2L’ouvrage recensé témoigne des travaux menés dans le cadre de la conférence internationale, organisée par l’université de Montpellier en octobre 2021, intitulée « La Collaboration entre les familles et les acteurs sociaux de la Petite Enfance : terrains européens et méthodes ». Rappelons brièvement ses trois objectifs scientifiques :

• témoigner des enjeux sociétaux et politiques qu’induisent la protection et le soin de la petite enfance en Europe ;
• échanger sur les pratiques et les savoirs mobilisés en matière d’acquisition du langage, de suivi des apprentissages et d’ouverture aux littéracies familiales, notamment chez les enseignant(e)s et les éducateurs/trices, avec les freins et les leviers liés à la mise en place de démarches inclusives ;
• montrer en quoi, et dans quelle mesure, s’opèrent les mutations des métiers de l’éducation, du travail social, du caregiving et de l’animation auprès de la petite enfance dans le monde contemporain.

3À l’image de l’ambition importante de la conférence, l’ouvrage s’intéresse à des initiatives collaboratives européennes mises en place auprès de l’enfance, que cela soit dans un cadre d’apprentissage scolaire, ou d’accompagnement socio-éducatif. Les contextes (culturels, socio-économiques, institutionnels…) et enjeux de ces propositions sont donc foisonnants, et si certaines préoccupations, notamment des professionnels, apparaissent transversales (la question des moyens accompagnant ces initiatives n’est jamais éludée), la richesse de cet ouvrage tient en la multiplicité des situations et des méthodologies décrites.

5Un important mérite de ces travaux est de penser l’articulation et la conception de dispositifs variés en éducation. Dépassant la relation interpersonnelle entre éduqué et éduquant, les auteur(e)s pensent la question de l’implication des familles, de la culture, et des différentes institutions qui accueillent l’enfant dans sa progression. Nous sommes alors dans des réflexions de parcours, envisageant l’individu non en tant « qu’apprenant », mais bien en tant que futur citoyen, dont les représentations, émotions, et capacités d’agir représentent des enjeux cruciaux de l’éducation.

6Les contributions mettent en lumière la complexité des situations rencontrées par les accompagnants, complexité renforcée par les injonctions politiques à la collaboration. Ouvrir les murs d’une institution aux familles, intégrer les dimensions culturelles du public dans des activités d’accompagnement, coopérer entre des organisations aux objectifs parfois divergents, accentuent cette complexité en demandant aux acteurs un effort cognitif important, qu’il s’agirait de perpétuer et de stimuler.

8Nous ne pouvons ainsi nous empêcher d’aborder la question, sous-jacente dans l’ouvrage, mais jamais écartée, des moyens à mettre au service des tentatives de dispositifs décrits. Les contes occupant un important rôle dans certaines contributions (Boutevin, Dupuy, Auger…) en tant que médium privilégié auprès des jeunes enfants, la question suivante nous vient en tête : comment articuler contes et… comptes ?

9Nombre d’auteurs ayant contribué à l’ouvrage s’accordent en effet sur le point suivant : la collaboration en éducation ne se décrète et ne s’improvise pas, au risque de mettre en difficulté non seulement les professionnels, mais également les personnes dont elles ont pour mission et préoccupation l’éducation et le bien-être. Qu’il s’agisse d’organiser un temps de travail entre enseignants et familles, ou une formation permettant aux professionnels d’exprimer des retours d’expérience, chacun des dispositifs présentés ici partage une exigence de moyens humains, temporels, matériels et donc, financiers, pour avancer dans les riches perspectives qu’ils proposent. Si les praticiens participant à ces initiatives s’accordent pour reconnaître les intérêts et bienfaits des travaux déroulés au sein de l’ouvrage, la question de l’investissement (au sens premier du terme, c’est-à-dire d’une opération qui permet le renouvellement et l’accroissement d’un capital, à l’image de… l’éducation) apparaît en filigrane comme régulièrement problématique dans la pérennisation des actions mises en place. Les leviers décrits par les chercheurs sont illustrés et analysés clairement : l’expérience des professionnels et des publics apparaît majoritairement positive, bien que les questions interculturelles soulèvent au moins autant d’interrogations qu’elles n’en résolvent… l’intérêt du renforcement des publics accompagnés, de leurs participations, et de leur collaboration est envisagé comme source de développements et de liens sociaux. Les freins dans l’optique d’une stabilisation des compétences développées dans le cadre des recherches déployées, préoccupation on le devine importante pour les professionnels, sont moins sensiblement décrits. Nous attendrions également un développement quant aux modalités de valorisation de ces travaux, en tant qu’elles constituent un moyen, collaboratif lui aussi, de communication et de co-construction avec les instances politiques à l’origine des injonctions décrites en introduction de cette recension.

10Ce riche travail ne devra donc en aucun cas être perçu comme regroupant des recettes préconçues à appliquer par des professionnels du travail sur autrui déjà mis à mal par la multiplication d’injonctions parfois mal maîtrisées. Il est une invitation à penser les dispositifs favorisant l’émancipation, la coopération, et l’ouverture sur l’autre, dans des situations complexes impliquant des acteurs aux pratiques éducatives, représentations, et développements professionnels différents, dans des logiques de parcours individualisés. Ainsi, l’ouvrage est à l’image de ce que la collaboration en éducation représente aujourd’hui : un ensemble foisonnant de situations éducatives complexes dans des contextes variés, présentant certains enjeux transversaux, en particulier en termes de moyens et de formations, et une exigence méthodologique et scientifique plus que jamais requise.