1L'analyse des dynamiques paysagères est un enjeu majeur en géographie, en particulier pour comprendre les interactions complexes entre les processus naturels, les activités humaines et les efforts de restauration (Bertrand et Dollfus, 1973 ; Burel et Baudry, 1999). La région de Sidi Mechreg, avec son maquis caractéristique, offre un contexte intéressant pour étudier ces transformations et les dynamiques d'occupation des sols depuis le début du 20e siècle.
2Notre étude s'appuie sur des travaux antérieurs, tels que ceux de Laaribi (2015) et Khali (2017), qui ont déjà mis en lumière certaines tendances et dynamiques paysagères dans la région. Néanmoins, notre approche méthodologique et l'analyse détaillée des unités paysagères identifiées offrent une nouvelle perspective et des informations supplémentaires pour mieux comprendre et gérer les défis environnementaux et socio-économiques spécifiques à la zone d’étude.
3Une méthode innovante, la tessellation par maillage hexagonal, est utilisée pour établir une cartographie dynamique de l'occupation du sol. En effet, des groupes de paysages peuvent y être identifiés, chacun présentant des tendances et des défis spécifiques en matière de gestion des ressources naturelles et d'aménagement. L'objectif de cette étude est d'approfondir la compréhension des dynamiques paysagères aux Mogods pour soutenir les efforts de préservation et de restauration des paysages et orienter les décisions et les actions en matière de gestion des ressources naturelles et d'aménagement du territoire.
4Nous posons plusieurs questions telles que : comment ont évolué les unités paysagères dans la zone de Sidi Mechreg au fil du temps ? Quels sont les facteurs qui ont contribué à ces changements ? Et quelle est la dynamique des différents types d'occupation du sol dans cette région ? En répondant à ces questions, nous pourrons mieux comprendre les changements de la structure des paysages dans la région de Sidi Mechreg et proposer des mesures efficaces de gestion et de préservation.
5Notre article se concentre sur l'étude de la dynamique des paysages dans le champ dunaire de Sidi Mechreg en Tunisie, en s'articulant en trois phases. Tout d'abord, nous présentons les déterminants de l'occupation des sols dans cette zone, qui incluent un environnement favorable à une dynamique érosive intense, une pression humaine importante et les actions de restauration du couvert végétal et de stabilisation des dunes littorales. Ensuite, nous décrivons la méthodologie de cartographie des dynamiques paysagères, qui comprend l'analyse spatiale et temporelle des paysages, l'utilisation de l'analyse par maillage et la cartographie d'un espace dynamique. Enfin, nous discutons des résultats de notre étude en présentant l'évolution de l'occupation des sols et en présentant la carte des dynamiques spatio-temporelles.
6L'analyse des concepts qui sous-tendent les notions de dynamiques des paysages et maillage en géographie révèle des approches théoriques et méthodologiques innovantes. Cette analyse permet de mieux comprendre les interactions complexes entre les différents éléments du paysage, ainsi que les processus à l'origine de sa transformation.
7Les dynamiques paysagères, ou les dynamiques des paysages, concernent les changements qui affectent les paysages au fil du temps, résultant des interactions entre les processus écologiques, géomorphologiques, climatiques et anthropiques (Sauer, 1925 ; Forman et Godron, 1986). Les perturbations naturelles, telles que les incendies, les inondations, les glissements de terrain et les tempêtes, sont des éléments clés des dynamiques environnementales (Turner et Gardner, 2015). Ces perturbations peuvent entraîner des modifications du paysage végétal, ce qui a un impact sur la structure spatiale du paysage (Da Lage et Métailié, 2015 ; Collinge, 1998). Ces changements sont influencés par des perturbations à différentes échelles spatiales et temporelles (Farina, 2000).
8Afin de mesurer la structure et l'organisation d'un paysage, on utilise des « métriques du paysage », qui sont des indicateurs (Jaeger 2000 ; Bogaert et al., 2004). Ces indicateurs permettent de mieux comprendre les effets des perturbations naturelles sur le paysage, ainsi que les réponses des écosystèmes à ces perturbations. Les recherches menées par Bogaert et al. (2004) ont démontré que les processus de transformation spatiale conduisent à un nombre restreint de configurations ou géométries spatiales récurrentes. Les processus de transformation spatiale du couvert végétal peuvent se regrouper en trois catégories : dégradation, amélioration et stabilité. L'amélioration se réfère à l'augmentation de la productivité, à la diversité et à la résilience des écosystèmes végétaux (Holl et Aide, 2011). La dégradation correspond à la diminution de la qualité et de la quantité des ressources végétales en raison de facteurs anthropiques ou naturels (Lal, 2001). Enfin, la stabilité fait référence à la capacité des écosystèmes végétaux à résister aux perturbations et à maintenir leur structure et fonction sur le long terme (Pimm, 1984).
9La complexité des éléments constructifs d'un paysage requiert une segmentation pour l'ensemble des analyses spatiales et temporelles. Si Batty (1978) estime que le maillage doit être indépendant du phénomène à mesurer, Openshaw (1981) soutient que les mailles, en tant qu'unités spatiales, doivent être choisies en fonction de l'objectif de l'analyse géographique. La partition de l'espace ou le « zoning system » a une influence fondamentale sur les caractéristiques des données et donc sur les résultats de l'analyse géographique.
10La cartographie des paysages est confrontée à un problème majeur lié à l'échelle et la résolution des données géospatiales. La difficulté à comparer des cartes topographiques à grande échelle avec des orthophotos à plus petite échelle résulte de la représentation non uniforme des données. Dans leur article, McEachren et Kraak (2001) discutent de l'utilisation de méthodes cartographiques exploratoires et de visualisation pour résoudre les problèmes de représentation de données géospatiales. Ils soulignent l'importance de la généralisation des données spatiales pour permettre la comparaison de données à différentes échelles et résolutions, et mentionnent l'utilisation de la grille comme méthode pour y parvenir. En effet, l’utilisation la grille permet de généraliser les données spatiales de manière cohérente, quelle que soit leur échelle. Cela permet de comparer facilement des données à grande échelle avec des données à petite échelle, offrant ainsi une vue d'ensemble plus complète de la zone géographique en question.
11Les systèmes de segmentation spatiale portent de nombreux noms : carroyage, grille, tessellation, maillage, etc. Les grilles sont souvent utilisées pour étudier les écosystèmes à des fins d'observation, d'expérimentation et de simulation (Birch et al., 2007). Elles peuvent être de forme régulières ou irrégulières. Les grilles de forme régulière peuvent se composer de triangles équilatéraux, de carrés ou d'hexagones (Carr et al., 1992). A ces trois formes sont ajoutées des grilles de points qui peuvent également être utilisées comme centroïdes pour les polygones. Ces derniers sont les seuls à pouvoir être tessellés (répétition de la même forme, de tronçon à tronçon, pour couvrir une surface sans interruption ou superposition) en vue de créer une grille espacée régulièrement1. L'inconvénient des grilles de points provient de la répartition aléatoire étant donné que les points ne couvrent pas tout le plan cartographique, certains détails peuvent être omis. Chaque point représente un échantillon de l’espace (Ormaux, 1987) et non pas sa totalité. La tessellation par des polygones à l’avantage d’avoir une surface constante et sans chevauchement ou ambiguïté. Ces différentes méthodes de représentation cartographique peuvent avoir un impact sur l'analyse des déterminants de l'occupation du sol, comme cela est le cas dans l'étude du champ dunaire de Sidi Mechreg.
- 2 Article 2 du Décret n° 98-2092 du 28 octobre 1998 : « Est considéré zone sensible toute zone qui pr (...)
12La côte de l’extrême nord de la Tunisie abrite un écosystème fragile composé d'un champ de dunes classé en tant que zone sensible2 et d'une variété de paysages forestiers. Au fil du temps, les activités humaines ont façonné le paysage actuel. Ces dernières peuvent être regroupées en deux catégories : la destruction causée par des activités extensives et les efforts de restauration entrepris par les acteurs publics.
13Le champ dunaire Sidi Mechreg se localise à l’extrémité septentrionale de la Tunisie entre la mer Méditerranée du côté nord-ouest et oued Ziatine du côté sud-est (Fig.1). Il appartient aux Mogods qui font partie de la chaîne des Atlas septentrionaux. Le relief présente une topographie peu élevée. L’altitude moyenne est de 53,8 m et un maximum de 115 m au niveau de Djebal Er-Rahiat et Draa Er-Rmal. La pente moyenne est faible avec seulement 3,8° et un maximum de 18,8°. Les pentes les plus douces sont celles de Hanchir Eziatine. De petits cours d’eau sillonnent les terrains sablonneux et gréseux avant de joindre l’oued Ziatine ou la Méditerranée.
14Le terrain adjacent de la zone d’étude se distingue par un relief irrégulier malgré des altitudes relativement basses (figure 1).
Figure 1 - Carte des principales unités topographiques de la zone d’étude.
Feuilles de Sejnane et cap Negro au 1:50000. Modèle numérique de terrain (ALOS 12.5m.)
15La géologie est dominée par le flysch numidien. Les zones présentant une morphologie plutôt dégagée correspondent aux principales vallées ou aux terrains situés près de la mer, contenant les principales formations quaternaires (Oueslati et al., 1983 ; Paskoff et Sanlaville, 1983 ; Oueslati, 1994 ; Khali, 2016). Ces dernières résultent de l'action de la mer, du vent, des cours d'eau et de la gravité. Les dépôts d'origine marine sont très restreints en superficie ou apparaissent dans des coupes de falaises (Oueslati et al., 1982 ; Paskoff et Sanlaville, 1983 ; Oueslati, 1994). Les vestiges liés au vent sont représentés par des éolianites visibles dans certaines falaises, mais qui se prolongent sous les dunes actuelles. En raison de leur position dans la morphologie et de leur faciès, ces éolianites sont attribuées au Pléistocène supérieur. Leur formation aurait accompagné la transgression tyrrhénienne et se serait poursuivie pendant le Pléistocène supérieur et l'Holocène (Paskoff et Sanlaville, 1983 ; Oueslati, 1994). Les dépôts et formes associés aux cours d'eau se trouvent principalement au fond des vallées et correspondent généralement à une terrasse alluviale holocène à historique. Dans les vallées d'Oued Ziatine, on observe également une terrasse plus ancienne attribuée au Pléistocène supérieur, qui remanie une industrie lithique atérienne ou moustérienne. Cependant, dans les vallées étroites, ces différents vestiges se présentent souvent sous la forme de lambeaux de terrasses étroites (Oueslati, 2018) (figure 2).
Figure 2 - Cartographie géomorphologique et analyse des vents dominants dans la zone d'étude
Agence de Protection et d’aménagement du littoral (APAL),2018
16La physionomie de la couverture forestière dans la région des Mogods est variée et présente des mosaïques végétales qui caractérisent principalement les paysages. Ces formations végétales résultent d'une interaction entre les facteurs naturels et les actions humaines. La dégradation de la végétation est visible à divers niveaux, indiquant un état de dégradation plus ou moins avancé (Jaziri, 2020). Dans les meilleures conditions, on trouve des maquis arborés denses, avec des arbustes atteignant 3 mètres de hauteur et des arbres dépassant 5 mètres (Photo 3). Cependant, les incendies récurrents et les pressions exercées par les populations locales ont entraîné une dégradation des zones forestières reboisées, empêchant ainsi l'évolution de ces broussailles en forêts. Par conséquent, il est plus approprié de parler de maquis arborés élevés avec des taux de recouvrement variables, plutôt que de forêts. La végétation climacique des dunes de Sidi Mechreg est caractérisée par une mosaïque d'unités forestières composées de groupements à Quercus suber, Pistacia lentiscus, Quercus coccifera, ainsi que d'un groupement à Quercus coccifera, Scrofularia sambucifolia, Juniperus oxycedrus et Juniperus phoenicea. La présence du chêne kermès est surtout liée au domaine littoral, qui est soumis à l'influence maritime. La végétation recouvre les dunes de manière inégale, exposant certaines zones aux effets du vent. Cette répartition hétérogène de la végétation provoque une érosion différentielle des dunes, modifiant leur morphologie et leur stabilité.
17La région de Sidi Mechreg est marquée par une longue histoire d'occupation humaine, comme en témoignent les nombreux vestiges archéologiques romains présents dans la zone (Challot, 1998). Au cours du 20e siècle, deux principales zones d'implantation humaine se sont démarquées : Sidi Mechreg au sud et An Nfida au nord de la zone d'étude.
- 3 La densité des constructions a été déterminée en comptabilisant le nombre de bâtiments présents à l (...)
18En 1900, le nombre total de constructions dans la région ne dépassait pas 23, avec une densité moyenne3 de 6 constructions par km² et une densité maximale de 20 constructions par km² (Fig.3). Ces dernières étaient principalement concentrées à Sidi Mechreg et Al Ababsa, ainsi que dans une moindre mesure à An Nfida et Henchir Ziatine. Depuis les années 1980, Sidi Mechreg a bénéficié de l'intervention de l'État grâce aux programmes nationaux visant à développer les régions les plus défavorisées. Les améliorations du réseau routier, la création d'un port de pêche et la stabilisation des dunes par des travaux de reboisement ont amélioré les conditions de vie des habitants locaux. Cependant, le front de mer de Sidi Mechreg fait face à plusieurs menaces en raison de la pression humaine croissante suite à son ouverture aux spéculations foncières. La présence d'une route goudronnée et en bon état reliant la route régionale 58 au village de Sidi Mechreg, ainsi que d'un port aménagé et de plages sablonneuses, renforce l'attractivité de cette zone. En 1988, l'évolution du bâti s'accélère. Le nombre total des constructions atteint alors 258, avec une densité moyenne de 61 constructions par km². Un nouveau noyau rural émerge : Al Abadliya, qui présente la densité la plus élevée de la région avec 100 constructions par km². Sidi Mechreg, Al Ababsa et Al Mnajliya connaissent également un développement, bien que moins soutenu, avec des densités de 50 constructions par km². À An Nfida, en revanche, la croissance stagne avec une moyenne de 10 constructions par km². En 2007, l'expansion urbaine se poursuit, avec une attention particulière portée aux villages situés autour de Sidi Mechreg, notamment Al Abadliya et, dans une moindre mesure, Al Mnajliya. Le nombre total de constructions atteint 378 et la densité moyenne s'élève à 77. Au nord, bien que les constructions se multiplient, les densités n'atteignent pas encore 10. Chaque année, de nouvelles clairières apparaissent sur des terrains meubles, pentus et exposés au vent, accentuant ainsi les risques de déforestation et d'expansion des champs dunaires (Photo 1).
Photo 1- Vue générale sur Henchir Ezziatine et An Nfida: contraste entre dunes inhabitées et Jbels cultivés.
La photo présente une vue d'ensemble de la plaine de Ziatine avec Jbel Lagwess et An Nfida en arrière-plan. Le premier plan montre un champ de sable meuble non végétalisé et une pelouse herbeuse peu couvrante (a-b) sur la gauche, un maquis dense qui protège un champ dunaire (c). Au loin, on peut apercevoir une forêt (d) et des maquis reboisés (e) avec quelques clairières et des champs de culture entouré d'une haie arborée (f).
19À partir de 2022, le phénomène de constructions prend une ampleur remarquable dans la région, avec un nombre total de 640 constructions et une densité moyenne de 135 constructions par km². Cette croissance est particulièrement marquée dans la partie sud, précisément à Al Abadliya et Al Mnajliya. Au nord, les densités restent plus faibles, avec seulement 25 constructions par km². Bien que le nombre de constructions ait augmenté, la région de Sidi Mechreg reste peu attrayante. En 2004, la population totale de l'imada atteignait 3307 habitants, mais en 2014, ce chiffre avait diminué pour atteindre 3 138 habitants. Cette contradiction entre l'évolution démographique et le nombre de constructions peut s'expliquer par deux facteurs. Tout d'abord, l'exode temporaire vers les villes voisines est important. Ensuite, il y a une multiplication des résidences secondaires estivales par des citadins étrangers à la région.
Figure 3 - Evolution de la densité des constructions de 1900 à 2012
Carte topographique -Feuilles Sejnane et Kef Abbed au 1/5000 (1900) / Cartes topographiques - Feuilles Sejnane et Kef Abbed au 1/25000 / Photographies aériennes - mission 1988 Images. Google earth 2007 et 2022.
20L’évolution du nombre de constructions a accéléré le phénomène de défrichement. Ce dernier constitue une pratique courante dans les Mogods, exprimée localement par « Kasser el ghaba », signifiant « détruire la forêt » (Laaribi, 2015). Il désigne le processus de réduction des terres forestières pour les réserver à d'autres usages. La dégradation avancée de la végétation spontanée à Sidi Mechreg est due à des pratiques pastorales inadaptées et à la prédominance de la propriété communautaire des espaces forestiers. Le défrichement est une méthode courante d'appropriation de nouvelles terres pour l'agriculture. Les agriculteurs récupèrent ou agrandissent les clairières forestières d'une part, et empiètent sur la zone forestière voisine en repoussant la lisière d'autre part. Cette pratique implique généralement l'arrachage des racines de la végétation ou sa combustion pour récupérer des parcelles.
21Selon les registres de l’arrondissement forestier de Bizerte, 61,3 hectares de terres ont été défrichés et convertis en terrain de culture ou en bâtis entre 2011 et 2018. Durant la même période, 343 infractions liées au défrichement ont été enregistrées. Les statistiques indiquent clairement que la coupe d'arbres est la principale infraction enregistrée, représentant 39,4 % de toutes les infractions. Cela peut être un indicateur de la pression exercée sur les ressources forestières de la région. La production de charbon de bois est la deuxième infraction la plus fréquente, représentant 28,3 % des infractions enregistrées. Cela dit que le bois est utilisé comme combustible dans la région, ce qui peut également mettre en danger les ressources forestières. Les infractions liées à la coupe d'arbres et à la production de charbon de bois représentent plus de 67 % de l'ensemble des infractions enregistrées, soulignant leur importance dans la région. D'autres infractions enregistrées comprennent la construction, l'arrachage, le labourage, le pâturage et autres, qui représentent ensemble 32,6 % de toutes les infractions. Ces infractions sont liées principalement à des activités agricoles qui peuvent également avoir des effets négatifs sur les ressources forestières de la région.
- 4 Entretien avec les agents des services forestiers à Bizerte
22Sous l'influence des vents dominants et actifs d'ouest et de nord-ouest, la grande contribution de ces masses sableuses est poussée vers le continent menaçant les cultures, les sources d'eau et les villages le long du chemin. Les travaux de fixation des dunes marines de la région de Bizerte ont commencé dès 1904 (Motte, 1963). Les premiers travaux ont concerné 7000 hectares des dunes mouvantes situées à l’est de Sidi Mechreg comme les dunes de Béchateur, la Corniche de Bizerte, Rimel et Jbel Demna. Le démarrage de fixation des dunes côtières à Sidi Mechreg est tardif. Le Programme de développement forestier (PDF) financé par la Banque Mondiale a alloué une partie de ses fonds à la stabilisation des dunes de sable dans les délégations de Sejnane. Ce programme s'est concrétisé en deux phases, la première entre les années 1989 et 1994 et la seconde entre 1995 et 2000 (Challot, 1998). Ce programme a permis le reboisement de 700 hectares de dunes de sable dans la zone de Henchir Eziatine, Sidi Betayeb et Ain El Grouz4. Acacia cyanophila et Acacia cyclops ont été choisies comme espèces végétales pour fixer les sables en raison de leur adaptabilité aux sols gréseux et de leur capacité à se reproduire rapidement, garantissant ainsi l'efficacité de la fixation des dunes côtières. Les deux espèces tolèrent les embruns marins dans les zones à vents violents. Une fois le sol fixé, les résineux et les eucalyptus peuvent être reboisés. Ce choix est justifié par les services forestiers, du fait de l'adaptation de ces espèces à la sécheresse édaphique, de leur croissance rapide et de leur important rendement économique.
23L'occupation du sol découle de l'ensemble des interactions naturelles et anthropiques survenues au fil des années. Elle se caractérise par une prédominance de formations dégradées, principalement représentées par des maquis, qui couvrent une large portion de la surface. Les formations les plus étendues se trouvent dans des zones telles que Jbel Lakhbat, Dhraa Ar-Rmal, Draa Aine El Djennane, Jbel Lagwas, Henchir Eziatine et Jbel Er Rahiat. La plupart de ces maquis proviennent d'actions de reboisement (Figure 4).
Figure 4 - L'occupation du sol en 2022 de la zone d’étude
Cartes topographiques de 1984: Feuilles de Sejnane et cap Negro au 1:50000 et images Google Earth 2022.
24Les terrains défrichés correspondent généralement à des clairières cultivées ou abandonnées. Ces clairières présentent des formes irrégulières et occupent une surface importante, où sont pratiquées des cultures vivrières. On y trouve des enclos bas faits de branchages et de petites parcelles ayant un rendement faible en raison de la pauvreté des sols et de l'impact des vents, qui limitent l'arboriculture à grande échelle. Les clairières se concentrent près des habitations, notamment aux villages Al Abadliya, An Nfida, Sidi Mechreg, Al Ababsa et Al Mnajliya.
25Les dunes mobiles, ou vives, se situent dans des zones où la végétation ou les enclos couvrent faiblement le terrain. Deux bandes de sable importantes ont été largement reboisées, mais, près du littoral, les vents empêchent la végétation de s'implanter. Dans la plaine de l'Oued Ziatine, on observe encore des dunes meubles, où les formes d'érosion par les ravins et le transport éolien sont visibles.
26Les terrains nus peuvent correspondre à la bande littorale, des zones occupées par une pelouse herbeuse ou des terrains préparés pour le reboisement à la suite durcissement des acacias. Ces espaces mettent en évidence l'impact des interactions naturelles et anthropiques sur l'évolution de l'occupation du sol, reflétant les dynamiques environnementales complexes qui façonnent le paysage.
27Dans cette partie méthodologique de l'article, est présentée la méthode de tesselation hexagonale qui a été développée pour mieux comprendre l'évolution des paysages. Cette méthode innovante permet d'aboutir à une cartographie précise des dynamiques paysagères.
28Avant de commencer la cartographie, des protocoles de terrain ont été mis en place en différents points de la zone d'étude. Au cours d'une période de 10 ans, plus de 200 relevés de végétation ont été effectués lors des prospections sur le terrain, recueillant des informations sur la composition floristique, la densité et la structure végétale de la zone. Bien que ces relevés n'aient pas été utilisés directement pour analyser les dynamiques spatiales d'occupation du sol, ils ont fourni des informations précieuses sur l'état écologique de la région et ont permis d'évaluer les impacts potentiels des activités humaines sur l'environnement naturel. Les données concernant la végétation et l'environnement ont été recueillies grâce à une méthode d'échantillonnage empirique reposant sur des données spatiales telles que des images Google Earth, des photographies aériennes et des documents cartographiques. Les données collectées ont été traitées et présentées sous forme de tableaux et graphiques à l'aide de logiciels statistiques et cartographiques.
29La photo-interprétation a été utilisée pour obtenir des informations plus détaillées et précises sur les entités dans la zone d'étude. Contrairement à la classification supervisée et non supervisée, qui utilise des algorithmes pour identifier les classes d'occupation du sol, la photo-interprétation est une méthode d'analyse visuelle des images aériennes qui permet d'extraire des informations sur le terrain, telles que la topographie, la végétation, les infrastructures, les cours d'eau, etc. Elle est basée sur la reconnaissance de formes et de caractéristiques visuelles distinctives dans les images. En utilisant la photo-interprétation, il est possible d'obtenir des informations plus détaillées et précises sur les entités, car elle est capable de reconnaître des caractéristiques subtiles ou des variations spatiales qui peuvent être difficiles à identifier automatiquement. Bien que cette méthode soit plus coûteuse et plus complexe que la classification automatique, elle permet souvent d'obtenir des résultats plus précis et détaillés. La préparation des cartes d'occupation du sol et des cartes de situation multi-dates nécessite plusieurs étapes. Tout d'abord, les données raster (cartes topographiques, photos aériennes et images Google Earth) sont préparées et prétraitées avec un fichier de cartographie géoréférencée. Ensuite, les entités spatiales ont été soigneusement vectorisées. La surface des unités d'utilisation des terres est calculée afin de comparer les résultats et de déterminer la dynamique du paysage sur une période de temps spécifique. Dans un troisième temps, des cartes détaillées de la situation sont produites pour préciser l'évolution des structures paysagères.
30Les cartes topographiques disponibles pour l'étude ont des échelles et des dates différentes, allant de 1/50 000 au début du 20e siècle au 1/25 000 en 1982. Les photographies aériennes sont également utilisées pour la cartographie à haute résolution spatiale. Des photographies aériennes de 1948 et 1988 ainsi que des images Google Earth de 2022 sont utilisées pour la réalisation des cartes d’occupation du sol.
- 5 L'unité paysagère représente une entité spatiale homogène définie par des éléments naturels et anth (...)
31Pour simplifier la représentation cartographique et faciliter l'interprétation des résultats, quatre unités paysagères5 ont été définies. Cette approche permet de regrouper les unités similaires, réduisant ainsi la complexité de la carte tout en conservant les principales caractéristiques des différentes zones étudiées. Cela contribue également à une meilleure lisibilité des cartes et une analyse plus efficace des tendances et des relations spatiales entre les unités. Les dunes stabilisées par une végétation naturelle ou artificielle sont regroupées sous une appellation unique « Maquis ». Les dunes en mouvement sont classées comme « Dune vive ». Les clairières, les espaces ouverts en jachère et les terres cultivées sont classées comme "Cultures". Les autres terres sans occupation spécifique sont appelées "Terres nues". La distinction entre les terres cultivées et les terres nues est possible grâce aux images de Google Earth et surtout par la vérification sur le terrain en cas de doute.
32L’analyse géographique des données spatialisées rencontre des problèmes méthodologiques qui doivent être pris en compte. Le choix du dispositif pour évaluer la représentation cartographique quantitative nécessite de maximiser la représentativité des éléments constitutifs d’un territoire donné. Toutefois, le maillage est confronté à des effets d’échelle et d’agrégation, ce qui oblige à choisir la tessellation en fonction de la forme, de la taille et de l’emplacement.
33Dans un logiciel SIG, la position du maillage est automatiquement effectuée dans la direction EO-NS, avec la même orientation que celle de l’affichage. Pour la forme, la maille carrée, bien que simple et facile à interpréter, présente des inconvénients d’ordre isopérimétrique. Selon Birch et al. (2007), la grille de forme hexagonale représente plus fidèlement le paysage qu’une grille carrée et pourrait mieux répondre à l’exigence de stabilité dans le temps (Verhegghen et al., 2016). La tessellation hexagonale permet également de supprimer le biais lié à la taille des différentes régions et de mieux visualiser les petites zones grâce à l’uniformité de la taille des hexagones. Grace aux outils SIG, il est courant de tracer des grilles hexagonales pour effectuer divers traitements ou analyses spatiaux. En ce qui concerne la taille de la maille, elle est liée aux échelles d’analyse. Selon Bourget et al. (2010), les objets paysagers représentés diffèrent selon l’échelle d’étude choisie. Un paysage peut ainsi sembler homogène à un certain niveau, mais se révéler très hétérogène dans un travail mené à un échelon plus fin.
- 6 Dans le vocabulaire de l'écologie du paysage, une tache désigne une unité élémentaire assez réduite (...)
- 7 Les centroïdes portent les mêmes identifiants que les polygones. La jointure spatiale permet de ret (...)
34La cartographie des paysages végétaux au Mogods est un cas particulier. Les zones forestières fragmentées et discontinues font que les limites sont ambiguës. L’objectif de la méthodologie est de choisir la taille qui agrège au mieux les tâches6 paysagères. Un traitement préliminaire d’1 km² de notre zone d’étude a été testé ce qui représente 3,7% de la zone d’étude. Un nombre élevé de mailles est probablement plus fidèle à la réalité, mais entraîne un temps de traitement plus long. Le but de la présentation par tessellation est de simplifier la présentation sans pour autant perdre les détails. La première option consiste à réduire la surface du maillage à 0,5 ha. La deuxième option utilise une unité de référence d’1 ha, et une dernière de 2 ha. Il est évident que plus la taille des mailles est grande, moins elles sont nombreuses mais moins elles reflètent la situation réelle. Un chevauchement de l'occupation du sol se produit parfois, c'est-à-dire qu'une seule maille peut contenir plusieurs éléments paysagers. Les mailles de grande taille (2 ha dans notre cas) sont les plus sensibles à ce problème. Pour pondérer les résultats et rendre la lecture plus flexible, un centroïde a été attribué à chaque maille. Avec l’outil « Intersection » de QGis, chaque occupation du sol peut être transcrite avec un point et, par conséquent, sur le polygone qui l'intersecte7.
- 8 L’indice de diversité Shannon est le plus couramment utilisé dans la littérature, il est basé sur l (...)
35Pour choisir la taille de maille la mieux adaptée à notre analyse, nous avons décidé de prendre en compte deux paramètres importants : le nombre de moindre coût et l'indice de la diversité de Shannon8. Le premier paramètre, le nombre de moindre coût, concerne la taille de maille qui présente un nombre de mailles le plus proche du nombre de la tâche la plus élevée. Dans notre cas, la catégorie « Cultures » est représentée par 18 tâches. En comparant différentes tailles de mailles, nous avons constaté que le maillage d'1 hectare est le plus approprié, avec 22 mailles, contre 49 pour le maillage de 0,5 hectare et 10 pour celui de 2 hectares. L'indice de la diversité de Shannon, quant à lui, est un outil utilisé pour mesurer la diversité des espèces au sein d'une communauté. Dans le cadre de notre étude, cet indice est particulièrement pertinent pour comparer les dominances potentielles des différentes tâches paysagères présentes dans notre échantillon d'étude. En appliquant la formule de l'indice de Shannon, nous avons obtenu un résultat égal à 1,023 pour la maille d'1 hectare (Figure 5).
Figure 5 - Carte basée sur une comparaison de tessellations hexagonales à tailles variables.
36La justification du choix du maillage d’1 ha repose sur ces deux paramètres. D'une part, le nombre de moindre coût permet de déterminer la taille de maille qui représente au mieux les différentes tâches paysagères, en l'occurrence la catégorie « Cultures ». En sélectionnant un maillage d'1 ha, on s'assure d'obtenir une représentation adéquate des éléments paysagers étudiés. D'autre part, l'indice de la diversité de Shannon permet de comparer les dominances potentielles des tâches paysagères dans l'échantillon d'étude. Un indice de 1,023 pour la maille d'1 ha indique une diversité adéquate pour notre analyse. En combinant ces deux paramètres, nous pouvons affirmer que le maillage d'1 ha est le choix le plus adapté pour notre étude, car il offre à la fois une représentation satisfaisante des tâches paysagères et une diversité appropriée pour l'analyse.
37Dans une cartographie statique à une date spécifique, chaque unité spatiale représente une information (une occupation), c'est-à-dire un lien entre la surface et l'occupation. En revanche, dans une cartographie dynamique, nous traitons des informations évolutives ou dynamiques associées à une séquence temporelle, où chaque unité spatiale présente une organisation chronologique. Ainsi, l'information est structurée de la manière suivante : surface-occupation-temps. Cependant, c'est cette dernière composante, le temps, qui engendre les défis techniques les plus importants. La première contrainte tient en la complexité des éléments spatiaux. En effet, les éléments qui composent le paysage actuel sont de nature dynamique. Les changements se produisent à différentes échelles temporelles et spatiales sous l'action combinée des processus naturels et des activités humaines. La deuxième contrainte est en relation avec la méthodologie employée pour cartographier 4 dates ce qui est le cas pour 1900, 1948, 1988 et 2022. Jusqu’à présent, la comparaison de l’occupation du sol entre 2 dates ne pose pas de problèmes majeurs mais au-delà de 2 dates, la tâche devient plus complexe. La technique employée consiste à comparer l’occupation du sol d’un point à un temps donné. Les outils "Fusionner" et "Intersection" sont utilisés pour réduire le nombre d'entités de même type de paysage et créer de grandes entités avec des données statistiques combinées.
38Afin d'identifier les types de paysages dans la zone d'étude, une Analyse Factorielle des Correspondances (AFC) a été mise en œuvre. Cette méthode statistique multivariée est utilisée pour analyser les relations entre différentes variables et révéler les structures sous-jacentes dans les données. Dans notre cas, l'AFC a été réalisée sur une matrice de données comprenant 2 600 entités (mailles) et 4 variables temporelles correspondant aux années sélectionnées. L'objectif de cette analyse était d'examiner les tendances et les schémas qui émergent des données pour mieux comprendre les caractéristiques du paysage et leur évolution au fil du temps. L'AFC a permis de réduire la dimensionnalité des données en identifiant les axes principaux qui expliquent la majeure partie de la variance observée dans les données. Ainsi, chaque maille a été positionnée dans un espace multidimensionnel selon les contributions des différentes variables temporelles.
39Dans cette dernière partie de l'article, la concentration est mise sur la cartographie de la dynamique paysagère, en étudiant l'évolution de l'occupation du sol. En croisant les données, une carte des dynamiques spatio-temporelles est établie pour mieux appréhender les changements environnementaux au fil du temps.
40La comparaison des structures paysagères dans le secteur de Sidi Mechreg s’effectue grâce au calcul des superficies des 4 unités paysagères prédéfinies au préalable. Les changements survenus sont le résultat de 2 actions majeures : le défrichement et le reboisement.
41Sur la carte de 1900, la végétation primitive couvrait 2300,6 ha. Le chêne Kermès (Quercus coccifera) et le lentisque (Pistacia lentiscus) poussaient sur le sable grésifié et les sables meubles, témoignant d’un état de stabilité et de faible apport éolien et présentant un stade avancé d’humification du sable (Gounot et al., 1967). En 1948, la surface des dunes stabilisées par la végétation a été sensiblement réduite à 2108,5ha. Le rythme de défrichement se poursuit rapidement et la surface atteint 1873,4 ha. La destruction du couvert végétal conduit à une reprise de l’activité éolienne. Sur la carte de 1988, les dunes vives occupaient 435,9 ha soit 23 % de la superficie totale contre 20 % en 1948 bien qu'elles soient plus importantes en termes de superficie (535 ha) et seulement 166,6 ha en 1900 soit 6 % de l’espace d’étude. Les parcelles mises en culture ont évolué graduellement au cours de la période d’étude (1900-2022) passant de 19,5 ha en 1900 à 48,4 ha en 1948. Le rythme du défrichement s’accélère à mesure que la densité des constructions augmente. De 1948 à 1988, la surface des terrains agricoles a quadruplé passant de 48,4 ha à 253,7 ha. Elle atteint 424 ha en 2022 (Tableau 1).
Tableau 1: Comparaison de l’évolution de la superficie des unités paysagères (en ha) sur les dunes de Sidi Mechreg entre 1900 et 2022
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1900
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1948
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1988
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2022
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Maquis
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2300,6
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2108,5
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1873,4
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2124,6
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Dune vive
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166,6
|
535,5
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435,9
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46
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Terre nue
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293,8
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90,1
|
228,6
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198,2
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Cultures
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19,5
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48,4
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253,7
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424
|
Figure 6 - Cartographie par tessellation hexagonale (1 ha) de l’occupation du sol en 1900, 1948, 1988 et 2022 à Sidi Mechreg.
Carte topographique -Feuilles Sejnane et Kef Abbed au 1/5000 (1900). Cartes topographiques - Feuilles Sejnane et Kef Abbed au 1/25000. Photographies aériennes - missions 1948 et 1988. Images Google earth 2022.
42Les cartes de l’occupation du sol (figure 6) ont été superposées afin de prendre en compte les changements survenus dans la zone d'étude. Trois catégories de dynamiques de la végétation peuvent être identifiées. L’amélioration se manifeste par le changement de l’occupation du sol vers un paysage forestier. Par dégradation, on entend la perte de la couverture végétale et la stabilité par rapport à l'absence de changement. Pour appuyer notre travail, nous avons réalisé 4 matrices de transition qui permettent de réaliser un croisement des données entre les deux couches vectorielles de l’occupation du sol durant la période d’étude.
Tableau 2 - Matrice de transition des unités l’occupation du sol (en ha) entre 1900 et 2022.
43La cartographie dynamique nécessite la création d'une série de cartes basées sur la catégorie de changement. Les dunes représentent les unités paysagères les plus dynamiques. Elles subissent quatre formes de transformation : stabilisées par une végétation spontanée ou par le reboisement ou des dunes non protégées ou des terres labourées voire nues sans aucune occupation particulière. La classe de végétation la plus représentative de la région est celle des « Maquis». Depuis 1900, la surface occupée par les maquis et leur occupation sont restées stables, atteignant une superficie totale de 2 124,6 hectares en 2022.
44Au cours de la période 1900-1948, les dunes qui sont restées stables ont connu l'expansion spatiale la plus importante, atteignant 1942,7 hectares. Entre 1948 et 1988, cette catégorie a diminué de plus de 300 hectares au fur-et-à-mesure de l'extension des terres réservées à la culture. Malgré les efforts de reboisement et de stabilisation des dunes, la superficie restée stable a encore été réduite à 1 604 hectares entre 1988 et 2022 (Tab.2)
45La deuxième catégorie représente « l'amélioration ». Elle regroupe les entités qui ont connu une évolution de leurs surfaces, telle que la classe des maquis qui a gagné 296,2 ha au détriment des dunes vives entre 1900 et 2022 soit un gain de 151 ha. On observe que la classe de terre nue a perdu 132 ha et 19 ha seulement de terres cultivées transformées en maquis. L'amélioration la plus significative enregistrée entre 1988 et 2022 était un total de 498 hectares dans toutes les catégories du fait de la restauration contre 193 ha entre 1948 et 1988 et seulement 29,2 ha entre 1900 et 1948 et qui peut s’expliquer par la reconquête naturelle de la végétation.
46La troisième catégorie est la « dégradation ». On constate que la classe de maquis a connu une dégradation remarquable durant la période 1948-1988, avec une perte de 434,6 hectares, convertis en dunes vives (199 hectares) et en terres nues (82,2 hectares). En raison des actions intensives des usagers, le maquis a également été transformé en terres agricoles, enregistrant 153,3 hectares. Les entités qui ont connu une évolution de leur surface, telle que la classe des terres mises en culture qui a gagné 349,9 ha au détriment particulièrement des dunes stabilisées entre 1900 et 2022. On observe que la classe de culture a perdu 58,73 ha convertis en maquis.
47En examinant les résultats de l'AFC, il est possible de déterminer les groupes de mailles ayant des caractéristiques similaires et de comprendre comment ces caractéristiques évoluent au fil des années. Cette approche permet d'identifier les zones qui présentent des changements significatifs dans le paysage, ainsi que les facteurs potentiels qui contribuent à ces changements. Les données ont été distribuées sur deux plans factoriels (F1 * F2), lesquels résument 79,51 % de l'information disponible. Les mailles hexagonales ont été positionnées sur un plan factoriel en fonction des valeurs codées de chaque maille, puis ont été classées selon leur occupation du sol par rapport à une année. Ainsi, six groupes de paysages ont été distingués. Les trois premiers groupes décrits précédemment correspondent à des paysages marqués par une dégradation de la couverture végétale spontanée ou reboisée. Les groupes 4 et 5 montrent des paysages où la couverture végétale s’est améliorée, tandis que le dernier groupe montre des paysages qui sont restés plus ou moins stables au cours de la période d’étude (figure 7).
Figure 7 - Carte des dynamiques paysagères sur les dunes de Sidi Mechreg entre 1900 et 2022.
Cartes topographiques de 1900: Feuilles de Sejnane et Cap Negro au 1:50000. Photographies aériennes missions1948 & 1988. Images Google Earth 2022.
48Le premier groupe représente 254 mailles (9,8 %) de terrains qui ont subi une dégradation de leur couverture végétale sans qu’aucune mesure de restauration des dunes ne soit entreprise. Ces zones sont soumises à des forces éoliennes et hydriques actives qui entraînent une abondante accumulation de sédiments. De nouvelles poches de dunes mobiles peuvent ainsi se former, recouvrant à nouveau les plantes et les cultures. La plaine de Hanchir Eziatine présente une couverture végétale insuffisante, rendant les signes de déracinement facilement visibles. Les quelques genévriers d'oxycèdre et lauriers roses présents ne parviennent pas à stabiliser le sol (photo 2).
Photo 2- Fragilité au vent : Erosion et Instabilité à Henchir Ez-Ziatine
Les sols non protégés(a) sont particulièrement vulnérables à l'érosion causée par le vent, qui peut rapidement déstabiliser les racines des plantes (b). Photo prise au niveau de Henchir Ez-ziatine.
49Le deuxième groupe est constitué de 337 mailles (13 %) et témoigne des transformations paysagères survenues entre 1948 et 1988. Ces terrains, auparavant recouverts de broussailles, apparaissent nus sur les photographies aériennes de 1988, suite aux activités extensives de la population locale ayant entraîné la destruction de la végétation naturelle. La surface de ces terres nues s’est ensuite agrandie progressivement par conversion en terres agricoles. Les efforts de reboisement n’ayant pas été suffisamment importants à cette époque, cela explique le développement considérable des terres nues entre les deux dates, avec une superficie estimée à 229,1 hectares, dont 82,2 hectares de maquis ayant été convertis en terres nues (Tab.2).
50Depuis 1988, une partie des terres cultivées qui forment maintenant des maquis et des dunes étaient initialement composées de 347 mailles du groupe 3, représentant environ 13,3 % de la région. La surface de ces terres a progressivement augmenté au fil des ans, avec des parcelles en lisière de forêt qui ont une moyenne d’un hectare. Ces parcelles sont protégées par des branchages secs, qui ne dépassent pas souvent 1 m de hauteur. Les sols, qui sont pauvres et sablonneux, ne permettent pas d’obtenir une bonne récolte. Les cultures pratiquées dans cette zone comprennent le tabac, l’orge, les cultures fourragères et quelques arbres fruitiers et oliviers. Ce paysage est typique de nombreux villages tels que Sidi Mechreg, Bir Al Ababsa, Al Mnajlia, Al Abadlia, An Nfida, Henchir Eziatine, etc. (Photo 3).
Photo 3- Cultures vivrières sur dune de sable
La photo, prise au village d’Al Abadliya, montre une petite parcelle de terre aménagée pour des cultures vivrières. La clairière forestière dans laquelle se trouve la parcelle offre une protection contre le vent et les tempêtes de sable (a). La haie composée de branchages secs d'acacia délimite la parcelle et permet de protéger les cultures des animaux qui pourraient les endommager (b). Des plants d'orge à rendement faible ont été semés dans la parcelle (c). Toutefois, la présence d'une accumulation de sable sur la photo montre les défis auxquels les agriculteurs peuvent être confrontés dans des environnements hostile, notamment la gestion de la fertilité des sols et la lutte contre l'érosion (d).
51Le quatrième groupe, qui représente environ 13,5 % de la région, est constitué de 352 mailles. Ce groupe est caractérisé par des dunes dynamiques qui ont été l’objet de travaux de fixation, mais sans grand succès. Le taux de recouvrement végétal est d’environ 50 %, mais ne protège pas suffisamment les dunes dénudées. Certains de ces terrains ont été transformés en terres cultivées ou en dunes vivantes. Ces paysages sont principalement concentrés autour du village de Sidi Mechreg, de Jbel Er-Rahiat, et des terrains côtiers de Dhraa ar-Rmal.
52Le cinquième groupe comprend 528 mailles, ce qui représente environ 20,3 % de la région. Ces mailles correspondent à des dunes dynamiques qui ont fait l’objet d’importants travaux de restauration depuis 1995, notamment par le reboisement. Elles sont maintenant protégées par un maquis de lentisque et de genévrier principalement. Ces dunes sont particulièrement concentrées à Dhraa ar-Rmal, jbel Lagwas, une partie de Henchir Eziatine, et à l’est de Bir el Ababsa (Photo 4).
Photo 4 - Reboisement et restauration à Jbel Lakhbat
La photo, prise au niveau de Jbel Lakhbat, témoigne de l'importance du reboisement dans la lutte contre l'érosion et la dégradation des sols dans les environnements sensibles. Les pins pignons (a), qui sont bien adaptés aux conditions difficiles de ce type de sol, sont un exemple de la végétation idéale pour favoriser la restauration des sols dégradés. Le maquis dense (b) et la présence de quelques pieds de chêne-liège (c) montrent également comment la végétation spontanée peut être utilisée en synergie avec les espèces reboisées pour restaurer la biodiversité de l'écosystème.
53En examinant la figure n°7, nous pouvons analyser les implications spatiales et les tendances observées en mettant l'accent sur les interactions entre les différentes zones d'occupation du sol, les facteurs qui ont conduit à la dégradation ou à la restauration des paysages, ainsi que les répercussions des tendances observées sur les écosystèmes locaux, les services écosystémiques et les communautés humaines.
54Il est crucial de comprendre les relations entre les activités humaines, les processus naturels et les transformations paysagères observées. Les zones du groupe 1, par exemple, ont subi une dégradation de leur couverture végétale sans restauration des dunes, ce qui indique que ces zones sont soumises à des pressions anthropiques élevées par une agriculture extensive. Les zones du groupe 2 montrent une augmentation de la superficie des terres nues, indiquant que les efforts de reboisement n'ont pas été suffisamment importants pour contrer la dégradation causée par les activités humaines. En outre, les répercussions des tendances observées sur les écosystèmes locaux et les services écosystémiques sont essentielles à considérer. La dégradation des sols et la perte de végétation dans les zones des groupes 1 et 2 pourraient affecter la biodiversité, le stockage du carbone, la qualité de l'eau et d'autres aspects essentiels pour la durabilité environnementale. De même, les conséquences socio-économiques de ces changements d'occupation du sol pour les populations locales pourraient inclure des problèmes d'accès aux ressources, de sécurité alimentaire, de revenus et de qualité de vie.
55Les zones du groupe 5, en revanche, montrent des signes de restauration réussie des dunes et de protection de la végétation. Ces zones pourraient servir d'exemples pour les efforts futurs de conservation et de restauration des paysages dans d'autres parties de la région. Il est crucial d'identifier les facteurs qui ont contribué au succès de ces efforts, tels que les politiques de gestion des terres, les pratiques agricoles durables ou la participation communautaire.
56L'utilisation d'une tessellation par maillage hexagonal dans la région de Sidi Mechreg a permis d'établir une cartographie de la dynamique paysagère et de l'occupation du sol depuis le début du 20e siècle.
57Les résultats illustrent les interactions complexes entre les processus naturels, les activités humaines et les efforts de restauration. Cette recherche a mis en évidence six groupes distincts, chacun ayant des caractéristiques et des enjeux environnementaux spécifiques. Les terrains du premier groupe sont soumis à une dégradation de leur couverture végétale, tandis que les groupes 2 et 3 témoignent des transformations paysagères survenues entre 1948 et 1988, avec une conversion de terres nues en terres agricoles ou en maquis et dunes. Les groupes 4 et 5 sont caractérisés par des dunes dynamiques qui ont été l'objet de travaux de fixation, avec une différence notable dans le succès des efforts de restauration. Enfin, la sixième catégorie correspond aux terrains dont la superficie et l'emplacement sont restés stables au fil du temps, grâce à une gestion appropriée des terres et à la mise en place de mesures de conservation de l'environnement.
58L'analyse souligne les défis et les opportunités pour une gestion durable des ressources naturelles et des paysages et met en exergue l'importance d'adopter des approches intégrées adaptées aux conditions locales. L'analyse des tendances observées et de leurs implications spatiales devrait servir de base aux recommandations pour la gestion des ressources naturelles et l'aménagement paysager dans la région de Sidi Mechreg. Il est essentiel d'identifier les zones prioritaires pour la conservation, la restauration ou le développement durable, en tenant compte des défis et des opportunités propres aux contextes locaux. Les politiques et pratiques de gestion des terres pourraient être améliorées en s'appuyant sur les enseignements tirés de cette étude, en privilégiant des approches adaptatives et fondées sur la science.