1La rubrique Débat discussion présente les contributions de trois collègues, Bernard Blandin, Annie Jézégou et Chantal Bois, consacrées aux conceptions de la présence et à la possibilité de conceptualiser la notion de distance en dehors de l’opposition présence-distance. Le texte de cadrage publié dans le numéro 41 de DMS s’appuyait principalement sur les travaux importants, bien que déjà relativement anciens, de Bernard Blandin et d’Annie Jézégou. Il nous a donc paru capital de leur donner en priorité la parole afin qu’ils puissent présenter les avancées de leurs cadres conceptuels et de leurs travaux empiriques depuis la publication de ces travaux. La troisième intervenante, Chantal Bois, propose, en s’appuyant sur sa recherche doctorale, une analyse de la présence au prisme de l’« alliance pédagogique ».

3Annie Jézégou quant à elle se saisit des questions posées dans le texte de cadrage qu’elle regroupe en quatre questions principales : « quelles sont les propriétés majeures de la “présence à distance” ? En e-Formation, quels sont à ce jour les principaux modèles théoriques de la présence sociale et en quoi diffèrent-ils les uns des autres ? Que recouvre le modèle de la présence sociale en e-Formation ? Quel est le principal défi lancé par ces travaux pour l’ingénierie des dispositifs de e-Formation ? » Elle y répond dans le cadre limité de cet exercice sur la base de ses travaux récents relatifs à la présence en e-Formation qui ont fait l’objet de son dernier ouvrage La présence à distance en e-Formation : enjeux et repères pour la recherche et l’ingénierie (2022). Nous relèverons certaines propriétés de la présence qui font effectivement songer à différentes dimensions de la présence telles que propose de la conceptualiser B. Blandin. Pour A. Jézégou, la présence s’exprime dans un « tiers-inclus socio-numérique de communication, elle implique l’agentivité des personnes et l’affordance des artefacts, elle est à la fois vécue et ressentie. La présence est une réalité subjective perçue et incarnée, indépendamment de toute proximité physique. Nous épinglerons l’importance de « l’être là ensemble » et du « faire là ensemble ».

4Par contre, la dimension « tiers-inclus » du « couple dialogique distance-proximité » constitue sans doute un indice de ce qui distingue les deux auteurs, de même que le fait que la présence permette « de réduire la distance qui sépare et de générer une proximité entre les interlocuteurs ». L’auteure nous invite à considérer par exemple les notions de distance et de proximité comme antagonistes, complémentaires et concurrentes. Dans sa tentative de s’écarter du dualisme classique, A. Jézégou s’appuie sur la logique des contraires de Lupasco (1951), inséparable, pour elle, du principe dialogique de Morin (1990). B. Blandin, quant à lui, en s’appuyant sur la mésologie adopte une position résolument moniste. Étant donné les différences de posture épistémologique et des cadres théoriques de chacun, un débat approfondi paraîtrait enrichissant tant du point de vue théorique que de celui de ses implications méthodologiques.

6Chantal Bois aborde la présence sous l’angle singulier de la relation pédagogique qu’elle invite à revisiter en mobilisant la notion d’alliance pédagogique. Son texte interroge la construction du lien de collaboration entre enseignants et étudiants dans un contexte de formation à distance. Proche par certaines positions des travaux de A. Jézégou, elle propose de repenser la présence selon le prisme de l’agentivité qui reconnait la personne apprenante comme partenaire de la relation pédagogique. S’inspirant des travaux conduits sur la notion d’alliance thérapeutique, le sentiment de présence résulterait d’actes communicationnels d’intersubjectivation. Un lien qui se tisse dans un climat de confiance qui soutient les actes de reconnaissance d’autrui comme partenaire de cette dynamique qui renouvelle ces liens au fur et à mesure de la cinétique des apprentissages.

7L’auteure expose à partir de sa recherche doctorale les liens « entre le concept de présence et la création d’une alliance pédagogique qui suppose la mobilisation, par l’enseignant, de compétences communicationnelles ». Il s’agit d’une approche trajective de la présence en cela qu’elle interroge le couplage dynamique entre le sujet et son milieu dans une perspective communicationnelle. Cette trajection contribuerait à l’établissement d’un sentiment de présence qui soutiendrait la dynamique motivationnelle étudiante. En écho à B. Blandin, cette « relation avec l’autre permettrait une coconstruction possible par le fait qu’elle est à l’intersection de la mésologie et de la phénoménologie ».

8Dans une perspective heuristique compréhensive et pragmatique, Chantal Bois présente les principaux domaines de compétences communicationnelles identifiés et concrétisés dans un référentiel éprouvé dans le cadre de sa recherche. Ces analyses montrent les liens entre les actes communicationnels et la motivation intrinsèque des personnes étudiantes, rappelant ainsi la fonction émancipatrice et autonomisante de la présence.

9Pour conclure cette introduction, nous soulignerons d’abord que de nombreux travaux conduits sur la présence s’appuient sur des cadres théoriques et des auteurs de référence très différents. Ils rappellent qu’elle est un construit objectivé et subjectivé qui résulte d’une multiplicité d’interactions et d’articulations entre sujet-sujet, sujet-objet, sujet-environnement. Ensuite, la présence est abordée au-delà de la présence physique pour l’appréhender sous l’angle de la présence sociale, de la présence psychique. Il s’agit d’une présence incarnée au-delà du corps physique. Nous noterons encore que la présence est un coconstruit qui résulte notamment du décodage d’affordances, ce qui conduit à envisager une sémiotique et une pragmatique de la présence qui reste encore à développer, voire peut être à fonder. Enfin, cette approche de la présence a des incidences sur l’ingénierie de conception et sur les actes communicationnels des personnes enseignantes qui méritent toute notre attention.