerne les risques de démotivation et de décrochage (Mignon et Closset, 2004), nous avons construit notre dispositif en référence à une des théories motivationnelles majeures dans le domaine de l’éducation : la théorie de l’autodétermination (Deci et al., 1991 ; Deci et Ryan, 2000 ; Ryan et Deci, 2017, 2019 ; Vallerand et al., 2019). S’il s’agit d’une théorie générale de la motivation, celle-ci a également été largement utilisée dans le domaine de la formation à distance (e.g. Bebbouchi et Jézégou, 2022 ; Dussarps, 2015 ; Karsenti, 2015). Selon cette théorie, il existe différents types de motivations qui peuvent être classés sur un continuum d’autodétermination reflétant le degré auquel l’individu estime être à l’origine de son comportement. La motivation la plus autodéterminée correspond à la motivation intrinsèque qui renvoie au fait de s’engager volontairement dans une activité, soit pour l’intérêt qu’elle présente en elle-même (stimulation), soit pour le plaisir que l’on ressent quand on apprend des choses nouvelles (connaissance), soit pour la satisfaction liée au dépassement de soi (accomplissement). Le modèle distingue ensuite différentes formes de motivation extrinsèque qui renvoient au fait de s’engager dans une activité pour des raisons instrumentales (obtenir des avantages ou éviter des désagréments). La motivation extrinsèque la plus autodéterminée est la motivation extrinsèque par régulation identifiée. Elle renvoie au fait de s’engager dans une activité parce qu’on reconnaît l’utilité de cette activité pour atteindre des buts personnels. Les deux autres formes de motivation extrinsèque sont considérées comme non autodéterminées, et renvoient au fait de s’engager dans une activité par obligation (régulation externe) ou sentiment d’obligation (régulation introjectée). Enfin, l’amotivation correspond à une absence totale de motivation (l’individu s’engage dans une activité sans savoir pourquoi) et se situe sur le continuum d’autodétermination à l’opposé de la motivation intrinsèque. De nombreuses études ont mis en évidence les effets bénéfiques de l’autodétermination sur la persévérance, la qualité des apprentissages et la réussite académique (e.g. Deci et al., 1991 ; Fortier et al., 1995 ; Guay et al., 2008 ; Vallerand, 2012 ; Vallerand et al., 1997 ; Ratelle et al., 2007). Dans cette optique, une étude récente réalisée auprès d’étudiant·e·s issus de trois filières différentes (psychologie, droit, AES) a mis en évidence un impact important de la motivation sur la réussite universitaire, et ce au-delà d’une série de facteurs classiquement associés à la réussite tels que les caractéristiques sociodémographiques des étudiant·e·s, leur niveau initial, leur passé scolaire, ou encore la série du baccalauréat (Morlaix et Lambert-Le Mener, 2015). La motivation apparaît également comme un facteur essentiel de persévérance et de réussite dans le cadre de la formation à distance (Dussarps, 2015 ; Karsenti, 2015).
4S’inscrivant dans une perspective sociocognitive, la théorie de l’autodétermination postule ensuite que la motivation n’est pas une caractéristique intrinsèque stable de l’individu, mais un phénomène dynamique résultant de l’interaction entre l’apprenant·e et son environnement (Viau, 2003). Ainsi, le type de motivation développé par un·e apprenant·e ne dépend pas seulement de ses caractéristiques individuelles (sa personnalité, sa trajectoire scolaire, ses projets personnels, etc.), mais également des caractéristiques de l’environnement pédagogique dans lequel il·elle est placé·e (le climat de la classe, les feedback de l’enseignant·e, les pratiques d’évaluation, etc.), ainsi que des représentations qu’il·elle a construites de la situation d’apprentissage et de lui·elle-même au sein de cette situation, autrement dit ses « représentations motivationnelles » (Bourgeois, 2011). Plus précisément, la théorie de l’autodétermination part du principe que la motivation des apprenant·e·s est d’autant plus autodéterminée que l’environnement pédagogique est perçu comme susceptible de satisfaire trois besoins psychologiques fondamentaux : le besoin d’autonomie, le besoin de compétence et le besoin d’affiliation (Deci et Ryan, 2012 ; Ryan et Deci, 2017). Le besoin d’autonomie, c’est-à-dire le désir de vivre l’expérience du choix et de se sentir à l’origine de son propre comportement, peut être notamment soutenu par les activités asynchrones proposées dans le cadre d’un enseignement à distance. La disparition des temporalités de travail et la proposition d’une variété d’activités et de ressources offrent aux apprenant·e·s des libertés de choix et une certaine autonomie dans l’organisation de leur travail, ce qui leur permet d’exercer un contrôle sur leurs apprentissages (Jézégou, 2008 ; Villiot-Leclercq, 2020). Cependant, cette autonomie ne doit pas se faire au détriment d’une certaine structure. L’apprenant·e ne doit pas se sentir perdu·e dans une multitude d’activités et de ressources. Ainsi, les développements récents de la théorie de l’autodétermination mettent en évidence l’importance de deux dimensions importantes et indépendantes pour favoriser la motivation des étudiant·e·s, à savoir non seulement le soutien à l’autonomie, mais également la présence de structure (Aelterman et al., 2018 ; Ryan et Deci, 2019). La structure est élevée lorsque l’enseignant·e communique clairement les objectifs à atteindre, place les étudiant·e·s en situation de défi optimal, fournit un guidage sur la façon dont les étudiant·e·s peuvent utiliser au mieux les ressources mises à leur disposition, et donne une rétroaction appropriée sur leurs performances (Mignon et Closset, 2004 ; Viau, 2003, 2004). Ces activités de structuration permettent de satisfaire le besoin de compétence, c’est-à-dire le désir de se sentir efficace et capable de réussir. Ce besoin peut être mis en lien avec le sentiment d’efficacité personnelle qui s’avère en effet être un des déterminants les plus importants de la motivation (Bandura, 1986 ; Foucher et Prince, 2002 ; Rege Colet et Lanarès, 2013). Enfin, la satisfaction du besoin d’affiliation, c’est-à-dire le désir de vivre des interactions sociales et de se sentir appartenir à un groupe, est sans doute un des défis majeurs de l’enseignement à distance. Contrairement à ce qu’on pourrait penser, la distance n’empêche pas la proximité, au point que certains auteur·e·s n’hésitent pas à parler de « présence à distance » (Jézégou, 2010, 2019). Paradoxalement, les enseignant·e·s et les apprenant·e·s disent même souvent se sentir plus proches dans les dispositifs à distance que dans une situation traditionnelle de face à face en amphi (Blandin, 2004), sans doute parce que l’accompagnement est généralement plus présent dans les premiers (Peraya et al., 2014).
5Afin d’assurer la continuité pédagogique dans le contexte de la crise sanitaire COVID-19, nous avons développé un dispositif pédagogique s’inscrivant dans le courant des pédagogies actives, et prenant appui sur la théorie de l’autodétermination. Notre objectif était de favoriser les apprentissages et de soutenir la motivation des étudiant·e·s malgré la mise à distance des enseignements. Les principales caractéristiques de notre dispositif pédagogique sont les suivantes : Tout d’abord, les étudiant·e·s sont invité·e·s à construire leurs connaissances sur chaque thématique abordée à partir d’un ensemble de documents accessibles sur la plateforme Moodle (extraits d’ouvrage et articles scientifiques). Afin de les aider à exploiter au mieux ces documents, une “feuille de route” est mise à leur disposition. Outre quelques informations sur les documents (références, ordre de priorité), une série de questions précises et structurées guide les étudiant·e·s dans leurs lectures et les incite à développer une réflexion personnelle. Parallèlement à ce travail en autonomie, différentes formes d’interactions, synchrones et asynchrones, sont proposées aux étudiant·e·s. Tout d’abord, un dispositif de classe virtuelle est organisé chaque semaine à horaire fixe (horaire du cours dans leur emploi du temps). Plutôt que d’assurer un enseignement magistral classique, ce temps de cours est conçu sous forme de classe inversée : à partir des interrogations et réflexions des étudiant·e·s suite à leurs lectures, les confrontations de points de vue entre étudiant·e·s, animées par l’enseignant·e, permettent de clarifier les notions abordées. Après chaque séance, un diaporama récapitulatif présentant les principales notions est mis en ligne. Un forum par thème est accessible sur Moodle pour permettre une communication asynchrone et permanente, et une conversation de groupe sur messagerie instantanée (Discord) permet des échanges en direct et plus informels à tout moment. Par ailleurs, des activités de quiz pour chaque thématique, ainsi que des exercices de réflexion avec un feedback collectif, permettent aux étudiant·e·s de s’auto-évaluer et de se situer par rapport à leurs acquisitions. Enfin, des mails sont régulièrement envoyés aux étudiant·e·s pour clarifier les consignes.
6En proposant des activités et ressources pédagogiques variées, ainsi que des possibilités de communication synchrones et asynchrones, ce dispositif pédagogique devrait permettre aux étudiant·e·s de vivre l’expérience du choix dans la façon de travailler le cours et leur offrir une certaine flexibilité dans l’organisation du travail. Il répond ainsi à leur besoin d’autonomie. Une mise à disposition de ressources documentaires en nombre limité, ainsi qu’un guidage précis dans l’exploitation de ces ressources (feuille de route) vise à placer les étudiant·e·s en situation de défi optimal, ce qui devrait favoriser leur sentiment d’efficacité et répondre à leur besoin de compétence. Le besoin de compétence devrait également être soutenu par des activités de quiz et exercices en ligne assortis d’un feedback immédiat. Enfin, les possibilités multiples de communication, synchrones et asynchrones, pendant les horaires de cours et en dehors de ces horaires, sont susceptibles de renforcer le sentiment de présence à distance (Jézégou, 2010) et devraient répondre au besoin d’affiliation des étudiant·e·s. Ceci est sans doute particulièrement vrai pour les dispositifs de messagerie instantanée (Discord, WhatsApp, …) permettant des échanges plus informels.
7Afin d’évaluer l’efficacité de ce dispositif pédagogique, et notamment ses retombées sur la motivation des apprenant·e·s, nous avons réalisé une enquête auprès d’étudiant·e·s en licence de psychologie ayant suivi à la fois cet enseignement recourant aux méthodes actives et un enseignement transmissif. Ce dernier était diffusé en direct grâce à un dispositif de visio-conférence. Au milieu et à la fin de chaque séance, les étudiant·e·s avaient la possibilité de poser des questions sur le cours grâce à un tchat sur Moodle. Le diaporama projeté aux étudiant·e·s pendant le cours était ensuite mis à leur disposition sur la plateforme Moodle, ainsi qu’une bibliographie pour les éventuelles lectures complémentaires.
8En référence à la théorie de l’autodétermination (Deci et Ryan, 2000 ; Ryan et Deci, 2017), nous faisons l’hypothèse que, comparativement à un enseignement transmissif diffusé à distance par visio-conférence, un dispositif pédagogique utilisant des méthodes actives est évalué plus positivement par les étudiant·e·s (H1), répond davantage à leurs besoins psychologiques (besoin d’autonomie, de compétence et d’affiliation) (H2), et donne lieu à une motivation plus autodéterminée (H3). Nous nous attendons également à ce que plus les étudiant·e·s perçoivent leur environnement pédagogique (climat d’apprentissage) comme soutenant leurs besoins psychologiques, plus leur motivation est autodéterminée (H4). Enfin, conformément aux résultats antérieurs sur la question (e.g. Vallerand, 2012 ; Morlaix et Lambert-Le Mener, 2015), nous nous attendons à des effets bénéfiques du niveau d’autodétermination sur les performances académiques (H5).
9Deux cent dix-huit étudiant·e·s inscrits en troisième année de licence de psychologie à l’université de Strasbourg ont été sollicités pour participer à cette étude sur la base du volontariat. Sur les 129 étudiant·e·s ayant répondu au questionnaire, 83 réponses étaient exploitables. Notre échantillon final est ainsi composé de 64 femmes, 15 hommes et 4 autres (âge moyen = 22.76 ans ; SD = 3.99).
10Nous avons réalisé à la fin du semestre universitaire une enquête auprès des étudiant·e·s portant sur deux enseignements suivis à distance au cours du dernier semestre : un enseignement recourant à des méthodes actives et un enseignement transmissif. Il convient de préciser que les deux enseignements sont des enseignements obligatoires de psychologie faisant partie du programme du sixième semestre de la Licence de Psychologie à l’Université de Strasbourg, et ont donc été suivis par le même groupe d’étudiant·e·s. Nous avons interrogé les étudiant·e·s sur la façon dont il·elle·s évaluent respectivement les deux enseignements en question, leur perception du climat d’apprentissage, et leur motivation à travailler leurs cours. Nous avons également relevé les résultats universitaires aux examens de fin de semestre. L’enquête a été présentée aux étudiant·e·s comme une enquête réalisée par la Faculté sur la façon dont les étudiants ont vécu les enseignements à distance dans le contexte de la crise sanitaire. Elle a été conduite intégralement en ligne via le logiciel Qualtrics. La participation était anonymisée.
11L’évaluation des cours a été mesurée à partir d’un questionnaire en 8 items habituellement utilisé dans le cadre de la démarche qualité mise en œuvre par l’université. Les critères retenus concernent l’intérêt du cours, la nouveauté, la structuration du cours, la clarté des notions abordées, la capacité de l’enseignant·e à rendre la matière attrayante, la disponibilité de l’enseignant·e pour répondre aux questions, le niveau de participation des étudiant·e·s, ainsi que la qualité des supports pédagogiques. Pour chacun de ces aspects, les étudiant·e·s devaient se positionner sur une échelle en 6 niveaux allant de “pas du tout d’accord” à “tout à fait d’accord”. Le climat d’apprentissage a été appréhendé par la version courte le Learning Climate Questionnaire – LCQ (Williams et Deci, 1996). Cette échelle est composée de 6 items traduisant la perception des étudiant·e·s quant à la capacité de leur environnement pédagogique à satisfaire les besoins psychologiques. Pour chaque item, les étudiant·e·s devaient se positionner sur une échelle en 5 niveaux allant de “pas du tout d’accord” à “tout à fait d’accord”. Pour mesurer la motivation, nous avons utilisé l’Échelle de Motivation en Éducation – EME (Vallerand et al., 1989) que nous avons légèrement adaptée au contexte universitaire : les étudiant·e·s devaient indiquer sur une échelle en 5 niveaux allant de « pas du tout » à « tout à fait » dans quelle mesure chacune des propositions correspond à une raison pour laquelle il·elle·s travaillent leurs cours. Cette échelle est composée de 28 items, 4 items pour mesurer chacune des dimensions suivantes : la motivation intrinsèque à la stimulation, à la connaissance et à l’accomplissement, la motivation extrinsèque par régulation identifiée, introjectée et externe, ainsi que l’amotivation.
12Dans la mesure où il ne s’agit pas d’un outil standardisé issu de la littérature, nous avons commencé par vérifier la structure de l’échelle en réalisant une analyse factorielle en composantes principales (ACP) sur les 8 items du questionnaire et sur l’ensemble des observations. Cette analyse fait apparaître deux facteurs : Un premier facteur réunit les items « intérêt du cours » (.81) et « nouveauté du cours » (.86). Le second comporte les 6 autres items : « structuration du cours » (.72), « clarté des notions abordées » (.72), « capacité de l’enseignant·e à rendre la matière attrayante » (.76), « disponibilité de l’enseignant·e pour répondre aux questions » (.79), « niveau de participation des étudiant·e·s » (.71), ainsi que « qualité des supports pédagogiques » (.77). Si le premier facteur renvoie donc plutôt au contenu du cours, le second renvoie aux pratiques pédagogiques mises en œuvre par l’enseignant·e. Nous avons calculé un score moyen pour chacun de ces deux facteurs.
13Une ANOVA introduisant comme variables à mesures répétées le cours suivi (transmissif versus actif) et la dimension d’évaluation considérée (contenu du cours versus pratiques pédagogiques) montre tout d’abord un effet principal de la variable “cours suivi” : les étudiant·e·s évaluent globalement plus positivement le cours recourant aux méthodes actives que le cours transmissif, F(1, 73) = 96.3, p < .001, η²p = .57. Cet effet principal est cependant modéré par la dimension considérée, F(1, 73) = 59.8, p < .001, η²p = .45. Les effets simples montrent que le cours utilisant des méthodes actives est mieux évalué que le cours transmissif, tant d’un point de vue du contenu du cours, t = 4.64, p < .001, que d’un point de vue des pratiques pédagogiques, t = 12.36, p < .001. Cependant l’effet est nettement plus marqué pour les pratiques pédagogiques que pour le contenu du cours (pour l’ensemble des moyennes observées voir Tableau 1). Autrement dit, si les étudiant·e·s jugent intéressant les deux enseignements, il·elle·s évaluent nettement plus positivement les pratiques pédagogiques actives.
Tableau 1 : Scores moyens et écarts-types pour chacune des dimensions de l’évaluation des enseignements en fonction du cours suivi
Dimension
|
Approche active
|
Approche transmissive
|
|
M
|
SD
|
M
|
SD
|
Contenu du cours
|
5.38
|
0.81
|
4.91
|
3.84
|
Pratiques pédagogiques
|
5.22
|
0.68
|
3.84
|
0.87
|
14Afin de vérifier si les étudiant·e·s perçoivent bien le cours utilisant des méthodes actives comme soutenant davantage les besoins psychologiques que le cours transmissif, nous avons calculé un score global moyen pour l’échelle de climat d’apprentissage. Une ANOVA à mesures répétées comparant le score moyen de perception du climat d’apprentissage pour les deux enseignements confirme que les étudiant·e·s ont bien perçu le cours recourant aux méthodes actives comme soutenant nettement plus leurs besoins psychologiques (M = 4.32, SD = 0.70) que le cours transmissif (M = 2.95, SD = 0.70), F(1, 73) = 173, p < .00, 1, η²p = .70.
- 1 (2*(motivation intrinsèque à la stimulation + motivation intrinsèque à la connaissance + motivatio (...)
15Afin de comparer la motivation des étudiant·e·s par rapport aux deux enseignements suivis, nous avons calculé dans un premier temps un indice global d’autodétermination1 qui introduit une pondération des différentes formes de motivation en fonction de leur positionnement sur le continuum (Deci et Ryan, 1985). Nous avons également calculé séparément 7 scores moyens se référant aux différentes dimensions de motivation opérationnalisées par l’outil : la motivation intrinsèque à la stimulation, la motivation intrinsèque à la connaissance, la motivation intrinsèque à l’accomplissement, la motivation extrinsèque à régulation identifiée, la motivation extrinsèque à régulation introjectée, la motivation extrinsèque à régulation externe et l’amotivation. Une ANOVA à mesures répétées comparant le score moyen global d’autodétermination pour les deux enseignements montre que les étudiant·e·s ont une motivation plus autodéterminée pour le cours utilisant des méthodes actives (M = 3.23, SD = 3.24) que pour le cours transmissif (M = 1.90, SD = 4.56), F(1, 81) = 3.84, p < .06, η²p = .05. Afin de comparer plus précisément le profil motivationnel des étudiant·e·s pour les deux enseignements, nous avons réalisé des ANOVAs à mesures répétées pour chacune des dimensions mesurées. Ces analyses indiquent que pour le cours utilisant des méthodes actives, les étudiant·e·s témoignent d’un niveau plus élevé de motivation intrinsèque à la stimulation, F(1, 81) = 14.8, p < .001, η²p = .16, de motivation intrinsèque à l’accomplissement, F(1, 81) = 18.3, p < .001, η²p = .18, et de motivation extrinsèque à régulation introjectée, F(1, 81) = 12.9, p < .001, η²p = .14. À l’opposé, on observe pour le cours transmissif un niveau plus élevé de motivation extrinsèque à régulation externe, F(1, 81) = 9.38, p < .003, η²p = .10, et d’amotivation, F(1, 81) = 10.0, p < .002, η²p = .11. Aucune différence significative n’apparaît pour la motivation intrinsèque à la connaissance et la motivation extrinsèque par régulation identifiée (voir Tableau 2 pour l’ensemble des moyennes).
Tableau 2 : Scores moyens et écarts-types pour chacune des dimensions de la motivation en fonction du cours suivi
Dimension
|
Approche active
|
Approche transmissive
|
|
M
|
SD
|
M
|
SD
|
Amotivation
|
1.44
|
0.73
|
1.82
|
1.01
|
Motivation extrinsèque à régulation externe
|
3.61
|
0.67
|
3.85
|
0.60
|
Motivation extrinsèque à régulation introjectée
|
3.41
|
1.02
|
3.11
|
1.07
|
Motivation extrinsèque à régulation identifiée
|
2.87
|
1.16
|
3.23
|
1.35
|
Motivation intrinsèque à l’accomplissement
|
3.41
|
0.97
|
3.06
|
1.03
|
Motivation intrinsèque à la connaissance
|
3.81
|
0.83
|
3.77
|
1.03
|
Motivation intrinsèque à la stimulation
|
3.56
|
0.89
|
3.06
|
1.01
|
16Des analyses de régressions nous ont permis de vérifier dans quelle mesure la perception de l’environnement pédagogique détermine la motivation. Ces analyses mettent en évidence que le niveau d’autodétermination dépend de la perception du climat d’apprentissage. Plus les étudiant·e·s perçoivent le climat d’apprentissage comme susceptible de répondre à leurs besoins psychologiques, plus il·elle·s développent une motivation autodéterminée. Cette relation apparaît aussi bien pour le cours utilisant des méthodes actives, β = .43, t = 4.14, p < .001, que pour le cours transmissif, β = .28, t = 2.52, p < .01. Par ailleurs, le niveau d’autodétermination a un impact sur la réussite universitaire. Plus les étudiant·e·s développent une motivation autodéterminée, meilleurs seront leurs résultats aux examens. Là encore, la relation est significative aussi bien pour le cours utilisant des méthodes actives, β = .26, t = 2.30, p < .02, que pour le cours transmissif, β = .26, t = 2.31, p < .02.
17Une des difficultés majeures que pose l’enseignement à distance concerne la motivation des étudiant·e·s (Mignon et Closset, 2004), une variable essentielle pour la réussite académique (e.g. Deci et al., 1991 ; Fortier et al., 1995 ; Guay et al., 2008 ; Vallerand, 2012 ; Vallerand et al., 1997 ; Ratelle et al., 2007). Ces difficultés motivationnelles sont, sans aucun doute, plus importantes dans le contexte de la crise sanitaire, dans la mesure où la mise à distance des enseignements a été imposée du jour au lendemain aux étudiant·e·s comme aux enseignant·e·s. Face à l’urgence d’assurer la continuité pédagogique, la plupart des enseignant·e·s ont alors tout simplement diffusé leurs cours à distance (streaming, visio-conférence, podcast), sans tenir compte de toutes les spécificités de ce mode d’enseignement (Sanchez, 2020). En prenant appui sur la théorie de l’autodétermination (Deci et al., 1991 ; Deci et Ryan, 2000), notre ambition était de concevoir un dispositif pédagogique susceptible de soutenir la motivation des étudiant·e·s malgré la mise à distance des enseignements dans le contexte de la crise sanitaire. Afin d’évaluer l’efficacité de ce dispositif, nous avons réalisé une enquête auprès d’étudiant·e·s inscrit·e·s en troisième année de licence de psychologie ayant suivi à la fois notre dispositif et un enseignement transmissif diffusé par visio-conférence.
18Conformément à nos hypothèses, nos résultats montrent que les étudiant·e·s manifestent globalement un niveau plus élevé de motivation autodéterminée dans le cadre du cours recourant aux méthodes actives. Plus précisément, il·elle·s font preuve de plus de motivation intrinsèque à la stimulation et à l’accomplissement (formes de motivation autodéterminée), et moins de motivation extrinsèque à régulation externe (motivation non autodéterminée. Autrement dit, une pédagogie active amène davantage les étudiant·e·s à travailler par plaisir et pour relever le défi de réussir, alors qu’un cours transmissif les amène davantage à travailler par obligation, pour avoir de bonnes notes. Par ailleurs, le niveau d’amotivation est plus marqué dans le cours utilisant les méthodes actives Enfin, nous observons également un niveau plus élevé de motivation extrinsèque à régulation introjectée dans ce cours. Ce résultat peut paraître surprenant dans la mesure où cette forme de motivation est de type non-autodéterminé, et devrait donc être plus importante dans un environnement pédagogique transmissif, peu à même de soutenir les besoins psychologiques des étudiant·e·s. Néanmoins, il peut se comprendre en référence au contexte universitaire. En effet, travailler dans le cadre de ses études pour se prouver à soi-même qu’on est capable de réussir, peut ici traduire l’envie de relever un défi (motivation intrinsèque à l’accomplissement) plutôt que l’idée d’agir par sentiment d’obligation (motivation extrinsèque par régulation introjectée). Cet effet pourrait même être renforcé par le contexte sanitaire, représentant un défi supplémentaire pour la réussite des études. Il est également intéressant de noter que nous n’observons aucune différence entre les deux enseignements en ce qui concerne la motivation intrinsèque à la connaissance et la motivation extrinsèque par régulation identifiée. Nous pouvons faire l’hypothèse que le fait de travailler un cours pour développer ses connaissances dans un domaine d’intérêt ou pour réaliser un projet de formation (intégrer le master de son choix) dépend avant tout de la matière enseignée plutôt que du type de pédagogie mis en place.
19En accord avec la théorie de l’autodétermination, les différences que nous observons en termes de motivation entre les deux enseignements peuvent être mises en relation avec la capacité de l’environnement pédagogique à soutenir les besoins psychologiques des étudiant·e·s (climat d’apprentissage). En effet, nos résultats confirment que les étudiant·e·s perçoivent bien le cours recourant aux méthodes actives comme soutenant davantage leurs besoins psychologiques (autonomie, compétence, affiliation). Il est également intéressant de noter qu’il·elle·s évaluent plus positivement les pratiques pédagogiques mises en œuvre dans le cadre cet enseignement, alors qu’il·elle·s accordent un intérêt sensiblement équivalent au contenu des deux cours. Par ailleurs, plus les étudiant·e·s perçoivent l’environnement pédagogique comme soutenant leurs besoins psychologiques, plus leur motivation est de type autodéterminé, et plus la motivation est de type autodéterminée, meilleure est la réussite universitaire. Ainsi, notre étude répond à deux enjeux majeurs dans le domaine de l’enseignement-apprentissage : développer des pratiques pédagogiques innovantes en référence à un cadre théorique précis, et tester empiriquement les démarches mises en œuvre. En effet, si on trouve dans la littérature de nombreuses pistes intéressantes sur la façon de concevoir un enseignement universitaire en général (e.g. Berthiaume et Rege Colet, 2013 ; Bédard et Raucent, 2015), ou plus spécifiquement sur la façon d’exploiter au mieux les dispositifs technologiques d’enseignement et d’apprentissage en ligne (Docq, 2020a, 2020b ; Caron, 2020, 2021), force est de constater que les études empiriques qui permettent d’évaluer l’efficacité et l’impact réel des dispositifs mis en place sur les apprentissages sont plutôt rares (Papi et al., 2017). Comme le montre une revue de la littérature récente portant sur les recherches des 10 dernières années relatives aux dispositifs hybrides de formation, celles-ci s’intéressent avant tout aux définitions et dimensions de l’hybridation plutôt qu’aux effets attendus ou mesurés du côté des étudiant·e·s (Peltier et Séguin, 2021).
20Au-delà du fait de soutenir la motivation, notre dispositif pédagogique permet également de rendre les étudiant·e·s acteur·ice·s de leurs apprentissages en favorisant non seulement les interactions sociales, mais aussi les interactions avec le contenu (Depover, 2011 ; Docq, 2020a, 2020b) à travers la manipulation active des informations (répondre à des questions, réaliser des quiz, mettre ses réflexions par écrit, etc.). Les bénéfices de telles interactions, et des conflits (socio-)cognitifs qu’elles suscitent, ont été mis en avant dans de très nombreux travaux relevant d’une approche (socio-)constructiviste de l’apprentissage (Doise et Mugny, 1981 ; Perret-Clermont, 2002). Cependant, il ne faut pas oublier que les étudiant·e·s sont généralement habitué·e·s à un modèle transmissif de l’enseignement, largement dominant dans les universités françaises. Par conséquent, changer de pratiques pédagogiques, ne va pas de soi et nécessite un accompagnement de la part de l’enseignant·e afin que les étudiant·e·s comprennent l’intérêt des activités proposées (Papi et al., 2017).
21Malgré l’intérêt de ces résultats, notre étude présente cependant quelques limites. Bien que les deux enseignements que nous avons comparés sont des enseignements obligatoires de psychologie faisant partie du même cursus, il ne s’agit pas du même contenu, ni du même enseignant·e. Ces variables semblent cependant difficiles à contrôler dans le cadre d’une étude sur le terrain, puisqu’un même enseignant·e ne peut pas enseigner la même matière de deux manières différentes auprès des mêmes étudiant·e·s. Rappelons également que si le cours utilisant les méthodes actives est mieux évalué par les étudiant·e·s d’un point de vue des pratiques pédagogiques, la différence est peu marquée en ce qui concerne l’évaluation de leur contenu. Ensuite, au-delà de la motivation, il pourrait être intéressant de prendre en compte d’autres variables importantes pour les apprentissages, telles que le sentiment d’efficacité personnelle, le niveau d’implication dans le travail universitaire ou encore les stratégies d’apprentissage. Enfin, compte tenu de l’importance des perceptions par les acteurs d’un dispositif de formation à propos de l’enseignement (Peraya et al., 2014), il aurait été intéressant d’évaluer non seulement la façon dont les étudiant·e·s évaluent le climat d’apprentissage, mais de manière plus générale, leurs représentations motivationnelles (Bourgeois, 2011).
22En conclusion, nous pouvons souligner que si nous avons construit ce dispositif pédagogique dans le cadre de la mise à distance des enseignements liée à la crise sanitaire, rien ne s’oppose à sa pérennisation dans le cadre d’un dispositif hybride de formation. En prenant appui sur les travaux menés dans le cadre du projet HY-SUP (Burton et al., 2011 ; Peraya et al., 2012), tout dispositif de formation ayant recours à une plateforme pédagogique en ligne (comme Moodle par exemple), peut être qualifié d’hybride, quel que soit le ratio entre apprentissage en présence et à distance (Peltier et Séguin, 2021). On peut ainsi se demander dans quelle mesure la crise sanitaire obligeant les enseignant·e·s du supérieur à adapter leurs pratiques pédagogiques à un contexte inédit n’aurait pas tout simplement conduit certains d’entre eux à mieux exploiter le potentiel d’innovation pédagogique lié à l’usage des dispositifs technopédagogiques (Peraya et al., 2014). Dans cette perspective, il ne s’agit plus d’utiliser les plateformes pédagogiques en ligne comme un simple moyen de mettre à disposition des étudiant·e·s des ressources (généralement textuelles) qu’il·elle·s sont censé·e·s exploiter de manière autonome, mais de concevoir une scénarisation explicite des activités en ligne. Plus précisément, il s’agit de proposer aux étudiant·e·s une variété de ressources et d’activités favorisant la réflexivité et le conflit sociocognitif tout en leur fournissant un accompagnement méthodologique dans l’exploitation de ces ressources et activités. Pour reprendre la typologie des dispositifs pédagogiques hybrides développé dans le cadre du projet HY-SUP, on passerait alors d’un dispositif de type « scène de théâtre » dans lequel l’enseignant·e joue le rôle principal, celui d’un « magister » qui transmet son savoir aux étudiant·e·s sous forme d’un exposé (tel que c’est traditionnellement le cas à l’université pour un cours dit « magistral »), à un dispositif de type « équipage » dans lequel l’enseignant·e n’est plus l’intervenant·e principal·e, mais joue le rôle d’un·e modérateur·ice qui accompagne les étudiant·e·s dans la construction de leurs savoirs (Peraya et al., 2012). C’est à condition d’un tel « changement de cap », d’une approche pédagogique centrée sur l’enseignement vers une approche centrée sur l’apprentissage, qu’on peut espérer passer d’une simple reproduction de savoirs transmis par l’enseignant·e à un apprentissage en profondeur chez les étudiant·e·s impliquant une véritable appropriation des savoirs (Berthiaume et Rege Colet, 2013).