Introduction

1D’un point de vue écologique, l’urbanisation induit une perte et une fragmentation des habitats naturels, reconnues aujourd’hui comme une des causes majeures du déclin global de la biodiversité (MEA, 2005). Malgré cela, il est reconnu que les espaces semi-naturels en ville contribuent de manière globale à la conservation de la biodiversité (Dearborn et Kark, 2010 ; Grimm et al., 2000 ; Miller et Hobbs, 2002). En effet, on trouve en ville des bois urbains, des jardins privés ou publics, des parcs publics ou encore des friches végétalisées. Ces multiples espaces de nature créent une mosaïque complexe d’habitats, variables dans le temps et dans l’espace (Kattwinkel et al., 2011), et peuvent être des supports de biodiversité, notamment ordinaire.

2Les études en écologie urbaine, développées depuis quelques décennies, démontrent l’intérêt des friches urbaines pour les communautés végétales et animales trouvant refuge en ville. Les friches urbaines abritent de nombreux habitats confinés en des espaces réduits, présentant souvent divers stades de successions végétales (comme les photographies en Figure 1 le montrent). Les friches urbaines peuvent être des supports de biodiversité dans la trame verte urbaine fragmentée : ces espaces informels, peu ou non gérés, sont en effet colonisés par une flore spontanée (Bonthoux et al., 2014 ; McKinney, 2021 ; Muratet et al., 2007). Intégrer les friches urbaines aux politiques environnementales favoriserait la biodiversité végétale spontanée en ville. La valeur des friches urbaines pour la biodiversité est reconnue par les sciences environnementales, bien que les études sur cette question traitent principalement de grandes aires urbaines (Bonthoux et al., 2014). En Europe par exemple, des études ont été réalisées à Paris (Muratet et al., 2007), Bruxelles (Godefroid et al., 2007) ou encore Berlin (Meffert et al., 2012 ; Kowarik, 2013). Mais les zones urbaines de taille plus restreinte, qui sont pourtant souvent caractérisées par une urbanisation extensive, propices à l’apparition de friches urbaines dans des espaces en déprise (Santamaria, 2000 ; Dumont, 2005), sont rarement étudiées. Bien que certains travaux aient exploré la dimension foncière et stratégique des friches, principalement en urbanisme (Ambrosino et Andrès, 2008 ; Andrès, 2011 ; Serre, 2017), la question de la prise en compte de l’intérêt des friches urbaines pour la biodiversité dans les politiques publiques reste peu connue.

3Les espaces de nature en ville questionnent également la société. En France, depuis 2010, les citadins représentent 79,2% de la population (INSEE, 2017). Dès le 18^ème siècle, les espaces de nature en ville ont pris une place d’abord dans la ville classique, puis dans la ville industrielle. Intégrés dans l’urbanisme culturaliste puis fonctionnaliste, ils ont été caractérisés par une approche hygiéniste, dans laquelle la nature est considérée comme un élément de santé publique, physique et morale. Les parcs publics, en particulier, marqués par le modèle de parc haussmannien, invitent les usagers à se conformer à des usages règlementés. Aujourd’hui, le rapport des citadins à la nature change progressivement : les espaces de nature sont des supports de pratiques sociales et culturelles au quotidien (Rupprecht et al., 2015). La proximité quotidienne avec des espaces de nature revêt une importance croissante pour les habitants, et représente à leurs yeux une source de bien-être (Raymond et Simon, 2012 ; Bourdeau-Lepage, 2018). Face à cela les friches urbaines ont représenté, et représentent encore de nos jours, des espaces de nature moins normés (Tritsmans, 2015 ; Di Pietro, 2021).

5D’autres travaux portant sur les pratiques et représentations sociales des friches urbaines végétalisées démontrent leur valeur en tant qu’espaces de nature en ville aux yeux des citadins (Hofmann et al., 2012 ; Jorgensen et Tylecote, 2007 ; Demailly, 2014 ; Mathey et al., 2018 ; Rupprecht et Byrne, 2014 ; Rupprecht et al., 2015), ou croisent les dimensions écologiques et sociales des friches urbaines (Brun et al., 2018 ; Rupprecht et al., 2015 ; Southon et al., 2017). Bien qu’elles ne fassent pas partie des lieux officiellement reconnus comme espaces de nature en ville, les friches urbaines végétalisées peuvent représenter des espaces de nature du quotidien.

6Les friches urbaines peuvent jouer un rôle non négligeable non seulement en tant qu’espace vert informel mais aussi en tant qu’élément d’une trame verte urbaine multifonctionnelle, que les politiques d’aménagement urbain durable sont censées conforter et concilier avec les enjeux de densification urbaine. Pourtant, bien que les politiques d’aménagement se soient développées et écologisées (Bonnin, 2008), et que l’intérêt de répondre à la demande sociale de nature en ville en intégrant les questions de biodiversité à l’urbanisme actuel soit reconnu (Arnould et al., 2011 ; Bonthoux et Gaudin, 2021 ; Reygrobellet, 2007), les friches peinent à être mobilisées en tant qu’espaces verts informels. Dans le cadre de la densification urbaine et de la reconstruction de la ville sur elle-même, qui est le paradigme dominant en aménagement depuis la loi Solidarité et Renouvellement Urbain de 2000 (loi SRU n°2000-1208 du 13 décembre 2000), l’ambition principale des politiques publiques pour ces espaces reste aujourd’hui leur urbanisation. Les friches urbaines sont considérées comme des leviers de densification potentielle aux yeux des acteurs du territoire (Brun et al., 2019). En effet ce sont des espaces en attente de projet, a priori les plus enclins à être utilisés pour densifier l’espace urbain (Rey, 2013). Les friches urbaines sont donc au cœur d’une dualité certaine entre préservation de la biodiversité urbaine et densification des villes, qui, réalisée dans l’objectif de réduire l’étalement urbain, peut conduire à une réduction des espaces de nature urbaine. L’objectif de cette recherche est donc de comprendre si la pluralité de fonctions des friches urbaines, dont leur intérêt en tant qu’espaces urbains semi-naturels, est reconnue ou suggérée dans les documents publics et institutionnels, en particulier les documents stratégiques – de planification ou d’orientation – qui encadrent les politiques publiques d’aménagement du territoire et de conservation de la nature. Une approche empirique appliquée à deux agglomérations de la région Centre Val-de-Loire permet de comprendre la façon dont sont prises en compte les friches urbaines dans des différents documents à divers échelons du territoire.

Application au cas des agglomérations tourangelle et blésoise

8L’analyse cartographique et écologique de 179 friches urbaines présentes dans ces deux agglomérations (Brun et al., 2017) montre leur existence aussi bien en centre-ville qu’en périphérie urbaine (Figure 2). Ces friches peuvent ainsi assurer des services écosystémiques de supports (Brun et al., 2017) et représenter des continuités écologiques en ville.

Analyse de la prise en compte des friches urbaines dans un corpus de textes à divers échelons territoriaux

9En France, les actions ou décisions de préservation de la nature sont prises à différents niveaux décisionnels et par de multiples acteurs du territoire (Lepart et Marty, 2006). En premier lieu, la prise en compte des friches urbaines a été étudiée à l’échelle supranationale ou nationale via des recherches sémantiques de termes pouvant se rapporter aux friches urbaines dans les différentes politiques publiques mises en place. Plus précisément, ont été analysés les corpus de textes associés à ces politiques, à la fois au regard du droit français et dans les documents-cadres et de planification. En second lieu, au-delà de ce cadre global, la question des applications de ces politiques publiques aux échelles locales du territoire (la région Centre Val-de-Loire, les agglomérations de Tours et Blois, ainsi que les communes qui les composent) a été étudiée. Cette approche est donc multiscalaire et basée sur deux types de documents (présentés dans le Tableau 1) :

Tableau 1 - présentation du corpus de texte étudié aux différents échelles d’application.

Corpus de documents	Échelle d’application
	Nationale	Régionale	Territoriale	Communale
Documents juridiques	Code d’environnement, Code de l’Urbanisme et Jurisclasseurs associés
Documents cadres	Plans, Agendas 21, Stratégies, Chartes 13 documents	Plans, Agendas 21, Stratégies, Chartes 15 documents
Documents de planification		Schéma Régional de Cohérence écologique (SRCE)	Schémas de Cohérence Territoriale (ScoT) 2 documents	Plans Locaux d’Urbanisme 15 documents

1. Des documents juridiques et des documents-cadre à l’échelle supranationale ou nationale. Afin d’avoir l’approche la plus exhaustive possible concernant le corpus bibliographique, cette étude comprend des documents juridiques et de planification. Les textes de lois (codes divers pour la recherche sémantique, puis codes de l’urbanisme, de l’environnement et jurisclasseurs associés pour les recherches spécifiques à la nature en ville), la jurisprudence associée, les encyclopédies Jurisclasseur, ainsi que diverses revues et sources parlementaires ont été analysés à l’aide des bases des données juridiques Lexisnexis et Dalloz. Une recherche élargie aux documents-cadres des politiques d’aménagement du territoire et de conservation de la nature a par ailleurs permis de comprendre comment sont présentées les friches dans les orientations nationales.

2. Des documents stratégiques et de planification élaborés aux échelles territoriales. Ces documents-cadre élaborés aux échelles locales (plans, schémas, stratégies, documents d’informations et rapports) accompagnent les stratégies territoriales d’aménagement du territoire. Autour de ces documents sont également articulés d’autres outils relatifs à la conservation, règlementation, gestion ou maitrise foncière traitant potentiellement des friches.

10Pour chaque document étudié, deux analyses ont été conduites, basées sur deux objectifs distincts :

• une recherche sémantique : la multiplicité de domaines susceptibles d’évoquer les friches urbaines est telle qu’il a été préférable en première lecture de ne pas cloisonner notre recherche à un champ particulier. Une première lecture a pour objectif de déterminer où apparaissent les friches ou leurs synonymes : ont été considérés les termes « friche », « délaissé », « terrain vague », « dent creuse », « espace résiduel », « réserves foncières », « interstices », « vacant ») ;

• une recherche spécifique tournée vers la nature en ville : notre objectif principal étant de comprendre la place des friches dans les questions de nature en ville et de biodiversité urbaine, la lecture des documents faisant référence aux espaces de nature en ville et à l’aménagement urbain nous a permis d’identifier les textes pouvant mentionner, ou être rapportés, aux friches urbaines.

Les friches urbaines sont peu mentionnées dans les documents aux échelles supranationale et nationale

1. • 5 Les éléments en italique et entre guillemets dans cette partie sont directement issus des textes an (...)

   Connotation négative. Un espace pouvant se référer à l’objet d’étude est toujours associé à une connotation négative. Les « friches » peuvent être commerciales ou industrielles, et leur traitement (remise en état) est indispensable pour préserver « l’environnement et l’inscription harmonieuse dans le paysage ou dans un projet urbain5 » (art. L. 752-1 du Code du commerce). Les friches constituent un élément perturbateur, qui gâche le paysage, et qu’il est nécessaire d’entretenir (art. L. 126-11 du Code rural et de la pêche maritime) ou de remettre en état, aux frais du propriétaire, si un « enfrichement » est avéré (art. L. 2213-25 du Code des Collectivités territoriales). Les friches urbaines sont donc des espaces « anormaux », dangereux, dont l’état, la condition ou la visibilité doivent être modifiés à des fins de sécurité (pour la voirie : art. L. 2213-15 du Code des Collectivités territoriales, ou pour les pollutions). Ainsi, les installations classées pour la protection de l’environnement (ICPE, article L. 511 -1 du Code de l’environnement) présentent les friches comme des espaces « qui peuvent présenter des dangers ou des inconvénients soit pour la commodité du voisinage, soit pour la santé, la sécurité, la salubrité publiques, soit pour l'agriculture, soit pour la protection de la nature, de l'environnement et des paysages ». Les conditions ou la visibilité des friches doivent également être modifiées à des fins de développement durable, comme par exemple dans le cadre de la protection de l’environnement en ce qui concerne les espaces boisés, « le conseil départemental peut imposer aux propriétaires de terrains […] dont l'enfrichement ou le boisement spontané risque de porter atteinte à […] la préservation de milieux naturels ou paysages remarquables, de procéder à leur débroussaillement et de les maintenir en état débroussaillé » (art. L. 126-2 et 126-11 du Code rural et de la pêche maritime). Le droit protège donc les espaces boisés, mais pas les espaces qui ont le potentiel de le devenir (art. L. 126-2 et 126-11 du Code rural et de la pêche maritime). Les friches sont donc présentées dans le droit comme un désagrément, un dysfonctionnement du territoire (Fascicule de construction/ urbanisme n° 64-21 sur l’OPAH-RU). De tels terrains sans entretien renvoient à la notion d’abandon, de non-maitrise du territoire, aussi bien urbain que naturel. Dans le Fascicule de construction/ urbanisme n° 64-21 sur l’OPAH-RU, il est à ce propos décrit « des territoires urbains confrontés à de graves dysfonctionnements (friches urbaines, vacance et vétusté des immeubles) ». Les friches sont donc présentées dans le droit comme un dysfonctionnement du territoire.

2. Les friches comme espaces de nature et comme potentiel de densification de la ville. Le caractère dégradant des friches est directement lié à leur manque d’usage dans l’état actuel : l’idée d’abandon et d’insécurité accentue leur image négative dans le droit. Toutefois, elles sont parfois présentées comme outils potentiels de densification de la ville. De terrains inutiles, les friches deviennent des outils d’opérations de renouvellement urbain dans une optique d’urbanisme durable. Les espaces de friches en milieu urbain sont évoqués en amont de leur existence : le mot d’ordre est d’éviter de contribuer à la « multiplication de friches » (Fascicule 12-XIV du JuriClasseur construction / urbanisme). L’intérêt des friches en tant qu’espaces semi-naturels en ville est donc peu présent dans les textes législatifs. Il est par ailleurs noté dans le Fascicule d’urbanisme faisant référence aux Plans locaux d’urbanisme (PLU, fascicule 445-31) que les friches ne peuvent pas être classées parmi les terrains cultivés à protéger. De la même façon, dans les plans locaux d’urbanisme, ne peut pas être notée comme zone N (naturelle, interdite de construction) une zone anciennement industrielle, bâtie ou entourée de terrain bâti. Le manque de reconnaissance de l’intérêt des friches urbaines pour la biodiversité est plus marquant encore à la lecture du Code de l’environnement, où les espaces pouvant faire référence à des friches ne sont jamais mentionnés, même dans les textes se rapportant aux Trames Vertes et Bleues. Dans le droit régissant les documents de planification, les friches urbaines sont prises comme exemples de terrains pouvant servir au renforcement des objectifs environnementaux tels que les continuités écologiques ; l’article L. 123 du Code de l’urbanisme, concernant le PLU, y fait notamment référence dans le cadre de la restauration des continuités écologiques : les friches présentées comme réserves foncières pourraient être « verdies » ou utilisées pour « favoriser la densification urbaine » dans les secteurs à requalification. Ce constat montre des contradictions entre l’utilisation des friches pour densifier la ville d’une part et pour la « verdir » d’autre part.

13Les friches sont toutefois présentées de manière explicite dans certains documents cadres comme des espaces de nature à valoriser. Le plan ville durable « Restaurer et valoriser la nature en ville » (PRVNV) mentionne à cinq reprises les friches et évoque plusieurs actions à mettre en place, parmi lesquelles : « organiser en réseau l’ensemble des espaces de nature, dont les friches, en prenant en compte les échelles spatiales et temporelles », les espaces de nature devant être complémentaires pour assurer les continuités écologiques. Un autre objectif est de « redonner de la valeur aux espaces non bâtis » et évoque la nécessité de valoriser « les espaces délaissés, comme les friches » et présente des retours d’expériences valorisant les friches comme espaces de nature, reconnues comme ayant une forte valeur écologique, conséquente à leur caractère spontané, et constituant, par complémentarité à d’autres espaces verts, un socle pour la biodiversité (PRVNV, action 5 – 1 et 2 & action 8 – 1). Néanmoins, le PRVNV évoque la question des représentations que les habitants ont des friches : les représentations sociales de ces espaces sont mentionnées comme un frein potentiel à leur prise en compte en tant qu’objet d’intérêt pour la biodiversité.

Une prise en compte rare et récente des friches urbaines dans les documents aux échelles locales du territoire

14De la même façon que précédemment, les résultats concernant les mentions des friches urbaines sont présentés selon trois clés de lecture, en distinguant les documents selon qu’ils traitent, ou non, et de quelle manière, des friches urbaines. Ces résultats sont résumés en Tableau 2.

Tableau 2 - liste des documents analysés pour évaluer la prise en compte des friches sur le territoire d’étude. Les documents soulignés d’un trait plein sont ceux mentionnant explicitement l’intérêt des friches urbaines pour la biodiversité, ceux soulignés de pointillés les mentionnent d’un autre point de vue que la biodiversité, et ceux non soulignés ne les mentionnent pas explicitement.

échelle d'étude	type de document	titre du document et année de publication
supranationale et nationale	plans	Plan ville durable « Restaurer et valoriser la nature en ville » (2010) ; Plan stratégique pour la diversité biologique « 2011-2020 » (2010) ; Plan national d’action paysage et aménagement (2014) ; Plan de paysage – agir pour le cadre de vie (2015) ; Plan végétal pour l’environnement (2015)
	stratégies	Stratégie nationale pour la biodiversité et guide pour l’action associé (2012) ; Stratégie nationale de développement durable « 2010-2013 » (2010) ; Stratégie nationale pour la transition écologique et le Développement Durable « 2015-2020 » (2015)
	chartes	Charte d’Aalborg (1994) ; Charte de l’environnement (2004) ; Charte de développement durable (2005)
	autres	Document cadre : orientations nationales pour la préservation et la remise en bon état des continuités écologiques (2011) ; Loi Cadre sur la biodiversité (2014) ; Programme national pour la rénovation urbaine (2015)
suprarégionale et régionale	documents cadres	Charte du Parc naturel régional Loire Anjou Touraine (2008), Plan de gestion du Val de Loire Unesco (2012), Plan Loire grandeur Nature (2013), Mission Val de Loire (2014), Agenda 21 de la région Centre (2008), Stratégie régionale pour la biodiversité (2011), Plan Climat Energie régional (2011), Schéma régional sur l’aménagement et le développement durable du territoire (2013)
	documents de planification	SRCE de la région Centre (2015)
départementale et supra-communale	documents cadres	Agendas 21 d’Agglopolys (2011) et de Tour(s)Plus (2009), Plan Climat énergie de Tour(s)Plus (2014)
	documents de planification	SCoT de l’agglomération Tourangelle (2013) et SCoT de l’agglomération Blésoise (2006 & 2013)
communale	documents cadres	Agendas 21 de : La Ville aux Dames (2005), La Riche (2012), Joué lès Tours (2013) ; Blois (2014), Vineuil (2008)
	documents de planification	Plans locaux d’urbanisme des communes : Ballan Miré (2013), Chambray-lès-Tours (2011), Joué-lès-tours (2010), La Riche (2011), La Ville aux Dames (2009), Saint-Avertin (2006), Saint-Cyr-sur-Loire (2010), Saint-Pierre-des-Corps (2008), Tours (2011) ; Blois (2012), La Chaussée Saint-Victor (2006), Saint-Denis-sur-Loire (2008), Saint-Gervais-la-forêt (2011), Villebarou (2014), Vineuil (2012)

15(i) Documents qui ne mentionnent pas les friches urbaines. De nombreux documents étudiés présentent des réflexions générales concernant la densification ou la biodiversité urbaine, mais n’incluent pas les friches à ces réflexions (documents non soulignés dans le Tableau 2). À l’échelle suprarégionale, les espaces de nature ordinaire sont par exemple peu mentionnés par le Plan Loire Grandeur Nature, et la question des friches y est absente. Au niveau territorial, les Plan Climat Énergie de la région et de Tour(s)Plus – la communauté d’agglomération de Tours, aujourd’hui Tours Métropole Val de Loire – ainsi que certains Agendas 21 communaux (de La Ville aux Dames, Joué les Tours et de Vineuil) notent un besoin de végétaliser la ville, mais ne mentionnent pas le type d’espace végétal à promouvoir. Le Schéma Régional de Cohérence Ecologique (SRCE) de la région Centre Val-de-Loire et le Schéma de Cohérence Territoriale (SCoT) de l’agglomération Tourangelle reconnaissent d’une part l’importance de la nature en ville, et d’autre part la valeur potentielle des friches pour la biodiversité, mais hors du milieu urbain. Les friches y sont présentées comme des éléments de la Trame Verte et Bleue, mais seulement celles inclues dans les zones agricoles. Même si la nature ordinaire est reconnue comme primordiale, notamment dans le SCoT, les friches n’en sont pas représentatives. Elles sont en revanche présentées comme éléments à requalifier pour densifier la ville (voir ci-dessous). Certains documents mentionnent les friches de façon implicite : le Plan de gestion du Val de Loire Unesco et la Charte du parc naturel régional Loire Anjou Touraine préconisent de préserver la biodiversité et les paysages ordinaires. Néanmoins, bien que les friches puissent représenter ces espaces à préserver pour maintenir des coupures vertes ou un paysage de nature ordinaire, elles ne sont pas mobilisées dans cette réflexion.

16(ii) Documents traitant des friches urbaines sans mentionner leur intérêt pour la biodiversité. Certains documents présentent de manière explicite les friches sous diverses dénominations, ce qui met en évidence l’imprécision quant au statut de ces espaces. Les PLU de certaines communes mentionnent par exemple des « friche végétale » (Tours), « friche » (La Riche), « espace délaissé » ou « espaces libres » (Saint-Gervais-la-Forêt), « dent creuse » ou « espace résiduel » (Chambray-les-Tours). Les friches apparaissent dans les réflexions sur la nature urbaine ordinaire, mais de manière négative. La façon dont elles sont décrites au niveau local évoque majoritairement une image liée à celle de la ville, l’objectif des communes étant leur requalification pour revaloriser leur attractivité, comme le PLU de la commune de La Riche (agglomération de Tours) : « les espaces naturels en bord de Loire étaient bien aménagés avec des structures de loisirs, mais aujourd’hui ces espaces se dégradent et sont délaissés, ce qui provoque une apparition de plus en plus de friches ». Certains PLU énoncent également la volonté d’entretenir les friches afin de maitriser le développement végétal qui pourrait y avoir lieu sans entretien, soulignant ainsi leur image négative. Par exemple, dans le PLU de la commune de Saint-Gervais-la-Forêt (agglomération de Blois) « les espaces laissés libres sont à aménager et à paysager ». Les friches urbaines sont également présentées comme des espaces à utiliser pour densifier la ville. Le Schéma régional sur l’aménagement et le développement durable du territoire mentionne par exemple la nécessaire reconversion de friches urbaines pour la densification urbaine. Le diagnostic initial du SCoT de l’agglomération Tourangelle souligne également la forte extension urbaine et identifie les potentiels de renouvellement urbain « notamment par la réhabilitation de friches ». Le potentiel des friches pour construire « la ville sur la ville » y est reconnu, comme dans le droit. Les friches sont également mentionnées dans le SCoT comme des espaces non construits, intégrés au tissu urbain (« dents creuses, cœurs d'îlots, terrains vagues, friches ») qui doivent être utilisés pour créer du logement sans extension urbaine. Ce SCoT énonce donc le potentiel des friches pour le renouvellement urbain, aussi bien en milieu « semi-naturel » (en marge des villes) qu’en milieu urbain, mais pas pour la biodiversité urbaine. Le potentiel des friches dans le renouvellement urbain est également énoncé dans certains PLU, à La Riche (agglomération de Tours) par exemple : « La fréquence d'importants espaces vides, jardins et friches […] facilite la recomposition et la densification de l'espace urbain. ». À Blois, la « reconquête des friches » fait partie des priorités pour « le renouvellement urbain et la densification ». De la même manière, la Stratégie Régionale pour la Biodiversité indique que les friches seraient utiles pour la densification, mais pas comme opportunités pour les continuités écologiques (bien que ces dernières soient explicitées, révélant ainsi l’importance écologique des espaces ordinaires). En résumé, ces documents présentent le même raisonnement que dans les politiques territoriales à plus large échelle : les friches sont un point négatif sur le territoire, mais leur réutilisation par l’urbanisation offre un potentiel de densification.

17(iii) Documents reconnaissant la valeur des friches urbaines pour la biodiversité. Un nombre non négligeable de documents traitent néanmoins explicitement de la valeur des friches urbaines pour la biodiversité. La Mission Val de Loire préconise par exemple des aménagements ponctuels pour réutiliser les friches en ville et les requalifier d’un point de vue environnemental ou agricole (permaculture et vignes). La commune de La Riche souhaite acquérir des friches à vocation maraîchère et horticole. Cette vocation est également présentée dans le PLU de Ballan-Miré et dans l’Agenda 21 d’Agglopolys, la communauté d’agglomération de Blois. On trouve également des exemples de valorisation des friches pour leur intérêt floristique intrinsèque : le PLU de Tours mentionne par exemple que des « friches végétales » sont à « revaloriser » car il y a sur ces espaces une « faiblesse de l'intensité urbaine exprimée ». À Blois, de la même façon, une mise en valeur des friches est recommandée en centre-ville. L’objectif sur ces espaces est « l’amélioration du cadre vie par la création de nouvelles trames paysagères, support des échanges écologiques à l’échelle du quartier ». Le SCoT Blésois indique que les « friches industrielles ou urbaines » et les « dents creuses » peuvent avoir une autre destination, plus écologique, que la construction (densification), dans une optique de valorisation des espaces de nature en ville. Le SCoT de l’agglomération de Blois présente également l’objectif de préservation de la Trame Verte et Bleue, qui mentionne les friches urbaines : il faut selon ce document opérer une gestion différenciée des « espaces libres » afin de préserver les « aires de respiration verte, dont les espaces de verdure en milieu urbain » pour assurer les échanges de biodiversité dans le tissu urbain. Agglopolys précise cette réflexion dans son Agenda 21, qui vise à définir une trame verte, notamment sur les espaces en zones inondables, qui, n’étant pas constructibles, peuvent facilement y participer. Ces terrains sont par définition des friches, mais ne sont pas explicités comme tels. Ces documents présentent donc les friches comme devant être inclues aux trames vertes si elles ne sont pas constructibles, mais dans le cas contraire, elles doivent être reconverties vers une activité agricole ou de la construction. La question de leur devenir est donc posée, mais également celle de leur présent.

18À travers l’étude des différents documents de planification et documents cadres élaborés aux échelles territoriales, nous pouvons ainsi affirmer que la prise en compte des friches urbaines, résumée dans le Tableau 2, est effective, notamment dans les documents de planification, et croissante à mesure que l’échelle spatiale s’affine. Les PLU notamment montrent une prise en compte concrète des friches, de façon plus précise qu'au niveau régional ou intercommunal. En effet, 12 PLU sur 15 en font mention, notamment dans l’agglomération de Tours, où les friches (ou synonymes) sont mentionnées dans 8 PLU sur les 9 étudiés. Malgré la diversité de dénominations, les friches sont présentées principalement pour leur potentiel de densification. Néanmoins, la reconnaissance potentielle des friches pour la biodiversité est encore rare, même au niveau local : seuls les PLU des communes de Tours, Blois et Vineuil mentionnent ce potentiel environnemental. Du point de vue de la planification, mis à part une cohérence pertinente sur l’agglomération de Blois entre l’agenda 21 d’Agglopolys, le SCoT de l’agglomération Blésoise et les PLU de diverses communes de l’agglomération sur la question des friches, ces espaces sont de manière générale en marge des réflexions globales sur la biodiversité, à l’instar de leur statut incertain.

Valoriser le caractère temporaire des friches comme potentialités pour l’aménagement urbain

19Aujourd’hui, la volonté de limiter l’étalement urbain à travers des mesures de densification urbaine et la nécessité d’enrayer la perte de biodiversité par la préservation d’espaces de nature en ville deviennent des enjeux primordiaux de l’aménagement urbain durable, à l’instar des politiques de Zéro Artificialisation Nette faisant suite à la récente loi Climat et Résilience. Cette loi a permis récemment d’inclure les friches à la législation française et d’en offrir une définition claire, ce qui facilitera leur inclusion aux réflexions en aménagement durable. Malgré cela, les friches sont toujours présentées comme des lieux à requalifier pour densifier, leur rôle en tant que support de nature en ville étant à nouveau mis au second plan, voire inexistant. Le risque que les friches urbaines continuent de n’être considérées que pour le prisme de la densification urbaine subsiste. Néanmoins, trois considérations et une préconisation ressortent de la lecture de ce corpus documentaire.

20Le potentiel des friches urbaines commence à être reconnu dans les grands projets urbains dans lesquels les friches deviennent des marges de manœuvre, des objets de préfiguration pour de futurs projets et des outils pour l’urbanisme temporaire ou transitoire, visant à revaloriser un espace à travers des pratiques – souvent culturelles et alternatives (Oswalt et al., 2007). Dans le cas des friches de Tours et Blois, probablement du fait d’une densité moindre que dans les grandes métropoles (Andres et Bochet, 2010), les questions d’occupations temporaires et d’opportunités potentiellement offertes par les friches durant leur temps de veille sont peu mentionnées.

21Les friches urbaines étant temporaires dans l’espace urbain, les documents étudiés les présentent principalement par le prisme de leur devenir. La définition des friches urbaines émergeant de la lecture des textes juridiques et des documents de planification et documents cadres étudiés est proche de celle mise en évidence lors d’enquêtes précédemment menées auprès d’acteurs du territoire impliqués dans la gestion des friches (propriétaires publics et privés, aménageurs et élus municipaux, Brun et al., 2019). Pour ces acteurs du territoire, les friches urbaines sont des espaces suspendus entre une fonction ancienne et une fonction future (Brun et al., 2019). Ceci diffère des avis des habitants résidant à proximité des friches : des enquêtes conduites auprès d’un panel de 72 habitants ont montré une pluralité de définitions et valeurs associées à ces espaces, considérés dans leur état actuel (Brun et al., 2018). L’étude des divers documents présente des résultats proches de cette précédente enquête aussi en ce qui concerne l’intérêt des friches pour la biodiversité urbaine : elles ne sont généralement pas reconnues comme des espaces potentiels de nature (Brun et al., 2019). Bien que ces espaces accueillent une biodiversité non négligeable (Bonthoux et al., 2014), ils sont peu considérés en termes de conservation de la nature : la biodiversité présente au moment de leurs temps de veille n’est que peu reconnue. Toutefois, certains documents, traitant spécifiquement de la nature en ville ou bien ceux se référant à l’échelle communale, énoncent ce potentiel et semblent offrir une place à la nature spontanée en donnant une reconnaissance – bien que récente – à ces formes de nature en ville.