• 1 Grice, H.P. (1979). Logique et conversation. Communications, 30, 57-72.
• 2 Bakhtine, M. (1984). Esthétique de la création verbale. Trad. du russe par A. Aucouturie (...)
• 3 Culioli, A. (1990). Pour une linguistique de l’énonciation, Opérations et repr (...)

2Le texte proposé est organisé en cinq chapitres. Un premier chapitre, « L’ajustement en pédagogie : généalogie, enracinements, héritages » (p. 29-66), permet de revenir aux origines de la notion, notamment à travers l’usage qu’en a fait la linguistique. L’auteur montre ce que le développement de la notion doit aux travaux de Vygotski sur l’étayage. Il l’inscrit ensuite dans le champ des recherches menées en sciences de l’éducation, convoquant les travaux d’Altet et de Bucheton. Le deuxième chapitre, « Construire une posture d’ajustement » (p. 67-122), prend appui sur les travaux de l’auteur, ce qui lui permet de mettre en évidence le cheminement qui, à partir des questions d’étayage, l’a amené à mobiliser les notions de geste professionnel et de posture pour en arriver à une définition de la posture d’ajustement. Cette évocation donne lieu à un chapitre extrêmement dense et précieux pour le lecteur. Il lui permet en effet d’accéder aux fondations sur lesquelles l’édifice conceptuel s’est bâti, ce qui favorise l’appropriation de la structure à laquelle l’auteur parvient. Éric Saillot s’attache à définir finement les notions qu’il mobilise pour développer son modèle d’analyse (empan, focale, scène ou échelle), ce qui l’amène à considérer progressivement les compétences d’observation et d’écoute comme des instruments professionnels (au sens de Rabardel), prenant place au sein d’une « heuristique de l’observation et de l’écoute en pédagogie » (p. 26). Le troisième chapitre, intitulé « S’ajuster à soi-même » (p. 123-176), offre une belle surprise à tout lecteur qui s’intéresse à l’émancipation. En envisageant la question de l’ajustement à soi comme une condition du développement, Éric Saillot montre à quel point les représentations sur lesquelles tout professionnel fonde sa pratique peuvent, à un moment de son parcours, se constituer en obstacle. La mise en évidence du rôle fondamental que joue le dialogue de soi à soi, dialogue que l’entrée par l’ajustement permet d’inscrire dans le champ des compétences professionnelles, ouvre sur des perspectives extrêmement fécondes : qu’il s’agisse de questionner le lien entre santé et efficacité ou d’aborder sous un jour nouveau la problématique du bien-être au travail. Complétant d’une certaine façon ce qui précède, et plus attendu de notre point de vue, le quatrième chapitre propose de s’intéresser aux ajustements à autrui (p. 177-199). L’auteur les aborde en revisitant les résultats de l’enquête qu’il a réalisée en 2016 sur la bienveillance à l’école, puis en proposant l’analyse d’une activité de co-enseignement. Un dernier chapitre aborde enfin « La question du langage dans les ajustements pédagogiques » (p. 201-229). L’auteur porte son regard sur des situations de classe dans lesquelles l’enseignant mobilise le langage pour s’ajuster aux élèves, qu’il s’agisse d’enrôler, de questionner ou d’expliciter. Il s’arrête préalablement sur différents concepts de la pragmatique linguistique en montrant l’utilité qu’ils peuvent avoir pour analyser les échanges langagiers en classe : qu’il s’agisse de l’implicature ou du principe de coopération introduits par Grice en 1979
1, du dialogisme de Bakthine (1984)2 ou des ajustements intersubjectifs ou notionnels décrits par Culioli (1990)3. Le chapitre se conclut par une comparaison originale entre les compétences langagières propres aux pratiques d’ajustement pédagogique et les caractéristiques de la posture d’accompagnement. L’auteur montre que ce qui rapproche ajustement et accompagnement pourrait bien relever de ce qu’il qualifie d’« humilité ambitieuse ». L’humilité renvoie ici à la complexité de toute interaction humaine (qui ne saurait se limiter à une ambition de façonner l’autre en fonction d’un projet prédéfini), une humilité cependant ambitieuse, car nourrie par une exigence et un horizon que l’enseignant comme l’accompagnateur ne quittent pas des yeux (p. 229).

• 4 Ebersold, S. (2015). Accessibilité, politiques inclusives et droit à l’éducation : co (...)

3Au terme de la lecture, l’objectif que s’était fixé l’auteur d’apporter « des repères pour l’analyse de l’activité d’ajustement » est atteint. Mais au-delà de fournir ces repères précieux, il nous semble que l’ouvrage porte une parole forte, érigeant l’ajustement comme un geste professionnel fait d’exigence et de courage, et offrant dans son propos un ensemble d’arguments scientifiques mais aussi politiques qui pourraient être opposés aux tenants de l’« ajustage » : nous entendons par là tous ceux qui, à rebours d’une vision dialogique, coconstruite et aventureuse de l’acte éducatif persistent à promouvoir la maîtrise, la standardisation, la conformation. La relation éducative vise bien à s’ajuster avec autrui et non pas à l’ajuster à une conception prédéfinie, aussi brillante soit-elle. Nul ne s’étonnera de ce que l’auteur conclut son texte en faisant référence à la crise sanitaire actuelle et aux « bricolages héroïques » (Ebersold, 2015)4 qu’elle a soudain rendus visibles. Au-delà du champ de l’enseignement, cet ouvrage intéressera en effet tout étudiant, tout chercheur et tout professionnel désireux de saisir, voire de défendre, la richesse de ces ajustements qui opèrent dans l’intimité des métiers adressés à autrui.