Type de site : accumulation périglaciaire active en limite haute/moyenne montagne
Protection : dans le Parc national de la Vanoise
Particularité : un glacier rocheux actif d’accès relativement facile, témoin des dynamiques tardiglaciaires (fig. 1)
Coordonnées : N 45°19‘42’’, E 06°39’11’’
Figure 1. Le glacier rocheux de Chanrouge. La langue de blocs issue des éboulis de l’aiguille des Corneillets vient étaler son lobe terminal sur la pelouse du vallon de Chanrouge. On remarque les pentes latérales raides et les séries de bourrelets arqués qui sont des marques de fluage lent. Photo : C. Le Cœur, juillet 2012.
1Le vallon de Chanrouge est situé en Vanoise occidentale, à l’amont de la vallée de Méribel-les-Allues (fig. 2). Il constitue une annexe perchée de la vallée du Saut, dont la partie supérieure est occupée par le glacier de Gébroulaz, une langue glaciaire longue de 4 km.
2Le plancher du vallon se place vers 2400 m, il est dominé à l’Est par les hautes parois de l’Aiguille des Corneillets (3055 m). D’où une transition entre la moyenne et la haute montagne qui se marque sur les versants : une pelouse alpine s’étale sur les basses pentes localement ravinées, tandis que, vers le haut, des parois rocheuses découpées en pinacles par de profonds ravins, qui nourrissent de grands éboulis. Enfin dans une encoche de la crête se niche à 2850 m un petit glacier carré résiduel, en partie recouvert sous les débris rocheux.
Figure 2. Localisation. Le vallon de Chanrouge est situé entre la vallée de Gébroulaz et la haute crête méridienne de Chanrossa qui domine la vallée de Pralognan-Chavière. Vue Google Earth.
3Il est accessible à partir de la vallée de Méribel-les-Allues par un bon chemin jusqu’au refuge du Saut, puis un sentier raide mène au vallon perché 250 m plus haut.
4Le dispositif structural est très complexe. En effet la cuvette de Chanrouge est évidée dans les cargneules qui affleurent au cœur des séries du Trias plissées et déversées vers l’est entre le chevauchement des masses schisto-gréseuses du « houiller briançonnais » et la cicatrice méridienne de Chavière. Les calcaires triasiques redressés arment les crêtes tandis que les gypses et cargneules qui jalonnent les lignes de faille sont largement excavés dans la vallée du Saut comme dans ses annexes.
5Le glacier rocheux de Chanrouge occupe le fond de ce vallon entre 2400 et 2650 m. Son lobe terminal se détache sur la pelouse de moyenne montagne tandis que les pentes supérieures se relèvent dans les tabliers d’éboulis issus de l’Aiguille des Corneillets (3055 m). Ce glacier rocheux présente une langue de gros blocs à la surface tourmentée qui s’allonge entre 2650 et 2400 m. Long de 700 m, avec une pente moyenne de 17°, il montre une série de sillons et de rides arquées, soulignées par des gros blocs instables. Ses flancs sont raides et continus, encadrés par deux ravins entaillés par des eaux de fonte glaciaires rapportées aux périodes froides tardiglaciaires.
6Le front convexe du lobe principal vient couvrir la nappe alluviale couverte par la pelouse d’altitude (fig. 3). Un lobe secondaire se déverse vers la gauche dans le ravin latéral. Il présente des signes de mobilité dans ses bourrelets instables détournés vers la gauche (Le Cœur, 2003). Dans la partie moyenne, les rides disposées en croissant sont légèrement déviées vers la gauche, signe de la dynamique de l’appendice déversé dans le ravin (fig. 4). Le fluage lent est provoqué par la glace présente en profondeur sous les blocs. Ainsi le glacier rocheux de Chanrouge offre un bel exemple de dynamique périglaciaire active en Vanoise occidentale. La limite inférieure du pergélisol discontinu se situe vers 2500 m en exposition nord dans les Alpes occidentales, suivant les estimations de Haeberli et al. (2006) et les modélisations de Schoeineich (2010). L’enneigement perdure environ 7 mois et seuls les deux mois d’été peuvent échapper au gel nocturne, en interpolant les relevés climatiques des stations voisines (Val Thorens et la Plagne). Le fluage lent affecte un pergélisol riche en glace à l’intérieur de la langue de blocs. En effet, bien que la surface présente des blocs à texture ouverte laissant passer l’air frais, la partie interne est riche en matrice sablo-graveleuse. Elle est soudée par la glace interstitielle assurant la cohérence et la plasticité de l’ensemble. Le refroidissement hivernal du sol est contrebalancé par la pénétration de l’onde de chaleur estivale. Les sillons, qui conservent des plaques de neige au cours de l’été, réduisent l’apport calorique et contribuent à la recharge en eau froide sur le pergélisol.
Figure 3. Le vallon de Chanrouge. Le front du glacier rocheux de Chanrouge vient recouvrir une nappe alluviale ancienne. Les sorties d’eau sont très faibles, et les écoulements s’infiltrent à travers les cargneules du vallon. À gauche, les dalles rocheuses de l’aiguille de Chanrossa dominent des éboulis et les pentes ravinées. Au centre, l’aiguille des Corneillets avec ses pinacles et couloirs qui alimentent les tabliers d’éboulis en partie enneigés. Photo : C. Le Cœur, août 2014.
Figure 4. La mobilité de surface du glacier rocheux de Chanrouge. Cette image réalisée par interférométrie met en évidence les déplacements de la surface entre deux images prises à des dates différentes. Sur le glacier rocheux de Chanrouge (entouré en rouge), les mouvements sont plus importants sur le lobe dévié vers la gauche et dans la partie centrale (en violet). Le lobe inférieur paraît peu mobile (en vert) comme les pentes supérieures situées entre les couloirs de gélivation actifs (image réalisée par X. Bodin, 2020).
7En faisant l’hypothèse d’une épaisseur moyenne de 20 m, comprenant 20 % de glace, le volume de ce glacier rocheux peut être estimé à 3 000 000 m3, rapportés à une paroi de 162 000 m2. Cette langue de blocs contraste nettement avec les petits lobes de blocs fluants visibles à proximité, dans le secteur du Mont Coua (Le Cœur, 2014). C’est pourquoi il est possible de s’interroger sur l’origine de cette grande forme. Elle est probablement héritée d’un petit glacier développé au cours du Tardiglaciaire (12500-11500 BP) et enseveli sous des débris très grossiers provenant d’écroulements importants sur les parois de l’Aiguille des Corneillets lors d’un léger réchauffement.
8À proximité de la grande station de sport d’hiver de Méribel-les Allues, la réserve naturelle du Plan de Tueda sépare le domaine skiable de la haute montagne préservée. Ce secteur est situé dans la zone cœur du Parc national de la Vanoise. Une convention a été signée en juillet 2021 entre la commune des Allues et le Parc National afin de faire de la montagne du Saut un site de référence scientifique.
9L’enjeu est un suivi environnemental précis des réponses au changement climatique actuel entre moyenne et haute montagne. Les mesures sur le glacier de Gébroulaz, en recul marqué, se poursuivent depuis 1907, initiées par le prince Bonaparte et poursuivies par l’équipe de glaciologie de l’Institut de géosciences de l’environnement de Grenoble. Des relevés précis de géomorphologie sont entrepris afin d’évaluer la dynamique des différents glaciers rocheux de ce secteur, en vue d’un suivi de l’évolution des sols gelés dans le contexte du changement climatique actuel (laboratoires Edytem et Pacte). Le lac du Mont Coua appartient au réseau des lacs sentinelles, indicateur des modifications hydro-climatiques en haute montagne. Les équipes de naturalistes ont entrepris une reconnaissance systématique de la flore et de la micro-faune. Un suivi précis de l’évolution de la végétation sur des biotopes variés du vallon de Chanrouge met en évidence les impacts de l’arrêt de l’exploitation pastorale et des modifications du climat.
10Un refuge, situé dans la vallée du Saut, donne un accès facile à ce vallon perché qui attire les marcheurs. Le Parc national de la Vanoise dispose des panneaux d’information naturaliste autour du refuge. Deux itinéraires de randonnée de Vanoise s’approchent de la grande langue de blocs, soit vers le col Rouge, soit vers le col de Chanrouge d’où le marcheur peut embrasser une vue majestueuse sur le vallon et les sommets. Le petit lac de Chanrouge, enserré dans des petites accumulations morainiques fait un but de promenade, et donne l’occasion de poursuivre à travers la pelouse vers le front du glacier rocheux, toujours spectaculaire.
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