1. Introduction

1La présente recherche s’intéresse à l’accompagnement des expériences des adultes en formation. Elle s’inscrit dans le paradigme de la formation expérientielle (Pineau, 1991 ; Dewey, 1938) et cherche à comprendre la façon dont on peut accompagner les apprenants, dans le cadre d’une formation ouverte et à distance (FOAD), pour la conscientisation des compétences acquises durant leurs expériences.

2Nous commençons par présenter les principaux concepts mobilisés en faisant le parallèle entre les travaux sur le tutorat et l’accompagnement. L’étude empirique s’appuie sur les données d’une étude doctorale (Papadopoulou, 2020) auprès des sept formateurs d’éducation populaire qui animent des formations d’adultes à distance. L’interprétation des résultats d’entretiens semi-directifs nous amène vers la compréhension de l’accompagnement à distance comme constitutif des quatre démarches : didactique et pédagogique, expérientiel, rythmanalytique, numérique.

3La question de départ est la suivante : Quel accompagnement expérientiel permettra de prendre en compte l’apprenant dans sa globalité avec ses expériences vécues dans et en dehors de la formation afin de rendre conscients les apprentissages effectués ? Notre étude inductive cherche à répondre plus spécifiquement à la question « Quelles sont les spécificités d’un accompagnement expérientiel à distance ? ».

2. L’accompagnement : un concept protéiforme

4Même si de nombreuses recherches s’intéressent au concept d’accompagnement, ou encore d’accompagnement à distance qui est travaillé dès 1980 (Lewis), celui-ci continue à interroger notamment dans son sens expérientiel. S’appuyer sur la relation, la compréhension et le cheminement et non sur le jugement est une approche complexe de la pratique de formation (Papadopoulou, 2021a). Que veut dire accompagner ?

5Le philosophe Søren Kierkegaard (cité dans Barth, 1993, p. 175), dès le xix^e siècle, écrivait à propos de l’accompagnateur que son objectif principal ne doit pas être de montrer ses propres connaissances et compétences, mais plutôt de servir la personne accompagnée. D’après lui, il est crucial de démontrer de l’humilité envers l’individu qui est accompagné car écrit-il « si je veux réussir à accompagner un être vers un but précis, je dois le chercher là où il est et commencer là, justement là ».

6L’accompagnement est une pratique consistant à aider une personne à atteindre ses objectifs, définie comme une démarche, une fonction, une posture et une relation (Paul, 2004). Cette relation est établie entre l’accompagnateur et la personne accompagnée, où l’accompagnateur partage simplement le moment présent et chemine au rythme de l’autre, sans vouloir ni pouvoir garantir une destination spécifique (Boutinet, 2007). La personne accompagnée est considérée comme une actrice principale, responsable de son travail et des résultats obtenus. Les deux parties cocréent leur parcours ensemble, malgré des rôles différents, en maintenant une parité relationnelle car le chemin est coconstruit. Selon Lani-Bayle (2010), l’accompagnement et la relation qu’il génère peuvent permettre l’émergence d’un savoir issu d’une prise de conscience partagée, qui serait différent dans tout autre contexte. Ce savoir est basé sur l’envie mutuelle des individus de sortir d’un état d’ignorance relative et ne pourrait être élaboré individuellement.

7Nous nous intéressons ici à l’accompagnement à distance pour permettre à l’apprenant de conscientiser les apprentissages effectués lors de ses expériences vécues avant ou pendant la formation. Nous recherchons dans la présente étude, tirée des travaux de thèse (Papadopoulou, 2020), des pratiques d’accompagnement efficaces pour renforcer la formation ouverte et à distance, qui est trop souvent pensée sous l’angle exclusivement transmissif (Clauzard, 2021). L’accompagnement est ici de nature bien particulière puisqu’il s’agit d’accompagner les apprenants à la conscientisation de leurs savoirs expérientiels par les délibérations en action et la réflexivité dans l’après-coup.

2.1. L’accompagnement expérientiel

8L’accompagnement expérientiel consiste à accompagner les expériences des apprenants vécues en dehors et dans le dispositif de formation. Son principal objectif est la conscientisation des savoirs expérientiels. Ce terme, souvent réduit et confondu avec l’expérience vécue (Hejoaka, Simon, Halloy, et Arborio, 2020), désigne les connaissances qui découlent de l’expérience personnelle et qui sont utilisées pour comprendre et agir dans des situations concrètes.

9Les différentes facettes de l’expérience peuvent être présentées avec l’utilisation des travaux allemands autour des mots Erlebnis et Erfarhung. Ce dernier fait référence à l’expérience vécue comme une épreuve d’un passage dans l’inconnue qui peut être dangereux. Le terme allemand erlebnis ou erleben (Boutroux, 1911, cité par Girel, M., 2014, p. 24) peut être traduit par « faire l’expérience de » ou par le néologisme « s’expériencer ». Ce terme fait référence à l’expérience vécue, au vécu subjectif, à ce qui est ressenti. Erleben introduit ainsi la conscience réflexive du sujet, le vécu intériorisé dans l’après-coup.

10L’expérience est définie comme une activité consciente et volontaire de mise à l’épreuve. Le vécu de l’expérience est une recherche existentielle qui consiste à transformer de manière contrôlée une situation incertaine en une situation déterminée, en convertissant les éléments de la situation initiale en un tout unifié. Pour Mayen (2014, p. 12) cela signifie « conduire l’enquête, en y prenant une part active ». Les conditions doivent favoriser le processus d’enquête et celui qui expérimente doit disposer des outils appropriés. Pour ce faire, un accompagnement de l’apprenant à la réflexivité pour la conscientisation de ses expériences, antérieures ou concomitantes à la formation, doit être proposé. Ce que nous appelons ici l’accompagnement expérientiel.

11Des auteurs font référence aux caractéristiques de cet accompagnement en employant les notions de secondarisation (Boutier et Goigoux, 2004) ou de tissage (Bucheton et Soulé, 2009). Selon ces derniers, la spécificité de l’accompagnement expérientiel réside, entre autres, dans sa vision : mettre en relation le dehors et le dedans de la classe. Cet accompagnement s’appuie sur le fait que tout discours s’inscrit dans une continuité, tout apprentissage s’appuie sur des habitus déjà construits. Tisser c’est « raviver les empreintes que l’expérience a laissées. L’école très souvent sous-estime cette dimension ou la gère mal. Les savoirs y sont souvent trop vite décontextualisés, déréalisé ou cloisonnés » (p. 35). Accompagner les expériences de l’apprenant, c’est donner du sens, de la pertinence à la situation et au savoir visé.

12Bruner (2003) emploie le terme d’étayage comme forme d’aide à l’apprentissage du formateur à l’apprenant. L’accompagnement y est décrit comme souple et ouvert. Il se déploie dans une atmosphère (espace dialogique) détendue et collaborative. Il a comme objectif le développement de la posture réflexive de l’apprenant. Il vise à lui permettre de faire des liens et donner du sens à son apprentissage.

13Avant de nous intéresser aux spécificités de cet accompagnement dans le cadre d’une formation ouverte et à distance, focalisons-nous sur la posture réflexive et délibérative de l’apprenant.

2.2. Réflexivité et délibérations

14Nous repérons au moins deux formes de réflexion selon des temporalités différentes. La réflexion dans l’action, nommée délibération, et la réflexion dans l’après-coup, nommée retour réflexif. Regardons de plus près le lien de ces deux notions avec l’accompagnement.

15La délibération peut être définie comme un accompagnement à la prise de décision, tenant compte des expériences, besoins et valeurs de l’apprenant. Le processus délibératif s’appuie sur des informations et explications des données réelles, comme les rythmes institutionnels (ex. horaire du cours) et le prescrit de l’espace pédagogique (ex. outil numérique à utiliser). Il comporte autant la prise en compte des habitudes de vie de l’apprenant, comme ses rythmes biologiques et sociales, que de ses besoins, désirs, demandes, souhaits (Papadopoulou, 2020, p. 208).

16La délibération se fait pendant l’action, que celle-ci s’effectue dans la vie professionnelle, personnelle ou de formation. Elle invite, ainsi, l’apprenant à conscientiser ses habitudes d’actions et de pensées, dans le but de repérer sa manière d’être et d’apprendre. Aristote dans l’Éthique à Nicomaque, se réfère à la délibération (boulésis) comme le processus consistant à choisir le moyen le plus adéquat en vue d’une fin à atteindre. À la suite d’Aristote, Birmelé (2015, p. 79) définit la délibération comme « le choix d’une chose jugée préférable, le choix du meilleur au lieu du moins bon ».

17En revanche, la posture réflexive se rattache à la réflexion sur l’action, dans l’après-coup, pour reconnaître et valoriser les compétences acquises. La réflexivité c’est la capacité pour un sujet de se retourner vers sa propre activité pour en analyser la genèse, les procédés ou les conséquences. Le retour réflexif permet ainsi à l’apprenant et « acteur socioprofessionnel de s’approprier le pouvoir de réfléchir les multiples niveaux de son action afin de lui donner du sens » (Pineau, 1993, p. 21). Chaque expérience est unique mais les savoirs acquis dans l’expérience, qu’on nomme savoirs expérientiels (Breton, Denoyel, Pineau, et Pesce, 2015), sont applicables dans des situations différentes s’ils sont réfléchis et donc conscientisés (Papadopoulou, 2020, p. 84).

18La délibération correspond donc à la réflexion en action (reflection in action ou awareness) alors que la réflexivité correspond à la réflexion sur l’action (reflection on action ou consciousness) (Schön, 1994). La première se réfère à l’expérience vécue comme prise de connaissance immédiate de ce qui est en train de se faire. La deuxième se réfère à la prise de conscience en faisant un retour sur ce qui s’est fait. Dans les deux cas, un accompagnement permet à l’apprenant de situer ses expériences et les réfléchir en vue de leur donner du sens et tirer des apprentissages. Accompagner les expériences de l’apprenant par le développement de sa posture réflexive, quelles sont les spécificités dans le cadre d’une formation médiatisée ?

2.3. L’accompagnement à distance

19Même si la crise sanitaire a mis la FOAD au centre des préoccupations des acteurs éducatifs, l’accompagnement à distance n’a fait que peu l’objet de recherche (Audran et Papi, 2021). Or, l’accompagnement apparaît comme un enjeu central pour susciter la motivation et favoriser la réussite des apprenants (Polo et Chaker, 2020).

20L’accompagnement reste encore aujourd’hui une notion floue et difficile à saisir pour certains (Audran et Papi, 2021). C’est ainsi que, dans les travaux sur la FOAD, la notion de tutorat (Depover, De Lièvre, Peraya, Quintin et Jaillet, 2013) est davantage utilisée. Elle est différenciée des autres formes d’accompagnement comme le coaching (pour le développement des compétences opérationnelles pour l’exercice d’une profession), le mentorat (d’une durée longue pour le développement global de l’apprenant), l’accompagnement social (pour améliorer les conditions matérielles de l’accompagné), le conseil…

21Selon Rodet (2013), le tutorat est une relation d’aide. L’aide n’est pas vue ici comme un palliatif mais comme un moyen pour développer l’autonomie et le pouvoir d’agir des apprenants à distance. Il consiste à permettre à l’apprenant d’évoluer harmonieusement dans son parcours de formation et d’en tirer le profit maximum.

22Plusieurs types de tutorat à distance peuvent être identifiés : cognitif ou pédagogique pour la compréhension des apports disciplinaires, motivationnel pour lutter contre l’abandon, socio-affectif pour faciliter la collaboration entre les apprenants et métacognitif pour « aider l’apprenant à planifier son apprentissage, à s’autoévaluer et à ajuster ses stratégies cognitives, à prendre conscience des connaissances qu’il construit au cours de sa formation » (p. 161). Pour Quintin, (2013, p. 44) les interventions qualifiées de métacognitives visent à rendre l’apprenant plus autonome et capable d’apprendre à distance.

23Nous remarquons que, même si des travaux autour de l’accompagnement expérientiel sont inexistants dans le cadre des formations à distance, certaines de ses caractéristiques s’attachent au tutorat métacognitif comme défini ci-avant.

3. Problématique : l’accompagnement expérientiel dans la FOAD

24Les travaux présentés ci-dessus autour des concepts du tutorat et de l’accompagnement, en lien avec le contexte spécifique des formations ouvertes et à distance, soulèvent la nécessité des recherches sur l’accompagnement à distance. Le manque de bibliographie est marquant notamment en ce qui concerne l’accompagnement spécifique, que nous avons qualifié d’expérientiel (Papadopoulou, 2021). Peu de travaux s’intéressent à la place qu’occupent les expériences des apprenants dans les dispositifs de FOAD (Clauzard, 2021 ; Tali et Marcel, 2019). Que ce soient des expériences vécues dans la vie quotidienne, des expériences antérieures professionnelles ou des stages, ou encore de l’expérience faite du dispositif même de la formation.

25Comme évoqué ci-avant, l’accompagnement expérientiel des apprenants qui se forment à distance a comme objectif de leur permettre de donner du sens à leur démarche de formation par l’intégration des savoirs issus des expériences. Ces savoirs sont acquis dans l’expérience et sont conscientisés grâce aux délibérations et retours réflexifs accompagnés. Quel accompagnement expérientiel permettra de prendre en compte l’apprenant dans sa globalité avec ses expériences vécues dans et en dehors de la formation afin de rendre conscients les apprentissages effectués ? Notre étude inductive cherche ainsi à répondre à la question suivante « Quelles sont les spécificités d’un accompagnement expérientiel à distance ? ».

4. Méthode de recherche

26La méthode de recherche adoptée sera ici présentée, accompagnée des justifications, à partir de quatre niveaux : approche épistémologique, caractéristiques de la population étudiée, objectifs du guide d’entretien et méthode d’analyse des données.

4.1. Approche épistémologique

27La méthode de recherche utilisée est qualitative à visée compréhensive. Elle se concentre sur la compréhension des expériences des formateurs d’accompagnement des apprenants dans le cadre des FOAD. La recherche a pour objectif d’explorer les spécificités des démarches d’accompagnement, et notamment celles d’accompagnement expérientiel, dans une formation ouverte et à distance, en se basant sur les perspectives des formateurs.

28L’anonymat des données a été appliqué. Une méthode inductive a permis d’être à l’écoute des personnes interviewées sans imposer la validation des hypothèses préétablies.

29La méthode de recueil des données choisie est l’entretien semi-directif. Elle permet de recueillir des données qualitatives et détaillées sur les démarches d’accompagnement à distance des formateurs. De ce fait, nous travaillons sur le déclaratif à partir des dires des professionnels. Cependant, certaines questions s’appuient sur la méthode d’entretien d’explicitation à visée descriptive pour l’obtention des données sur les gestes professionnels des formateurs à distance.

30Pour l’analyse des données, l’analyse du contenu des entretiens transcrits a été choisie suite au repérage des grands thèmes abordés par les personnes interviewées.

4.2. Population

31Nous nous appuyons sur l’analyse des sept entretiens semi-directifs (Blanchet et al., 2013) auprès des formateurs d’adultes des deux associations françaises éducatives (EP1 et EP2), intervenant dans des formations à distance. Leur public est hétérogène, âgé de 18 à 70 ans, avec ou sans expérience professionnelle. Les formateurs ont été choisis pour leur implication dans des formations par alternance visant à faire le lien entre théorie et pratique. Les méthodes pédagogiques utilisées donnent potentiellement une place centrale aux expériences et projets des adultes. En effet, le dispositif d’accompagnement des apprenants se pense en étroite connexion avec le dispositif d’apprentissage. Il y a donc un fort lien entre accompagnement et méthodes pédagogiques. Nous décrivons ainsi ici les méthodes pédagogiques des formateurs interviewés afin de contextualiser les données analysées par la suite autour des pratiques d’accompagnement.

32Les deux associations s’inscrivent dans le mouvement de l’éducation populaire. Celle‑ci peut être décrite comme « un projet de démocratisation de l’enseignement et de la culture porté par des associations dans le but de compléter l’enseignement scolaire et de former des citoyens » (Poujol, 1994, p. 356). Les formateurs interviewés proposent des formations dans l’animation socio-culturelle ou encore la médiation numérique. Ils proposent des contenus théoriques via des plateformes en ligne mais également des temps de réflexion sur les expériences antérieures des apprenants afin de permettre leur conscientisation. Parce qu’il s’agit de s’appuyer sur des pratiques, un stage doit être effectué en parallèle de la formation. Chaque apprenant doit construire son propre projet de formation et professionnel. Des activités coopératives sont également proposées comme les groupes d’analyse des pratiques à distance. Enfin, la problématisation des situations vécues est une méthode pédagogique qui vise leurs analyse et conceptualisation par la mise en lien entre théorie et pratique.

33Le point commun, au niveau de caractéristiques des formateurs, est leur autoformation des pratiques de FOAD. Ils ont appris sur le tas à concevoir et animer un dispositif de FOAD, que ce soit par obligation institutionnelle pour la transformation de leurs formations ou par intérêt personnel. Des formations, non diplômantes, ont été suivies par certains afin d’assoir leurs savoirs acquis par expérience. Les variables des interviewés sont décrites au tableau 1.

Tableau 1. Les variables de la population cible « 7 formateurs à distance »

Variables		Nombre des personnes
Structure	EP1	3
	EP2	4
Genre	Hommes	5
	Femmes	2
Âge	Entre 25 et 35	1
	Entre 35 et 45	6
Niveau de formation initiale	Bac + 2	3
	Bac + 3	1
	Bac + 5	3
Expérience professionnelle dans la formation	0 à 5 ans	3
	5 à 10 ans	1
	Plus de 10 ans	3

4.3. Guide d’entretien

34Un guide d’entretien semi-directif a été construit dans l’objectif de recueillir la façon dont les formateurs accompagnent les apprenants à distance. L’ensemble des questions n’était pas spécifique à l’accompagnement des expériences pour ne pas influencer les réponses des personnes interviewées. Certaines questions étaient plus ciblées (ex. questions 4 et 8) et d’autres plus ouvertes afin de voir la place que l’accompagnement expérientiel occupe dans leurs pratiques. Les questions posées ainsi que les objectifs visés en lien avec la question de recherche sont présentés dans le tableau 2.

Tableau 2. Le guide d’entretien

Question	Objectifs
Pouvez-vous exposer votre parcours scolaire et professionnel ?	La première question, centrée sur le parcours de vie, a été pensée dans le but de comprendre les personnes interviewées par rapport à leur parcours et expériences antérieures et situer leurs réponses suivantes dans leur contexte.
Pouvez-vous exposer vos expériences d’enseignement en ligne ?	Cette question vient compléter la première en nous donnant des informations supplémentaires sur leurs expériences en tant que formateur, responsable pédagogique ou concepteur des dispositifs médiatisés. Quel type de FOAD (hybride, MOOC, formation entièrement à distance), sur quel sujet, formation payante ou pas, diplômante, certifiante, dans le cadre professionnel ou personnel, etc. Dans la continuité de cette question, nous leur demandons s’ils ont suivi une FOAD en tant qu’apprenant, en leur proposant un retour d’expérience (vécu positif, négatif, compliqué, riche…). Cela nous a permis de compléter nos données avec des visions des apprenants en FOAD, tout en cherchant un potentiel lien entre expérience d’apprentissage et d’enseignement en ligne. Notre vécu d’apprenant influence-t-il nos représentations de la FOAD et nos méthodes d’enseignement en ligne ?
Comment faites-vous pour accompagner les apprenants à apprendre en ligne et rester motivés ? Pouvez-vous me raconter une situation précise d’un accompagnement à distance réussi ?	Ce questionnement doit mettre en exergue les points que les formateurs trouvent importants dans leur accompagnement en ligne. Elle cherche à comprendre la posture de l’accompagnateur en ligne et sa représentation de l’accompagnement dans une FOAD. Pour mettre à jour la part non conscientisée de l’action mise en œuvre, nous demandons à l’interviewé d’expliciter une situation vécue, singulière et située dans le temps et l’espace, à partir de la méthode d’entretien d’explicitation.
Quels sont les limites et les avantages pour prendre en compte les expériences des apprenants à distance ?	Dans la continuité de nos questionnements autour des représentations des formateurs sur la FOAD, nous ajoutons ici une potentielle relance, concernant les inconvénients et avantages de l’accompagnement expérientiel en ligne. En fonction de la réponse et si besoin, nous définissons le terme d’expérience.
Quelles approches pédagogiques et/ou outils numériques, avez-vous utilisé pour faciliter les échanges avec le groupe d’apprenants ?	Une autre relance pourrait concerner les outils, les méthodes pédagogiques mobilisés, pour bien mener leur accompagnement. De plus, en questionnant la place du collectif dans une FOAD nous analysons l’accompagnement mis en place par les pairs et ses formes. Nous cherchons à voir le type d’échanges en ligne entre pairs, entre accompagnateurs et apprenants et les outils utilisés (forum, blog, chat, web conférence, réseaux sociaux…) pour ce faire. D’autre part, nous cherchons à comprendre les effets produits par la manipulation des outils par le groupe dans le cadre des activités collaboratives/coopératives.
Quels sont les éléments précis dans l’organisation/diffusion d’un cours en ligne qui vous semblent faciliter l’apprentissage ? Pouvez-vous nous donner un exemple précis d’un cours bien organisé et réussi ?	Cette question vise à comprendre la place que les formateurs donnent à l’expérience des apprenants et le processus inférentiel en FOAD. Promeuvent-ils plutôt un apprentissage « référentiel », descendant, basé sur les contenus ou « inférentiel », inductif, basé sur l’apprenant ? Quelle scénarisation de leurs modules en ligne et ingénierie pédagogique mobilisent-ils ? Sont-ils plutôt dans une logique technocentrée, avec une organisation du cours en amont ou préfèrent-ils une organisation souple et imprévisible (Bourdet et Leroux, 2009) ? De plus, la question étant construite autour de l’ingénierie pédagogique, nous pensons avoir des données sur les outils de la FOAD qui permettent de motiver et impliquer les apprenants dans leur démarche de formation (badges, gamification, tutoring/accompagnement, travail en groupe, échanges…).
Quelle est la place des expériences et connaissances déjà acquises des apprenants, dans vos formations en ligne (ex. stage) ? Pouvez-vous nous donner un exemple précis où vous vous référez aux parcours et/ou vécus des apprenants pendant un temps de formation en ligne ?	Cette question devrait nous permettre de vérifier si l’accompagnateur s’appuie sur les expériences antérieures et compétences de l’accompagné, les démarches qu’il mobilise pour ce faire à distance, et les effets produits ? Nous tenterons d’utiliser, ici aussi, la technique d’explicitation, à partir d’une situation réussie proposée par le formateur, pour l’amener à une réponse descriptive de la situation, dans un premier temps, et sur le sens produit par la pratique ensuite.
En quoi les temps en présentiel facilitent-ils l’apprentissage dans les formations à distance ? En quoi les temps à distance facilitent-ils l’apprentissage ?	Nous cherchons à comprendre les points forts et faibles de la distance et pareillement de la présence selon nos formateurs. Mais c’est davantage la question de l’alternance qui est sous-entendue ici. Est-ce que l’alternance spatio-temporelle amène vers une alternance éducative et intégrative ? Est-ce que les différents espaces-temps de l’alternance ont des caractéristiques particulières dans une formation hybride ? Par exemple, les temps en présentiel font-ils naître un sentiment d’appartenance à une communauté en favorisant la motivation intrinsèque de l’apprenant ? Cette question nous permettra de répondre à notre problématique de la construction d’un dispositif médiatisé. Que devons-nous prévoir dans l’ingénierie pédagogique et d’accompagnement à distance plutôt qu’en présence, et inversement ?
Quel lien avec les tuteurs de stage pour la co-construction de la formation hybride ? Quels relation, accès à la plateforme, organisation et co‑construction des objectifs ?	Notre objectif est de voir la relation partenariale dans une formation hybride et en alternance avec les structures professionnelles et de stage. Une de nos intuitions est que plus il y a une relation entre école et entreprise, théorie et pratique, plus la distance devient intégrative.

4.4. Méthode d’analyse des données

35L’analyse des données s’appuie sur une analyse du contenu avec la méthode proposée par Bardin (2013). Une analyse rigoureuse a été effectuée avec la prise en compte de la totalité des données transcrites pour garantir des résultats fiables. La méthode précise est décrite ci-après.

36Suite à une lecture flottante des transcriptions, un découpage thématique a été effectué avec l’aide des grilles interprétatives. Plus précisément, sept tableaux Excel, un pour chaque entretien individuel, ont été créés. Nous avons d’abord souligné les phrases du discours (identification des unités de sens pertinentes) qui nous ont paru comme essentielles car en lien avec la question des pratiques d’accompagnement à distance. Une fois les grands thèmes définis, nous les avons classifiés en sous-thèmes en lien avec les phrases-clés.

37Cette première analyse nous a permis d’identifier quatre axes dans leurs discours : 1) leur histoire de vie comprenant principalement leurs expériences en matière d’apprentissage et formation ouverte et à distance, 2) l’ingénierie pédagogique mise en place dans leur dispositif de formation, 3) les démarches d’accompagnement, et enfin 4) la place de la technique (outils numériques) dans la formation. Dans cet article, pour des raisons de concision, nous allons nous focaliser sur le troisième point : les démarches d’accompagnement.

5. Analyse des principaux résultats

38Quatre types d’action à distance ont été dégagés par l’analyse du discours sur les démarches d’accompagnement que les formateurs ont mises en place.

5.1. Accompagner les expériences vécues en dehors de la formation

39Le premier type d’action correspond à l’analyse de la pratique professionnelle, personnelle ou associative effectuée en dehors de la formation. Les formateurs s’appuient sur une partie de cette activité pour accompagner l’apprenant à la construction de son projet. Des exercices d’analyse des pratiques sont également proposés à distance pour leur permettre de conscientiser les compétences acquises et/ou trouver des solutions à des situations problématiques vécues.

5.2. Accompagner l’intégration des éléments prescrits par le dispositif

41Le deuxième type d’action à distance est l’intégration et l’expérimentation des contenus et outils numériques proposés dans le cadre de la formation. C’est le travail prescrit par les référentiels de la formation.

42Pour les formateurs, la distance facilite la démarche de transmission des contenus. La distance permet de « faciliter l’accès à l’information et la hiérarchiser, prioriser et faciliter le fait de faire des choix, parce qu’il faut faire des choix par rapport au temps qu’on a à consacrer » (P66, 518-521). La distance permet également, selon le formateur, l’organisation du contenu du cours.

43De plus, les formateurs accompagnent la mise en application des contenus transmis au sein du dispositif. « Un aspect important […] c’est comment mettre en application […] on évoque des concepts, on évoque des méthodologies voilà, si on ne met pas en application derrière, […] ça reste un peu hors sol. Du coup, l’idée c’est d’arriver d’avoir cette action qui consiste à mettre en application, les choses directement dans le cadre de la formation » (P18, 173-178). La distance permet, ainsi, d’expérimenter les nouvelles connaissances à partir des exercices et consignes donnés. Elle permet l’expérimentation des « outils qu’on leur propose » (M12, 110). « Ça leur permet […] de tester certains outils à distance entre eux » (M37, 294) grâce à un accompagnement par les pairs.

5.3. Accompagner les rythmes et usages numériques pour la réalisation du projet

44Le troisième type d’action correspond au projet, qui est le fil conducteur de la formation. Ceci offre un espace d’expérimentation, c’est-à-dire de construction et application des savoirs. « Un projet support dans lequel on va pouvoir investir ce qu’on apprend » (A3, 20-21). « C’est un projet pour t’aider, pour tester des choses en confiance » (M25, 208). « L’idée c’est d’avoir un espace, comme un bac à sable en fait pour tester, mettre en place des outils, avoir des retours et de le faire plus ou moins pendant le temps de la formation ou après le temps de la formation » (M25, 216-218).

45Pour mener à bien leur projet et intégrer les contenus, selon les formateurs, la distance permet le respect des temporalités et rythmes différents des apprenants. « Travailler chacun selon son rythme, c’est-à-dire qu’on a une plateforme avec des contenus, il y a des contenus en ligne, donc les gens viennent les consulter quand ils veulent […] donc là les gens sont plutôt en asynchrone » (A33, 261-268).

46De plus, un accompagnement technique, soit en collectif soit en individuel, est proposé à distance, grâce aux forums, listes de discussions, mails et échanges téléphoniques.

47Enfin, les trois types d’accompagnement permettent la réintégration de nouvelles connaissances sur le terrain réel, avec la mise en place du projet. « Sur son équipe, il a commencé un tout petit peu vers la fin de la formation à proposer de petites choses » (M27, 228-230).

6. Interprétation des résultats : les quatre démarches d’accompagnement à distance

48Suite à l’analyse des principaux résultats, nous allons maintenant les mettre en lien avec notre question de recherche et les travaux antérieurs sur l’accompagnement des expériences à distance. Les types d’action des formateurs à distance, comme présentés dans l’analyse des données, font émerger quatre démarches d’accompagnement en FOAD. Les éléments en italiques nous permettent de mettre en exergue certains mots qui semblent importants au regard de la problématique de recherche.

6.1. Une démarche d’accompagnement à la formation expérientielle

49Pour rappel, le premier type d’action, comme décrit par les formateurs, consiste à accompagner les expériences des apprenants, vécues en dehors de la formation (chap. 5.1). Ces expériences peuvent être antérieures ou concomitantes du dispositif de formation.

50Pour aller plus loin, les formateurs mentionnent également dans ce cadre l’accompagnement de l’alternance spatio-temporelle (A25, 212, M22, 195) pour une continuité éducative entre présence et distance (M12, 99, J32, 241-242). Ils proposent un accompagnement à la réflexivité et la problématisation (A21, 193, P43, J57) pour permettre aux apprenants de faire les liens entre les expériences du terrain et la théorie (A28, 237) : « je vais les chercher sur leurs connaissances en fait et sur ce qu’ils ont vécu sur le terrain » (B92, 460-461).

51Lorsque les pratiques d’un adulte sont accompagnées par un processus réflexif, cela implique pour l’adulte de faire des liens entre son expérience personnelle et la théorie, de donner un sens à sa pratique et à sa démarche de formation, et de repenser ses habitudes qui peuvent être porteuses de significations inconscientes, pour les « mettre à jour » (Denoyelle et Pesce, 2009, p. 190). Ainsi, ces habitudes redeviennent des actions conscientes et réfléchies.

52L’accompagnement à la réflexivité peut permettre la mise en lumière des habitudes (héxis), « des règles d’action qui sont souvent masquées » (Denoyel, 2012, p. 108). Réflexivité et délibération, la boulésis (βούληση) d’Aristote, sont ici liées. Alors que la réflexivité peut se faire avant ou après l’action, la délibération se fait pendant l’action. La réflexivité, par le récit du vécu, ne peut pas s’enseigner, elle ne peut que s’accompagner, car accompagner c’est « permettre à l’autre de signer ce qu’il vit, de l’endosser avec son style, son rythme, son profil psychologique, ses problèmes, ses interrogations » (Le Bouëdec, 1998, p. 62).

53Les formateurs mettent en exergue la visée autonomisante (M27, 225, P54, 471-472) que peut avoir cet accompagnement. Ils visent de laisser « plus d’espace [aux apprenants] pour qu’ils puissent construire du tutorat, qu’ils soient plus à la logique de produire eux-mêmes des contenants pédagogiques » (D37, 183-184). Cela passe également par un accompagnement à la mise en confiance (M28, 238, M36, 273) des apprenants.

54Le processus d’apprentissage en formation d’adultes ne s’appuie pas seulement sur une transmission des savoirs, mais plutôt sur une démarche de conscientisation du savoir qui est latent dans l’agir. Pour ce faire, l’objectif premier de l’accompagnement est la problématisation des expériences vécues dans le milieu professionnel ou personnel. Ceci afin d’amener vers une pensée critique de la construction de la réalité (Meyer, 2005). Accompagner l’apprenant à l’émergence d’une problématique l’implique dans le processus de formation et lui permet de se l’approprier en l’adaptant à ses propres besoins, car « toute connaissance est une réponse à une question » (Bachelard, 1938).

55Cela suppose une posture spécifique d’accompagnement basée sur le laisser-faire : « parfois ils étaient en difficulté mais je les ai laissés volontairement aussi à se prendre en main, de s’aider » (D26, 110-111). Dans les échanges en ligne la posture adoptée par les formateurs vise à « montrer que je suis là, que je guide, que j’incite d’échanger entre eux » (D37, 174-175). La posture de maïeutique (C, A5, 46-47, P43, 229-305, J38) est proposée pour un accompagnement méthodologique sur la construction du projet, afin de faire le lien entre le projet de l’apprenant, la structure de stage et le centre de formation ainsi que les besoins du territoire. De ce fait, leur posture consiste à responsabiliser, rassurer (J49, 336) et être à côté des apprenants, car « c’est à eux de se prendre en main » (B36, 162).

56Pour résumé, l’objectif principal de cet accompagnement expérientiel est de mettre le projet de l’apprenant au premier plan et lui permettre de conscientiser les compétences et connaissances acquises. La posture de l’accompagnateur est de se mettre à côté pour permettre l’autonomisation de l’individu.

6.2. Une démarche transversale d’accompagnement didactique

57Le deuxième type d’action consiste à la compréhension des éléments prescrits par le dispositif de formation, comme les éléments théoriques à retenir, les usages numériques à adopter, les rythmes de formation imposés (chap. 5.2).

58Pour approfondir, l’accompagnement à la didactique des contenus et l’appropriation des dimensions prescrites de la formation sont présents dans toutes les démarches d’accompagnement à distance, comme décrites par les formateurs. En effet, le dispositif de FOAD est un dispositif nouveau, dit « moderne », car il répond aux contraintes de notre société contemporaine. Sa nouveauté perturbe nos habitudes d’apprentissage et nos représentations de la formation d’adultes et doit, par conséquent, se voir appropriée par l’apprenant afin de déployer tout son potentiel. Le dispositif de FOAD, contrairement à un dispositif classique en présentiel, est composé de multiples espace-temps, d’environnements numériques et de scénarios pédagogiques enrichis. De ce fait, sa structure complexifie davantage sa prise en main par l’apprenant.

59Proposer un accompagnement didactique permettrait de surmonter cette difficulté. Ceci comprend au moins deux fonctions pour l’accompagnateur. Une fonction didactique pour faciliter la compréhension du contenu, des consignes, des exercices, etc., par la « granularisation du contenu » (D26, 95) et la définition des objectifs précis (D, M, P). Une fonction technopédagogique pour apprendre à utiliser les outils et temporalités prescrites. Pierre (P15, 146-149) fait référence au sentiment de frustration des apprenants en FOAD à cause du manque de temps ou l’impossibilité d’aller jusqu’au bout de leur projet.

60Ces fonctions d’accompagnement (didactique et technique) ont pour objectif complémentaire de permettre à l’apprenant de se familiariser avec l’environnement afin d’ouvrir ses possibilités d’actions. À titre d’exemple, les formateurs font références à des outils qui ouvrent des possibilités à la co-écriture collaborative (A), au suivi du projet (A), à la prise de notes (A), à la facilitation de l’interactivité (P57), aux retours réflexifs (A), à la création d’une communauté (P57), d’une dynamique de groupe (A19), de l’interconnaissance (J), à l’organisation et à la transmission des contenus (P57), à l’organisation des réunions et rendez‑vous individuels (J42), aux échanges synchrones (P12) « immédiats » (M12, 99) et « plus personnalisés » (M12, 99) que des mails.

61En résumé, l’accompagnement didactique vise l’intégration par l’apprenant des éléments prescrits du dispositif de formation. Il comprend au moins deux fonctions : didactique pour l’intégration des éléments théoriques, technique pour l’intégration des éléments organisationnels du dispositifs notamment la temporalité et les usages numériques.

6.3. Une démarche d’accompagnement à la rythmoformation

62Le troisième type d’action concerne l’accompagnement des rythmes et usages numériques pour la réalisation du projet de l’apprenant (chap. 5.3). Commençons par le premier, que nous avons nommé « accompagnement à la rythmoformation », en travaillant sur les temporalités sociales.

63Notre société est coupée en plusieurs temps : (1) les macro-temps physiques ou métaphysiques correspondant aux macro-temporalités historiques ou cosmiques, (2) les méso temps socio‑individuels correspondant aux méso temporalités sociales, (3) enfin, les micro-temps biologiques représentant les micro-temporalités individuelles (Roquet, 2018 ; Pineau, 2018). Ces différents niveaux se construisent simultanément dans les vécus individuels sur des temporalités hétérogènes. L’intégration de nouvelles technologies en formation demande une gestion nouvelle de ces temps et rythmes multiples (rythmes biologiques, temps professionnels, temps de formation…).

64Dans leur discours, les formateurs se réfèrent au temps pédagogique, comme un temps de transmission des contenus. Les temps qui ont été le plus cités dans les entretiens sont les suivants : temps de méthodologie de projet, temps techniques, temps d’animation. Les moments d’accompagnement à distance les plus cités sont : temps d’accompagnement technique, temps d’appui, temps de retour d’expérience, temps longs d’accompagnement « si j’avais pas pris ce temps, ils auraient pas tous avancé au même rythme » (B66, 658), « donc finalement c’est beaucoup plus de temps pour le formateur que je pensais » (D30, 120), « après c’est tout le temps qu’il faut aller derrière pour voir ce qu’ils ont fait » (D30, 119). Enfin, les formateurs font référence à un accompagnement méthodologique à la gestion temporelle de la formation : « on vérifie qu’ils ont bien du temps toutes les semaines, qu’ils se sont bloqués du temps toutes les semaines pour suivre la formation » (J47, 322 323), « qu’ils aménagent ce temps-là » (J48, 334).

65La démarche d’accompagnement aux rythmes de la FOAD a été soulevée par les formateurs qui sont amenés à accompagner les apprenants à la gestion des rythmes annuels, hebdomadaires et journaliers. De plus, l’organisation temporelle du dispositif comprend des ruptures entre les moments à distance et les moments en présence qui entrainent, entre autres, des ruptures entre des moments de théorie et des moments de pratique. Ce manque de linéarité dans la rythmicité de la formation, comme observé dans les dispositifs analysés, doit être accompagné pour que les ruptures deviennent créatrices de mouvement.

66Enfin, les formateurs parlent de l’accompagnement à la gestion du temps synchrone à distance. Nous avons remarqué, par exemple, le besoin d’un démarrage et d’une fin symboliques lors des échanges synchrones à distance à cause du manque d’interactions physiques. Cette organisation du temps à distance doit se contractualiser par le groupe pour que les événements ne s’éternisent pas dans un espace-temps sans fin.

67L’analyse des propos des formateurs nous a permis de mettre en évidence des aspects liés à la temporalité et la rythmicité d’un dispositif de formation ouverte et à distance. Il est important de prendre en compte les habitudes rythmiques de l’apprenant pour permettre une liaison entre les différents niveaux de temps (macro, méso, micro) et faciliter l’appropriation de sa démarche de FOAD. Il est également important de rythmer les échanges synchrones à distance pour créer un climat socio-affectif sécurisant, de prendre en compte les rythmes biologiques de l’apprenant pour intégrer des moments informels dans le processus de formation et de penser à l’alternance spatio-temporelle dans l’organisation du dispositif pour une intégration des savoirs par l’implication de l’apprenant. Ces points permettent le développement de la capacité réflexive et délibérative chez l’apprenant adulte.

68Un accompagnement expérientiel pour le développement d’une compétence rythmanalytique par l’apprenant doit ainsi être proposé. Cela consiste à faire des liens entre les trois rythmes qui cohabitent dans un dispositif de FOAD. Autrement dit, accompagner l’articulation entre les rythmes bio-socio-cosmiques et les contraintes spatio-temporelles de la FOAD, pour une harmonisation rythmique de la formation.

6.4. Une démarche d’accompagnement numérique

69Le troisième type d’action comprend également un accompagnement aux usages numériques dans une FOAD (chap. 5.3). Nos résultats ont indiqué que les outils sont perçus comme jouant un rôle central dans la conception du dispositif et l’animation de la formation ouverte et à distance. Bien qu’une seule question de notre guide d’entretien se référait aux outils et aspects techniques, pour six sur sept formateurs cette question occupe une place importante dans leur discours.

70Synchronicité des échanges, spontanéité et suivi sont quelques-unes des caractéristiques positives des outils. Or, les formateurs déclarent un certain refus par les apprenants des outils proposés par le dispositif et le recours, finalement, à des outils plus classiques pour l’accompagnement à distance entre formateur et apprenants, comme l’utilisation du téléphone, mail électronique, voire face à face.

71Cela peut être dû, entre autres, aux problèmes techniques qui empêchent l’utilisation des certains outils ou à des formats qui ne conviennent pas aux étudiants. Par exemple, l’utilisation des forums et tchat, outils intégrés dans la plateforme Moodle a été rejetée par certains apprenants de l’EP1 : « je regrette aussi qu’ils ne se soient pas emparés plus, même pour échanger entre eux, de ces outils de discussion » (C17, 82-84). Nous faisons l’hypothèse que la proposition d’un forum, destiné à l’entraide entre étudiants, a créé une rupture, notamment en termes d’habitudes d’action des étudiants. Cela les a conduits à préférer utiliser la messagerie instantanée de Facebook en créant un groupe « privé » afin d’échanger et s’entraider sur la formation.

72Les problématiques abordées par les formateurs mettent en exergue l’importance d’accompagner l’apprenant à la compréhension de ses besoins et de ses habitudes d’action en termes d’outils afin qu’il prenne en main sa formation médiatisée.

73Accompagner l’habitus spatio‑temporel de l’apprenant suppose un retour réflexif sur la spatio-temporalité des situations vécues en formation et d’un accompagnement à la délibération en action. Conséquemment, la mise en place d’un accompagnement expérientiel à la rythmoformation et aux outils numériques permet d’harmoniser l’organisation spatio-temporelle de la formation et les habitudes spatio-temporelles de l’apprenant, pour faciliter le processus d’apprentissage.

7. Conclusion

74Dans cette étude, nous avons examiné les démarches d’accompagnement des apprenants dans les dispositifs des FOAD. L’étude vient développer une perspective de la distance en tant qu’espace-temps facilitant l’intégration des connaissances par la mise en œuvre d’une pratique réflexive et délibérative, grâce à un accompagnement des expériences vécues en dehors et concomitantes de la formation.

75Elle met en évidence l’existence de quatre moments principaux d’accompagnement à distance : (1) des moments d’accompagnement expérientiel du vécu en dehors de la formation, pour donner du sens aux pratiques professionnelles et personnelles des apprenants, (2) des moments d’accompagnement didactique pour la transmission du contenu et l’acquisition des connaissances et (3) ceux d’accompagnement rythmanalytique et (4) d’accompagnement numérique pour la conscientisation du vécu du dispositif même, afin de prendre en main et donner du sens à leur démarche de formation.

76Plus précisément, l’accompagnement (1) expérientiel de l’apprenant vise la conscientisation des expériences vécues en dehors du centre de formation, autrement dit, sa formation expérientielle. Il invite l’individu à se poser les questions suivantes : Quelles compétences ai-je mobilisées dans une situation située dans le temps et l’espace ? Comment est-ce que j’ai pu surmonter une situation problématique ?

77L’accompagnement (2) didactique vise l’appropriation des contenus théoriques, des environnements techniques prescrits et des règles spatio-temporelles instituées par le dispositif.

78Les accompagnements (3) rythmanalytique, pour l’analyse et l’appropriation des rythmes de la formation et (4) numérique visent la conscientisation de l’expérience faite de la FOAD. L’apprenant doit réapprendre à apprendre ou apprendre à apprendre à distance. Ils invitent l’individu à se poser les questions suivantes : Comment j’apprends à distance ? Quelle gestion de différents espaces et temps dans ma FOAD ? Comment développer la nouvelle compétence organisationnelle demandée pour la gestion des différents espaces et temps qui s’offrent à moi ?

79Ces résultats viennent compléter l’étude autour de l’ingénierie des formations ouvertes et à distance à visée intégrative (Papadopoulou, 2021). Cette lecture, qui ne se veut pas une représentation finale, invite plutôt à la poursuite d’une réflexion sur les dispositifs de FOAD et l’accompagnement expérientiel à distance, tout en permettant d’entrevoir des pistes innovantes pour le domaine de la formation d’adultes. Enfin, l’étude gagnerait à être complétée par une recherche sur les effets produits chez les apprenants adultes de la mise en place d’un accompagnement expérientiel à distance.