1Ce numéro 42, un numéro varia, se compose de trois articles scientifiques, de trois notes de lecture et de trois contributions qui font écho au texte de cadrage de la rubrique Débat-discussion (DMS, 41). Les pratiques pédagogiques de la distance, contraintes en temps de pandémie, demeurent un objet de recherche important, mais l’on voit aussi se profiler une interrogation sur l’avenir de ces pratiques : la mise à distance a-t-elle provoqué l’électrochoc – souvent évoqué, voire souhaité par certains – nécessaire à l’évolution radicale des pratiques pédagogiques ? Des observations actuelles font apparaître une situation plus complexe, moins tranchée comme l’attestent les résultats des travaux d’Ophélie Carreras et Catherine Couturier. Les deux autres articles renouent avec des problématiques générales, inhérentes au domaine, telles que l’accompagnement et les ressources pédagogiques. Ces thématiques sont envisagées en effet en dehors du contexte de la crise sanitaire et des périodes de confinement.

2Parmi l’ensemble des textes qui composent ce numéro, certains partagent les mêmes cadres théoriques et conceptuels, les mêmes questionnements et laissent entrevoir de nouvelles perspectives que nous tenterons de mettre en évidence. Est-ce un heureux hasard de la composition de ce varia, un effet de notre propre lecture ou encore le signe d’une évolution du domaine ? Quelle que soit la réponse à ces questions – il y a sans doute un peu des trois –, DMS, par la mise en résonance des différents textes qu’elle publie, contribue à la structuration de notre domaine comme à la reconnaissance de thématiques émergentes.

4Dans l’état de la littérature qu’elles présentent, les deux chercheuses soulignent l’importance des interactions entre les apprenants ainsi qu’entre les apprenants et les enseignants, la force de la « présence à distance » en référence aux travaux d’ A. Jézégou (2010) et de F. Docq (2020a et b), pour réduire ce que G. M. Moore (1972/2013) a nommé la « distance transactionnelle » dans le processus d’apprentissage, dans le maintien de la motivation des apprenants à distance et dans le processus de leur autonomisation. Dans cette perspective, elles évoquent aussi le modèle de la Community of Inquiry proposé par Garrison, Anderson et Archer (2010). Et pour finir, elles s’intéressent autant à la formation à distance qu’aux dispositifs hybrides de formation en référence au projet Hy-Sup (Deschryver, Charlier, 2012). À partir de l’examen de ces travaux, elles proposent de retenir six dimensions caractéristiques, six domaines de comportements enseignants, susceptibles de soutenir l’apprentissage des étudiants. Il s’agit 1) de la relation avec les étudiants ; 2) des ressources proposées aux étudiants ; 3) les activités proposées aux étudiants ; 4) de la structuration et du guidage qui permettent à l’étudiant de se sentir en confiance et de s’engager dans le processus d’apprentissage ; 5) de l’évaluation des apprentissages ; 6) du développement professionnel des enseignants. Ces dimensions constituent la grille d’analyse à laquelle elles soumettent les pratiques déclarées des collègues.

5Les résultats – nous ne les détaillerons pas – sont mitigés. En réponse à la première question de recherche (l’impact du confinement sur les pratiques), « les enseignants déclarent que le confinement n’a pas fondamentalement modifié leurs pratiques pédagogiques ».

6La mise à disposition de ressources pédagogiques est la seule activité que la majorité des enseignants déclare avoir développée durant le confinement : ils déclarent la mettre en œuvre « plus qu’avant ». Mais les auteures nuancent aussitôt cette observation : « Il apparaît ainsi que l’utilisation de documents écrits, de vidéos et de diaporamas commentés a constitué, pour les répondants, des manières d’enseigner à distance. Nous restons ici dans une vision relativement transmissive de l’enseignement, à savoir délivrer du contenu. » Et de poursuivre : « Ce résultat, ajouté au constat de Villiot-Leclerq (2020) d’une bascule en visio-conférences synchrones correspond donc assez peu à ce qui est déterminant dans l’apprentissage, à savoir, se focaliser sur l’apprentissage des étudiants davantage que sur la délivrance du contenu (Trigwell et al., 1999). » Aurions-nous donc manqué une occasion de changer en profondeur les formes éducatives qui sont les nôtres ?

7Ces résultats ne correspondent pas à ceux d’autres études que citent les chercheuses : une première de l’Institut français de l’éducation (Chabanne et al., 2020) et une seconde, menée auprès des enseignants de l’Université Toulouse Jean Jaurès (Charalampopoulo, 2020 ; Charalampopoulo et Tali, 2021). En effet, on peut lire dans la première que « près de 60 % [des enquêtés] estiment que le confinement a modifié leur manière de voir leur activité (envie de développer l’hybridation, prise de conscience de l’importance des interactions, du présentiel, utilisation de ressources numériques…) » et dans la seconde que « les enseignants déclarent à 75 % que le numérique leur a permis d’introduire des changements dans leurs pratiques ».

8S’agissant de la réponse à la seconde question (l’intention de mettre en œuvre dans le futur certaines des six dimensions supposées soutenir l’apprentissage), les résultats montrent une corrélation entre les intentions déclarées des enseignants et ce qu’ils disent de leurs pratiques mises en œuvre durant le confinement : « Toutes dimensions confondues, les enseignants qui déclarent ne pas vouloir mettre en œuvre dans le futur les pratiques citées dans le questionnaire sont majoritairement ceux qui disent ne pas les avoir utilisées. À l’inverse, la plupart du temps, lorsqu’ils ont utilisé autant ou plus une pratique pendant les confinements, ils souhaitent continuer à l’utiliser. »

9Le deuxième article, celui de Melpomeni Papadopoulou aborde la thématique des apprenants à distance, plus particulièrement à partir de l’une de ses formes, l’apprentissage expérientiel, sans doute l’une des moins documentées dans la littérature. L’étude empirique se base sur les données recueillies dans le cadre de sa recherche doctorale (2020). Les données ont été récoltées grâce à des entretiens individuels semi-directifs menés avec un échantillon de sept formateurs d’adultes engagés dans des formations ouvertes et à distance d’éducation populaire (FOAD). Elles ont fait l’objet d’une analyse qualitative classique du type de celle préconisée par Bardin. Les enquêtés ont été choisis pour leur degré d’implication dans des dispositifs de formation d’adultes par alternance visant à faire le lien entre théorie et pratique. Si la description détaillée du guide d’entretien montre la cohérence de la démarche méthodologique, le type de dispositifs de formation (FOAD), le caractère particulier et limité de l’échantillon devrait inviter à la prudence lors de toute tentative de généralisation des résultats aux démarches d’accompagnement en formation à distance.

11C’est pourquoi M. Papadopoulou propose une définition explicite de l’accompagnement expérientiel qui « consiste à accompagner les expériences des apprenants vécues en dehors et dans le dispositif de formation. Son principal objectif est la conscientisation des savoirs expérientiels ». L’auteure distingue l’expérience vécue de l’apprentissage expérientiel, caractérisé par son caractère réflexif : « L’accompagnement [des apprenants] est ici de nature bien particulière puisqu’il s’agit d’accompagner les apprenants à la conscientisation de leurs savoirs expérientiels par les délibérations (aide à la décision en cours en action) et la réflexivité dans l’après-coup (…) pour reconnaître et valoriser les compétences acquises. » L’article trouve là une partie de son intérêt et de son originalité.

12Parmi les résultats de l’analyse d’entretiens, la chercheuse a choisi de présenter uniquement ceux relatifs aux pratiques d’accompagnement déclarées par les personnes interrogées. Elle identifie l’accompagnement a) des expériences vécues en dehors de la formation ; b) de l’intégration des éléments prescrits par le dispositif et c) des rythmes et usages numériques. Ensuite, elle examine ces résultats au prisme de sa question qui sans doute aurait mérité d’être mieux précisée au début de l’article, et des travaux plus anciens sur « l’accompagnement des expériences à distance ». Elle identifie alors quatre démarches – quatre types d’actions ou encore quatre « moments » – caractéristiques : une démarche d’accompagnement à la formation expérientielle qui rejoint par certains aspects le développement professionnel des enseignants largement traité dans la littérature ; une deuxième démarche transversale d’accompagnement didactique (on peut penser à la dimension « structuration et guidage » chez Carreras et Couturier) ; une troisième démarche d’accompagnement à la « rythmoformation » – un néologisme judicieux – ; et enfin la dernière, une démarche d’accompagnement numérique assez classique. Nous soulignerons l’intérêt du concept d’apprentissage expérientiel et de ses deux dimensions constitutives, délibératives et réflexives. Relevons encore la conception de l’accompagnement comme une coconstruction entre école et entreprise, et entre formateur et apprenant. Dans ce dernier cas, l’autrice évoque la notion d’étayage de Bruner qui suppose un « espace dialogique » et une posture ouverte de la part du formateur. Bien qu’elle n’aborde pas la question en ces termes, le lecteur se rendra compte que les compétences communicationnelles de l’enseignant se trouvent au cœur de cette relation. Rappelons ce truisme : un dispositif de formation est en même temps un dispositif de communication au sein duquel se tissent des relations intersubjectives essentielles.

13Nous retiendrons le caractère exploratoire de cette contribution, qui, comme l’indique la chercheuse, devrait nous inviter à approfondir une réflexion sur l’accompagnement expérientiel à distance en FOAD et sur les innovations qu’il pourrait apporter à ces formations.

16Nous retiendrons la volonté des enseignants de s’approprier les ressources pédagogiques, autrement dit de les modifier en fonction de ce qu’ils sont et de leur personnalité, de leurs propres connaissances, de leur cours, de l’évolution des contenus, de leurs élèves, de leur contexte institutionnel et technique et finalement de leur conception du métier d’enseignant. C’est aussi une manière de conserver son plaisir à exercer le métier d’enseignant, plaisir propre sans doute à tout artisan.

19La première partie de l’ouvrage propose un « état des lieux » de la conception qu’ont les acteurs de l’éducation (élèves, professeurs des écoles) du numérique dans l’approche de l’éducation numérique (EN) et de l’éducation aux médias et à l’information (EMI). La deuxième partie se concentre sur la perception et les réponses que peuvent avoir des dirigeants (managers d’entreprise) et les pouvoirs publics (spécifiquement étrangers) auprès d’individus face aux risques numériques qu’ils peuvent courir dans leurs pratiques quotidiennes. La dernière partie porte sur une présentation de « solutions » proposées pour répondre aux enjeux de l’éducation numérique en contexte scolaire et plus spécifiquement des risques que peut engendrer le numérique.

20Pour E. Von Samson, cet ouvrage présente un panorama des questions liées aux risques qu’engendre le numérique et il ouvre sur de nouvelles perceptions sur l’enseignement du numérique. La rédactrice relève pourtant que « le lien entre textes institutionnels – point de départ de l’éducation numérique – et perceptions et pratiques des acteurs semble difficile à conceptualiser » et tente d’en donner les raisons. Enfin, souligne-t-elle, « cet ouvrage ne doit pas être perçu comme un “guide de bonnes pratiques”, mais davantage comme une porte ouverte à la découverte des enjeux de l’éducation numérique et de l’EMI au-delà de la simple intégration dans les programmes scolaires ».

21La deuxième note de lecture est rédigée par Pierre Landry. Il présente le numéro 46 de Marchés et organisation, « Entrepreneuriat et innovation dans l’enseignement supérieur », coordonné par Marcos Lima et Joëlle Forest (2023). Cet ouvrage a pour thème la manière dont l’enseignement supérieur s’est saisi de l’injonction de développer la culture de l’entrepreneuriat et de l’innovation. « Il s’agit de faire de l’innovation un enjeu de connaissances et de pratiques pour développer une capacité effective pour innover en s’appuyant sur des dispositifs tournés vers la créativité et le design thinking accompagnant une pédagogie où la pluridisciplinarité est un élément clé. D’autres dispositifs comme les incubateurs ou les fablabs visent à sensibiliser, développer la vocation étudiante et à améliorer leurs attitudes à l’égard de l’entrepreneuriat ». II relève à travers les cas présentés des difficultés liées à l’approche pédagogique globale adoptée par les contributeurs. Premièrement, celle-ci implique un dialogue entre des étudiants en formation qui ne maîtrisent pas encore les savoirs de leur domaine. Ce qui a pour effet de biaiser le processus. Deuxièmement, il semble difficile d’évaluer le bénéfice que tire chacun des étudiants d’un enseignement alors que sa participation à l’équipe projet apparaît « des plus variables ». P. Landry relève que, si les exemples d’enseignements étudiés, permettent de mieux comprendre les questions que se posent les équipes d’enseignants pour répondre à l’injonction qui leur est faite, ces exemples correspondent « à l’attente d’une société où la technique industrielle est à la fois un moyen de vivre et la fin première que l’on assigne à la vie ». Or, conclut-il, « alors que le principal défi de notre époque est de faire face au dérèglement climatique, la question de responsabilité sociétale des entreprises n’est abordée dans aucun des projets y compris dans celui se référant au développement durable et bien que l’industrie joue un rôle majeur dans la production de CO² ».

22Ce commentaire conclusif assure une excellente transition vers la troisième note de lecture rédigée par Jean-Luc Metzger, qui porte sur l’ouvrage Travail, formation et éducation au temps des transitions écologiques coordonné par Félicie Drouilleau-Gay et Alain Legardez. Il n’y a pas de problématique plus actuelle. J.-L. Metzger rappelle que depuis des décennies les scientifiques alertent l’opinion publique et les politiques du monde entier sur les risques que fait courir à la survie de l’humanité l’exploitation des ressources non renouvelables et des énergies fossiles. Pourtant les politiques ne sont pas à la hauteur des enjeux climatiques et environnementaux et accusent un important retard par rapport à cette urgence. « Comment alors rendre compte de cette inertie ? » Quelles sont les solutions ? L’ouvrage rassemble des contributions de quinze chercheurs issus d’horizons disciplinaires différents (sociologie, économie, anthropologie, sciences de l’éducation, écologie et démographie).

23Pour J.-L. Metzger l’ouvrage « attire notre attention sur la nécessité, avant tout déploiement de “solution”, de préciser vers quel type de société nous souhaitons collectivement nous orienter ». La question de la vision politique constitue donc un préalable à toute démarche de changement. C’est d’ailleurs ce que regrettait P. Landry dans sa note de lecture à propos du livre de M. Lima et J. Forest : que cette question ne soit jamais posée. De fait, en n’abordant pas cette question, les auteurs courent le risque de renforcer le modèle actuel. Ensuite, il met en valeur l’originalité de l’ouvrage qui montre la complexité et l’intrication, d’une part, des problèmes environnementaux, énergétiques et sociaux liés aux activités humaines et, d’autre part, des démarches nécessaires pour les réduire effectivement de façon durable, à court et à moyen terme. Parmi les grandes lignes d’actions urgentes à mettre en œuvre, il nous semble important de mettre en exergue celles liées à l’éducation et à la formation : de manière générale, elles devraient, non seulement développer les compétences encore largement indéterminées, mais aussi favoriser l’appropriation et l’invention d’une culture de l’écocitoyenneté par les différentes catégories de la population.

24Quant à la rubrique Débat discussion, elle présente trois contributions consacrées aux conceptions de la présence à distance et à la possibilité de conceptualiser la notion de distance en dehors de l’opposition présence-distance. Le texte de cadrage publié dans le numéro 41 de DMS s’appuyait principalement sur les travaux importants, bien que déjà relativement anciens, de Bernard Blandin et d’Annie Jézégou. Il nous a donc paru normal de leur donner en priorité la parole afin qu’ils puissent présenter les avancées de leurs cadres conceptuels et de leurs travaux empiriques. La troisième intervenante, Chantal Blois, propose, en s’appuyant sur sa recherche doctorale, une analyse de l’« alliance pédagogique » qui pourrait caractériser une forme de présence per se.

25Tous les textes qui composent ce numéro possèdent, nous l’avons dit, des points communs et les abordent selon des approches particulières, contribuant de la sorte à baliser le domaine et à ouvrir de nouvelles perspectives. Signalons la place centrale qu’occupent les interactions, le dialogue, la co-construction de la relation d’accompagnement et donc les compétences communicationnelles des acteurs, enfin l’analyse des postures des enseignants dans leurs rapports aux ressources éducatives. Autant de pistes qui nous rappellent qu’un dispositif de formation est en même temps un dispositif de communication – médiatisé ou non – et que dans cette mesure une approche communicationnelle de certains de nos objets de recherche paraît entièrement légitime. Enfin DMS ne reste pas à l’écart des enjeux et des défis sociétaux auxquels nous faisons face. D’abord, la question du risque que fait courir l’usage du numérique – objet de la première note de lecture – est d’une actualité brûlante au vu du développement des intelligences artificielles. Ensuite, la question du coût énergétique et environnemental du numérique dans l’éducation et la formation et spécifiquement dans la formation entièrement ou partiellement à distance est une problématique émergente, mais essentielle. Elle avait été abordée dans le cadre de la rubrique Débat discussion l’année précédente avec la discussion autour des plans numériques stratégiques d’universités (DMS, 37, 38, 39, 40). Elle est largement présente à travers deux publications commentées dans les notes de lecture. Elle reviendra plus tard encore, puisque nous préparons actuellement un numéro thématique sur la sobriété numérique.

26À toutes et à tous une très bonne lecture !