1Le registre supérieur comporte deux rangs superposés de portraits : de belles dames de la cour et, au-dessus, des souverains et des princes du sang ou de l’église. Les belles amies occupaient-elles les deux niveaux ? Les lettres de Bussy révèlent des absences remarquables, tandis que l’examen de la série des princes met en évidence des disparités, voire des erreurs.

Les belles amies de la Tour dorée

4Voici une richesse organisée, une profusion structurée. Encastrés dans des lambris dorés, dont les motifs alla Jean Lepautre se prolongent aux autres niveaux, les portraits des belles amies bénéficient d’un encadrement de fleurs et d’amours peints sur fond doré, celui-là même qui donne son nom à la Tour. Différents d’un encadrement à l’autre, trophées et putti assurent la transition thématique entre les étendards du plafond et les anges peints dans l’embrasure des fenêtres. Cette unité de cadre ménage des contrastes, elle rappelle également que le décor est un et qu’il importe de ne pas se laisser surprendre par la vigueur de l’anecdote.

5La légende est écrite sur un socle vert bronze bordé par une palme. Entre ces cadres délicats, courent des guirlandes bleues et roses sur fond blanc.

6Comme pour les autres séries, nous partirons de la gauche de la porte et tournerons autour de la pièce, jusqu’à revenir à la porte.

Mme de Montmorency

8Le comte de Sarcus attribuait la toile à Mignard, Dumolin y voyait une copie xix^e d’un original des Beaubrun. Datée du xvii^e siècle, elle est bien issue de l’atelier des Beaubrun.

Mme de Gouville

11« Lucie de Tourville, femme de N. de Gouville, belle, aimable, de bon esprit, autant capable que femme du monde de rendre un homme heureux si elle voulait l’aimer ; une des meilleures amies qui fut jamais. » La formulation de la légende implique-t-elle une réticence ? La petite histoire raconte en effet que Mme de Gouville a parfois aimé sans le vouloir…

La duchesse de Châtillon

12Veuve en 1649, la duchesse de Châtillon avait été l’une des égéries de la Fronde. Elle s’était remariée en 1664 avec le prince allemand Christian-Louis I^er de Mecklembourg-Schwerin.

14Heureusement, l’on connaît l’original grâce à des photographies (ill. 2), ce qui laisse supposer que la substitution est survenue assez tard. En dépit de l’évident mauvais état de la toile, il est aisé d’en reconnaître la supériorité, notamment dans le traitement des yeux. L’éditeur l’attribuait alors à Lebrun.

15Un autre portrait, peut-être sorti de l’atelier des Beaubrun, a été présenté au château en 2018 à l’occasion de l’exposition La Galerie des beautés de Louis XIV ; la duchesse y est représentée en manteau ducal, dans une pose pratiquement identique à celle de Mme de Montglas. Ces deux toiles sont contemporaines d’une estampe par Moncornet, qui rend justice à la beauté de la femme (ill. 3).

16L’on connaît un autre portrait de Mme de Châtillon, en manteau ducal, mais cette œuvre de Mignard apparaît plus tardive.

17« Isabelle Angélique de Montmorency, fille de Bouteville, duchesse de Châtillon puis princesse de Meclebourg, à laquelle on ne pouvait refuser ni sa bourse ni son cœur, mais qui ne faisait pas cas de la bagatelle ». Si la description est sévère (ne pas « faire cas de la bagatelle », signifie la trouver de peu d’importance, partant, se laisser aller au plaisir sans y prêter attention), elle est conforme au portrait d’Angélie dans l’Histoire amoureuse : « Elle était infidèle, intéressée et sans amitié. Cependant, quelque prévenu que l’on fut de ses mauvaises qualités, quand elle voulait plaire, il n’était pas possible de se défendre de l’aimer. Elle avait des manières qui charmaient. Elle en avait d’autres qui attiraient le mépris de tout le monde. Pour de l’argent et des honneurs, elle se serait déshonorée et aurait sacrifié père, mère et amant. »

La comtesse de Fiesque

19Cette cousine de Bussy appartenait à la cour de la Grande Mademoiselle, dont elle était dame d’honneur. Sa fonction lui fit connaître l’exil lorsqu’elle demeura auprès de la princesse à Saint-Fargeau avant que Louis XIV l’autorise à revenir à la cour. Autre lien avec Bussy, elle avait participé aux Divers portraits, recueil précieux composé pour la Grande Mademoiselle et imprimé à soixante exemplaires. Toujours comme son cousin, Gilonne d’Harcourt a redécoré son château de Fresney-le-Puceux.

20La comtesse de Fiesque figure dans l’Histoire amoureuse sous le nom de Fésique. Elle a droit ici à une présentation flatteuse : « Gilonne de Harcour (sic), marquise de Piennes en premières noces, et en secondes comtesse de Fiesques, femme d’un air admirable, d’une fortune ordinaire et d’un cœur de Reine ». Le visiteur admire d’autant plus son air admirable qu’elle est placée tout près de Bussy.

Bussy-Rabutin

21Au moins deux de ses amis parisiens possédaient son portrait (Mme de Scudéry et le comte de Guiche), mais celui du comte de Guiche le représentait en armure, comme dans la Salle des devises par Claude Lefebvre ou dans l’Antichambre des hommes de guerre, puisque le comte de Guiche regrette en avril 1670 « qu’il n’y ait point un cordon bleu sur la cuirasse ».

22Celui que l’on aperçoit en entrant dans la Tour dorée est de Juste d’Egmont. Il est antérieur à la disgrâce du modèle d’environ une dizaine d’années. Il est également intéressant de noter que Juste d’Egmont a travaillé pour la société que fréquentait Bussy, puisque le portrait de Mme de Gouville sort de son atelier.

23Ce tableau est trois fois singulier. Premièrement, Bussy est le seul homme figurant dans cet ensemble. Deuxièmement, il est le seul à la croisée de deux thèmes décoratifs, allégorique et historique. Troisièmement, le lambris qui l’encadre a reçu une ornementation spécifique. Bien que ses coloris reprennent exactement ceux des autres portraits, il s’en distingue profondément – l’unité de la salle n’exclut pas des différences marquées entre ses éléments. Ici, ni angelots, ni motifs de fleurs, mais une frise à la composition savante. Sur les côtés, une alternance de fausses toupies et de trois motifs : fleur de lys, monogramme de Louis XIV et cimier ; en partie supérieure, une alternance similaire à partir de chaque bord aboutit à placer au centre le lys et le cimier. Comment interpréter cet hommage au roi ? Il convient sans doute d’y voir d’abord une marque de fidélité, une proclamation de loyalisme, une offre de service ou un rappel des campagnes passées de Bussy car la juxtaposition du lys et du cimier semble bien associer le roi et le lieutenant général de ses armées, le monarque et son soldat. Le jeu des couleurs confirme cette association : alors que les toupies sont blanches, les autres motifs sont peints en or sur fond bleu, si bien que la juxtaposition du lys et du cimier repose d’abord sur une unité de couleur. Un manifeste, donc, mais un manifeste discret.

26Le cartel (« Roger de Rabutin, comte de Bussy, mestre de camp général de la cavalerie légère ») est conforme à la peinture, il n’est plus exact au moment où celle-ci est insérée dans le lambris, puisque Bussy a dû se défaire de sa charge pour sortir de la Bastille. Leur combinaison nous dit donc une double époque : celle d’avant la chute, c’est-à-dire entre 1653 et 1665, et plutôt le ministère de Mazarin que les débuts du règne personnel de Louis XIV ; celle de la reconstitution du passé dans le décor de la Tour dorée.

Mme de Montglas

Mme de Praslin

28Mme de Praslin a gratifié Bussy d’une fort belle copie de son portrait par les Beaubrun. Elle pose, une main relevant sa robe, l’autre tendue vers l’avant, avec en arrière-plan, les remarquables nuances d’un coucher de soleil derrière une ligne de collines. Le visiteur de 2020 ne peut manquer d’opérer le rapprochement avec les portraits de Marie-Thérèse d’Autriche, dans la série des portraits princiers, et de Mme de La Sablière actuellement présenté dans la chambre de Bussy. Nous verrons que la souscription soulève des questions troublantes.

Mme de La Baume

La maréchale d’Humières

30Cette correspondante de Bussy lui a donné un portrait par les Beaubrun. La jeune femme assise tourne légèrement la tête vers le spectateur, tandis qu’une main relève son manteau bleu au-dessus d’un bouquet dans les tons roses de sa robe.

31La maréchale d’Humières reçoit un traitement aimable : « Louise Antoinette Thérèse de La Châtre, fille d’Edme de la Châtre, colonel des Suisses, marquise d’Humières, dame du Palais auprès de Marie-Thérèse d’Autriche, femme d’une vertu qui sans être austère ni rustique, eust contenté les plus délicats. » Si Bussy ne nomme pas le maréchal, que Louis XIV créera duc en 1690, il rend volontiers hommage à sa cousine, qui fut son amie avant d’intercéder en sa faveur ; elle intervint notamment auprès de son époux pour favoriser les débuts dans la carrière militaire d’Amé-Nicolas, le fils aîné de Bussy.

Les sœurs d’Angennes

32La brune et la blonde, chacune « bénéficie » de sa légende. Celle de la brune maréchale de La Ferté, à droite, est réservée : « Magdeleine d’Angennes, Maréchale de La Ferté-Seneterre, belle et de bonne intention, mais à la conduite de qui les soins d’un mari habile n’ont pas été inutiles. » La blonde Mme d’Olonne, à gauche, reçoit la légende la plus célèbre du château : « Catherine d’Angennes, comtesse d’Olonne, la plus belle femme de son temps, mais moins fameuse pour sa beauté que pour l’usage qu’elle en fit. » Bussy prétendait qu’une telle présentation aurait également convenu à une jeune femme qui aurait caché ses charmes au fond d’un couvent, mais il le croyait si peu qu’il l’appliquait à l’héroïne inconstante et vénale de l’Histoire amoureuse. Reste que cette belle copie d’atelier d’une œuvre de Juste d’Egmont fait face au portrait de Bussy, ce qui lui confère une importance particulière dans l’organisation du décor, d’autant que par son format, elle est la seule dont nous puissions avoir l’absolue certitude qu’elle occupait cette place du temps de Bussy.

Des portraits absents

Les portraits envoyés

Son portrait a figuré dans l’exposition Les Beautés de Louis XIV : encore un atelier des Beaubrun !

37Non seulement nous savons qu’Anne Harville Palaiseau, duchesse d’Orval, a donné à la première sollicitation, son portrait et qu’elle l’avait fait faire en janvier 1668, mais le château de Bussy en conserve une réduction, ou le seul buste.

38Dans cette toile, copie (du xviii^e siècle ?) d’une œuvre de Louis-Ferdinand Elle, la duchesse ramène un voile sur le décolleté de sa robe rose. Elle ne porte ni bagues, ni collier, ni boucle d’oreilles.

40Celui-ci est resté au château ; il a été retrouvé grâce à l’inscription : il s’agit du portrait inclus dans le triptyque Rouville-Sévigné-Grignan de la chambre.

Les possibles

Les souscriptions

46Les inscriptions valent d’abord par leur esprit. Il arrive aussi qu’elles apportent des informations sur la réalisation de la galerie. Elles ont surtout valeur d’enseignement.

Les leçons des messages

47La première leçon des souscriptions est chronologique. Le remariage de la duchesse de Châtillon est signalé, qui a été célébré en 1664. Autre indice pour la datation : qualifier Mme d’Humières de marquise et non de maréchale suppose une rédaction antérieure à 1668. Le cartel de Mme du Plessis mérite attention : « Marie de Beauvoir le Loup, femme de N. de Choiseul, duc de Plessis-Praslin, jolie, vive fort éclairée et particulièrement sur les défauts d’autrui, grande ménagère de son amitié, mais ne ménageant rien pour ceux à qui elle la donne. » Après son veuvage, survenu en 1672, Marie de Beauvoir Le Loup se remarie avec René Gillier, marquis de Clérambault. Or Bussy connaissait bien les Choiseul et encore mieux Marie de Beauvoir Le Loup, qui était sa cousine. La souscription, qui pourrait avoir été retouchée, aurait donc été composée avant ce remariage en juillet 1673.

49Comme l’a montré l’identification des parentes et amies qui ont donné ou promis leur portrait, la Tour dorée n’a pas pris son aspect définitif aussi rapidement que le laissait imaginer la description de Bussy. Si la décoration en a été entreprise dans les débuts de l’exil, sans doute vers 1668, elle n’a formé ensemble que progressivement. Là réside l’une des explications de la diversité que l’on y remarque.

La raison de la diversité

Isabelle Cécile Huraut de Cheverny, marquise de Montglas, qui, par la conjoncture de son inconstance, a remis en honneur la Matronne d’Éphèse et les fames d’Astolphe et de Joconde.

51Bussy se réfère ici aux fables antiques. Dans le Satyricon, Pétrone raconte l’histoire d’une veuve de grande vertu, rendant tous les devoirs à son époux qu’elle ne cessait de pleurer, et qu’un soldat finit par consoler si bien, qu’elle substitua sur le gibet la dépouille de son mari à celle du brigand que le soldat était chargé de garder. La célébrité (la fame) d’Astolphe, roi de Lombardie et de Joconde, son compagnon n’est pas moindre. Dans cette histoire, contée par l’Arioste dans le Roland furieux, sa femme annonce à Joconde qu’il la retrouvera morte quand il reviendra de la cour du roi Astolphe, mais, quand il retourne sur ses pas, elle dort entre les bras d’un domestique ; comme il découvre ensuite que la reine trompe le bel Astolphe avec un nain, les deux hommes voyagent ensemble, mais, réalisant qu’une maîtresse de rencontre les trompe tous deux, ils décident de revenir chacun à son épouse.

52On croit comprendre que Bussy dénonce non seulement l’inconstance de la traîtresse, mais surtout le moment (la conjoncture) qu’elle a choisi pour l’abandonner : durant son emprisonnement à la Bastille. Il semble difficile de prétendre que cette formulation est à double sens. Elle apparaît délibérément injurieuse, de même qu’étaient vengeresses les devises de 1667 désormais partagées entre la Salle des devises et l’Antichambre des hommes de guerre. Il faut pourtant opposer ici Bussy à notre vision de Bussy. En effet, est-ce bien le contempteur de l’Infidèle qui écrit ainsi à Mme de Sévigné :

• 36 Mme de Sévigné, Correspondance, op. cit., t. I, p. 90, Bussy à Mme de Sévigné, Bussy le 9 juin 1668

J’attends ici un de ces maris dont la tête n’est pas incommodée de corniches ; ce qu’il y porte va dans le superlatif. Je voudrais bien vous faire connaître le personnage sans vous le nommer. Il n’est pas si beau qu’Astolfe ni que Joconde, mais en récompense, il est quatre fois plus malheureux. Ne le connaissez-vous pas à cela ? […] Y êtes-vous ? C’est un mari dont le malheur m’est particulièrement connu. Oh ! pour celui-là, vous y êtes. Je défie Beaubrun de le peindre plus au naturel.36

53Voilà ainsi le nouvel Astolphe à Bussy, devant le portrait de son épouse infidèle, avec le maître et la maîtresse des lieux, car Louise de Rouville vit alors au château. Outre qu’elle fournit un terminus a quo pour la datation du décor sans doute postérieur, cette annonce relativise la portée du trait.

54Par conséquent, l’on n’en conclura pas à un écart systématique entre les portraits et leurs légendes. Dans leur double portrait, la maréchale de La Ferté pose la main sur le bras de la comtesse d’Olonne, comme pour la retenir. La maréchale de La Ferté est notamment connue pour avoir été la maîtresse de Charles-Paris de Longueville, dont elle a eu le chevalier de Longueville. Le contraste est piquant entre les souscriptions et le geste tendre de la maréchale de La Ferté : si elle peinait à se conduire toute seule, comment aurait-elle pu conduire la comtesse d’Olonne et de quel mari a-t-elle suivi les conseils quand celui de sa sœur était son amant ?

55Dans ces conditions, l’alternance des commentaires pourrait simplement viser à la variété. Elle pourrait aussi renvoyer à d’autres compositions de Bussy. Le rapprochement avec l’Histoire amoureuse des Gaules s’imposait, au point que nous avions admis l’idée que le Bussy héros de roman s’était représenté parmi ses belles héroïnes. La réalité est pourtant infiniment plus nuancée.

Tableau n° 1. Affinités romanesques

	Histoire amoureuse
Mme de Montmorency
Mme de Gouville
Duchesse de Chatillon	Angélie
Bussy-Rabutin	Bussy
Comtesse de Fiesque	Céfise ou Fésique
Mme de Montglas	Bélise
Mme de Praslin
Mme de La Baume
Maréchale d’Humières
Madeleine d’Angennes
Catherine d’Angennes	Ardélise

56L’intervention de Mme de La Baume a coûté cher à Bussy mais si le roman que cette autre infidèle a eu soif de lire parle de ses amies proches, il l’ignore celle-ci. La dimension romanesque est présente dans ce salon et non prégnante. Elle propose un indice auquel la disposition de la série donne sens.

57La présentation des bonnes amies ne se prêterait d’ailleurs pas à une telle interprétation. Bussy lui-même est entouré par deux femmes très différentes : la comtesse de Fiesque au « cœur de reine » à droite, l’inconstante Montglas à gauche. L’on notera que les deux femmes sont tournées vers lui mais, alors que la comtesse de Fiesque semble l’écouter, Mme de Montglas, détourne le visage vers la salle. Voici mise en place l’alternance entre la bonne amie et la moins bonne, voire la traîtresse, alternance qui fonctionne de portrait en portrait.

58Quoiqu’édifiant, l’effet de contraste ne justifie pas la décision de conserver dans la plus belle pièce du château le portrait de femmes qui l’avaient déçu. Le premier élément de réponse tient dans le constat que les belles amies ne forment qu’un niveau du décor et que ce niveau comportait sans doute deux rangées de portraits ; par conséquent, il est indispensable de tenir compte du reste du décor qui donne sens à chacun de ses éléments.

Des belles amies aux allégories

59Partons des souscriptions des trois portraits de Mme de Sévigné.

Tableau n° 2. Légendes sévignéennes

Galerie	Marie de Rabutin, une des plus jolies filles de France, épousa Henri de Sévigné, gentilhomme de Bretagne, ce qui fut une bonne fortune pour lui, à cause du bien et de la personne de la demoiselle.
Chambre	Marie de Rabutin, vive, agréable et sage, fille de Celse-Bénigne de Rabutin et de Marie de Coulanges, et femme de Henri de Sévigné
Tour dorée	Marie de Rabutin, fille du baron de Chantal, marquise de Sévigné, femme d’un génie extraordinaire, et d’une vertu compatible avec la joie et les agréments

61L’exilé, qui s’est placé face à la porte, se présente en soldat, en officier général. Il ne revendique qu’une qualité, celle de mestre de camp général de la cavalerie légère. Certes, le portrait à la romaine suggère une parenté avec les épisodes bucoliques de l’Astrée, mais Bussy dit de lui autre chose. Il reste le soldat, qui ne consacrait à la galanterie que le temps des quartiers d’hiver, entre deux campagnes, le digne héritier des François et des Léonor entre lesquels il est représenté au plafond. Ainsi ne faut-il peut-être pas imaginer qu’il célèbre ici les jeux de l’amour et les succès qu’il y a rencontrés. La place choisie pour son portrait souligne la dimension allégorique du décor de la Tour dorée.

62Bussy est clairement situé à la croisée d’une colonne reliant les allégories du plafond aux panneaux mythologiques et d’une ligne ou d’une double ligne de portraits contemporains. Pourquoi supposer une rupture de sens dans le registre médian où il s’inscrit ? La nature du cadre, le choix des motifs (le lys, le cimier et le monogramme royal) plaident au contraire pour un refus de l’anecdote.

63Il est tentant, surtout à cause du portrait de Mme de Montglas, de percevoir l’expression d’une puissante nostalgie ou d’une envie de retour ; il serait plus précis d’y voir une forme de retour sur soi. Il faut en effet toujours se rappeler que Bussy est le premier lecteur de ces légendes, et que, loin de réserver un sort particulier à ses portraits féminins, il inclut leurs légendes dans les savoirs qu’il souhaite que ses enfants possèdent. Il importait de dire le bien et le mal, les vertus et les vices de personnes que l’on croise nécessairement, auxquelles l’on est parfois apparenté.

64À y bien regarder, les réserves de Bussy sont toutes du même ordre. Il dénonce l’infidélité de femmes qui avaient oublié ce qu’elles devaient à leur dignité. Telle est la critique essentielle adressée à Mme de Montglas, à Mme de La Baume, à Mme d’Olonne. L’on mesure ici la pleine signification du cartel de la maréchale de La Ferté : de bonne intention, et qui a su bénéficier des conseils d’un habile homme ! Quelle différence avec Mme de Montmorency, supérieure à son époux !

Portraits princiers

68Cet ensemble recèle de nombreuses surprises. On les découvrira en procédant comme pour tous les autres niveaux, en commençant à gauche de la porte et en tournant vers la droite.

Les portraits

69Les portraits seront désignés par l’identification proposée par la souscription.

Marie-Thérèse d’Autriche

Philippe de France

71« Philippe de France fils de Louis13^me », annonce la souscription – on remarquera qu’elle présente le prince par rapport à Louis XIII et lui refuse le titre de duc d’Orléans, qu’il prit à la mort de son oncle Gaston. Au demeurant, si le pli de la bouche charnue laisse imaginer une moustache à la royale, la lèvre est glabre.

72Le sujet est peint à la romaine mais porte perruque, comme sur le portrait en pied par Mignard conservé à Chambord. Il tient une lance dans la main droite ; le bras gauche est tendu, impérieux. Une telle description conviendrait tellement mieux à Louis XIV ! L’on n’est pas très loin de la gravure de Pierre Lepautre, illustrant L’Homme de cour d’Amelot de La Houssaye (1684). Le costume à l’antique orienterait vers la peinture allégorique, telle cette allégorie à la gloire du roi dont une réduction est conservée au musée Ingres. Toutefois, il est hors de doute que nous voyons bien ici le frère du roi tel qu’Henriette d’Angleterre représentée en Minerve en tient le portrait en buste dans une toile d’Antoine Mathieu visible à Versailles.

Henriette d’Angleterre ?

73La mort de la première épouse de Philippe d’Orléans avait frappé les esprits, et son oraison funèbre par Bossuet est restée fameuse (« Madame se meurt, Madame est morte… »). Cette princesse comptait indéniablement parmi « les plus belles femmes de la cour », elle aurait donc eu sa place dans la Tour dorée. Cependant son identification pose problème, parce que la jeune princesse avait épousé le duc d’Orléans en 1661 et que la coiffure de notre modèle est Louis XIII – c’est celle qu’arbore Diane de Cugnac, la mère de Bussy dans ses deux portraits, celle que l’on retrouve sur l’estampe de Moncornet (ill. 8). Il s’agirait de Marie de Bourbon-Montpensier duchesse d’Orléans. Mariée en 1626 à Gaston d’Orléans (Monsieur), Madame meurt l’année suivante après avoir donné le jour à la Grande Mademoiselle.

Le Régent

74Fils des deux précédents, Philippe II d’Orléans, neveu de Louis XIV, est représenté en officier général, c’est-à-dire avant son accession à la régence en 1715. Une large écharpe de commandement est nouée à sa ceinture, sous le corselet sombre. Brandissant un bâton fleurdelysé, il désigne de l’autre main un point en contrebas. Son costume, son attitude, correspondent à ceux du portrait par Van Loo (Musée d’Orléans), mais à Bussy une perruque beaucoup plus Louis XIV empâte le visage. Deux sources sont possibles, Jean-Baptiste Santerre ou Hyacinthe Rigaud. Le premier, dans la toile du Prado, a retenu une pose proche de celle que l’on voit dans la Tour dorée. Le buste a été reproduit par Claude Duflos en 1715, avec la toison d’or en sautoir sur l’armure (ill. 9).

75Par cohérence avec le portrait dit de Louis XIV de notre série, l’hypothèse d’une référence à Hyacinthe Rigaud apparaît néanmoins plus vraisemblable, d’autant que le peintre catalan a utilisé cette pose pour plusieurs toiles, en particulier pour Louis I^er d’Espagne (ill. 10).

La Palatine, 2^e femme de Philippe d’Orléans

76Malgré les bandes de papier de protection dissimulant son visage, l’on distingue nettement son attitude : corps de face mais visage tourné à gauche, la princesse est vêtue d’une magnifique robe dont les motifs floraux sont rendus aussi finement que les dentelles des crevés de la manche ; de la main gauche, elle relève son manteau fleurdelysé. Si la coiffure que l’on devine peut-être celle de la Palatine peinte par de Troy, la maladresse de son geste suggèrerait un modèle jeune, telle la duchesse de Bourgogne ou la propre fille de la Palatine, la duchesse de Lorraine vue par le même de Troy.

Gaston d’Orléans

77Le duc d’Orléans de la Fronde est peint en pied. En armure, il tient un bâton de commandement d’une main et porte un brassard à l’autre bras. Sa croix de l’ordre du Saint-Esprit est en sautoir, presque cachée par le bras droit. Le prince se tient devant un rideau qui découvre une scène de bataille. Derrière des cavaliers qui chargent, s’élèvent des remparts dominés par des montagnes, paysage qui évoque plutôt le siège de Corbie en 1636 que la campagne des Flandres de 1644. Gaston apparaît jeune encore, quoique plus mûr que dans ses portraits au moment du siège de La Rochelle. La souscription irait dans ce sens, puisqu’il est qualifié de frère de Louis XIII et non d’oncle de Louis XIV.

Princesse de Condé

79Légèrement décalée sur la gauche par rapport à la comtesse de Fiesque, la princesse de Condé. Charlotte de Montmorency, épouse d’Henri II et mère de Louis II de Condé. La princesse, assise dans un fauteuil, tient à la main un livre de dévotion. Très proche de certaines figurations de la reine Anne d’Autriche dans les années 1660, ce portrait en veuve pieuse paraît avoir la même source que les gravures par Michel Lasne et Cochin ou par Daret (ill. 11).

Henri II de Condé

81Le portrait de Bussy est placé sous ceux des deux princes de Condé qu’il a servis.

Louis II de Condé

Richelieu

83Pleinement cardinal et pleinement ministre, le Richelieu de Bussy est assis à sa table ; des plans à la main, il se tourne vers le visiteur sans se détourner de ses responsabilités.

84La similitude avec des portraits de Mazarin est trompeuse. Ce Richelieu ne dérive pas des portraits de Champaigne, y compris celui que reproduit Vulson de La Colombière. Cependant, le fait que le cardinal soit assis, qu’il porte l’aumusse et que l’ordre du roi soit absent ou caché constituent autant d’indices. L’on trouvera plus de similitude avec la gravure par Claude Mellan (ill. 13) et l’on remarquera une exacte ressemblance avec le portrait de Mazarin dans sa galerie par Nanteuil (ill. 14) ; l’on apprend ainsi qu’à Bussy, Richelieu tient à la main des plans de citadelles : pour une fois, c’est Richelieu qui se sera glissé dans le costume de Mazarin !

Louis XIII

85Le Louis XIII de Bussy est un roi de guerre. Se détachant sur fond de tenture rouge, son armure noire est éclairée par un grand col de dentelle ainsi que par l’écharpe blanche de commandement passée en travers de sa poitrine. Le Juste tient son bâton de commandement d’une main, l’autre s’appuie sur le casque sommé de cinq plumes blanches.

86Notre tableau évoque évidemment le portrait de Philippe de Champaigne. Plutôt qu’avec le portrait du Musée Carnavalet, dont le col diffère, il doit être mis en rapport avec la gravure que donne Vulson de La Colombière d’après celui qui figurait dans la galerie du Palais Cardinal (p. 326) et que l’on peut maintenant voir au Louvre. Or c’était le vainqueur de La Rochelle (1628) qui était représenté chez Richelieu. Bussy propose une copie d’un autre portrait : celui-ci avait été commandé en 1639 par un Phélypeaux, le seigneur de La Vrillière et marquis de Tanlay, lequel l’exposa dans son célèbre hôtel parisien.

Anne d’Autriche

87Vêtue d’une robe noire et portant la coiffe des veuves, la reine n’arbore aucun signe de majesté, sinon le placet qu’elle tient à la main. Le portrait que les Beaubrun ont réalisé en 1659 a très souvent été interprété (ill. 15, par Larmessin).

Jules Mazarin

89Le principal ministre du jeune Louis XIV debout devant une table tend la main vers sa barrette, dans une attitude voisine de celle de Richelieu dans son portrait le plus célèbre, portrait en pied par Philippe de Champaigne (vers 1639).

90Rouge de la lourde tenture, pourpre de la robe cardinalice, mais blancheur fourrée de l’aumusse et transparence du col de dentelle, notre copie respecte à la lettre la composition de la peinture originale, gardant au ministre toute la dignité de sa fonction.

91Le château de Versailles conserve un portrait très semblable au nôtre par Le Nain. Mais est-il le modèle de celui gravé en 1656 par Robert Nanteuil, lequel a gravé pas moins de quatorze portraits du cardinal ? Notons la grande proximité avec le Cardinal dans sa galerie de tableaux et d’antiques gravé en 1659 (ill. 14) : port de l’aumusse et mouvement similaire de la main droite, mais pour tenir une carte. Notons surtout que le Mazarin peint à la balustrade d’un balcon par Philippe de Champaigne en 1650 ne diffère du notre que par l’objet qu’il tient : un missel et non la barrette (comme pour Richelieu…). L’inversion par rapport au modèle est un argument supplémentaire en faveur de cette identification.

Louis XIV ?

Hétérogénéité des légendes

93Comme dans les registres inférieurs, les souscriptions manquent d’homogénéité. L’on relèvera trois grandes différences. La première tient à leur présentation. Elles sont toutes peintes en trompe-l’œil, sur la toile, mais pour la plupart, elles sont séparées du portrait par une étroite bande simulant le relief du cartel, celle de Philippe de France étant inscrite dans un cartouche. Deuxième différence, certaines sont purement indicatives, d’autres instructives. Troisième différence, l’orthographe varie, de même que les caractères, pour Philippe de France par exemple.

Tableau n° 4. Les souscriptions

Marie-Thérèse d’Autriche	Marie Thérèse d’Autriche femme de Louis XIV.
Philippe de France	philippes de France fils de Louis13me.
Henriette d’Angleterre	Henriette Anne d’Angleteře 1re femme de Philippe de France.
Le Régent	Philippe D’orléans Régent du Royaume -│-
Princesse Palatine	Elisabeth Charlotte Pcesse Palatine Dchesse d’Orléans 2me femme de Philippe de France.
Gaston d’Orléans	Gaston de France Duc d’Orléans frère de Louis 13
Princesse de Condé	Charlotte Marguerite de Monmorancy fille de Henry de Monmorency connetable et femme de Henry de Bourbon prince de Condé.
Henri II de Condé	Henry de Bourbon Prince de Condé.
Louis II de Condé	Louis de Bourbon duc d’Enguien et puis prince de Cõdé.
Richelieu	Armand Jean Duplessis Carñal Duc De Richelieu.
Louis XIII	Louis Treize
Anne d’Autriche	anne D’Austriche femme de Louis treize.
Jules Mazarin	Jules Mazarin Cardinal.
Louis XIV	Louis XIV. roy de France. les délices et la terreur du genre humain.

94Plus que cette hétérogénéité, l’on retiendra les incompatibilités entre certaines souscriptions, portées directement sur la toile, et le sujet représenté : Henriette d’Angleterre, Louis XIV et, peut-être, la Princesse Palatine. Ces discordances sont accentuées par une médiocre insertion dans le lambris : certaines souscriptions sont de travers (Louis XIII, Louis XIV), les derniers caractères d’autres sont masqués (ici la syllabe finale du second Montmorency, là le 3 de Louis 13).

96Bref, les souscriptions, qui s’intègrent dans le système décoratif du château, soulignent le caractère rapporté des portraits princiers du registre supérieur. Or ceux-ci rompent les continuités entre les lambris et le plafond.