Ce travail a été réalisé dans le cadre du projet de recherche OCEANE, financé par la Fondation de France. Il a permis de mettre en place un partenariat avec Bretagne vivante et le Syndicat des Caps pour réaliser la pose et la récupération des GPS. Les auteurs remercient Morgane Huteau, cordiste et bagueuse, qui a contribué à la pose des GPS, à Antoine Le Petit pour le traitement des données et à Simon Charrier, cartographe à l’Institut de géographie de l’Université de Nantes, pour l’accompagnement dans le traitement cartographique des résultats. Enfin, nous remercions Yan Ropert-Coudert et Akiko Kato pour la mise à disposition des premiers GPS et la formation à la pose et à la récupération des données, Yann Tremblay, Francesco Bonnadona, Jannie Linnebjerg et Ellie Owen pour leurs conseils techniques, Emmanuel Ménard, chef du centre d’incendie et de secours Côte d'Émeraude à Matignon et le GRIMP22 pour le soutien logistique, et l’équipe du syndicat mixte grand site cap d’Erquy – cap Fréhel pour son aide, notamment Philippe Quéré.

Introduction

1L’oiseau marin constitue un indicateur de l’état de conservation du milieu naturel (Furness et Camphuysen, 1997 ; Frederiksen et al., 2007 ; Parsons et al., 2008 ; Paleczny et al., 2015), peu étudié en géographie (Chadenas et Sellier, 2014 ; Eveillard-Buchoux, 2018). Les oiseaux de mer évoluent dans les trois dimensions de la biosphère (atmosphère, lithosphère et hydrosphère) avec un rapport presque exclusif à l'environnement marin puisqu'ils y vivent, s’y nourrissent et s’y reposent, en fréquentant l’espace terrestre uniquement pendant la saison de nidification. Bien qu’ils aient la capacité de parcourir des dizaines, voire des centaines de kilomètres par jour selon les espèces pour s’alimenter (Hamer et al., 2001 ; Langston et al., 2013 ; Gaston et al., 2013), leurs aires de nourrissage varient selon leur cycle annuel et s’adaptent aux situations de chaque colonie.

2Si cet espace a fait l’objet de nombreuses études chez les écologues (dont Grémillet et al., 2004 ; Louzao et al., 2011 ; Bertrand et al., 2012 ; Gaston et al., 2013 ; Boyd et al., 2014 ; Oppel et al., 2018), le géographe ne l’a que très peu appréhendé. Seul Christophe Aulert (1997 et 1999) propose une caractérisation de l’espace marin à partir de l’occupation qu’en ont les Macreuses en période d’hivernage. Or, la dynamique spatio-temporelle des oiseaux en période de nidification continue de soulever des questions fondamentales au sujet de l'exploitation de l’espace marin par chaque espèce, des dimensions de cet environnement, de son utilisation dans le temps, des parcours et de leur fréquence.

3Cet article propose d’apporter des connaissances nouvelles en matière d’occupation de l’espace littoral et maritime soumis à de fortes contraintes. Dans ce but, des GPS miniaturisés ont été utilisés pour suivre des Guillemots de Troïl Uria aalge de la colonie du cap Fréhel (planche 1). Site emblématique du tourisme de nature en Bretagne et notamment de l’observation ornithologique, le cap fait l’objet de nombreuses mesures de protection du patrimoine naturel, terrestres comme marines, car il accueille, notamment, des colonies d’oiseaux marins d’importance nationale, dont la plus importante colonie de Guillemots de Troïl (Cadiou et al., 2004, 2019). Appartenant à la famille des Alcidés, associée aux hautes latitudes de l’hémisphère septentrionale, cette espèce (comme les autres représentantes de sa famille) est rare en France, les côtes bretonnes constituant la principale limite méridionale de son aire de reproduction (Cadiou et al., 2004 ; BirdLife International, 2017 ; Eveillard-Buchoux et al., 2017). Le GPS a donc été utilisé pour délimiter un espace, à partir du cap, dans lequel les déplacements des oiseaux constituent un marqueur permettant d’identifier des lieux spécifiques (une ou plusieurs zones de pêche) et des parcours caractérisés par différentes fonctions (se nettoyer, s'approvisionner en nourriture, en nageant, en volant ou en flottant) et selon des temporalités particulières (de quelques minutes à quelques heures, en mer ou sur la colonie). Les points relevés au GPS donnent lieu à une cartographie originale de la nature, qui, in fine, peut être utilisée pour vérifier la cohérence des zonages de protection avec ces aires occupées, contribuant à une réflexion sur la géographie de la conservation de ces espèces.

4L’article comprend trois temps : le premier présente les éléments méthodologiques ; le deuxième décrit les déplacements des oiseaux dans l’espace à partir des relevés des GPS et le dernier expose les enseignements apportés par les traces des GPS à l’espace de vie de l’oiseau marin.

5Planche 1. Suivi en mer des Guillemots de Troïl du cap Fréhel. A. Manipulation en cours dans la falaise continentale du cap où nichent les oiseaux ; B. Equipement et phase de relâché d’un Guillemot avec son GPS miniaturisé ; C. Guillemots couvant sur un replat structural de la falaise ; D. Guillemot sur l’eau au pied de la colonie ; E. Guillemot en retour de pêche, portant un lançon dans son bec afin de nourrir son petit. Photographies : M. Eveillard-Buchoux.

Eléments méthodologiques

6Le Guillemot de Troïl est un des trois représentants de la famille des Alcidés nichant en Bretagne (avec le plus connu Macareux moine et le plus méconnu, le Pingouin torda). Il appartient à la seule famille d’oiseaux de mer de distribution géographique exclusivement boréale (Nettleship et Birkhead, 1985 ; Gaston, 2004), alors que les autres familles se répartissent soit dans les deux hémisphères, soit dans la partie australe de la planète exclusivement. Ce déséquilibre biogéographique illustre l’inégale répartition des continents et des océans entre les deux hémisphères (Chadenas et Sellier, 2014). C’est une famille moins océanique que d’autres espèces (comme celles de la famille des Diomedeidae), même si elle est tout autant pélagique.

7Le Guillemot de Troïl niche sur une grande partie de la façade Atlantique européenne, du Spitzberg à la France, tandis que moins d’une dizaine de couples se reproduit sur les côtes de la péninsule ibérique. Les côtes bretonnes se situent donc aux marges de l’aire de répartition de cette espèce (fig. 1). Les Alcidés nichaient en plus grand nombre il y a 50 ans sur les côtes bretonnes et leurs secteurs de reproduction étaient plus nombreux, même si les populations bretonnes n’ont vraisemblablement jamais égalé les colonies britanniques ou islandaises (Henry et Monnat, 1981 ; Cadiou et al., 2004]. Plusieurs hypothèses sont avancées pour expliquer la diminution des dernières décennies, dont l’expansion de l’emprise anthropique du littoral breton, la raréfaction de la ressource halieutique qui constitue leur nourriture, les modifications climatiques, etc. Toutefois, depuis le début des années 2010, les effectifs remontent légèrement, tendance imputée notamment à une baisse de la prédation au cap Fréhel. Avec plus ou moins 400 couples nicheurs en Bretagne en 2018, pour 303-336 couples en 2014 (Cadiou et al., 2019), le Guillemot de Troïl est l’espèce d’Alcidés la plus nombreuse, autant en nombre de couples nicheurs qu’en nombre de secteurs colonisés. Il occupe régulièrement, mais inégalement, cinq sites bretons : Cézembre, le cap Fréhel, les Sept-Îles, les Roches de Camaret et la réserve de Goulien au cap Sizun (fig. 2).

8Le cap Fréhel représente le bastion principal de l’espèce avec plus de 250 couples nicheurs (268-296 en 2014) tandis que les Sept-Îles en hébergent une trentaine et que moins d’une dizaine de Guillemots se reproduisent respectivement à Cézembre, au cap Sizun et sur les roches de Camaret. Par ailleurs, les effectifs sont relativement stables au cap Fréhel, alors qu'ils tendent à diminuer aux Sept-Îles, et surtout au cap Sizun où la prédation a été forte ces dernières décennies, présageant de la disparition prochaine de cette dernière colonie regroupée depuis plusieurs années sur une unique corniche : cinq couples se sont reproduits en 2014, alors qu’une soixantaine y nichaient en 1988 (Cadiou et al., 2004, 2019).

9Le Guillemot de Troïl, comme la plupart des Alcidés, niche sur les côtes rocheuses à falaise, dans les parties minérales des versants. Il y niche en groupe généralement très dense, choisissant des replats rocheux ouverts, parfois couverts d’un plafond (Eveillard-Buchoux, 2018). Il y pond son unique œuf à même la roche, ne construisant pas de nid. Nous utiliserons le terme de nid pour signifier l’emplacement exact où l’oiseau pose son œuf bien qu’il ne s’agisse pas d’un nid à proprement parlé.

10En période de nidification et plus spécifiquement durant la période d’élevage du jeune, le Guillemot se déplace régulièrement, plusieurs fois dans la journée. Plusieurs raisons ont dicté le choix de la colonie de Guillemot de Troïl. La principale est liée à la taille de celle-ci et sa disposition dans les falaises. Une autre réside dans la connaissance des suivis de cette espèce sur le cap par les ornithologues, paramètre essentiel, notamment pour cibler la période la plus adéquate pour procéder à la pose des GPS et sélectionner les oiseaux à équiper. En effet, le matériel choisi nécessite d’être récupéré pour récolter les données. Par ailleurs, la fidélité au site de nidification de cette espèce est variable, selon les différentes temporalités de son cycle de reproduction : les jours de pose et de récupération du matériel doivent être précisément choisis pour cibler la période où l’oiseau est le plus fidèle au site, c’est-à-dire quand il couve ou lorsqu’il élève le jeune poussin, diminuant au maximum le risque de départ définitif du nid avant la récupération du matériel.

11Le travail, réalisé dans le cadre du projet de recherche intitulé OCEANE (Oiseaux marins et Côtes rocheuses : l’ornitho-gEogrAphie, un outil de valorisation au service du tourisme de NaturE) financé par la Fondation de France, s’est étalé sur deux années. 2014 constitue une année expérimentale : après avoir obtenu une dérogation du Ministère en charge de l’environnement pour capturer et poser les GPS sur ces espèces protégées, cette année a permis d'obtenir les données consécutives à la pose de cinq GPS. La procédure a compris plusieurs étapes : le choix des accès aux corniches sur lesquelles se trouvaient installés les Guillemots de Troïl, la préparation des GPS (paramétrage et étanchéité), leur pose puis leur récupération (et celle des données). Les zones sélectionnées pour les captures sont des corniches situées en périphérie de la colonie, où le dérangement sera limité à un petit nombre de reproducteurs. Les oiseaux ciblés par les captures seront en priorité des adultes reproducteurs avec des poussins, augmentant la chance de récupérer le GPS et permettant d’observer les aller-retours des oiseaux nourrissants leurs jeunes. L’ensemble se révélant probant, l’opération a été renouvelée en 2015, année opérationnelle où 13 GPS ont été posés. La contrainte fixant le nombre d’oiseaux équipés est le nombre de jours prévus à la fois pour la capture et la pose des GPS puis pour la recapture des oiseaux et la récupération du matériel. Au total, dix-huit oiseaux ont été équipés, à la suite de quoi, trois des cinq GPS posées en 2014 ont été récupérés et sont exploitables, et dix des treize GPS de 2015, un n’ayant pas été récupéré et deux ayant été noyés suite à un défaut d’étanchéité de la coque protectrice. Le taux de récupération et d’exploitabilité des logeurs, ici de 83 %, se situe dans la moyenne haute des opérations similaires menées sur des sites étrangers (entre 65 % et 100 % ; Cottin et al., 2012 ; Harris et al., 2012). Cinquante-cinq tracés étaient visibles mais quarante-quatre seulement ont été utilisés pour l’analyse de l’espace de vie de ces Guillemots. En effet, les onze autres trajets correspondent à l’envol des oiseaux suite à la pose du GPS et ne concernent donc pas un comportement spontané.

12L’utilisation d’outils tels que le GPS existe depuis de nombreuses années en écologie. D’abord installé sur la grande faune pour étudier ses déplacements, la miniaturisation du matériel a permis de l'appliquer à des animaux de plus en plus petits. Depuis quelques années, l’emploi du GPS s’est aussi développé en géographie, « la trace qu’il permet de révéler » constitue « un outil permettant la prise de conscience d’un vécu géographique d’ordinaire difficilement accessible » (Feildel, 2014). Dans cette perspective, le GPS fournit une opportunité originale de préciser l’espace de vie des Guillemots. Cependant, et c’est là tout l’intérêt des données récoltées, si le GPS contribue à délimiter une aire de répartition de chaque oiseau équipé, il procure également des informations quant aux types d’activités pratiquées par l’oiseau et leurs temporalités. Ces éléments qualitatifs permettront, dans un second temps, de caractériser ces espaces et de leur attribuer des fonctions vitales particulières à l’oiseau (nettoyage, nourrissage, repos, …).

13Le matériel choisi a été testé sur plusieurs espèces, y compris le Guillemot de Troïl, le Guillemot de Brünnich ou encore le Manchot d’Adélie, à partir d’autres colonies, notamment au Canada et en Antarctique avec l’équipe de Yan Ropert-Coudert et Akiko Kato (Cottin et al., 2012 ; Gaston et al., 2013). Les GPS miniaturisés, modèle i-gotU USB GPS Travel et Sports Logger - GT-120, ont été reconditionnés par l’Institut Pluridisciplinaire Hubert Curien (CNRS) pour supporter la pression de la profondeur lors des plongées de l’oiseau, puis placés dans une coque étanche par nos soins. Ils ont été paramétrés en amont pour relever leur position à intervalles réguliers toutes les 10, 30, 60 ou 90 secondes selon les différents essais. Attaché au bas du dos de l’oiseau grâce à du ruban adhésif Tesa ®, les GPS ont été posés par deux ornithologues bagueurs et cordistes, descendus sur la falaise. Plusieurs méthodes adaptées aux propriétés du terrain, sont disponibles pour équiper les oiseaux. Les Guillemots du cap Fréhel nichent dans le milieu voire dans la partie basse des falaises gréseuses, verticales ou surplombantes dans certains secteurs. Dans ce cas, il est alors nécessaire de descendre sur corde pour approcher les oiseaux et trouver un rebord à proximité, à partir duquel effectuer la manipulation dans les plus brefs délais et sans risque (pour les oiseaux comme pour les hommes).

14Outre ces conditions d’installation des GPS, il était également indispensable de profiter de conditions météorologiques idéales. En 2014, comme en 2015, le cycle de reproduction des Guillemots a nécessité la pose du matériel au tout début du mois de juin, à un moment où la durée du jour est longue. Les manipulations ne se sont donc déroulées que les jours où les conditions météorologiques permettaient les interventions sur corde, dans des conditions parfois optimales (un ensoleillement élevé, une faible nébulosité et surtout un vent modéré venant de l’ouest gardant les falaises à l’abri) ou plus mauvaises, avec notamment la présence d’un fort vent d’est, de températures froides et d’une forte houle durant quelques jours en 2015. Ces périodes correspondent à des marées de coefficients compris entre 41 et 89, sans incidences notables sur la manipulation.

De la trace au trajet : mise en évidence d’un espace de vie du Guillemot de Troïl en période de nidification

15Les traces laissées par les oiseaux équipés de GPS contribuent à mettre en évidence un ensemble de trajets réalisés par les oiseaux. Ceux-ci contribuent à délimiter une occupation particulière de l’espace.

Lire le trajet

16Le trajet correspond au déplacement que l’oiseau effectue entre son point de départ et son point de retour, constitué par le rebord rocheux de la falaise où il pond son œuf. Chaque trajet est indépendant des autres : il est donc possible de connaître l’ensemble des déplacements réalisés par un oiseau sur la période où le GPS a été installé et l’ensemble des déplacements qu’ont effectués tous les oiseaux équipés, donnant ainsi plus de sens à l’aire de répartition identifiée.

17La figure n°4 représente le quatrième trajet de l’oiseau équipé du GPS1. Celui-ci a quitté la colonie en direction du nord à 06h34 (fig. 4A). Il a poursuivi vers l’est puis s’est dirigé progressivement vers le sud pour revenir enfin à la colonie à 12h26. Ce trajet dure 6h pour une distance parcourue de 37 km et est contenu dans un périmètre de moins de 10 km autour du cap Fréhel. La vitesse de déplacement calculée met en évidence des pics atteignant 80 km/h, qui concordent avec les relevés d'autres études (Pennycuick, 1987 ; Elliott et Gaston, 2005 ; Elliott et Kaiser, 2009), sur des temps généralement courts pendant lesquels l’oiseau est en vol et des périodes de très faible vitesse, pendant lesquelles l’oiseau se trouve sur l’eau (fig. 4B). Le déplacement ainsi caractérisé précise et conforte les connaissances du comportement du Guillemot de Troïl (Nettleship et Birkhead, 1985) acquises de manière plus traditionnelle.

18Les temps de vol montrent des tracés réguliers : l’oiseau vole en ligne droite ou formant de grandes courbes, effectue un tracé direct et rapide avant de se poser à la surface de la mer où il passe la majeure partie de son temps. C’est donc sur l’eau que le comportement de l’oiseau est le plus varié : il s'y nettoie, y cherche sa nourriture (nageant en surface et sous l’eau) et s’y repose.

19Appliqué à l’ensemble des trajets du GPS1, ce principe met en évidence six trajets de l'oiseau n° 1 réalisés sur le temps de pose (entre le 4 et le 7 juin), qui se déroulent ainsi (fig. 5) :

• après être revenu à la colonie à 11h50 suite à la pose du GPS, l’oiseau la quitte à 16h30 le 04/06 pour y revenir à 18h30. Il part au sud-est du cap pour rester 2h face à l’entrée de la baie de la Fresnaye. Il y parcourt 18 km et s’éloigne au maximum à 7,8 km de la colonie ;

• le lendemain (05/06), il repart à 06h30 pour 4h30 de trajet et revient à la colonie à 11h00. Il s’en éloigne jusqu’à 9,5 km maximum et parcourt 30 km durant lesquels il part d’abord au nord du cap puis à l’ouest avant de revenir ;

• l’oiseau reste ensuite 3h30 sur site puis repart le même jour à 14h30 jusqu’à 20h. Il retourne à l’ouest dans le même secteur que le trajet précédent, s’éloignant de 7,7 km et parcourt 22 km en 05h30 ;

• le quatrième trajet de l’oiseau n°1 se déroule le 06/06 matin. Il part à 06h30 au nord du cap, puis se déplace progressivement vers l’ouest pour retourner à l’entrée de la baie de la Fresnaye puis au cap à 12h00. Il parcourt 37 km en 5h30 et s’éloigne au maximum de 9 km ;

• une fois de plus, l’oiseau repart l’après-midi du même jour (06/06), à 13h00, pour retourner à l’ouest du cap dans le même secteur qu’à la fin du trajet 2 et lors du trajet 3. Il revient à la colonie à 17h30 et a donc effectué 27 km en 4h30, s’éloignant à 8 km maximum de la colonie ;

• enfin, le dernier trajet enregistré montre que l’oiseau repart à nouveau le matin (07/06) à 09h45 pour ne revenir cette fois qu’en soirée, à 19h00. Il aura parcouru 23 km à une distance maximale de 9,6 km de la colonie.

L’ensemble des trajets

20Les 44 trajets identifiés présentent des caractéristiques variées, relatives à leur durée, à la distance parcourue ou encore à leur temporalité (fig. 6).

21La distance parcourue durant chaque trajet est également variable (fig. 6B), allant d’un kilomètre à une cinquantaine (55 km). Parmi ces trajets, 75 % sont supérieurs à 5 km, 48 % sont supérieurs à 20 km et 11 % dépassent 40 km. La distance moyenne de ces trajets est alors de 20 km. Cette distance moyenne est également sensiblement différente selon que l’oiseau se trouve au stade œuf ou au stade poussin. En effet, pour les premiers, la distance moyenne est de 26 km alors qu’elle est de 18 km pour les seconds. De plus, si dans les deux cas la moitié des trajets sont supérieurs ou égaux à 20 km, 44 % sont supérieurs à 30 km et 33 % à 40 km chez les oiseaux sur œuf contre respectivement 23 et 3 % chez les oiseaux avec poussins. Ces résultats suggèrent que les oiseaux avec poussins effectuent en moyenne des trajets plus courts, bien que la distance maximale des Guillemots sur poussin soit de 48 km. Aussi, les oiseaux avec poussin effectuent de nombreux trajets courts durant lesquels ils rapportent la nourriture pour le jeune. Ils effectuent quand même quelques trajets plus longs, probablement pour se nourrir eux-mêmes alors que les adultes sur œuf n’effectuent que des trajets pour leur propre alimentation et peuvent potentiellement rester en mer plus longtemps où ils parcourent alors de plus grandes distances. Ces résultats sont toutefois à nuancer puisque seuls 20 % de l’ensemble des trajets concernent des oiseaux sur œuf.

22Ces trajets, dont les distances parcourues outrepassent parfois les 40 voire 50 km, s’étendent toutefois dans un périmètre plus restreint autour de la colonie puisque leur éloignement est compris entre 440 m et 14,2 km autour du cap (fig. 6C). Plus de 80 % d’entre eux vont à plus d’un kilomètre de la colonie, plus de 50 % s’éloignent à plus de 5 km et plus de 40 % au-delà de 7 km, que l’oiseau soit au stade œuf ou poussin. En revanche, 44 % des Guillemots au stade œuf vont au-delà de 10 km contre seulement 11 % de ceux avec poussin. Les trajets allant au-delà de 12 km restent cependant une minorité, avec 11 % des oiseaux sur œuf et 6 % de ceux sur poussin.

23Par ailleurs, les périodes de déplacement diffèrent (fig. 6D). Trente-quatre trajets se déroulent exclusivement en journée (77 %), dont 13 uniquement pendant des matinées et 14 pendant les après-midis, les autres (7) chevauchent les deux périodes. Huit trajets sont effectués durant toute la nuit et deux courts trajets ont lieu en soirée, l’oiseau revenant passer la nuit à la colonie. Les trajets sont donc majoritairement effectués durant la journée mais pas exclusivement. Les relevés GPS montrent que les oiseaux passant la nuit en mer ont une période d’activité quasiment nulle entre les environs de minuit et 4-5 h du matin, se laissant dériver à la surface de l’eau selon les courants dominants est sud-est / ouest nord-ouest. En outre, les trajets effectués durant la nuit sont proportionnellement plus courants chez les oiseaux au stade œuf qu’au stade poussin (respectivement 33 et 14 %).

24Grace à la reconstitution et à l’interprétation de chacun des trajets, l’espace considéré passe d’un ensemble de points GPS difficilement interprétables à un ensemble de déplacements qui se succèdent et pour lesquels il est possible d’interpréter différents comportements de l’oiseau. Ce procédé amène à réfléchir à son espace de vie, aussi bien dans sa dimension spatiale que temporelle.

Au-delà du trajet, l’espace de vie de l’oiseau marin

25Au-delà des acquis précédents, le géographe s'interroge sur l’espace occupé par cet objet géographique vivant et ultra mobile qu'est l'oiseau. L’ensemble des relevés GPS permet dans un premier temps de délimiter une aire de vie puis, dans un second temps, de caractériser cette aire, à travers son unité et sa diversité.

Délimiter un espace de vie

26L’ensemble des points GPS correspond à 44 trajets aux caractéristiques singulières. Cependant, au-delà de leurs spécificités individuelles, les trajets considérés dans leur globalité sont regroupés dans une aire globale, caractérisés par plusieurs aspects. Ils présentent une répartition concentrique, s’étendant dans un périmètre d’un maximum de 15 kilomètres autour du cap : environ 14 km au nord-ouest, puis approximativement 10 km à l’est et au nord (fig. 7). Cet éloignement est relatif au temps de trajet puisque les plus longs en temps (supérieurs à 5h) sont majoritairement ceux qui s’étendent le plus loin du cap. En outre, la densité des points décroît avec l’éloignement du cap. Cette répartition est dominée par une orientation sud est - nord ouest, reflétant l’orientation du courant alternatif « est sud est - ouest nord ouest » devant le cap Fréhel (Ifremer environnement). Cette orientation générale correspond principalement aux trajets nocturnes lorsque l’oiseau passe plusieurs heures au repos, à dériver en surface (par exemple : GPS2 trajet 2 ; GPS4 trajet 2, GPS5 trajet 2, GPS7 trajet 2, GPS11 trajet 11). Par ailleurs, les oiseaux survolent et pêchent au-dessus de zones de faibles profondeurs, essentiellement entre les isobathes 20 et 30 m, ce qui correspond aux principales altitudes sous-marines autour du cap.

27Tous ces trajets (tout type de comportement confondu : vol, pêche, repos et nettoyage) délimitent une aire, inégalement occupée, correspondant à un « espace de vie », motivé par la réalisation des besoins vitaux de l’oiseau et notamment des besoins alimentaires. Celui-ci peut être considéré, avant tout, comme un « espace alimentaire », en lien direct avec l’espace terrestre, le cap Fréhel, où se trouve installée la colonie.

Unité et diversité de l’espace de vie de l’oiseau marin

28Cette aire maximale observée, d’une superficie d’environ 200 km², est d’abord marquée par son extension concentrique autour du saillant continental formé par le cap Fréhel. Elle présente une orientation générale NW-SE. Cette orientation n’est pas le fait de l’ensemble des trajets, mais les frontières de cet espace, et donc sa forme globale, sont conditionnées par les trajets les plus longs (en durée et en distance). En outre, bien que le Guillemot soit une espèce pélagique évoluant traditionnellement au-dessus du plateau continental et des eaux côtières, il fréquente ici un espace relativement restreint, témoignant de la situation du cap Fréhel à proximité des zones de pêche, suffisamment proche pour subvenir aux besoins alimentaires de la colonie. Cette aire est caractérisée par une existence brève, puisqu’elle n’existe que pendant la période de nidification, ici particulièrement durant la période œufs/poussins de mai à fin juillet. Elle disparaît progressivement avec les premiers envols des jeunes jusqu’au départ des derniers individus.

29Cette aire présente, en outre, des éléments de diversité (fig. 8 et 9). L’espace peut aussi être qualifié par l'intensité de sa fréquentation (évaluée grâce aux trajets en ligne comprenant tous les types de comportement de l’oiseau en mer : vol, pêche, repos et toilettage). Cet indicateur permet de distinguer les espaces les plus parcourus par l’oiseau, contribuant à discerner des zones très fréquentées, à partir d'un gradient de fréquentation (fig. 8).

Conclusion : de l’aire de vie de l’oiseau à l’occupation de l’espace océanique

30La méthode utilisée dans ce travail permet d’identifier un espace, sa cohérence mais aussi sa diversité. Le GPS constitue un outil au service de sa délimitation : l’espace de vie de l’oiseau marin pélagique en période de reproduction, au sein duquel les différentes fonctions vitales de l’espèce ont pu être identifiées. Encore peu étudié en géographie, il est complexe à saisir puisque ces animaux passent l'essentiel de leur temps en mer. Le GPS permet donc de saisir des mouvements d'espèces spécialement mobiles dans un des espaces parmi les plus difficiles à appréhender.

31Les résultats de cette étude témoignent de l’importance de l’espace marin à proximité immédiate de la colonie, espace dont la temporalité est variable puisqu’associé à la période de nidification et dont les caractéristiques diffèrent en période d’hivernage. La colonie est totalement connectée avec l’espace marin alentour, qui constitue un enjeu majeur pour la protection des espèces, alors que les zonages de protection dissocient souvent espace terrestre et espace marin. Aussi, si ces premiers résultats sont essentiellement portés sur l’éthologie et la biogéographie, ils constituent une démarche préparatoire à la confrontation de cet espace de vie avifaunistique à la gestion des espaces naturels littoraux et marins ainsi qu’aux activités et usages anthropiques sur ces secteurs, obligeant à une cohabitation, au cours de la saison de reproduction.

32En effet, le cap Fréhel est un espace protégé, à terre comme en mer, en raison de son patrimoine naturel et culturel (Site classé, Site du Conservatoire du Littoral, ZNIEFF 1, réserve associative, ZICO, ZPS, SIC). Les zonages de protection du patrimoine naturel témoignent de l’intérêt écologique du cap. Il s’agit donc d’un espace reconnu a priori sensible du fait de sa biodiversité. Cependant, si les zonages Natura 2000 (ZPS et SIC) semblent au premier abord conformes à l’espace de vie des Guillemots, certaines zones non incluses dans les périmètres de protection et pourtant fréquentées par les oiseaux (au large de la pointe de Saint Cast par exemple) suggèrent que des enjeux socio-économiques priment en l'occurrence sur la protection de la biodiversité. Le futur parc éolien offshore de la Baie de Saint-Brieuc, situé au large de la côte d’Emeraude, comprenant les caps d’Erquy et de Fréhel, questionne également. Le périmètre du parc chevauche partiellement dans son extrémité nord-est l’espace de vie des Guillemots révélé au cours de ce travail. Or, comme évoqué précédemment, la colonie du cap Fréhel est la principale de Bretagne, représentant une large majorité de la population française de guillemots (environ 84 %), en limite méridionale de répartition à l’échelle de la façade Atlantique européenne (Birdlife International, 2004 ; Cadiou et al., 2015 ; Eveillard-Buchoux et al., 2017], accentuant sa sensibilité face aux dérangements. Pour cela, cette opération de suivi des Alcidés du cap Fréhel reprend au printemps 2022 et pour trois ans dans le cadre des études d’impacts sur les phases de construction et de mise en service du parc.

33Le GPS se positionne alors non seulement comme un outil pertinent pour la biologie et l’écologie, mais aussi comme un nouvel outil d’aide à la compréhension des espaces, et notamment des espaces de vie des animaux et de la biodiversité dans un monde de plus en plus anthropisé. Cette spatialisation de l’animal contribue à l’enrichissement des études en biogéographie mais aussi en géographie de la conservation et en sciences sociales de l’environnement, dans l’optique d’une meilleure gestion et protection. On ne peut qu’espérer son usage dans une perspective pluridisciplinaire des sciences de l’environnement, aussi bien pour y évaluer les impacts de l’être humain que pour penser sa conservation.