Situation : archipel des Açores, groupe central
Type de site : Exogène
Protection : Ramsar (2005) ; Zonas Especiais de Conservação (Natura 2000, 2006) ; Área de paisagem protegida das fajãs do Norte (2011) ; Área protegida de Gestão de Recursos (2011) ; Parque natural de São Jorge (2011)
Particularité : une des deux fajãs de l’archipel qui possède une lagune
Coordonnées : 38° 38′ 27″ N, 27° 58′ 3″ W
1La géomorphologie des littoraux des îles de l’archipel des Açores a été particulièrement étudiée par Guy Caniaux (2007, 2019), Eva Almeida Lima et João Carlos Nunes (1998, 2012 2014). La fiche présentée ici relève donc davantage d’une synthèse de leurs écrits qu’une contribution originale de l’auteure de la fiche. Les lectrices et lecteurs pourront se référer à leurs publications et à leurs riches bibliographies afin d’en savoir plus sur les fajãs. Ce terme portugais désigne « une plate-forme littorale située au pied d'une falaise, plus rarement à l'intérieur des terres, habitée ou non, cultivée ou l’ayant été » (Caniaux 2019) et pouvant avoir trois origines différentes (voir les détails en figure 2). Le propos se focalise ici sur la fajã dos Cubres (38° 38′ 27″ N, 27° 58′ 3″ W), plate-forme détritique reconnue comme géomorphosite via, entre autres, la labellisation du géoparc mondial UNESCO des Açores en 2013. Dans ce contexte, elle est associée à la fajã da Caldeira do Santo Cristo, toutes deux distantes de 3 km (géosite SJO4, photo 1, figure 1). Ces deux fajãs montrent des caractéristiques très proches et sont les seules de l’archipel à posséder une lagune. Cette spécificité et leur proximité génétique – elles sont issues du même glissement de terrain – font qu’elles sont rarement évoquées individuellement bien qu’elles constituent toutes deux d’authentiques géomorphosites : au-delà des valeurs principales géologiques et géomorphologiques, les critères additionnels (écologique, socio-économique, culturel et éducatif) constituent des aspects importants de leur reconnaissance géopatrimoniale.
Photo 1 – Vue vers le sud-est de la fajã dos Cubres (au premier plan) et de la fajã da Caldeira do Santo Cristo. Cliché : C. Portal, 2014.
2L’archipel des Açores est localisé au centre de l’Atlantique Nord. Il est constitué de neuf îles, toutes d’origine volcanique (le point chaud des Açores), et de quelques îlots, rassemblés en trois groupes (à l’est, les îles de São Miguel, Santa Maria et les îlots de Formigas, au centre, les îles de Tercera, Graciosa, São Jorge, Faial et Pico, à l’ouest, les îles de Flores et Corvo (fig. 1).
Figure 1 - La fajã dos Cubres et les géosites et géomorphosites de l’île de São Jorge et de l’archipel des Açores
3Sur les neuf îles de l’archipel, on relève environ 140 fajãs, dont 60 % sont détritiques, 25 % laviques, et les autres « terrestres », puisque généralement situées à l’intérieur des terres (fig. 2). Dans ce contexte, l’île de São Jorge, étroite et allongée (55 km de long sur 7 km de large), mérite une attention particulière : c’est ce plateau basaltique linéaire et élevé (Serra do Topo, sommet à 1 053 m) qui compte le plus grand nombre de fajãs de l’archipel, dont la fajã dos Cubres et la fajã da Caldeira do Santo Cristo, symboles de la côte nord de l’île, la plus exposée à l’érosion. Ces deux fajãs sont des systèmes singuliers aux Açores en termes de géomorphologie et de géologie du littoral mais également de biodiversité car elles renferment chacune une lagune, configuration très peu fréquente sur les îles d’origine volcanique. Elles font d’ailleurs l’objet d’études régulières depuis plus de 50 ans. Elles se seraient formées lors de glissements de terrain provoqués par un ou plusieurs séismes survenus avant le peuplement de l’archipel (XVe siècle). Leurs formes, convexes et proéminentes par rapport aux falaises adjacentes d’où sont issus les matériaux, confirment leur formation récente (Caniaux, 2007, 2019).
Figure 2 - Brève typologie des fajãs des Açores et de la fajã dos Cubres (Caniaux, 2007, 2019 ; Nunes, 1998)
4Cette fajã détritique (photo 2) se situe au pied d’une falaise de 470 m d’altitude qui conserve encore la trace des glissements de terrain dont elle provient. Elle est constituée de trois éléments principaux : 1) un cordon de galets qui s’étend sur toute sa périphérie ; 2) une lagune séparée de l’océan par ce cordon de galets et composée de deux bassins peu profonds qui communiquent entre eux (photo 3). Celle-ci est soumise à des marées lagunaires de très faible amplitude (quelques centimètres) et est principalement alimentée par les eaux douces provenant des eaux météoriques et des eaux de ruissellement ; l’alimentation en eau de mer s’effectue par percolation à travers le cordon de galets, ainsi que par submersion (Caniaux, 2007, 2019) ; 3) des terrains subhorizontaux résultant du glissement de terrain et constitués des matériaux basaltiques de la falaise.
Photo 2 - Vue de la fajã dos Cubres vers le nord-ouest. Cliché : C. Portal, 2014.
Photo 3 – La lagune occidentale de la fajã dos Cubres bordée par le cordon de galets et la falaise en arrière-plan. Cliché : C. Portal, 2014.
5Les temporalités exactes de la formation de la fajã dos Cubres sont peu connues, néanmoins, les étapes de sa morphogenèse peuvent se déduire de l’étude récente de la fajã dos Milagres née sur la côte occidentale de l’île de Corvo à la suite du passage d’une forte perturbation atmosphérique le 30 octobre 2012. Son étude a permis de suivre, pour la première fois, le développement et l’évolution morphodynamique d’une fajã détritique (Caniaud, 2019). Avec l’aide d’autres écrits, nous avons adapté les cinq phases identifiées par les chercheurs à la fajã dos Cubres (fig. 3). Comme toutes les fajãs détritiques, la fajã dos Cubres subit une érosion intense étant donné son exposition (effet de cap / effet de péninsule). Celle-ci agit de manière continue (vague, houle, courant de dérive) ou lors d’événements paroxystiques (tempêtes, submersions).
Figure 3 - Évolution morphodynamique de la fajã dos Cubres, principaux éléments topographiques et prises de vues photographiques (Caniaux, 2007, 2019 ; Nunes, 1998).
1. falaise / cicatrices du glissement de terrain - formation d’un îlot sur le plateau insulaire ; 2. cordon de galets : l’extrémité de l’îlot, poussée par les vagues, parvient à se souder à la côte ; la forme convexe s’accentue et enferme un volume d’eau de mer suffisant pour former une lagune ; 3. lagune : dorénavant protégée du côté océanique par le cordon de galets, la lagune subit parfois une submersion ; 4. lagune mature : la lagune se comble de sédiments apportés par les vagues et provenant de la falaise. Plusieurs petites lagunes éphémères peuvent se former ; 5. fajã : la forme du dépôt est semi-circulaire et le trait de côte convexe et proéminent. La fajã reçoit des apports sédimentaires par ruissellement. Après la succession rapide des phases initiales qui traduit la haute mobilité du dépôt sous l’action des courants littoraux, la forme de la fajã s’est stabilisée.
6Comme indiqué précédemment, la fajã dos Cubres et la fajã da Caldeira do Santo Cristo constituent un double géomorphosite figurant à l’inventaire des 57 géosites identifiés dans le cadre de la labellisation du géoparc mondial UNESCO des Açores (2013). Les critères d’inventaire retenus classent ces deux fajãs d’importance nationale dans la catégorie « falaises littorales / dépôts quaternaires / lagunes », identifiant des usages scientifiques, éducatifs et géotouristiques (Nunes et al., 2011, photo 4).
7Parmi les valeurs scientifiques sont indiqués les aspects géomorphologique, hydrologique et sédimentaire : « ces fajãs détritiques sont les plus importantes de la côte nord et de l'île puisqu'elles comprennent les seules lagunes côtières des Açores. Séparés de l’océan par des plages de galets, ces écosystèmes uniques sont très vulnérables à l'action des vagues et aux mouvements de masse continus sur les pentes abruptes avoisinantes » (extrait du dossier de candidature au label géoparc, Nunes et al., 2011, p. 21). Les autres valeurs sont culturelles, écologiques et paysagères (Lima et al., 2012, 2014), correspondant aux différentes couches de protection recouvrant ces deux fajãs (Ramsar : 2005 ; Área de paisagem protegida das fajãs do Norte : 2011 ; Área protegida de Gestão de Recursos : 2011 ; Parque natural de São Jorge : 2011 ; Bettencourt, 2019). Celles-ci sont spécifiquement révélatrices de leur importance écologique : le réseau Natura 2000 identifie en effet 24 espèces de plantes et d’oiseaux et 23 habitats comme étant d’intérêt communautaire et annexés à la Directive Habitats ; l’origine toponymique de la fajã dos Cubres est d’ailleurs due à la présence abondante d’une plante à petites fleurs jaunes, le « cubre » (Solidago sempervirens L.).
Photo 4 – Route d’accès et lagune orientale, vue vers le nord. Cliché : C. Portal, 2014.
8Parmi les valeurs culturelles, les fêtes religieuses qui ont lieu sur ces fajãs sont l’une des traditions les plus anciennes et les plus importantes de l'île de São Jorge et attirent des milliers de visiteurs sur le site (Porteiro, 2012). On peut aussi noter l’importance du patrimoine bâti représenté par les églises et l’architecture traditionnelle, vestiges de l'époque où les fajãs étaient habitées par un plus grand nombre de personnes (ibid., photo 5, photo 6). Plus largement, sur des îles au relief tourmenté, les fajãs sont parfois les seuls espaces plans. Elles jouent ainsi un rôle certain dans l’économie locale malgré leur accès parfois difficile (Caniaux 2019). Enfin, d’un point de vue historique, le premier historien des Açores, Gaspar Frutuoso (1522 - 1591), définissait déjà une fajã comme « une petite plaine, susceptible d’être cultivée, située près d’un rocher [i.e., une falaise] et généralement en bord de mer » (ibid.) ; la colonisation portugaise de São Jorge commença autour de 1460, ce qui en fait donc la deuxième île du groupe central à être habitée (Nunes, 2011). Les villages établis sur ces fajãs furent durement touchés par les séismes destructeurs du 9 juillet 1757 (magnitude : 7.4) et du 1er janvier 1980 (magnitude : 7.2) et par les tsunamis qu’ils provoquèrent, entrainant à chaque fois leur abandon (Caniaux, 2019 ; Porteiro, 2012).
Photo 5 – La lagune occidentale et l’ancien moulin à vent, vue vers le nord. Cliché : C. Portal, 2014.
Photo 6 – La fajã dos Cubres vue depuis la route de la falaise. Cliché : C. Portal, 2014.
9Aujourd’hui, ces fajãs accueillent des activités touristiques basées sur la plongée, le camping et la randonnée, et ont nécessité l’établissement d’un plan de gestion lancé en 2010 par le Secrétariat régional de l'environnement et de la mer en collaboration avec l’université des Açores (Département de Biologie - Section Géographie). Ce travail s’est appuyé sur une méthodologie participative impliquant environ 25 membres de la communauté locale et régionale, des représentants de divers intérêts de la société (résidents, agents de voyage, associations, pêcheurs de palourdes, maires, l’administration régionale, entre autres) (Porteiro, 2012). Les cinq objectifs principaux du plan s’appuient sur des aspects fondamentaux du développement durable (définir un modèle de gestion pour assurer la réussite du plan ; inventorier le patrimoine et améliorer le bien-être de la population et des visiteurs ; assurer la qualité environnementale et la valorisation de la lagune et des fajãs ; exploiter les ressources de manière durable ; améliorer les connaissances scientifiques sur le site). Le plan de gestion a été revu en 2012 mais les aspects concernant les géopatrimoines n’y sont pas évoqués. La création du parc naturel de São Jorge en 2011 puis la labellisation géoparc mondial des Açores par l’UNESCO en 2013 ont permis de nourrir les connaissances géoscientifiques sur les fajãs et ont notamment impulsé la création du centre d’interprétation de la Fajã da Caldeira de Santo Cristo « créé dans le but de présenter aux visiteurs l’histoire géologique, biologique et humaine des fajãs de São Jorge, en particulier la fajã da Caldeira de Santo Cristo et la fajã dos Cubres » (site du parc naturel des Açores).