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AccueilNuméros84ÉditoPeuples, biodiversité et savoirs

Texte intégral

  • 1 Marie-Angèle Hermitte, Isabelle Doussan, Sébastien Mabile, Sandrine Maljean-Dubois, Christine Noivi (...)

1La conservation de la biodiversité opérée par les populations a été fortement débattue lors de la quinzième Conférence des Parties (COP15) de la Convention sur la diversité biologique (CDB), tenue en décembre 2022 à Montréal, en présence de multiples acteurs tant de la « société civile » que des organisations internationales. Le nouveau cadre mondial pour la biodiversité (GBF, Kunming-Montréal Global Biodiversity Framework) qu’elle a permis d’adopter ouvre des perspectives pour la décennie à venir ; la négociation de ses 23 cibles s’étant articulée autour de la mise en place d’un changement transformateur focalisé sur le respect de la nature. S’appuyant sur des preuves scientifiques démontrant que la protection de la biodiversité sur les territoires gérés à partir des savoirs locaux dépassent les résultats des approches ‘conservationnistes’, les « territoires autochtones et traditionnels » sont devenus une des modalités retenues pour atteindre l’objectif recherché de protection de 30% des espaces terrestres et maritimes d’ici 2030 à l’échelle du globe (cible 3 du GBF). Cette inscription entre en écho avec la « Théorie du changement » (Section E du Cadre mondial) et en résonance avec les motions adoptées lors du Congrès mondial de l’Union internationale pour la conservation de la nature (IUCN) tenu à Marseille en 2021 – et notamment avec la Motion 048 intitulée « Renoncer à la Doctrine de la découverte pour redécouvrir comment préserver la Terre nourricière » qui invite les dirigeants de tous les pays à promouvoir de nouveaux paradigmes qui tiendront compte du savoir des peuples autochtones et des communautés locales dans la lutte pour le respect et la sauvegarde du vivant. La participation de ces populations aux discussions et négociations internationales relatives à la conservation met en relief combien la diversité culturelle enrichit la lutte contre la crise climatique et contre l’extinction de la biodiversité par la variété des expériences qu'elles portent (ou apportent). Les travaux de la convention sur la diversité biologique autour de l’article 8(j) sur les connaissances, innovations et pratiques traditionnelles ont, un temps, pu être présentés comme mus par « la découverte par l'Occident d'une vision autochtone du monde »1. Toutefois, les réunions et les sommets internationaux de protection de l’environnement, s’ils font état de l’apport des savoirs et des pratiques des populations autochtones et locales à la sauvegarde d’un patrimoine « écologique », s’ils encadrent les pratiques dans l’accès aux populations et à leurs savoirs, ils le font dans un cadre institutionnel et législatif qui, tant par ses instruments (traité, loi, contrat) que dans sa manière de percevoir et d’inscrire les pratiques, savoirs et valeurs de ces populations, est éloigné de la logique de ces dernières. Sous couvert d’équité, la ‘Communauté internationale’ prétend faire entrer un objectif de conservation énoncé dans une autre ontologie, une autre écologie, dans le cadre de la régulation juridique classique sans chercher à transformer le cadre épistémologique dans lequel il prend place.

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  • 3 Pierre Dardot et Christian Laval, Commun. Essai sur la révolution au xxie siècle, La Découverte, Pa (...)

2Ce constat rend compte d’un grave problème pour le droit qui n’arrive pas à effectuer son ‘escape from model land’2. Pris comme analyseur, le droit révèle des dysfonctionnements dans des situations dans lesquelles il est lui-même mobilisé pour garantir un principe d'équité ; des dysfonctionnements liés à son instrumentalisation … au détriment du principe d'équité même. Car, ce faisant, la conservation de la diversité biologique atteste combien la Nature est un construit social qui relève d’un ensemble de pratiques et de valeurs liées à des conceptions du monde ; lesquelles peuvent faire communauté – culturelle, locale, nationale, internationale3. Assise, même en partie, sur les savoirs et les pratiques, la conservation de la diversité biologique nécessiterait de se fonder sur une connaissance des phénomènes sociaux et culturels tels qu’ils ont lieu dans les sociétés. Cela supposerait de reconnaître l’autre (humain, système juridique et politique, source du droit, etc.) dans son existence, par et pour lui-même et selon ses propres termes. En prenant acte de ce qui est pour essayer de comprendre les différentes réalités sociales et sociétales, on pourrait espérer comprendre et apprendre des « autres façons de conserver ». Or, on s’aperçoit que les compétences et apports des scientifiques sont fragilisés par les cloisonnements entre les sciences naturelles, les sciences de la vie et les sciences humaines et sociales. Situation de fragilisation qui favorise une autre instrumentalisation, celles des scientifiques, en même temps qu'une relative sous-considération à leur égard propice à réduire la puissance des effets a priori bénéfiques de la posture et de la pratique interdisciplinaires, déjà complexes au sein du monde scientifique.

3Le dossier « Les normativités transformatrices des systèmes semenciers », coordonné par Christine Raimond, Morgane Leclercq, Sélim Louafi illustre parfaitement ces enjeux. En mettant en relief le lien entre les populations locales et les variétés végétales, il souligne une valence environnementale plus large que le droit international et le droit des États ne la considèrent habituellement, tout en mettant au défi le droit et les savoirs scientifiques ; ce que le Point de vue porté sur la Solidarité écologique tend à confirmer par la mise en œuvre d'un regard anthropologique, en soutien à l'analyse menée en droit positif.

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Notes

1 Marie-Angèle Hermitte, Isabelle Doussan, Sébastien Mabile, Sandrine Maljean-Dubois, Christine Noiville, Florence Bellivier, « La convention sur la diversité biologique a quinze ans », Annuaire français de droit international, volume 52, 2006, p. 384

2 Erica Thompson, Escape from model land How Mathematical Models Can Lead Us Astray and What We Can Do About It, John Murray Press, London, 2022

3 Pierre Dardot et Christian Laval, Commun. Essai sur la révolution au xxie siècle, La Découverte, Paris, 2014

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Pour citer cet article

Référence électronique

« Peuples, biodiversité et savoirs »Droit et cultures [En ligne], 84 | 2022-2, mis en ligne le 12 juillet 2023, consulté le 28 septembre 2023. URL : http://journals.openedition.org/droitcultures/8313 ; DOI : https://doi.org/10.4000/droitcultures.8313

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