1À la faveur de la rencontre entre la ride médio-atlantique et une plume mantellique (point chaud), l’Islande est un fragment de plancher océanique qui émerge de l’océan Atlantique, une île essentiellement formée de basalte, au volcanisme très actif. Toutefois, au milieu des paysages sombres et des regs noirs qui caractérisent les Hautes Terres islandaises, la caldera du Torfajökull (fig. 1) et ses formations rhyolitiques très colorées apportent un contraste saisissant. Les roches orangées et jaunes, rares en Islande, dominent dans cette région montagneuse qui constitue la zone géothermique la plus puissante et la plus étendue du pays. La région de Landmannalaugar (photo 1), située à l’entrée de la caldera, au cœur d’une extrême diversité de paysages spectaculaires, est un site d’intérêt majeur pour le tourisme. Depuis la construction d’un refuge de montagne en 1951, les visiteurs s’y rendent en été pour apprécier le paysage et pour se baigner dans les sources d’eau chaude. Intégrée à la réserve naturelle de Fjallabak en 1979, cette région est de plus en plus prisée pour les activités en plein air, ce qui soulève des questions de protection du géopatrimoine et de gestion du tourisme.
Situation : au sud des Hautes Terres d’Islande.
Type de site : exogène
Protection : site intégré à la réserve naturelle de Fjallabak depuis 1979.
Particularité : coulées de la lave récentes et nombreuses formations géothermales.
2La diversité exceptionnelle des formes du relief présentes dans la caldera du Torfajökull a pour origine différents processus : le volcanisme, la géothermie, la gélifraction, l’érosion glaciaire, l’érosion fluviale, ainsi que la combinaison entre plusieurs de ces processus. Le paysage bariolé et varié n’est en effet pas seulement dû aux éruptions volcaniques, mais doit beaucoup à l’érosion et au ravinement qui ont exposé en surface des roches hautement altérées par la chaleur géothermique en profondeur, et qui prennent des couleurs allant de l’orange au vert en passant par le bleu, le jaune, le rouge et le gris (photo 2). Le climat froid et humide qui règne dans cette région comprise entre 580 et 1 190 m d’altitude et exposée à d’importantes amplitudes thermiques favorise le ravinement intense des versants et empêche la végétation de croître, ce qui laisse apparaître des rhyolites multicolores un peu partout. Les rhyolites, très sensibles à la gélifraction, sont intensément fracturées et débitées en fines plaquettes par les alternances de gel et de dégel. Dans les zones peu pentues, les gélifracts sont remobilisés par la cryoturbation, ce qui crée d’étonnants sols structurés et des dallages de pierres, tandis quand sur les versants raides, la gravité entraine les gélifracts vers l’aval, formant ainsi des voiles d’éboulis et des versants réglés.
Figure 1. Carte géologique simplifiée de la caldera du Torfajökull, dont les limites sont indiquées par le trait violet. La croix rouge indique l’emplacement de Landmannalaugar. La légende est traduite par l’auteur
Source : Haraldsson, Ó.Ö. 2011. Fjallabak Nature Reserve. Ferðafélag Íslands, Reykjavík, pp. 16-17. Reproduite avec l’autorisation de Ferðafélag Íslands (tous droits réservés).
Photo 1. Le refuge, les parkings et le camping de Landmannalaugar sont situés sous le front de la Laugahraun, une coulée de lave rhyolitique visqueuse dominée par le versant grisâtre du Bláhnúkur, à l’entrée de la caldera du Torfajökull
Photo : J. Bussard, 2020
Figure 2. Croquis d’interprétation du paysage géomorphologique de Landmannalaugar
3Le refuge de montagne, le camping et les bains thermaux de Landmannalaugar sont situés dans la plaine alluviale du Jökulgilskvísl, le cours d’eau qui draine la partie la plus englacée et la plus ravinée de la caldera et dont les dépôts forment une vaste plaine d’épandage fluvio-glaciaire de couleur claire (jaunâtre), ce qui contraste avec les sandurs noirs caractéristiques de l’Islande. Juste au-dessus se dresse le front impressionnant d’une coulée de lave noire d’obsidienne, la Laugahraun, qui date de l’an 1477 (photo 1 et fig. 2). La viscosité élevée de cette lave acide issue d’un cratère situé à seulement 1,5 km au sud-ouest a empêché sa propagation à une distance plus importante. Son épaisseur et sa surface chaotique (coulée de type aa) en sont les conséquences. En 1477, une coulée de lave appartenant au système du Bárðarbunga – qui est en éruption au même moment ! – se répand à moins de 2 km de là (photo 3). Mais contrairement à la Laugahraun, la Norðurnámshraun est une coulée basaltique beaucoup plus fluide. Elle s’est donc écoulée plus facilement, est moins épaisse et sa surface est presque lisse, de type pahoehoe. L’éruption simultanée et les interactions entre les deux systèmes volcaniques aux propriétés pourtant bien différentes constituent un phénomène remarquable et d’une grande valeur scientifique. Des questions restent ouvertes dans la compréhension des liens entre le Torfajökull, un volcan « de flanc », et le système volcanique de « rift » du Bárðarbunga voisin.
Photo 2. Brennisteinsalda, un sommet de rhyolites coloré par l’altération hydrothermale
Photo : J. Bussard, 2020
Photo 3. Námshraun au premier plan, une coulée de lave acide et visqueuse (coupée par la route), Norðurnámshraun au second plan, une coulée de lave basique et beaucoup plus fluide
Photo : J. Bussard, 2020
4De part et d’autre de la coulée de lave Laugahraun, deux sommets étrangement différents se font face (fig. 2) : le Brennisteinsalda à l’ouest (photo 2), extrêmement coloré, assorti d’un dyke et d’un éboulis arc-en-ciel, et le Bláhnúkur (photo 1) à l’est, une arête de roches sombres tirant sur le bleu-gris. Le premier, assez ancien, est très affecté par l’altération hydrothermale, ce qui lui donne ses couleurs vives, tandis que le second, bien plus récent, est issu d’une petite éruption effusive ayant eu lieu sous un épais glacier durant la dernière période glaciaire. Les éruptions sous-glaciaires du Pléistocène ont d’ailleurs conduit à la formation d’un type de montagne plutôt rare (mais fréquent en Islande), les tuyas, dont le sommet est plat et les versants très raides. Il en existe des exemples remarquables, tels que Kirkjufell et Laufafell, situés juste en dehors des limites de la caldera.
5La caldera du Torfajökull est la zone géothermique la plus étendue et la plus active du pays. Une activité intense qui se traduit par l’existence de deux types de formes : les fumerolles et les sources d’eau chaude. Dans le cas des fumerolles, la chaleur est transportée par de la vapeur d’eau contenant différents gaz. En surface, cela donne des panaches de vapeur, mais aussi des mares de boue et d’innombrables petites zones entourées de solfatares aux couleurs vives où l’eau bout en permanence sur un fond de sable ou de graviers (photo 4). Dans le but de protéger ces formations géologiques et ces paysages uniques, la réserve naturelle de Fjallabak a été créée en 1979 et comprend quasiment l’intégralité de la caldera du Torfajökull. Depuis 2013, elle figure aussi sur la liste indicative de l’Unesco en vue d’une éventuelle inscription sur la liste du patrimoine mondial. Ces efforts de protection du paysage et de ses caractéristiques géomorphologiques illustrent le processus de patrimonialisation en cours dans la région de Landmannalaugar. La valeur patrimoniale de ce site – scientifique, esthétique, culturelle, écologique – ne se résume pas à celle d’un géomorphosite ponctuel. Elle doit être considérée au regard d’un ensemble paysager dans lequel de nombreux géomorphosites de différentes tailles s’imbriquent et forment un paysage géomorphologique très rare, voire unique, ayant une valeur scientifique très élevée.
Photo 4. Les fumerolles et les solfatares sont nombreuses dans la caldera du Torfajökull. Ces formations géothermales sont très fragiles et sensibles au piétinement
Photo : J. Bussard, 2020
6Toutefois, Landmannalaugar est la destination touristique de loin la plus visitée des Hautes Terres, avec près de 100 000 visiteurs par an ces dernières années, soit près du double par rapport à 2008 (Sæþórsdóttir et Hall, 2021). Malgré le statut de réserve naturelle, cette importante hausse de la fréquentation touristique n’est pas sans conséquence sur le paysage géomorphologique, en particulier sur les formations géothermales (solfatares et fumerolles), qui sont très fragiles et sensibles au piétinement. Des mesures ont été prises à Landmannalaugar pour limiter le développement des infrastructures (qui restent rudimentaires par rapport au nombre de visiteurs), renforcer la stabilité des sentiers pédestres et inciter les visiteurs à rester sur les itinéraires balisés, qui d’ailleurs évitent certaines des zones les plus sensibles. Le gouvernement islandais est en train d’élaborer un nouveau plan de gestion de la réserve naturelle dont le principal enjeu est l’interdiction de circuler à pied, à vélo, à cheval, en motoneige ou en « super-jeep » en dehors des routes balisées dans les secteurs les plus fragiles de la réserve. Si la mise en place de ces mesures semble utile, voire indispensable, nous estimons que l’immense potentiel didactique de ce paysage géomorphologique extraordinaire pourrait être davantage valorisé.