Type de site : Exogène
Protection : Le site est protégé et classé comme « Monument Naturel » par la loi brésilienne 19/93 (Monumento Natural dos Monólitos de Quixadá) depuis le 25 octobre 2002.
Particularité : Le site présente à la fois un intérêt historique (vestiges hydrauliques du XIXe siècle), préhistorique (peintures et gravures rupestres) et paléontologique (restes de mégafaune pléistocène).
Coordonnées : 4°55'30"S, 38°59'30"O.
1Dans le vaste intérieur semi-aride du Sertão brésilien, le champ d’inselbergs granitiques de Quixadá (Ceará central) est l’un des plus remarquables du Brésil, par la dimension monumentale de ses paysages minéraux et l’immense variabilité des formes de relief à différents niveaux scalaires (de la microforme d’érosion d’échelle centimétrique à l’inselberg en dôme rocheux de dimension kilométrique). Élément du géopatrimoine national brésilien, ce géomorphosite granitique possède un lot de valeurs additionnelles (culturelle, historique, esthétique et écologique) qui lui confèrent un haut degré de patrimonialité. Protégé comme « Monument Naturel » par la loi brésilienne depuis 2002 et partiellement inscrit sur la liste indicative du Patrimoine Mondial de l’UNESCO depuis 2015, il fait actuellement l’objet d’un projet de Géoparc qui vise à renforcer les actions éducatives et géoconservatoires et, surtout, à favoriser le géotourisme en tant que levier de développement rural, dans une région située à l’écart des grands pôles d’attractivité économique et touristique du Nordeste brésilien.
2Situé dans la partie centrale de l’État du Ceará, à environ 150 km au sud de Fortaleza, le batholite de Quixadá représente la partie septentrionale du complexe intrusif tardi-orogénique de Quixadá-Quixeramobim (fig. 1). D’âge néoprotérozoïque (~600 Ma), ce batholite d’une superficie de 260 km² est majoritairement constitué de monzonites de texture porphyrique à nombreux phénocristaux de plagioclases et de feldspaths potassiques. Des diorites et des syénites se trouvent également au sein du massif intrusif, essentiellement sous forme d’enclaves elliptiques et de dykes syn-plutoniques. En périphérie proche du batholite, pris entre deux grandes zones de failles, de petites intrusions de granites leucocrates et des lames orthogneissiques augmentent encore la diversité pétrographique du secteur. Le champ d’inselbergs de Quixadá correspond à la mise en valeur, par l’érosion différentielle, de ces intrusions de roches granitoïdes aux dépens de l’encaissant métamorphique (micaschistes, paragneiss, migmatites) et, à l’intérieur du batholite lui-même, de l’inégale fracturation du bâti rocheux et de sa variabilité pétrographique interne. Véritable palimpseste géomorphologique, ce paysage d’inselbergs constitue un ensemble remarquable de reliefs résiduels préservés lors de l'élaboration de la « surface sertaneja » : cette dernière dessine une vaste pédiplaine développée sur les flancs d’épaules de rift et de horsts complexes générés au cours de l’épisode de rifting crétacé, et évoluant tout au long du Cénozoïque par retouches successives en réponse au lent soulèvement flexural de la marge passive transformante (Peulvast et Bétard, 2015).
Figure 1. Localisation et configuration du batholite monzonitique de Quixadá et de son champ d’inselbergs (Ceará central, Brésil). A : Carte géologique simplifiée de la région de Quixadá (source des données géologiques : CPRM - Serviço geológigo do Brasil ; cartographie : F. Bétard). B : Bloc-diagramme schématique du géomorphosite granitique de Quixadá (d’après Maia et al., 2015) ; ZCQ : Zone de Cisaillement de Quixeramobim ; ZCSP : Zone de Cisaillement de Senador Pompeu.
3Le géomorphosite de Quixadá apparaît comme un musée géomorphologique à ciel ouvert de formes de relief granitiques d’échelles variées (Maia et al., 2015 ; Migoń et Maia, 2020 ; Olímpio et al., 2021). Aux grands inselbergs à dôme lisse présents au sud du batholite, qui dominent de 300 à 400 mètres la plaine sertaneja, succède vers le nord une collection de « monolithes » (monólitos en brésilien) de taille plus réduite (40 à 200 mètres de hauteur) aux modelés de détail typiques des morphologies granitiques (vasques, cannelures et taffonis ; fig. 2). D’échelle centimétrique à plurimétrique, ces modelés mineurs illustrent la gamme variée des processus de météorisation des roches cristallines à l’œuvre dans un milieu tropical semi-aride. Les réseaux de diaclase servent souvent de point de départ à la formation des taffonis, qui s’agrandissent par désagrégation granulaire sous l’effet autocatalytique de processus de météorisation d’origine hydrique (hydroclastie, hydrolyse) sur les faces et aspérités des inselbergs où l’humidité se conserve le mieux. Les cannelures qui strient les parois subverticales de ces modelés lithologiques apparaissent davantage guidées par la pente rocheuse que par la fracturation du bâti, témoignant d’actions localisées de dissolution et d’exportation de matière dissoute ou particulaire par les filets d’eau ruisselants. Sur les surfaces peu inclinées du sommet des inselbergs et des replats rocheux, des vasques exploitent les enclaves mafiques ou les diaclases et sont généralement connectées aux cannelures de paroi via un exutoire de trop-plein. Enfin, les morphologies d’exfoliation sont fréquentes sur les dômes nus des grands inselbergs : à leur sommet, des actions de bioturbation par les plantes succulentes (cactacées et broméliacées) participent au décollement superficiel des dalles rocheuses et s’ajoutent à la desquamation d’origine thermoclastique et/ou lithostatique.
Figure 2. Le géomorphosite de Quixadá : diversité des formes de relief granitiques à toutes les échelles. A : Inselbergs orthogneissiques dominant de 300 à 400 m la surface sertaneja au sud de Quixadá. B : Dôme-inselberg de granite leucocrate (Serra Branca, à droite) et bornhardts du batholite monzonitique de Quixadá (à l’arrière-plan, à gauche et au centre). C : Entrée dans la « Vallée monumentale du Ceará » par la route fédérale 122 ; noter la présence de modelés rocheux de tailles variées, allant du tor granitique de quelques mètres de hauteur (à gauche) et au dôme-inselberg (à droite) dominant la plaine de 180 mètres (Serrote Muxió). D : Inselberg monzonitique à morphologies pseudokarstiques, associant cannelures et vasques « en fauteuil ». E : Taffoni et cannelures dans une paroi subverticale d’inselberg. F : Inselberg surbaissé de type nubbin formé par un ensemble de blocs de taille plurimétrique. G : Sommet d’un dôme-inselberg orthogneissique évoluant par exfoliation, aidée par l’action biomécanique des cactacées et broméliacées de la caatinga. Clichés : F. Bétard.
4De nombreuses valeurs additionnelles complètent la valeur scientifique centrale du géomorphosite de Quixadá et sa panoplie de reliefs granitiques, lesquels possèdent un intérêt pédagogique indéniable pour illustrer la géomorphologie des granites en milieu tropical à toutes les échelles. Tout d’abord, l’intérêt historique et la valeur culturelle du site sont reconnus aux niveaux national et international. À l’ouest de la ville de Quixadá, le barrage Cedro, comprenant les vestiges encore visibles du canal d’irrigation de la fin du XIXe siècle, est le premier grand projet hydraulique du continent sud-américain, inscrit depuis 2015 sur la liste indicative du Patrimoine Mondial de l’UNESCO (fig. 3). Le site historique du barrage s’insère dans un paysage pittoresque d’inselbergs et de monolithes zoomorphes (ex : Pedra da Galinha Choca : « Pierre de la Poule Couveuse »), s’ajoutant à la valeur universelle exceptionnelle attribuée à cet ensemble architectural et technologique que constitue le patrimoine hydraulique de l’Açude Cedro. La valeur culturelle inclut également une valeur religieuse (sanctuaire catholique Nossa Senhora Imaculada Rainha do Sertão, perché au sommet de la Serra do Urucu) et, surtout, une valeur archéologique, avec un ensemble remarquable de peintures et de gravures rupestres associé à des vestiges lithiques précoloniaux.
Figure 3. Quelques valeurs additionnelles (historique, culturelle, esthétique, écologique) du géomorphosite de Quixadá. A : Digue du barrage Cedro de la fin du XIXe siècle, adossée à un inselberg à encoche basale. B : Sanctuaire Nossa Senhora Imaculada Rainha do Sertão, construit entre 1988 et 1995 au sommet de la Serra do Urucu. C : Paysage pittoresque d’inselbergs au-dessus de l’Açude Cedro (en haut à gauche : l’inselberg bisommital de la Pedra da Galinha Choca). D : Forêt sèche décidue colonisant les flancs d’un inselberg dissymétrique dans le périmètre labellisé de la Réserve de Biosphère de la Caatinga. Clichés : F. Bétard.
5La valeur écologique et paléoécologique du géomorphosite de Quixadá est non moins remarquable. Le site est inscrit dans le périmètre éclaté de la Réserve de Biosphère de la Caatinga, approuvée par l’UNESCO en 2001 dans le cadre du programme Man and Biosphere. La « caatinga », terme indien tupi qui signifie « forêt blanche », est le biome qui occupe la majeure partie du Nordeste brésilien semi-aride. Dans la région de Quixadá, cette formation végétale prend la forme d’une forêt sèche basse et décidue, riche en arbustes épineux et en plantes xérophiles (cactacées…). Elle accueille des espèces emblématiques de la faune sauvage d’Amérique du Sud, comme le Puma (Puma concolor) et l’Oncille oriental (Leopardus emiliae), ce dernier étant une espèce de félidé endémique de la caatinga. Sur un plan paléoécologique et paléontologique, le site de Quixadá a livré des gisements fossilifères de mégafaune pléistocène, connus depuis le milieu du XIXe siècle. Parmi les espèces de paléomammifères découvertes dans de menus remplissages colluviaux et lacustres au pied des inselbergs, figurent un paresseux herbivore (Eremotherium laurillardi), un glyptodon ou tatou géant (Panochthus greslebini), un mastodonte (Notiomastodon platensis) et un toxodon (Toxodontidae Indet.).
6Le géomorphosite de Quixadá bénéficie d’une protection dite « intégrale » par la loi brésilienne en tant que Monument Naturel (Monumento Natural dos Monólitos de Quixadá), l’un des rares outils législatifs permettant de protéger le géopatrimoine au Brésil. Le décret nº 26.805 du 25 octobre 2002, qui institue la création du périmètre protégé sur une superficie de 28 759 ha, justifie la conservation des inselbergs par leur rareté, leur beauté paysagère, leur valeur écologique et touristique, le potentiel qu’ils représentent en termes de développement économique, et vise à éviter les dégradations et destructions de ces objets géomorphologiques remarquables. Toutefois, la totalité des inselbergs n’est pas incluse dans le périmètre de protection, et certains d’entre eux sont directement menacés par l’extension de l’urbanisation autour de la ville de Quixadá (>80 000 habitants). Même dans la zone protégée, les dégradations du patrimoine géomorphologique sont fréquentes, en lien par exemple avec les extractions clandestines de « granit » qui défigurent petit à petit les inselbergs et en altèrent les modelés de détail. Ce dispositif de protection, très imparfait, est complété par l’existence de quatre RPPN (Reservas Particulares do Patrimônio Natural) destinées prioritairement à la conservation de la biodiversité.
7Un projet de Géoparc mondial UNESCO a récemment été lancé (Freitas et al., 2019). Baptisé « Sertão Monumental », ce projet intègre les territoires de deux municipalités (Quixadá et Quixeramobim) pour une superficie totale de 5295 km². Une vingtaine de points d’intérêt ou stations d’observation a été identifiée pour servir de base scientifique au futur dossier de candidature. En avril 2021, un programme de sensibilisation a été lancé pour informer et faire adhérer les communautés locales au projet, en s’appuyant largement sur l’expérience développée par le Géoparc Araripe, également situé dans l’État du Ceará et labellisé par l’UNESCO depuis 2006. L’objectif de ce projet de Géoparc est non seulement de développer les actions éducatives et conservatoires en faveur du géopatrimoine, jugées insuffisantes à l’heure actuelle, mais aussi de promouvoir le géotourisme dans une région située à l’écart des grands pôles d’attractivité économique du Nordeste, marqué par un fort tropisme littoral. Les retombées socio-économiques que la labellisation pourrait engendrer sont nombreuses : il s’agit, pour les acteurs du projet, de favoriser par ce biais un développement rural qui soit écologiquement et économiquement soutenable, participant aux mutations en cours concernant les représentations de la nature et de la société dans le Sertão brésilien, longtemps stigmatisé par son image de « polygone de la sécheresse ». Ce projet de territoire apparaît ainsi comme une aubaine pour les sociétés locales de tradition paysanne, dans une région en déprise où l’urbanisation prend aujourd’hui le pas sur les espaces naturels et agricoles. Le label Géoparc implique ici des enjeux socio-environnementaux très forts, susceptibles de redonner une valeur économique et fonctionnelle au paysage, et donc une raison évidente de le préserver.
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