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Thème 3 - La gestion des étangs et des milieux aquatiques au sein des territoires

L’étang piscicole de barrage sur la balance : L’abattement de la contamination des eaux par les étangs est-il un service de poids ?

Is the abatement of water contamination by ponds a valuable service for Headwater rivers?
Damien Banas, François Le Cor, Juliette Gaillard, Vincent Dufour, Alain Iuretig, Pamela Hartmeyer, Claire Soligot-Hognon et Sylvain Slaby
p. 209-216

Résumés

Les étangs de barrage, élément d’origine anthropique, induisent une rupture du continuum écologique du cours d’eau de tête de bassin versant. Pour cette raison, leur gestion voire leur maintien ou leur effacement sont régulièrement questionnés. Ces milieux aquatiques sont également susceptibles de rendre divers services (ex. production de poisson, soutien à l’économie rural, zone d’intérêt pour la faune et en particulier l’ichtyofaune). Si ces éléments ne constituent pas un atout dans le cadre de la réglementation sur l’eau (ex. DCE, LEMA), le « bon état » des masses d’eau peut être mis à mal par cette discontinuité. Peu étudiés, les impacts positifs et négatifs de la présence d’étang de barrage nécessitent d’être évalués avec précision. Cet article s’attache à faire le point sur le service de remédiation (i.e. rétention de contaminants au sein de l’étang) induit par l’étang de barrage et mis en évidence par nos études menées en France. Si l’étang ne semble pas constituer un outil intéressant pour réduire la contamination des cours d’eau par les éléments traces métalliques, nos travaux montrent une réduction des concentrations et quantités de nutriments en aval de l’étang, ainsi qu’une réduction de près de 60 % de la somme des pesticides. Une rétention est également observée pour les produits de transformation des pesticides qui sont déjà quantifiés dans le cours d’eau de tête de bassin, en amont de l’étang. Ces résultats montrent que l’impact de l’étang sur le bon état de la masse d’eau résulte de mécanismes biologiques et chimiques complexes. Selon les priorités de gestion (i.e. rétablissement du continuum écologique ; maitrise des concentrations en pesticides), les décisions de gestion de ces plans d’eau pourront alors s’avérer elles-mêmes complexes.

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Texte intégral

Les auteurs remercient les organismes (Agence de l’Eau Rhin-Meuse, ANSES, Conseil Départemental de Moselle, INRAe, OFB, Université de Lorraine) qui ont participé au financement des recherches citées dans cet article et qui ont permis de mieux estimer les multiples impacts de ces petits plans d’eau. Nous remercions également les pisciculteurs et agriculteurs pour leur collaboration dans le cadre de ces travaux.

Position de l’étang piscicole de barrage

1Si une définition consensuelle du terme étang s’avère difficile à trouver, on s’entend généralement à ce que sous ce vocable soient regroupés les plans d’eau de faibles profondeurs et de faibles superficies. L’absence de définition unanimement validée conduit cependant à ce que l’on pourrait qualifier de nombreuses exceptions concrétisées par la présence sur nos territoires, d’étangs de plusieurs centaines d’hectares. Elle est aussi susceptible d’induire des divergences de perception de ces plans d’eau, selon l’acteur concerné.

2Zone « naturelle » dans le sens où la « nature » est représentée, l’étang est aussi un milieu artificiel (le plus souvent), dans le sens où il a été créé et est entretenu par l’Homme. Ainsi par exemple, l’étang piscicole de barrage a été édifié dans l’objectif de fournir des ressources alimentaires. Dans le cadre de la LEMA (Loi sur l’eau et les milieux aquatiques ; Loi n° 2006-1772 du 30 décembre 2006), transposition en droit français de la DCE (Directive Cadre sur l’Eau, 2000/60/EC), qui entend rétablir le bon état des masses d’eau européennes (i.e. bon état écologique, bon état chimique, bon état morphologique), les étangs de barrage, positionnés en travers du cours d’eau, induisent une rupture du continuum écologique. Ils constituent alors un obstacle à l’atteinte du bon état de certaines masses d’eau. La gestion piscicole de l’étang et, tout particulièrement la vidange de celui-ci, est elle aussi source de questionnements pour les gestionnaires de l’eau car elle conduit au brusque rejet d’eau et de sédiments vers l’aval. Leur impact sur la température des cours d’eau qu’ils obstruent est également un sujet d’inquiétudes (Touchart, 2007 ; Touchart et Bartout, 2010 ; Touchart et al., 2021). Ces travaux témoignent de la complexité de ces systèmes aquatiques dont l’impact thermique varie selon la morphologie du plan d’eau, de ses rives et des ouvrages qui constituent l’étang, mais qui évolue également au gré des cycles nycthéméraux et saisonniers. Ce paramètre ne peut donc pas être réduit à une valeur unique.

3Face à la présence de cet outil de production aquacole/agricole localisé à même le cours d’eau, la position des organismes ayant en charge la préservation des milieux aquatiques est naturellement défavorable à la création de nouveaux plans d’eau (au regard de la rupture du continuum en particulier), voire favorable à leur effacement. Cette dernière solution rétablirait efficacement le continuum écologique du cours d’eau. Moins radicale, mais souvent complexe techniquement, la mise en place d’un ruisseau de contournement est également susceptible de rétablir ce continuum, à condition que ce cours d’eau « alternatif » présente des conditions biogènes suffisantes. Cette seconde solution, lorsqu’elle est possible, permet cependant le maintien d’une activité de production piscicole, source d’aliments locaux et porteur d’une activité économique dans les territoires ruraux. Or, si cette activité piscicole est maintenue, les impacts négatifs qui lui sont associés le sont aussi. Ainsi, la vidange d’étang piscicole peut être une source de rejet de sédiments vers l’aval (ex. rejets de sédiments estimés à 0,4-4 t/ha d’étang vidangé (Banas et al. 2008)). Complexe, cet écosystème/agrosystème nécessite de ne pas se limiter à une réflexion simpliste sur la balance service/dis-service associée. En effet, l’impact négatif des activités piscicoles ou de la simple existence de ces plans d’eau peut être significatif pour certains paramètres ou certaines conditions (ex. rejets durant les vidanges évoqués plus avant). Ils sont aussi source de services intrinsèques aux fonctions qui ont justifié leur création (ex. production piscicole, activité économique) mais aussi d’impacts positifs encore mal évalués, ou a minima, insuffisamment reconnus pour peser sur la balance lorsque des décisions rapides et simples sont souhaitées face à un problème complexe tel que le rétablissement du bon état des masses d’eau.

4Ainsi, il est reconnu que les plans d’eau et bassins induisent une modification de l’hydrodynamique pouvant être mise à profit pour la sédimentation et la rétention de contaminants. Ce processus peut soit être considéré comme délétère pour le cours d’eau, en raison de la modification de la charge en suspension qu’il induit, soit positif. En effet, c’est principalement ce même processus qui est mis à profit dans les ouvrages de lagunage ou de remédiation, créés dans le but de retenir certains éléments indésirables (ex. azote, polluants métalliques ou organiques) véhiculés par l’eau. Ainsi, bassins de lagunage, bassins de rétention des eaux en aval de vignobles ou d’agglomérations, sont fréquemment construits dans cet objectif. L’étang, bien que non érigé dans ce but, est alors lui aussi susceptible d’abattre la charge en contaminants pour ces mêmes raisons (par augmentation des processus de décantation et des interfaces eau/sédiment ; eau/air ; eau/végétaux). L’effacement de l’ouvrage qui rétablirait le continuum écologique, se verrait alors accompagné de la perte de ce service de régulation des concentrations et flux. La quantification de celui-ci s’avère alors nécessaire afin que les décisions d’aménagement des bassins hydrographiques (ex. effacement d’étang) puissent être prises en toute connaissance des bénéfices et risques induits.

5L’article présent a pour objectif de faire un bilan synthétique des résultats de nos recherches qui visent à apprécier l’impact des étangs de barrage sur les concentrations et flux de contaminants. Cet article en français apporte ainsi pour la première fois, un regard global sur les divers types de contaminants (c.-à-d. éléments nutritifs, métaux, pesticides). Dans le cadre de ce travail, nous avons aussi souhaité nous référer à nos travaux de valorisations spécifiques aux divers contaminants considérés individuellement. Le lecteur pourra alors s’y référer si son intérêt porte spécifiquement sur une famille de contaminants. Cette synthèse multi-contaminants permet alors de s’interroger globalement sur ce que serait la qualité chimique de nos cours d’eau si ces plans d’eau étaient effacés et sur les connaissances qui restent à acquérir afin d’estimer au mieux la balance bénéfice/risque de leur présence ou suppression.

Quantification de la rétention d’éléments nutritifs

6Les plans d’eau, qu’ils soient naturels ou artificiels, par les conditions de dynamiques hydrauliques et physico-chimiques qu’ils induisent (ex. conditions anoxiques favorables à la dénitrification), sont susceptibles de réduire significativement les transferts d’éléments nutritifs vers l’aval. Ainsi, des taux de rétention d’azote particulièrement élevés peuvent être observés en grands lacs et atteindre plus de 95 % d’abattement (Henriksen and Wright, 1977 ; Hemond and Eshleman, 1984). Si de tels taux peuvent difficilement être atteints au sein de plans d’eau plus petits du fait de temps de résidence hydraulique plus réduits, des taux atteignant 50 % peuvent être attendus selon Tournebize et al. (2017), à condition de disposer de volumes de bassins d’au moins 76 m3 par ha de bassin-versant drainé. L’efficacité de tels bassins artificiels n’atteint son optimum qu’après une période de maturation nécessaire entre autres, au développement des communautés bactériennes (Arheimer and Pers, 2017).

7Bien que n’ayant pas été créés dans un but de réduire la charge en éléments nutritifs dans le réseau hydrographique, les étangs piscicoles sont susceptibles de rendre ce service de régulation des flux. La superficie importante de l’étang en comparaison à la superficie de bassin-versant drainé (souvent de l’ordre de 200 à 1 000 m²/ha) est bien au-delà des préconisations de Tournebize et al. (op. cit.) et est alors susceptible de favoriser les processus de sédimentation de particules vectrices de contaminants, voire de permettre la dégradation des molécules.

8Le suivi (bimensuel) durant un an des flux d’azotes et de phosphore en amont et aval de trois étangs piscicoles lorrains (superficie de 1, 9 et 37 ha), ont permis d’estimer ce taux de rétention dans l’étang entre 55 et 106 kg d’azote total par hectare d’étang et entre 1,5 et 10,9 kg pour le phosphore total (Banas, 2001 ; Banas et al., 2002). Sur l’ensemble d’un cycle piscicole annuel, l’étang conduit à la rétention de 33 à 63 % des apports de N-NO3-avec un taux de rétention maximal, dépassant 70 %, en période printanière et estivale (Banas, op. cit.). Cette réduction de la charge en nitrates peut être attribuée d’une part à la dénitrification qui opère dans les conditions anoxiques observées dans ces milieux en période de forte dégradation de matière organique et d’autre part à la consommation d’azote pour la production primaire. Passy et al. (2012), s’appuyant sur des outils de modélisation et la calibration des taux de rétention mesurés sur un étang de 0,4 ha, estimaient que la réhabilitation d’étangs datant du XVIIIe siècle, répertoriés sur la carte de Cassini et ensuite « effacés » conduirait à une réduction très significative des flux de nitrates sur le bassin de la Seine. Nos résultats montrent que ce service de réduction des flux des nitrates opère au sein des étangs de barrage actuellement employés à la production de poissons continentaux.

Influence des étangs sur les transferts d’Eléments Traces Métalliques (ETM)

9Dans le cadre de nos recherches, les bilans entrée/sortie de quatre éléments traces métalliques (c.-à-d. cuivre, cadmium, zinc et plomb) ont été calculés pour trois étangs lorrains (superficie de 1, 4 et 32 ha, pour des superficies de bassin versant de respectivement 64, 86 et 345 ha). Sur l’ensemble d’un cycle piscicole d’un an, aucune réduction significative des concentrations n’étaient observées (Le Cor et al., 2020). Le bilan de masse entrée/sortie ne mettait pas en évidence de rétention de ces ETM au sein des étangs

10Ces résultats montrent qu’il est illusoire de considérer que l’étang peut efficacement être substitué à la fonction de tout type de bassin de lagunage. Cependant, ce n’est pas la structure même de l’étang, ni même l’absence de processus efficaces pour la rétention des ETM qui fait défaut en étang.

11En effet, si les voies et processus de biodégradation des contaminants organiques peuvent être multiples, la rétention d’ETM en plans d’eau résulte majoritairement de processus de sédimentation de particules sur lesquelles sont adsorbés les ETM. Des aménagements de plans d’eau artificiels en aval de source de pollution métalliques (ex. en aval de vignobles traités au sulfate de Cu) ont montré leur efficacité à lutter contre le transfert d’ETM vers les masses d’eau localisées en aval (Banas et al., 2010). L’accumulation de sédiments contaminés au sein de ces bassins nécessite alors un curage et une exportation de ces particules.

12En étang, un bilan nul relatif aux flux et concentrations d’ETM apparait logique à posteriori sur le long terme (sur des périodes plus courte, de rejets pouvant faire suite à des phases de rétention), au regard de l’état conservatif des ETM qui ne peuvent pas être biodégradés. En effet, l’efficacité de bassin créé spécifiquement pour lutter contre le transfert d’ETM nécessite une gestion à moyens et longs termes des sédiments accumulés et contaminés dans le bassin. Les étangs n’ayant pas été créés pour cette fonction, la gestion complexe des sédiments telle qu’elle est nécessaire en bassin de lagunage, n’a pas de raison d’être en étang.

13Cependant, au regard de ces résultats, diverses questions relatives à l’impact des étangs sur les concentrations et flux d’ETM persistent. En effet, si l’étang piscicole n’induit logiquement pas de rétention ou de rejet de polluants métalliques, ces travaux n’ont pas cherché à apprécier la spéciation de ces ETM. Au regard des conditions hydrodynamiques et physico-chimiques qui caractérisent l’étang, il est probable que si les flux d’ETM totaux ne sont pas modifiés, les formes (c.-à-d. dissous/particulaire, spéciation) sous lesquelles ces ETM sont véhiculés, soient modifiées. Si cela était le cas, cette modification de la spéciation pourrait avoir des répercussions délétères sur la faune et la flore des masses d’eau, ou au contraire, réduire la toxicité du complexe métallique.

Influence sur les transferts de contaminants organiques

14Contrairement aux ETM, les contaminants organiques tels que les produits phytopharmaceutiques (PPP), également désignés sous le nom de pesticides, sont susceptibles d’être dégradés plus ou moins rapidement en fonction de leur temps de demi-vie.

15Les pesticides organochlorés (OC) entre autres, doivent être considérés différemment de la plupart des pesticides actuellement appliqués sur les territoires agricoles. Souvent qualifiés de contaminants organiques historiques car majoritairement utilisés il y a plusieurs décennies et dorénavant interdits pour la grande majorité des applications, ils ont fait l’objet de nombreuses études. Ces pesticides sont également qualifiés de POP (Polluants Organiques Persistants) en raison de leur grande stabilité et donc de leur rémanence dans l’environnement. Ainsi, ces insecticides OC, tels que le DDT ou le lindane (gamma-HCH), se retrouvent encore de nos jours, à des concentrations détectables dans les sédiments de plans d’eau et de nombreux cours d’eau. L’impact de plans d’eau sur le flux amont-aval de ce type de pesticides, sera probablement comparable à celui constaté sur les autres éléments non dégradables (rémanents, conservatifs) tels que les ETM présentés plus avant. Il est même probable qu’étant donné que ces POP sont interdits d’usages depuis de nombreuses années, les apports vers les plans d’eau soient proches de zéro. A l’inverse, un plan d’eau ayant été exposé à des apports depuis son bassin versant lorsque ces produits n’étaient pas encore prohibés, ces derniers se sont accumulés dans les sédiments, ce qui explique au regard de leur rémanence élevée, qu’ils y soient encore actuellement quantifiés dans la matrice sédimentaire. Il est alors parfaitement envisageable que, lorsque les sédiments sont remis en suspension (ex. par bioturbation, par le vent, lors de vidange), l’eau rejetée vers l’aval soit plus chargée en ces contaminants historiques, que ne l’était l’eau entrant (de nos jours, alors que ces POP sont maintenant prohibés).

16La majorité des pesticides utilisés actuellement en Europe, sont caractérisés par une demi-vie bien plus courte que celle des pesticides OC. Plus aisément dégradables que les POP, ces molécules peuvent être également persistantes dans l’environnement, en fonction de leurs propriétés chimiques (ex. polarité, hydrophilie) et des conditions environnementales (ex. température, pH, O2) auxquelles elles sont exposées dans l’environnement. Par conséquent, la traversée d’un plan d’eau au sein duquel les conditions hydrodynamiques et physico-chimiques sont très différentes de celles du cours d’eau, est susceptible d’avoir des répercussions à la fois sur les concentrations des pesticides dans l’eau mais également sur les quantités charriées par le cours d’eau.

17Pour apprécier l’impact d’étang piscicoles de barrage sur ce transfert amont-aval de pesticides dans les cours d’eau de tête de bassin versant, nous avons mené diverses expérimentations. Sur la base de prélèvements d’eau réalisés toutes les deux semaines en amont et aval de trois étangs piscicoles lorrains (superficie de 1, 4 et 32 ha, respectivement), les concentrations de 100 pesticides étaient mesurées. Le nombre de molécules détectées en aval de l’étang n’était pas significativement différent de l’amont (48 molécules détectées en aval vs 50 en amont). Cependant, la concentration moyenne en pesticides totaux mesurée en amont de l’étang était quatre fois plus élevée qu’en aval (4,61 vs 1,04 µg/L). Lors des périodes d’épandage des pesticides sur le bassin versant agricole, les teneurs maximales en pesticides mesurées en amont des étangs atteignaient jusqu’à 41,2 µg/L alors qu’elles ne dépassaient jamais 7,38 µg/L en aval (Gaillard et al., 2016a). Les concentrations moyennes annuelles en pesticides mesurées en aval étaient en moyenne réduites de 77 % en comparaison aux concentrations mesurées dans le cours d’eau qui alimentait l’étang.

18La majorité des pesticides quantifiés dans les eaux de ces ruisseaux de tête de bassin versant étaient des herbicides susceptibles d’avoir un impact sur le développement du phytoplancton qui constitue le maillon de base des chaines trophiques aquatiques. Afin d’apprécier le risque écotoxicologique liés à cette contamination dans le cours d’eau, les concentrations mesurées ont été comparées celles connues pour avoir un effet toxique sur les algues phytoplanctoniques. Ensuite, la même appréciation était réalisée en aval de l’étang. La comparaison entre le cours d’eau amont et le cours d’eau aval a permis ainsi de mettre en évidence le rôle de l’étang sur l’abattement de ce risque écotoxicologique. En amont de l’étang, certains herbicides recherchés étaient fréquemment quantifiés à des concentrations supérieures aux concentrations à effet toxique (CE50 algues) alors que les concentrations en aval ne dépassaient jamais ces seuils (Figure 1).

Figure 1. Concentrations en diflufenican et dimétachlore en cours d’eau de tête de bassin agricole et dans ce même cours d’eau après la traversée d’un étang de 4,5 ha

Figure 1. Concentrations en diflufenican et dimétachlore en cours d’eau de tête de bassin agricole et dans ce même cours d’eau après la traversée d’un étang de 4,5 ha

19Cette réduction des concentrations en aval de l’étang peut résulter de multiples processus (ex. dilution, photodégradation, phytoremédiation, métabolisation microbienne, etc.). Le seul processus de dilution au sein du plan d’eau pourrait à lui seul constituer une explication. Si tel était le cas et qu’aucune rétention ou dégradation de pesticides n’intervenait, la présence de l’étang engendrerait une réduction des pics de concentrations en PPP et donc a minima, une réduction des risques écotoxicologiques aiguës pour les organismes.

20Le calcul des flux de pesticides charriés par le cours d’eau, en amont et en aval de l’étang, montre que d’autres processus que la dilution sont engagés et induisent une vraie réduction des quantités de pesticides dans le cours d’eau. Ainsi, les travaux de Gaillard et al. (2016b) montraient que selon le pesticide, celui-ci peut être très peu retenu (réduction entre l’amont et l’aval de 0 à 8 % pour le prosulfocarbe), totalement retenu ou dégradé (100 % de rétention pour le clopyralid) dans l’étang.

21En moyenne, une rétention de 59 % pour la somme des pesticides était mesurée au sein des étangs (Banas et al., 2019).

22Ces résultats témoignent d’une dégradation et/ou d’une rétention des pesticides au sein de ces étangs piscicoles de barrage. Une dégradation/transformation des PPP peut conduire à la production de produits de transformation (ex. métabolites). L’expérience a montré que certains de ces composés sont susceptibles de présenter eux aussi un risque écotoxicologique parfois même supérieur à celui du produit « parent ». Pour cette raison, même si la toxicité de la quasi-totalité des produits de transformation (PT) des 466 PPP susceptibles d’être appliqués en Europe (Nagy et al., 2020) est peu renseignée, il s’avérait nécessaire d’évaluer si l’étang induit un rejet de PT en aval ou conduit à une réelle rétention ou dégradation totale des pesticides.

23Les travaux en cours à l’URAFPA (Université de Lorraine) dans le cadre de la thèse de François Le Cor (2021) ont pour objectif d’évaluer si cet abattement des concentrations et des flux de pesticides en aval des étangs, s’accompagne ou non d’un rejet de PT potentiellement toxiques pour les organismes aquatiques. Les résultats de ces travaux de recherches qui seront soutenus le 7 juin 2021, permettent de constater que le cours d’eau de tête de bassin en amont de l’étang apporte déjà de fortes quantités de PT et que l’étang induit à la fois une réduction de la charge en pesticides (molécules mère) mais aussi en PT (Figure 2) dans le cours d’eau (Le Cor, 2021).

Figure 2. Quantité de pesticides (molécules mères) et produits de transformation, transportée par un cours d’eau de tête de bassin versant, en amont et en aval d’un étang de 4,5 ha

Figure 2. Quantité de pesticides (molécules mères) et produits de transformation, transportée par un cours d’eau de tête de bassin versant, en amont et en aval d’un étang de 4,5 ha

Conclusions et perspectives

24Par définition, l’étang de barrage constitue un obstacle à l’écoulement naturel d’un cours d’eau entravé par une digue. Cette digue, dans la très grande majorité des cas, a été construite avant que les interrogations et les législations relatives à la préservation de la biodiversité aquatique ne voient le jour. Un tel aménagement est incompatible avec la notion de continuité écologique. Il est alors actuellement inenvisageable de créer d’avantage d’étangs de barrage, même s’ils sont source de multiples services tels que la production locale de produits alimentaires, le soutien d’une économie rurale et, sont bien souvent des sites remarquables par leur biodiversité. La tendance actuelle, dans un objectif de rétablir ce continuum, est favorable à l’effacement des seuils et barrage qui entravent la libre circulation amont-aval des organismes. Lorsque ceci est possible, il n’est pas rare que la volonté de supprimer un étang et son barrage soit exprimée. Si cet effacement s’avère de toute évidence une solution pour rétablir ce continuum, il est important d’évaluer préalablement l’impact global de l’étang sur le territoire et sur le cours d’eau entravé. A l’échelle du territoire, ce sont l’économie, le paysage, le patrimoine ainsi que la faune et la flore inféodées à ces milieux qui se verraient modifiés. A l’échelle du cours d’eau, le continuum serait rétabli.

25Cependant, par méconnaissance des effets globaux de ces systèmes, il se révèle difficile d’anticiper avec précision les répercussions de cet effacement qui ne se limiteraient pas à ce simple rétablissement, ni même à un retour aux conditions naturelles qui préexistaient avant la création de l’étang. En effet, le territoire et les masses d’eau ont évolué avec le développement de l’activité industrielle et agricole, bien souvent postérieures à la création de l’étang.

26Les petits cours d’eau de tête de bassin ne sont généralement pas intégrés aux réseaux de surveillance des masses d’eau et les connaissances sur leurs contaminations sont rares (Gaillard et al., 2016a ; Szöcs et al., 2017). Nos travaux menés au cours de cette dernière décennie, ont montré que les concentrations en pesticides dans les cours d’eau de tête de bassin peuvent dépasser régulièrement certains seuils toxiques (Gaillard et al. 2016a). Ces travaux ont également mis en évidence que ces concentrations peuvent être abaissées sous ces seuils à la traversée d’étangs de barrage, ce dernier jouant alors le rôle de tampon. Cette réduction des concentrations en pesticides pourrait s’accompagner d’une production de PT et donc de leurs rejets en aval. L’analyse environnementale des PT se heurte cependant à la complexité analytique qui nécessite le développement d’outils robustes de quantification dans les matrices environnementales (Dufour et al., 2020). Ces contraintes analytiques font que les données de terrain relatives à la contamination par les PT sont encore extrêmement rares (Fonseca et al., 2019) bien que les questionnements concernant les PT aient connu un fort développement ces dernières années (Melin et al., 2020). Sachant que les TP, issus de la transformation des composés parents, sont souvent plus stables et donc potentiellement plus présents dans l’environnement (Schuhmann et al., 2019), il est pertinent de déterminer avec précision l’ampleur de la contamination environnementale (Gruchlik et al., 2018) notamment dans les cours d’eau de tête.

27Nos travaux de recherches en cours (Le Cor, 2021) mettent en évidence la présence de ces contaminants à des concentrations élevées, dès les premiers kilomètres de linéaires des cours d’eau de tête de bassin (ordre 1 de Strahler). Ces petits cours d’eau, en dehors de la présence d’étangs piscicoles, alimentent directement d’autres cours d’eau d’ordres plus importants. L’effacement des étangs, s’il rétablirait le continuum, gommerait aussi cet effet tampon face aux contaminants. En l’absence d’étang piscicoles de barrage, la qualité de l’eau en aval ne deviendrait pas équivalente à celle qui préexistait avant la création de l’étang, mais à celle existant actuellement en amont de celui-ci. Par conséquent, une attention toute particulière doit être portée aux niveaux de contaminations des cours d’eau de tête de bassin. Cet effet tampon induit par l’étang, doit être pris en compte et peser dans la balance bénéfice/risque lors des choix d’aménagements ou de réaménagements des masses d’eau, au risque sinon, de voir une masse d’eau déclassée par des concentrations en contaminants, alors que celles-ci auraient été inenvisageables en présence d’un étang plus en amont. En l’état des connaissances, nous savons que cet effet tampon est d’autant plus marqué que le cours d’eau est contaminé. Il est encore actuellement difficile de prédire quels sont les processus impliqués dans cet abattement. La compréhension de ces processus de rétention/dégradation des contaminants, tout comme la détermination du type d’étang favorable à cet abattement, se révèlent maintenant nécessaire dans l’objectif de pouvoir pleinement anticiper les bénéfices et les risques assujettis à des décisions de réaménagement et de réhabilitation de masses d’eau.

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Tournebize, J., Chaumont, C., Mander, Ü. (2017). « Implications for constructed wetlands to mitigate nitrate and pesticide pollution in agricultural drained watersheds » Ecol. Eng. 103: 415–425.

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Table des illustrations

Titre Figure 1. Concentrations en diflufenican et dimétachlore en cours d’eau de tête de bassin agricole et dans ce même cours d’eau après la traversée d’un étang de 4,5 ha
URL http://journals.openedition.org/dynenviron/docannexe/image/4509/img-1.jpg
Fichier image/jpeg, 193k
Titre Figure 2. Quantité de pesticides (molécules mères) et produits de transformation, transportée par un cours d’eau de tête de bassin versant, en amont et en aval d’un étang de 4,5 ha
URL http://journals.openedition.org/dynenviron/docannexe/image/4509/img-2.jpg
Fichier image/jpeg, 70k
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Pour citer cet article

Référence papier

Damien Banas, François Le Cor, Juliette Gaillard, Vincent Dufour, Alain Iuretig, Pamela Hartmeyer, Claire Soligot-Hognon et Sylvain Slaby, « L’étang piscicole de barrage sur la balance : L’abattement de la contamination des eaux par les étangs est-il un service de poids ? »Dynamiques environnementales, 45 | 2020, 209-216.

Référence électronique

Damien Banas, François Le Cor, Juliette Gaillard, Vincent Dufour, Alain Iuretig, Pamela Hartmeyer, Claire Soligot-Hognon et Sylvain Slaby, « L’étang piscicole de barrage sur la balance : L’abattement de la contamination des eaux par les étangs est-il un service de poids ? »Dynamiques environnementales [En ligne], 45 | 2020, mis en ligne le 01 janvier 2021, consulté le 29 mars 2024. URL : http://journals.openedition.org/dynenviron/4509 ; DOI : https://doi.org/10.4000/dynenviron.4509

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Auteurs

Damien Banas

Université de Lorraine, INRAE, URAFPA, F-54000 Nancy, France

François Le Cor

Université de Lorraine, INRAE, URAFPA, F-54000 Nancy, France

Juliette Gaillard

Université de Lorraine, INRAE, URAFPA, F-54000 Nancy, France

Vincent Dufour

Université de Lorraine, INRAE, URAFPA, F-54000 Nancy, France

Alain Iuretig

Université de Lorraine, INRAE, URAFPA, F-54000 Nancy, France

Pamela Hartmeyer

Université de Lorraine, INRAE, URAFPA, F-54000 Nancy, France

Claire Soligot-Hognon

Université de Lorraine, INRAE, URAFPA, F-54000 Nancy, France

Sylvain Slaby

Université de Lorraine, INRAE, URAFPA, F-54000 Nancy, France

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Droits d’auteur

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