1La problématique d’un article de recherche guide le lecteur vers l’énonciation d’un problème. Placée au début du travail de rédaction, elle constitue « une étape essentielle à la préparation d’un travail de recherche » (Bouchard, 2011, p. 69). Les problématiques présentent une grande diversité dans leur forme et dans leur réalisation. Elles sont symbolisées par la métaphore de l’entonnoir ou le principe de fil conducteur qui ne concordent pas toujours avec leurs différentes structures.
2La problématique reflète « l’originalité du chercheur » et sa subjectivité (Bouchard, 2011, p. 69). Elle peut provenir d’une intuition, d’un constat professionnel, d’une passion du chercheur (Boyer et Martineau, 2018), d’observations, de discussions, de recherches antérieures, de ses connaissances (Bourgeois, 2016), etc. La subjectivité du chercheur influence également les informations qu’il choisit et leur agencement (Bouchard, 2011).
3Les différentes manières de formuler une question aboutissent à des problématiques originales (Boutillier, d’Allondans, Uzunidis et Labère, 2005). De plus, selon Rey (2005), la manière de problématiser varie entre les domaines scientifiques. Malgré leur diversité, ces problématiques peuvent être satisfaisantes (Bouchard, 2011), bien qu’étant de qualité diverse (Kohler, Boissonnade, Padiglia, Meia et Arcidiacono, 2018). La réalisation de la problématique est donc un travail autant intellectuel qu’artistique étant donné qu’elle se veut inédite et nécessite de l’inspiration et de l’imagination (Gaudreau, 2011).
4On note habituellement deux approches pour la réalisation de la problématique (Chevrier, 2009). La première part du théorique et progresse du général au particulier (Van Campenhoudt, Marquet et Quivy, 2017). La seconde part des observations et progresse vers la généralisation (Van Campenhoudt et al., 2017). Au-delà de ces deux approches, la définition d’étapes pour la réalisation d’une problématique ne fait pas consensus dans la littérature. Si Chevrier (2009) mentionne quatre grandes étapes dans ces approches (sous-entendant des étapes mineures complémentaires), Bouchard (2011) prétend que l’originalité de chaque problématique rend difficile l’établissement d’un plan par étapes alors que Gaudreau (2011) affirme que l’établissement d’étapes est impossible. Les modèles de problématiques étant supposément infinis, il semble impossible de désigner quels modèles suivre (Kohler et al., 2018).
5Toutefois, il existe une ligne directrice appelée métaphore de l’entonnoir. À l’instar de la forme de cet « ustensile conique », elle consiste à « partir d’une idée générale qui va être approfondie par étapes successives » (Boutillier et al., 2005, p. 79). Au final, l’entonnoir débouche sur le problème retenu (Thouin, 2014).
6Nous relevons cependant un inconvénient dans la métaphore de l’entonnoir comme symbole de la problématique. En cas de présence de deux ou plusieurs thèmes d’importance dans une recherche, voire de l’implication de plusieurs domaines scientifiques dans une situation de transdisciplinarité, il nous semble incohérent de présenter la problématique sous la forme d’un entonnoir allant du général au spécifique. La présence de plusieurs thèmes nécessiterait alors plusieurs entonnoirs connectés les uns aux autres pour représenter l’évolution de l’argumentation des différents thèmes.
7La métaphore de l’entonnoir est parfois écartée au profit de l’idée de fil conducteur. Selon Boyer et Martineau (2018), la progression des arguments d’une problématique ne se fait pas exclusivement du général au spécifique, mais peut également dépendre de la succession logique de ces arguments. Une même problématique peut donc comporter des paragraphes qui se succèdent conformément à la métaphore de l’entonnoir (du général au spécifique) et d’autres paragraphes dont l’ordonnancement est basé sur l’enchaînement des idées dans une argumentation.
8Cependant, le fil conducteur doit pouvoir articuler plusieurs thèmes ensemble. La présence d’explications spécifiques à chaque thème peut représenter autant de digressions dans le déroulement de l’argumentation. L’impression de linéarité et l’enchaînement logique des idées sont alors rompus par ces détours.
9Nous retrouvons les principes d’étapes successives et d’évolution du général au spécifique par exemple en biologie avec les domaines de la systématique (classification des espèces) et de la phylogénétique (évolution des espèces). Ces deux domaines forment la cladistique, qui classifie les organismes et les relie entre eux conformément à leur évolution (Lecointre, 2007). Entre le général et le spécifique, les éléments d’une problématique sont segmentés en différents paragraphes qui offrent un parallèle avec la classification et l’évolution des espèces représentées en niveaux hiérarchiques selon l’étape de leur évolution. Les organismes classés sont aussi divers que les problématiques sont originales.
10La systématique dispose de cladogrammes, des graphiques en forme d’arbres qui représentent la classification des organismes ainsi que leurs liens de parenté. Les branches, qui relient les organismes, pourraient s’apparenter aux multiples thèmes aboutissant à un même problème. L’utilisation de cladogrammes hors du domaine de la biologie n’est pas exceptionnelle : on les retrouve depuis plusieurs décennies, par exemple, en biogéographie (Janvier, 1982) ou en linguistique historique (Warnow, Ringe et Taylor, 1995).
11Le cladogramme comme instrument de schématisation nous semble pouvoir s’appliquer aux problématiques vu les ressemblances mentionnées. Dans le présent travail, nous proposons de vérifier la pertinence de la métaphore du cladogramme. Pour ce faire, nous analyserons des problématiques existantes afin de les représenter à l’aide de cladogrammes. Notre objectif de recherche est donc le suivant : appliquer la métaphore du cladogramme à la structure des problématiques. Notre démarche est abductive dans le sens où elle « consiste à appliquer une théorie ou un modèle à un domaine différent » (Thouin, 2014, p. 48).
12L’analyse de plusieurs structures de problématiques devrait faciliter leur compréhension et aider à leur réalisation en montrant les modèles ainsi obtenus. L’utilisation d’une métaphore prenant en compte la complexité des structures des problématiques due aux différents thèmes qui y sont abordés pourrait alléger ce travail d’élaboration. En effet, utiliser une métaphore adéquate pourrait diminuer les corrections nécessaires pour rendre une problématique satisfaisante.
13La présente section explicite les problématiques et leur réalisation. La cladistique est également abordée afin d’appliquer les cladogrammes aux problématiques.
14Un problème de recherche est « un écart entre ce que nous savons et ce que nous désirons savoir » (Bourgeois, 2016, p. 51). Problématiser est donc « poser et […] construire le problème » (Rey, 2005, p. 92) dans le but de combler cet écart. La problématique formule le problème central et comprend la description et l’articulation des différentes hypothèses (Boutillier et al., 2005). Elle montre « le cheminement intellectuel parcouru entre le choix d’un domaine très général de recherche […] et le problème de recherche » tout en décrivant les différents éléments du problème (Thouin, 2014, p. 82).
15La problématique se place tout au début (Bouchard, 2011). Elle est principalement un texte argumentatif (Boyer et Martineau, 2018). L’objectif d’un texte argumentatif est de persuader le lecteur (Stati, 2017). Dans le cas d’une problématique, le lecteur doit être convaincu « de l’importance, de l’intérêt, de la pertinence et du réalisme du problème retenu » (Thouin, 2014, p. 89). Contrairement au cadre théorique, le style doit être vulgarisé afin d’être compréhensible par un non-spécialiste du ou des domaines concernés (Thouin, 2014).
16L’ajout d’une problématique de recherche remonte à moins de quarante ans (Bouchard, 2011). Alors qu’auparavant le point de départ d’une recherche était théorique, la problématique a permis de démarrer des recherches à partir de réalités non encore théorisées (ibid.). C’est le cas notamment des recherches-actions qui peuvent se passer de théories, mais pas de problématique (ibid.). En effet, les recherches-actions proviennent de problèmes vécus (Guay et Prud’homme, 2011).
17À travers la problématique, le chercheur démontre la pertinence sociale et scientifique de sa recherche et ses compétences pour la mener à bien (Boyer et Martineau, 2018). Pour y arriver, l’argumentaire nécessite un « agencement rigoureux des éléments » qui le composent (Bouchard, 2011, p. 69) afin que les arguments aient le plus de force possible (Boyer et Martineau, 2018).
18La problématique ne doit pas être confondue avec le problème de recherche, la question de recherche et les objectifs de recherche. Contrairement à la problématique, le problème de recherche est une étape courte qui met en relief un problème plutôt que de couvrir un domaine (Bouchard, 2011). Il est le résultat de l’écart existant entre le savoir actuel et le savoir souhaité (Bouchard, 2011 ; Thouin, 2014).
19Les questions de recherche et les objectifs de recherche sont mutuellement exclusifs. Une recherche peut contenir soit une ou plusieurs questions de recherche, soit des objectifs de recherche (Bouchard, 2011). La question de recherche est une « interrogation qu’on formule à l’intention de la connaissance dans le but de l’explorer » (ibid., p. 77). Contrairement aux questions de recherche, les objectifs de recherche « sont rédigés sous forme de propositions à retombées comportementales ; ils sont des mandats que se donne le chercheur quant à son objet de recherche » (ibid., p. 77-78).
20La littérature scientifique propose des approches, des étapes et des actions pour l’élaboration d’une problématique. Bourgeois (2016) et Chevrier (2009) distinguent notamment deux approches dans la réalisation d’une problématique : l’approche déductive et l’approche inductive. La première est élaborée « à partir de la structuration de concepts et de propositions générales » (Chevrier, 2009, p. 73). La seconde est le résultat de questions posées à partir d’une situation concrète (ibid.). Les étapes des deux approches diffèrent légèrement. Alors que l’approche déductive nécessite préalablement le choix d’un thème de recherche suivi de la formulation d’une question générale, l’approche inductive consiste à émettre un problème de recherche provisoire suivi de la formulation d’une question de recherche (ibid.). Ces formulations provisoires dépendent des connaissances du chercheur (ibid.).
21Deux grandes étapes se distinguent dans la réalisation de la problématique : la sélection et l’ordonnancement. Le choix du thème, la formulation d’une question générale de départ, du problème de recherche ou d’une question de recherche sont suivis par la sélection du contenu suite à une recension des écrits. Ce contenu est divers : « des arguments, des faits, des situations, des données, des théories ou tout autre matériel pertinent qui concerne le champ couvert par l’objet qui pose problème » (Bouchard, 2011, p. 73). Ce contenu peut déboucher sur plusieurs thèmes qui sont autant de pistes de recherche (Boutillier et al., 2005). La sélection conduit à ce que Boutillier et al. (2005) appellent la délimitation et l’élucidation du sujet, c’est-à-dire le renoncement et les raisons du renoncement à tel ou tel contenu.
22Une autre étape porte sur l’organisation du contenu. L’agencement du contenu retenu a pour but de « faire apparaître la réalité problématique sous un nouveau jour » (Bouchard, 2011, p. 74). L’agencement des éléments doit suivre une évolution « comme s’il allait de soi que l’aboutissement attendu soit celui proposé par la recherche » (ibid., p. 72). En effet, sa structure répond à deux questions : « Que cherchez-vous à expliquer » et « Comment et avec quoi allez-vous mettre en relation ce que vous expliquez » (Boutillier et al., 2005, p. 94). Ces étapes peuvent être approfondies et peuvent varier selon l’approche (inductive ou déductive) choisie (Bourgeois, 2016).
23Ces différents moments de l’élaboration de la problématique sont ponctués par diverses actions que recense Thouin (2014) : le choix de mots-clés pour la recherche de sources, la consultation de bases de données, la lecture des sources secondaires (citées dans les sources primaires), la réalisation de fiches de lecture ou la rédaction temporaire d’un plan.
24Mentionnons également que la réalisation de la problématique est itérative. Des allers-retours ont lieu entre les étapes, principalement entre celles de la sélection et de l’agencement. Ces allers-retours sont inévitables pour « parvenir à une problématique satisfaisante » (Thouin, 2014, p. 94). Ils incitent le chercheur à modifier ses choix initiaux lorsque « de nouvelles informations […] viennent remettre en question ce qu’il [le chercheur] croyait acquis » (Bouchard, 2011, p. 75).
25Une représentation fréquente de la problématique est celle d’un entonnoir. La structure en entonnoir de la problématique est parfois simplifiée par sa division en quatre mots-clés : le thème, le sujet, le problème et la question. Alors que le thème est général et se résume à un groupe nominal, le sujet est précis et contient les éléments de la future recherche. Le problème reprend ces éléments en mettant en exergue ce qui est insatisfaisant. La question transforme le problème en interrogation. Le schéma suivant représente l’entonnoir simplifié de la problématique du présent article.
Figure 1 : modèle d’entonnoir basé sur le présent article
26La systématique est « la science des classifications biologiques et des relations évolutives entre organismes » (Lecointre, 2007). Les organismes sont regroupés en unités de classification abstraites appelées taxons (Rineau, 2017). Les chats domestiques (felis catus) constituent par exemple un taxon.
27La systématique comprend également l’établissement de « relations de parenté entre taxons », ce qu’on nomme la phylogénie (Rineau, 2017, p. 11). La phylogénétique est définie par Rineau comme « une science historique, dont le but est l’étude du passé des taxons par leur histoire évolutionnaire » (ibid., p. 17).
28La classification phylogénétique n’est pas la seule classification existante pour les organismes. Contrairement à d’autres classifications du monde du vivant, telles que les classifications utilitaire ou fonctionnelle, la classification phylogénétique se base sur l’idée de l’évolution (Bosdeveix, 2016).
29Les cladogrammes (ou phylogénies) sont des arbres, utilisés en cladistique, « exprimant une hypothèse sur les parentés phylogénétiques entre plusieurs taxons » (Lecointre, 2007). Ils sont hiérarchiques, comportent plusieurs niveaux (appelés catégories) et comprennent des taxons classés ou à classer puisqu’ils constituent des hypothèses (Rineau, 2017). Les taxons terminaux correspondent aux feuilles des branches de l’arbre et les nœuds (intersection des branches) aux ancêtres. Il est possible de regrouper des taxons dans des ensembles monophylétiques, qui incluent un ancêtre et tous ses descendants, paraphylétiques, qui comprennent un ancêtre et une partie des descendants, et des ensembles polyphylétiques dans lesquels les taxons n’ont pas tous le même ancêtre immédiat (Lecointre, 2007). Le schéma ci-dessous est un exemple de cladogramme comprenant cinq taxons et quatre ancêtres. Les branches 1, 2 et 3 comportent deux niveaux hiérarchiques (AD et BD), alors que les branches 4 et 5 en comportent trois (CBD).
Figure 2 : modèle de cladogramme
30L’application de la métaphore du cladogramme à la structure de problématiques existantes nécessite d’analyser les structures de ces problématiques. La description de ces structures pourrait aboutir à la mise au point de consignes à suivre pour la réalisation des problématiques. Le remplacement de la métaphore de l’entonnoir devrait conduire à une redéfinition de la problématique conforme à la diversité des structures. Cela nous conduit à énoncer les objectifs secondaires suivants :
- relever différentes structures de problématiques ;
- déterminer des consignes pouvant appuyer la tâche de problématisation ;
- définir la problématique sous l’angle de la métaphore du cladogramme.
31Pour appliquer la métaphore du cladogramme à la structure de problématiques existantes, il est nécessaire d’aborder le choix des problématiques, leur analyse et la réalisation des arbres en résultant.
32Nous avons sélectionné des livres de recherche en sciences sociales, notamment en éducation, couramment utilisés dans le monde universitaire et contenant des exemples de problématiques. Nous avons choisi des livres d’un même domaine puisque la manière de problématiser semble différer selon les domaines (Rey, 2005). Les livres retenus ont été publiés durant ces dix dernières années (Thouin en 2014, Gaudreau en 2011) ou ont fait l’objet d’une réédition récente (en 2016 pour Gauthier et Bourgeois, en 2018 pour Karsenti et Savoie-Zajc). Les problématiques issues de ces livres nous ont semblé pertinentes, puisqu’en plus d’avoir fait l’objet d’une évaluation lors de leur acceptation pour publication, elles ont été sélectionnées une seconde fois par les auteurs des livres retenus. L’écart entre leurs dates de première publication (de 1990 à 2009) permet de comparer des problématiques d’époques différentes.
33Les paragraphes sont traités dans l’ordre afin de relever les thèmes au fur et à mesure et de les résumer à un groupe nominal. De chaque paragraphe est extrait un sujet plus spécifique. Chaque nouveau thème rencontré forme une nouvelle branche sur laquelle viennent s’ajouter les sujets des paragraphes circonscrits par ce thème. Les sujets sont numérotés dans l’ordre de présentation des paragraphes correspondant. La rencontre de deux thèmes ou plus dans un paragraphe fusionne les différentes branches concernées. Nous reprenons autant que possible les mots utilisés par les auteurs pour nommer le sujet du paragraphe.
34Nous indiquons les thèmes en haut des cladogrammes, sur une même ligne. Chaque thème correspond à une branche. Les sujets des paragraphes forment des niveaux hiérarchiques sur chaque branche. Ils sont ordonnés du général (au bout de chaque branche) au spécifique (à la racine de chaque branche) et constituent des nœuds lorsqu’ils sont à l’intersection de plusieurs branches. Pour décrire les cladogrammes, nous utilisons des termes liés aux graphiques ayant la forme d’arbres (nœud, feuille, branche, niveau hiérarchique). Nous avons choisi arbitrairement les formes suivantes : le trapèze pour les thèmes, le rectangle pour les sujets, l’ovale pour la question ou l’objectif de recherche. Les angles sont arrondis pour les thèmes secondaires et les sujets correspondant à ces thèmes.
35Quelques principes aident à définir les thèmes. Un thème valide ne doit pas être vague (par exemple « la représentation graphique »), sous peine d’être considéré comme partie d’un sujet. Un thème valide ne doit pas être un hyponyme d’un thème qui serait son hyperonyme, c’est-à-dire qu’il ne doit pas être englobé dans un autre thème. Par exemple, école est un hyponyme de bâtiment et de lieu de formation. Par contre, bâtiment et lieu de formation ne sont pas englobés l’un dans l’autre et constitueraient deux thèmes. De plus, la présence de plusieurs paragraphes portant exclusivement sur un concept peut justifier le fait d’en faire un thème. Considérer un concept comme constituant ou non un thème peut être assez subjectif. En cas de doute, le statut de sujet prévaut.
36La fidélité implique ici que des individus réalisant le cladogramme d’une même problématique aboutissent au même cladogramme. En effet, la recension des thèmes ayant une part de subjectivité, il se peut que le résultat varie selon les individus. À l’instar des problématiques qui peuvent être considérées comme correctes malgré leurs différences, il n’existe pas forcément un seul cladogramme possible par problématique. Ces schémas doivent permettre de mieux appréhender la structure d’une problématique et peuvent y parvenir sous différentes apparences.
37Il devrait être possible de reconstituer le texte d’origine en reprenant les thèmes et les sujets dans leur ordre d’apparition dans le cladogramme. Cependant, la réutilisation à de multiples reprises de certains thèmes dans des paragraphes non successifs peut conduire à un cladogramme dont la numérotation des sujets ne se suit pas. Le cladogramme constitue alors une suggestion de réorganisation des paragraphes de la problématique d’origine.
38Dans les sections suivantes, nous analysons des problématiques afin de les représenter sous la forme de cladogrammes. Nous ordonnons les exemples du plus simple au plus complexe afin que la compréhension des cladogrammes soit progressive. Nous rappelons, avant chaque graphique, le thème principal de la problématique et des éléments significatifs du cladogramme.
39La recherche de Chomienne et Vázquez-Abad (1990), de type inductive, comprend quatre chapitres d’introduction et six chapitres de problématique. Nous relevons deux thèmes : l’innovation et l’éducation. Ces thèmes se recoupent à partir du septième nœud (paragraphe). Aucun paragraphe ne traite exclusivement de l’éducation. Le cladogramme n’a donc qu’une seule branche et une seule feuille, bien que deux thèmes soient présents. À droite sont indiquées les premières phrases de chaque paragraphe.
Figure 3 : interprétation de la structure de la problématique de Chomienne et Vázquez-Abad (1990)
40La problématique de Turcotte (2009) porte sur le plan d’action en matière d’adaptation scolaire au Québec. Le domaine choisi pour l’application de la différenciation est la lecture. Le troisième paragraphe porte précisément sur l’importance de la lecture.
Figure 4 : interprétation de la structure de la problématique de Turcotte (2009)
41La problématique de Laurin (1997) est issue d’une thèse de doctorat effectuée sous la direction de Christiane Gohier et Louise Gaudreau (l’autrice du livre paru en 2011). Elle comporte donc un nombre de paragraphes supérieur aux problématiques d’articles. La numérotation reprise est celle des paragraphes, non celle de Gaudreau (2011). Deux grandes branches se distinguent : le contenu à enseigner à l’école et les enseignants de géographie au collège d’enseignement général et professionnel (CEGEP). Le résultat est un cladogramme un peu plus complexe que les précédents, puisqu’il comporte une branche principale servant de fil conducteur (le contenu d’enseignement) à laquelle se rattache une branche comprenant les thèmes du CEGEP, de la géographie et des enseignants. À noter que l’objectif de recherche est mentionné prématurément et les branches des thèmes viennent se greffer ensuite sur cet objectif puisqu’il fusionne tous les thèmes.
Figure 5 : interprétation de la structure de la problématique de Laurin (1997)
42La problématique de Marcotte, Fortin, Royer, Potvin et Leclerc (2001) est de type déductive, plusieurs concepts aboutissant à une question générale. On peut relever les thèmes de l’abandon scolaire, les styles parentaux, la dépression et les troubles du comportement. Le premier paragraphe de l’article est une introduction et n’est donc pas inclus dans le cladogramme. Un groupe polyphylétique a été créé (cadre grisé) afin de rassembler les sujets portant sur l’abandon scolaire dans différents thèmes. En effet, ce thème est omniprésent et pouvait générer un nombre de liens rendant le cladogramme illisible. Les concepts d’âge et de sexe, inclus dans les différents thèmes, sont considérés comme des éléments transversaux. La disposition des paragraphes sur les branches n’est pas croissante afin de les ordonner du général au spécifique dans chaque branche. Certains paragraphes auraient pu être scindés pour le cladogramme, tel le troisième qui aborde les variables familiales en général et les styles parentaux dans le même bloc de texte.
Figure 6 : interprétation de la structure de la problématique de Marcotte, Fortin, Royer, Potvin et Leclerc (2001)
43Nous avons appliqué le cladogramme à notre propre problématique. Nous obtenons une branche principale, portant sur la problématique, et une branche secondaire sur la cladistique. Cette branche se compose de deux niveaux hiérarchiques (la cladistique en général et le cladogramme en particulier).
Figure 7 : interprétation de la structure de la problématique du présent document
44La métaphore de l’entonnoir (sujets ordonnés du général au spécifique) et l’idée de fil conducteur (sujets liés par la progression de l’argumentation) constituent deux approches pour la réalisation d’une problématique. La métaphore du cladogramme en est une troisième.
45Contrairement à la linéarité qui se dégage de la métaphore de l’entonnoir et du fil conducteur, les cladogrammes réalisés ont révélé plusieurs cas de figure :
- thèmes secondaires ne nécessitant pas de développement avant rattachement au thème principal ;
- thèmes secondaires nécessitant un développement avant rattachement au thème principal ;
- thèmes secondaires et sujets ordonnés différemment de la problématique ;
- thèmes réapparaissant dans différents sujets sans que ceux-ci ne soient contigus.
46Le premier cas permet d’éviter les digressions, c’est-à-dire les développements autour de thèmes secondaires. Parmi les problématiques analysées, seule celle de Chomienne et Vázquez-Abad (1990) a la forme d’un entonnoir, le thème de l’éducation n’y étant pas développé (premier cas de figure). L’entonnoir correspond donc à un cladogramme à une seule branche. La problématique de Turcotte (2009) n’est déjà plus un entonnoir unique. En effet, le simple fait d’ajouter une définition à un thème secondaire matérialise une branche supplémentaire (deuxième cas de figure). La problématique de Laurin (1997), notre troisième cas de figure, n’est plus du tout un entonnoir. L’idée de fil conducteur pourrait s’appliquer à elle, mais la réalisation du cladogramme met en lumière les méandres de l’argumentation : l’objectif de recherche apparaît au cours de l’argumentation et le thème du CEGEP, apparaissant après celui des enseignants, fait pourtant référence à un sujet développé plus tôt et plus général (la géographie au CEGEP) que dans le cas des enseignants (changement dans les contenus des programmes de géographie et rapport avec les enseignants). La problématique de Marcotte et al. (2001) ne permet pas plus de repérer la métaphore de l’entonnoir que l’idée de fil conducteur. En effet, de nombreuses notions sont transversales (incluses dans différents thèmes). L’ensemble s’apparenterait plutôt à un tableau à deux dimensions (les thèmes principaux en ligne et les notions secondaires en colonne). Face à ce défi, nous avons dû faire appel au concept de groupe polyphylétique issu de la cladistique. Un groupe phylogénétique offre l’avantage de se baser sur une caractéristique commune à plusieurs éléments non forcément reliés entre eux de manière immédiate. Nous avons ainsi pu regrouper sur une ligne les sujets-paragraphes appartenant à différents thèmes, mais abordant tous le thème de l’abandon scolaire.
47La présence de plusieurs thèmes rompt le fil conducteur de la problématique du fait du développement préalable nécessaire d’un nouveau thème abordé. Lorsque le fil conducteur n’est pas rompu, il conduit à la reprise d’un ou plusieurs thèmes dans les paragraphes des autres thèmes. Le cladogramme peut contourner ce problème par le regroupement polyphylétique. Il permet également de relever la contradiction entre la métaphore de l’entonnoir et celle du fil conducteur lorsqu’il s’agit de réorganiser les paragraphes par thèmes et du général au spécifique : leur ordonnancement est rompu.
48Les problématiques en entonnoir semblent minoritaires et ces entonnoirs sont démultipliés par le nombre de thèmes abordés dans les problématiques. Le principe de fil conducteur appliqué aux problématiques nécessite une réflexion sur la structuration de l’argumentation et l’ordonnancement des thèmes et des sujets sous peine de les voir dispersés dans toute la problématique.
49À noter que l’ancienneté des documents ne semble pas influencer la structure dans notre panel de problématiques. En effet, la structure de la problématique de la recherche de Chomienne et Vàsquez-Abad (1990) ne diffère pas beaucoup de celle de Turcotte (2009) alors que 19 ans les séparent. Notons également que les cladogrammes réalisés sont inversés par rapport à ceux utilisés en systématique. Ainsi, les feuilles des cladogrammes représentent le spécifique en biologie et le général dans les problématiques, et inversement.
50La réalisation d’un cladogramme pourrait inciter son concepteur à simplifier ou à étoffer sa problématique. Il permet de dénombrer les thèmes abordés et de susciter ainsi une réflexion sur leur trop grand nombre. De même pour les thèmes trop ou pas assez étoffés, en nombre de paragraphes, selon leur importance.
51Chaque paragraphe devant contenir un sujet et chaque sujet un paragraphe, le cladogramme aide à redécouper les paragraphes en les fusionnant ou en les segmentant lorsqu’ils ne respectent pas ce principe de réciprocité. Il suscite également une remise en question lorsque l’ordre des sujets diffère entre le cladogramme et le texte de la problématique. Cette différence pourrait révéler un problème dans la structure de la problématique.
52À l’aune des cladogrammes réalisés et des réflexions suscitées par ce travail, nous pouvons émettre quelques consignes pour la réalisation des cladogrammes et des problématiques afin que celles-ci leur soient conformes :
- recenser les thèmes de la problématique en utilisant le thème le plus développé comme thème principal ;
- ordonner les thèmes en fonction de leur apparition dans le texte ;
- développer les thèmes secondaires par au moins un paragraphe ;
- ordonner les sujets de chaque thème du général au spécifique ;
- éviter d’avoir deux sujets spécifiques de même complexité (deux nœuds-enfants) qui se rattacheraient au même sujet plus général (un nœud-parent) dans le cladogramme ;
- ajouter des thèmes si nécessaire pour mieux répartir la quantité de paragraphes ;
- développer entièrement un thème avant d’en aborder un nouveau afin d’éviter les allers-retours ;
- garder la métaphore de l’entonnoir pour l’ordonnancement des paragraphes internes à chaque thème.
53Le cladogramme devrait permettre de retrouver l’ordre des sujets sans même prendre connaissance du texte d’origine. Le schéma ci-dessous exemplifie ce principe, chaque sujet correspondant à un paragraphe.
Figure 8 : correspondance entre le cladogramme et la problématique
54Sur le plan structurel, parmi les problématiques analysées, celle de Marcotte et al. (2001) ne satisfaisait pas à l’une des règles implicites du cladogramme, à savoir que deux branches ne peuvent se rejoindre à deux reprises. En effet, l’abandon scolaire était omniprésent dans les paragraphes de la problématique et aurait nécessité de nombreux liens supplémentaires. Un groupe polyphylétique a été ajouté, mais peut être vu comme une entorse au principe d’un seul nœud-enfant pour chaque nœud-parent. Sur le plan visuel, le cladogramme étant un graphique, il peut nécessiter un logiciel de conception d’organigramme sous peine d’être fastidieux à réaliser.
55La définition suivante de la problématique se structure selon la forme, le contenu, la présentation du contenu et le but : la problématique est un texte argumentatif original et vulgarisé, contenant un ou plusieurs thèmes reliés les uns aux autres, dont la présentation de chaque thème va du général au spécifique, dont la finalité est le problème de recherche et dont la structure peut être représentée par un cladogramme.
56Le cladogramme apporte une réponse structurelle et visuelle à la transdisciplinarité des problématiques. Les thèmes y sont représentés par des branches rattachées au thème principal. Chaque branche fonctionne comme un entonnoir, allant du général au spécifique, lorsque les thèmes comprennent plusieurs paragraphes. La représentation par cladogramme incite le chercheur à ordonner les thèmes de la problématique et à les expliciter.
57Les cladogrammes sont le reflet des problématiques et de leurs limites : enchevêtrement des thèmes, difficulté à percevoir la progression du général au spécifique ou développements insuffisants. Ces limites incitent à se questionner sur les critères de choix des problématiques par les ouvrages de recherche en sciences sociales – ou plus précisément en éducation – dans lesquels nous avons sélectionné les problématiques. Le choix des problématiques dépend des auteurs de ces ouvrages et elles peuvent donc être de qualité diverse. Afin de limiter la subjectivité, les auteurs d’ouvrages de recherche devraient éviter de sélectionner des exemples qu’ils ont eux-mêmes évalués précédemment ou dont ils connaissent les auteurs.
58La proportion réelle de chaque structure de problématique n’est pas reflétée par nos quatre échantillons. Connaître cette proportion nécessiterait de retenir un échantillon plus vaste et représentatif des différents domaines de recherche. Des recherches futures pourraient d’ailleurs porter sur le lien entre la structure de la problématique (nombre de thèmes et nombre de niveaux hiérarchiques par thème) et la recherche elle-même afin de relever des patrons. Est-il possible, par exemple, de suggérer un nombre moyen de paragraphes par thème et un nombre moyen de thèmes par recherche, modulés en fonction du type de recherche (moins nombreux pour les articles, plus nombreux pour les thèses par exemple) ?
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