Introduction

1Si les concepts « dispositif » et « médiation » sont souvent définis de manière proche parce que pensés dans leur articulation, par exemple au travers de la notion d’intermédiaire ou d’entre-deux, pour autant ils ne représentent pas les mêmes enjeux théoriques et pratiques et peuvent même être objets de controverse. En effet, tant du point de vue de la recherche, que de celui de leurs utilisations dans le domaine empirique, ces concepts ont fait l’objet au cours du temps de diverses controverses et usages dans les champs scientifiques de l’éducation ou dans les champs proches. Ainsi le dispositif et la médiation sont tantôt objet de recherche tantôt mise en forme de la démarche de recherche (notamment dans les recherches collaboratives). Ce flottement d’usage est-il issu de leurs origines épistémologiques, de leur définition théorique ou de leurs proxémies ? Pour étudier ces questions le symposium « dispositif et médiation » du colloque EFTS « mêlées et démêlées » (2017) a rassemblé plusieurs approches pour mettre au jour la controverse entre médiation et dispositif. Après avoir précisé les premiers éléments de cadrage de ces notions les problématisant en première partie, nous posons un certain nombre de questions de recherche dont les différentes contributions se sont emparées chacune sous un angle différent. Ces communications visent à éclairer ces concepts de médiation et dispositif, nous discutons en deuxième partie les éléments clés issus des discussions qui ont émergé dans cette confrontation. Dans une troisième partie, nous revenons sur le cadrage théorique de médiation et dispositif afin de discuter de leur usage comme objet scientifique ou démarche de recherche, avant de conclure provisoirement sur cet objet de controverse.

Problématique

2Comme le soulignent Peeters et Charlier (1999), « la notion de dispositif a pu être sujette à des variations de compréhension en fonction des contextes historiques et institutionnels. Elle s’est caractérisée par une relative plasticité qu’il ne convient pas de nier. Néanmoins, elle paraît connaître aujourd’hui une certaine stabilisation autour de quelques traits significatifs. Plusieurs auteurs soulignent aussi le caractère hybride de la notion. Elle serait le produit d’un travail de l’analyste ou du praticien qui cherche à faire des mises en correspondances, des articulations ». Creusant ce sillon, différents auteurs ont précisé comment le dispositif en tant qu’objet d’analyse d’autres processus, notamment de formation pouvait être opérationnel, et nous pouvons nous appuyer sur les caractéristiques développées par Albero (2010) posant trois dimensions : « le dispositif idéel en tant que projet fondateur qui oriente en permanence, souvent de manière implicite, l’activité des responsables et de certains intervenants ; le dispositif vécu par les acteurs dans sa mise en œuvre effective sur le terrain, selon les contextes spécifiques, les dispositions et les compétences ; le dispositif fonctionnel de référence, base commune de règles formelles et de cadres pratiques à partir desquels se mènent les négociations et se prennent les décisions ». De son côté Piot (2005) considère le dispositif pédagogique comme un espace où « l’élève comme un sujet cognitif intègre les dimensions plurielles de “l’apprendre” ». La médiation quant à elle renvoie à « milieu, intermédiaire, moyen » et c’est aussi d’emblée une notion large et d’une grande polysémie. La médiation est « l’articulation entre la dimension individuelle du sujet et de sa singularité et la dimension collective de la sociabilité et du lien social » (Mucchielli, 1995). Elle est aussi utilisée dans le sens de traduction, de connexion et de lien. Pour la sociologie de la traduction, ce concept engage à comprendre la médiation comme un fait d’alternance constructiviste et connexionniste. En d’autres termes, plus qu’un entre-deux médian, la médiation passe par toutes sortes de degrés reliant différents pôles quand elle est passage, comme un curseur instable, avec des phases de circulation, de stase, de réflexivité unipolaire, de feed-back réussis ou avortés, etc. dépendantes d’un sens à circonvenir dans l’interaction. On peut considérer la médiation comme un processus créateur d’un nouveau message, non arbitraire, qui implique un certain aménagement (dispositif) et constitue un passage, même si « ce qui se joue dans une situation de médiation ne concerne pas seulement une relation entre acteurs, mais un rapport au monde » (Jeanneret, 2008). Pour Vygotski (2012), le signe, tout comme le mot, est l’élément principal dans le processus de la médiation. Le signe se présente comme le point d’intersection de la psychologie, de la philosophie et de la linguistique. Il n’analyse pas la structure du signe, c’est la fonction du signe dans le développement des processus psychiques supérieurs qui est importante. Enfin nous pouvons considérer son lien intrinsèque avec les savoirs, car « la médiation est fondamentalement humaine et vise, dans le cas de l’éducation ou de la formation, à mettre en relation un ou des apprenants avec des connaissances et des savoirs, afin précisément qu’ils construisent un savoir propre » (Rinaudo, 2015).

3Peeters et Charlier (1999) avancent un paradoxe lié à la notion d’entre-deux qui amène à relier dispositif et médiation : « or, 1’entre-deux n’est pas fusion indifférenciée de deux pôles […], mais attestation d’un espace de médiation irréductible entre ces deux-ci. L’entre-deux ne dissout pas les pôles, il les met en relation. Le dispositif désigne le lieu d’une dialectique qui demande à être traitée pour elle-même et qui doit encore être véritablement thématisée. L’usage du concept s’intègre toujours dans le champ de l’instrumentalité. Cette évolution apparaît particulièrement sensible dans le champ de la pédagogie et de la médiation des savoirs ». Ainsi si « dispositif » et « médiation » peuvent être théoriquement rapprochés, qu’en est-il de leur usage dans le champ des recherches en éducation ? Sont-ils mobilisés comme objet de recherche ou comme démarche de recherche ? Dans un cas comme dans l’autre, comment ces deux concepts s’opposent-ils ou se complémentent-ils tant du point de vue théorique qu’empirique ?

4À partir de ces premiers éléments et pour tenter d’explorer ces questions nous abordons en quelques points clés comment les différentes communications du symposium ont permis de faire émerger quelques perspectives intéressantes.

Éléments de discussion à partir des différentes contributions

6Alain Vergnioux, philosophe, mobilise la notion de dispositif chez Michel Foucault et y articule des médiations internes et externes, dans le champ des recherches en éducation. Catherine Archieri et Marlène Manach s’appuient sur le cadre de l’analyse de l’activité en formation d’adultes : l’analyse des dispositifs est alors articulée à des médiations adressées aux destinataires de la formation. Pour sa part, Ariadna Ayala Rubio s’intéresse à l’élaboration d’un référentiel de formation doctorale envisagé comme dispositif, objet de médiation-négociation entre différentes catégories d’acteurs, dans une logique d’ingénierie de formation. Frédéric Beaubrun, sociologue, prend à bras le corps la question du symposium en interrogeant un dispositif d’apprentissage du français porteur de médiations culturelles dans l’espace caribéen. La question centrale au cœur de la réflexion d’Anne Lehmans et Vincent Liquète (sciences de l’information) est de caractériser les médiations entre dispositifs technologiques et usagers, à partir de l’exemple des données ouvertes en éducation. Jenny Papasotiriou pose un regard d’historienne pour poser la question de dispositif médiateur à propos d’un musée, le château de Dublin, et réinterroger les fonctions des institutions muséales. Julie Pinsolle problématise le lien ambigu entre dispositif et médiation dans le champ de l’éducation familiale, posant la possible interchangeabilité de ces deux notions à partir d’interventions de professionnels auprès de parents et de leurs enfants dans des situations complexes, notamment à partir du statut de la règle instituée en éducation. Quant à la sociologue Éliane Rothier Bautzer : elle propose de positionner les dispositifs au sein d’un réseau dont les médiations seraient des nœuds, à partir de l’exemple de la prise en charge des malades chroniques dans le cadre de parcours de soin. Isabelle Vivegnis et Liliane Portelance et leurs collègues cherchent à préciser, en formation initiale des enseignants au Québec, à partir d’un dispositif de formation constitué de capsules vidéo accompagnées de fiches thématiques, quelles sont les médiations à construire pour optimiser l’usage et les effets de ce dispositif. Sylvie Sognos, Cécile Gardiès et Laurent Fauré, à l’interface des sciences de l’information et des sciences de l’éducation se demandent dans quelle mesure la construction de registres sémiotiques entre acteurs au sein de dispositifs collaboratifs constitue un processus de médiations des savoirs. La contribution de Thierry Piot vise à repérer les fonctions attribuées aux notions de dispositif et de médiations dans le champ de la recherche et dans le champ des pratiques professionnelles.

7Au-delà des hétérogénéités dans les champs de pratiques, et s’appuyant sur cette hétérogénéité comme ressource, les échanges du symposium ont contribué à mettre en évidence les éléments de généricité et de pertinence du couple dispositif-pertinence dans des usages différents.

8Les notions de dispositifs et de médiations, l’un et l’autre polysémiques tant dans le champ de la pratique que celui de la recherche entretiennent des liens étroits dont, au-delà de leur diversité, les différentes contributions apportent des exemples.

9Un premier point à relever est leur complémentarité asymétrique : le dispositif porte en lui une dimension structurelle et fonctionnelle : il offre des points de repères réels ou symboliques et des règles, qu’il soit formel et institué ou informel et repérable par des usages récurrents. De son côté, la médiation a l’intérêt d’être caractérisée par une dynamique entre des instances hétérogènes. Sans dispositif, la médiation est volatile, difficile à identifier et se réduit à des interactions asymétriques de circonstance ; sans médiation, le dispositif est finalement une coquille vide, une structure vide de sens.

10Le couple dispositif-médiation est le plus souvent orienté, c’est-à-dire qu’il est ordonné, de manière explicite ou pas à des objectifs, possiblement à des valeurs et aux intentions de ses concepteurs, même si, à l’usage une forme de détournement par les acteurs reste possible. Ainsi, le couple dispositif-médiation n’est pas neutre, mais inscrit dans une vision – et parfois des injonctions – politique et/ou gestionnaire comme le montrent les exemples précédents.

11Sur un plan pragmatique, un dispositif et les médiations qui lui sont associées revêtent une dimension fonctionnelle : en général, ils constituent une réponse à un problème et les acteurs qui participent à cet ensemble attendent, en fonction de leur rapport à ce dernier une forme d’efficacité : le professionnel vise des objectifs que va réaliser la médiation vis-à-vis des bénéficiaires, sur le plan de la formation, sur le plan culturel… et les usagers qui empruntent le dispositif attendent, de manière plus ou moins explicite, une forme de bénéfice, de valeur-ajoutée par rapport à un projet de transformation. Si l’on suit Dewey (1938), le binôme dispositif-médiation est une forme de solution qui est élaborée pour répondre à un problème et d’un point de vue rationnel, cette solution est issue d’un processus de construction du problème dans ses différentes dimensions. On en attend une forme d’efficacité, voire d’efficience. Les médiations rendues opérantes et, d’une certaine manière, stables via la structure que constitue le dispositif doivent produire des effets auprès des usagers qui en sont destinataires, sachant que ces effets attendus peuvent être très divers comme en témoignent les exemples présentés précédemment.

12Parmi ces effets attendus, on peut repérer sinon une logique d’émancipation des acteurs, au moins une logique d’empowerment. Il ne s’agit pas en effet d’une médiation destinée à renverser les structures en place pour leur substituer un rapport de pouvoir alternatif, au sens marxiste du terme, mais bien d’une logique d’empowerment au sens classique d’un développement du pouvoir d’agir des acteurs : le couple dispositif-médiation s’inscrit – notamment dans le champ de l’éducation et de la formation – dans une logique de développement des compétences et d’expression des capabilities des usagers concernés. L’objectif est bien d’aider les usagers à augmenter leur autonomie en les aidant à acquérir des connaissances ou des habiletés, à prendre des décisions pour se gouverner de manière éclairée. D’ailleurs, l’avis et les retours des usagers s’avèrent être un point – parfois un point aveugle – important pour évaluer les dispositifs et les médiations qu’ils promeuvent. Avec les contradictions parfois vives entre les avis des concepteurs et ceux des usagers : là se joue un point politique important, celui des espaces dialogiques offerts aux usagers dans l’expression de leurs besoins auxquels les dispositifs sont censés apporter des réponses. C’est ce type de tensions que pointent par exemple les travaux de Tronto (2009), figure de la philosophie morale et politique contemporaine aux États-Unis, notamment sur les logiques du care dans le champ du social, souvent saturé de dispositifs d’intervention et de médiation de tous ordres. Car il faut le souligner, nombre de dispositifs s’adressent à des publics vulnérables et/ou des publics en transition, avec le risque d’un effet pervers d’une instrumentalisation possible. Les avis en retour des publics destinataires qui ont à faire avec les médiations et des professionnels qui participent à promouvoir ou à rendre possible les médiations au sein des dispositifs jouent alors le rôle de régulateurs potentiels.

13Un aspect connexe consiste à repérer dans quelle mesure le couple dispositif-médiation s’insère dans des parcours suivis par les sujets – on peut penser aux parcours de formation par exemple – et dont l’usage s’inscrit dans une certaine temporalité : les dispositifs sont alors relativement pérennes et sont traversés par des flux d’usagers qui sont acteurs des médiations, qui sur une étape de leur parcours vont bénéficier des médiations.

14Comme l’illustrent les contributions discutées, tout dispositif s’inscrit dans un environnement social, culturel, institutionnel et prend alors un caractère particulier. Il devient, au travers des médiations qu’il suscite, un sous-système sémiotique où sont échangés dans une logique communicationnelle, des signes et où se pose la question du sens pour les sujets. Les médiations ne consistent pas en un échange univoque d’informations comme c’est le cas entre deux ordinateurs reliés à internet dans une logique algorithmique de rationalité forte. La subjectivité des acteurs relève de la rationalité « faible » et donc d’une forme d’heuristique, qui concerne un problème ouvert dont la solution est à construire en cours d’action : le couple dispositif/médiation est inscrit dans un contexte singulier, avec des sujets qui ont une histoire, qui ont des projets, qui peuvent le cas échéant « résister » à l’intention des concepteurs du dispositif, voire peuvent détourner le dispositif, dans une logique de catachrèse. Ainsi, dans la médiation qui constitue un entre-deux, une forme de mise à disposition d’informations, la dimension herméneutique, c’est-à-dire d’interprétation subjective, est toujours présente si l’on s’inscrit dans une logique d’empowerment, au sens où ce terme concerne la capacité d’un sujet à comprendre une situation où il est engagé, à arbitrer entre différentes solutions et à décider laquelle il choisit : le sujet qui perçoit les signes les accepte, se développe dans une logique de rapport au monde qui reste ouverte et qui est toujours singularisée.

15C’est notamment le cas dans les dispositifs d’enseignement et de formation qui sont par définition offreurs de savoir. Les médiations, dans ce champ, peuvent être décrites comme à la fois pédagogiques et didactiques, afin qu’une forme de transmission s’opère et que le savoir générique, formalisé et disponible puisse se transformer en connaissance propre au sujet qui les intériorise et acquiert des ressources mobilisables. De ce point de vue, l’enseignement, dans le dispositif scolaire, met en jeu au moins deux médiations, à la fois symboliques et matérielles, comme le propose Houssaye (2000), la pédagogie est alors une médiation au service de la posture d’animation et de formation de l’enseignant qui prend en compte les apprenants dans leurs réalités sociales, cognitives, dans le contexte et la dynamique singulière des apprentissages, au service de ce que Bucheton et Soulé (2009) désignent par le tissage et l’étayage. En complément, de manière synchrone, la médiation didactique rend intelligible et accessible la logique propre au contenu de savoir. Pédagogie et didactique constituent une double médiation dynamique, instrumentée par des artéfacts du dispositif : l’institution scolaire, les programmes d’enseignement, les outils comme les manuels ou encore les technologies numériques participent à repenser en actes ces médiations. Quels que soient les médiations pédago-didactiques et les dispositifs au sein desquels elles se déploient, l’enjeu central consiste à engager les apprenants dans les apprentissages, de s’ajuster à leurs difficultés ou à leur progression, de décoder avec eux la question du sens des apprentissages.

16Pour conclure ce premier point, on peut rappeler que si le couple dispositif-médiations est polysémique, presque trop évident dans la pluralité de ses usages, il n’est pas vain de donner la parole aux usagers qui constituent un pôle des médiations dont il est question. Dans tous les exemples apportés précédemment, ils ont une présence discrète, mais stratégique. Si on les met en lumière en leur donnant la parole, ils sont plus que les destinataires et régulateurs potentiels des dispositifs, ils sont potentiellement, dans une logique humaniste, au cœur des dispositifs et des médiations associées. Au sens de l’agir communicationnel (Habermas, 1987), ils entretiennent un triple rapport avec ces derniers : un rapport objectif et rationnel sur les fonctions qu’ils leur accordent, un rapport intersubjectif – à travers la dimension sociale – avec des professionnels qui animent les dispositifs et offrent des médiations, ou avec leurs pairs, et un rapport subjectif qui concerne les transformations dont ils sont destinataires et qu’ils gouvernent plus ou moins, dans une logique complexe d’encapacitation potentielle, c’est-à-dire de mobilisation des capacités endogènes des acteurs pour assurer leur développement.

17À partir de ces réflexions issues des différentes contributions lors du symposium, nous proposons de préciser en quoi les notions de médiation et de dispositif sont complémentaires dans la démarche de recherche et en tant qu’objet scientifique.

Dispositif et médiation : objet scientifique ou démarche de recherche ?

Médiation

18La médiation est devenue un champ de recherche important dans le sens où les types de médiation ordonnent la production, la diffusion et l’appropriation de l’information au sein de l’espace public (Lamizet, 1995). Elle est aussi utilisée dans le sens de traduction, de connexion et de lien. Les procédures de médiation font donc l’objet d’études spécifiques ; la médiation est considérée comme une catégorie d’analyse, comme une « catégorie anthropologique, la médiation au singulier exprime une conception de la culture » (Jeanneret, 2008). « Médiation » est fortement lié à « dispositif », car ce dernier est étudié comme objet matériel médiateur, c’est-à-dire comme « l’ensemble des substrats matériels de la communication » (Jeanneret, 2005). Par ailleurs l’importance des différents composants humains ou matériels de la médiation est à souligner, même si on peut distinguer, comme le suggère Muchielli (1995), en plus des médiateurs habituels « des médiateurs sociaux « naturels » (normes, valeurs…), des médiateurs humains (négociateurs, chefs…), des dispositifs complexes (agencements matériels et géographiques, organisationnels et techniques…) ». On peut considérer la médiation comme un processus créateur d’un nouveau message, non arbitraire, qui implique un certain aménagement (dispositif) et constitue un passage, même si « ce qui se joue dans une situation de médiation ne concerne pas seulement une relation entre acteurs, mais un rapport au monde » (Jeanneret, 2008). Ce passage peut être une transformation (comme peut l’être un codage) sans perte de l’équivalence, mais en position d’une quasi-identité. Autrement dit, le signe de ce message qu’est la médiation est porteur d’une certaine matière informationnelle qui augmente les significations à réception. La polysémie introduite par la notion de médiation favorise ainsi l’interrogation sur le sens et l’appropriation du message initial même si le sens donné à réception n’est prévisible ni par l’émetteur ni par d’éventuels médiateurs, car « dans la circulation de sens intervient une multitude de variables indépendantes : c’est la définition même d’un système complexe » (Véron, 1991). Quand la signification de l’information est intentionnelle, elle est formée en vue de la meilleure lecture possible, mais oblige néanmoins à un savoir généralement culturel pour lire et comprendre. La médiation « fournit des outils pour décrire avec une certaine précision les processus d’information-communication ; elle permet de requalifier socialement les dynamiques et régimes de la culture ; elle conduit le chercheur à interroger sa propre place dans la circulation sociale des savoirs » (Jeanneret, 2008).

19La médiation comprend une dimension symbolique et une dimension logistique, elle peut se définir comme une communication médiatisée et en ce sens comprend également une dimension sociale, technique et langagière. Ainsi « chaque médiation anticipe et conditionne les pratiques, mais reste irrémédiablement marqué par l’hétérogénéité et l’incertitude » (Jeanneret, 2008).

Dispositif

20Les dispositifs peuvent être considérés comme des « artefacts communicationnels qui amplifient la communication, organisent l’interaction humaine, modifient les modes de production de gestion et de traitement de l’information » (Agostinelli, 2009) ; ils sont donc, eux-mêmes indissociables de médiateurs (Muchielli, 1995). Ces médiateurs fonctionnent comme des « organisateurs » latents de la communication. Les dimensions sociales et techniques du dispositif se composent d’acteurs, de techniques et d’objets matériels en interaction permanente et dans un contexte défini. On peut dire que le dispositif représente les liens entre la communication et l’information ainsi que les processus de médiation. Ainsi, le dispositif info-communicationnel participe à la construction des connaissances en appréhendant l’organisation des savoirs proposée. En effet, un dispositif propose, via une forme d’énonciation, un lieu de structuration des connaissances, de réception et d’appréhension de l’information. L’activité de communication, quasi-permanente dans notre société, est intrinsèquement liée à celle d’information au point de se confondre parfois avec elle. Dans le processus de communication de l’information, si le récepteur joue un rôle primordial, car il ne s‘agit pas de simple transmission de sens, le médiateur, par la mise en place de processus destinés à faciliter l’appropriation de l’information au sein de communications sociales multiples, a un rôle tout aussi primordial si l’on considère la situation « plutôt comme une médiation prenant la forme d’un faisceau d’instructions destinées à rendre possible, voire à déclencher, la production de significations par le lecteur » (Leenhardt, 1994). Le concept de « dispositif », au sein des sciences de l’information et de la communication s’envisage donc dans un processus social de communication : « on ne peut imaginer un dispositif qui ne soit conçu et aménagé par les hommes à travers leurs rapports de communication ; réciproquement, ce sont les dispositifs qui donnent forme aux rapports de communication et ceci selon les différents aspects sous lesquels on peut les envisager » (Meunier, 1999). Étudier un dispositif dans sa complexité c’est repérer et comprendre « la nature du lien qui peut exister entre ces éléments hétérogènes » (Foucault, 2001) en posant en son centre la « communication [qui] suppose une organisation, repose sur des ressources matérielles, engage des savoir-faire techniques, définit des cadres pour l’intervention et l’expression » (Jeanneret, 2005). On le voit, un dispositif ne peut s’interroger simplement comme une organisation linéaire d’opérations mentales réputées décomposables, mais plutôt en mettant en avant l’interaction, en tant qu’objet de connaissance, en capacité de changer notre système de représentation du réel. Ainsi, le dispositif désigne un « entre-deux », une figure intermédiaire cherchant à trouver une position qui réclame une appropriation pour un projet personnel. Usagers et concepteurs participent à la définition du dispositif qui certes, les contraint, mais qui construit, par là même, une part de leur identité et de leur être singulier. C’est cette articulation qui nous amène à « concevoir le dispositif comme médiation, [c’est-à-dire comme apte à] reconnecter des compétences non spécifiques à un environnement disponible » (Berten, 1999). Ainsi, « si nous voulons une connaissance pertinente, nous avons besoin de relier, de contextualiser, globaliser nos informations et nos savoirs, donc de chercher une connaissance complexe » (Morin, 1999) pour permettre de mieux envisager les lectures plurielles du dispositif. Le dispositif, espace à signifier par le médiateur, se confronte à l’espace signifié par l’usager, et c’est la différence entre ces deux espaces, celui de son expérience et celui de son imaginaire, qui serait support de médiation (Lamizet, 2002). L’espace signifié construit par les pratiques des usagers peut être saisi au travers, par exemple, de la diversité des représentations symboliques qu’ils en ont et qui, en retour, inspire la conception du dispositif dans sa fonction d’apprentissage. Comme on vient de le voir, le dispositif rassemble objets, processus et acteurs et en ce sens nous paraît offrir des prismes d’analyse intéressants. Il nécessite cependant d’être aussi replacé dans un cadre global qui peut lui donner à la fois de l’épaisseur et le rendre opérationnel pour les analyses.

Médiation et dispositif : démarche et objet de recherche

21Au terme de ce modeste panorama de quelques recherches mobilisant les concepts de médiation et de dispositif et au vu de leurs divers éclairages théoriques et empiriques, il nous semble que ces concepts sont de vrais objets d’études scientifiques tant pour les sciences de l’éducation que pour les sciences de l’information et de la communication dont nous avons croisé les approches ici. S’ils ont en effet été mobilisés avec différentes visions théoriques, ils offrent un cadre relativement stabilisé propice à l’analyse des processus en jeu dans des problématiques complexes où se mêlent des composantes humaines de communication et d’éducation et des éléments techniques et symboliques amenant les acteurs à agir au travers d’activités situées.

22Peut-être de manière paradoxale, dispositifs et médiation permettent à la fois de décrire des démarches déployées dans divers contextes et de les analyser en tant qu’objet scientifique. Mais ce paradoxe ne nous paraît qu’apparent puisqu’en tant que concepts scientifiques mobilisés ils reflètent un choix de l’ordre de la théorisation contribuant à l’opérationnalité des recherches, transposables sur le terrain de l’activité professionnelle. Chacun de ces deux concepts prend sens dans le rapport qu’il entretient avec l’autre dans une forme de réseau sémantique. En ce sens ils permettent de produire des connaissances en précisant bien les conditions dans lesquelles ils pensent « servir » et en relevant les liens qui les unissent. Ces deux concepts ne sont pas « des représentations vraies ou fausses de la réalité, mais plutôt […] des constructions faites pour accomplir un travail le mieux possible » (Leleu-Merviel et al., 2008). Un concept est concept lorsqu’il est formulé, explicité, représenté et qu’il est construit par un processus d’abstraction permettant des prédictions. « Pour qu’il y ait concept, il faut que celui-ci soit au minimum explicité par un ou plusieurs signifiants. S’il n’y a pas de signifiants, le concept ne peut être ni débattu socialement, ni même faire l’objet d’une désignation commune non ambiguë […] » (Vergnaud, 1989). De même, les concepts formels se définissent dans leurs relations avec les autres en se détachant nettement de l’expérience. Une différenciation est faite également entre concepts quotidiens et concepts scientifiques (Vygotski, 1934-1985). Les premiers relevant d’une expérience spontanée et non organisée et les seconds d’une action finalisée et intentionnelle. Ainsi nous retenons de notre approche croisée les concepts de médiation et de dispositif à la fois comme objet scientifique et démarche de recherche.

Conclusion

23Les concepts de dispositif et de médiation, souvent mobilisés de manière simultanée dans les champs de pratiques éducatives ou sociales d’une part, mais aussi dans le champ de la recherche en éducation et formation d’autre part, méritent d’être mis en controverse pour lever des ambiguïtés, des malentendus et permettre, tant dans l’usage quotidien des pratiques professionnelles que dans le champ de la recherche scientifique, d’opérer des distinctions et des articulations : c’est une exigence, à laquelle a commencé à répondre le symposium, exigence qu’il conviendra de poursuivre, nécessaire pour dépasser les confusions et apporter plus de clarté à l’usage raisonné de ces notions finalement très ordinaires.