Protection : site des marais de Pagny géré par le CEN Lorraine
Coordonnées : entre Pagny sur Meuse (48,68°N 5,71°E) et Pierre la Treiche (48,65°N 5,94°E)
1Le site de capture de la Haute-Moselle se localise au cœur de la région Grand-Est, à une trentaine de km à l’Ouest de Nancy, entre la ville de Toul à l’Est dans la vallée de la Moselle, et la localité de Pagny-sur-Meuse à l’Ouest (Figure 1). Ce site de capture est souvent associé au Val de l’Asne, paléovallée méandriforme surdimensionnée (la largeur du fond de vallée varie entre 500 m et 1500 m) aujourd’hui drainée par deux petits ruisseaux, l’Ingressin affluent de la Moselle à l’Est, et le ruisseau du Val de l’Asne (ou ruisseau des Marais ou du Val de l’Asne) affluent de la Meuse à l’Ouest. S’il n’a pas le caractère grandiose de certains sites littoraux ou montagneux, la traversée, par la RN4 à 4 voies notamment, du Val de l’Asne permet à l’observateur avisé de se représenter les chenaux tressés de la Haute-Moselle, alimentée lors des périodes froides par les glaciers vosgiens, et sillonnant cette large vallée d’abord subrectliligne dans la traversée de l’entonnoir de percée cataclinale de la côte de Meuse entre Toul et Foug, puis décrivant deux amples méandres encaissés entre Foug et Pagny-sur-Meuse.
2Le site de capture couvre cependant un périmètre plus étendu que le Val de l’Asne, puisqu’il englobe à l’Est le vallon de Fontenoy-sur-Moselle (façonné par un tributaire de la Paléo-Meurthe), et à l’Ouest le paléoméandre recoupé de Pagny-sur-Meuse (Figure 1). Il est également possible d’y inclure les cavités karstiques de Pierre-la-Treiche située dans la vallée de la Moselle en amont de Toul : ces cavités sont en effet associées à une karstification infra-alluviale dont l’influence sur la capture de la Haute-Moselle a fait l’objet d’études récentes (Losson et Quinif, 2001).
Figure 1 – La paléovallée de la Haute-Moselle Meuse dans la région du site de capture (d’après Harmand & Cordier, 2021).
3La capture de la Haute-Moselle occupe indéniablement une place particulière dans la science géomorphologique, et ce, à la fois pour des raisons d’ordre historique et épistémologiques.
4Raisons historiques tout d’abord, puisque la première intuition connue d’une « communication de l’une à l’autre rivière » peut être attribuée aux observations faites par Vauban durant la seconde moitié du XVIIe siècle (Harmand et al., 1995). Cette intuition est reprise et précisée au XIXe siècle par Buvignier (1840), puis par Godron (1877, in Harmand et al., 1995), qui envisage l’existence d’un grand lac au NE de Toul ayant attiré les eaux de la Haute-Moselle. Quelques décennies plus tard, le site attire l’attention de Davis (1895). Associant un travail de terrain à une analyse fine de la morphologie (alignement de cours d’eau, reconnaissance des paléoméandres), ce précurseur de la géomorphologie fera passer la capture de l’intuition au fait, même s’il faudra attendre des études ultérieures pour compléter sa démonstration. De fait, l’objectif de Davis à travers son étude de la capture de la Haute-Moselle (combinée d’ailleurs à celles d’autres cours d’eau du Bassin parisien) n’est pas tant de reconstituer une réorganisation de drainage, fut-elle d’importance régionale, que d’étayer son modèle d’évolution du réseau hydrographique en lien avec la structure -tâche délicate s’il en est, dans la mesure où la capture de la Haute-Moselle ne correspond que très partiellement à ce modèle-, la faute à une inadaptation générale du réseau hydrographique de l’Est du Bassin parisien que n’envisage pas Davis contrairement à, par exemple, Vidal de la Blache quelques années plus tard (in Bonnefont et Deshaies, 1995).
5L’accumulation d’arguments tant morphologiques (topographie de la vallée fossile, forme des paléoméandres, alignement des vallées de la Moselle supérieure en amont de Toul, du Val de l’Asne et de la Meuse en aval, coude de capture à Toul, altitude du bedrock rocheux le long de la vallée de la Haute-Moselle-Meuse, cf infra ; figure 1) que sédimentologiques (présence d’alluvions issues du Massif vosgien) a permis depuis plusieurs décennies de valider les intuitions et observations antérieures (Harmand et al., 1995). Les recherches plus récentes se sont ainsi intéressées aux mécanismes de la capture : le scénario lié à l’existence d’un paléo-lac au NE de Toul a été délaissé au profit d’une capture liée d’une part à un processus d’érosion régressive (forçage intrinsèque ; Davis, 1895), d’autre part à un déversement au sommet d’un remblaiement alluvial épais dans le secteur de Toul, en lien avec des processus morphoclimatiques (forçage extrinsèque ; Tricart, 1949). Cette influence climatique a été largement étayés par les travaux récents ayant permis de reconnaitre le dispositif alluvial dans les vallées de la Moselle, de la Meuse et de la Meurthe (Harmand et Cordier, 2012). Le rôle de circulations karstiques à travers le plateau calcaire présent entre Toul et la vallée de la Meurthe, envisagé dès le début du XXe siècle (Joly, 1911, in Bonnefont et Deshaies, 1995), a également fait l’objet de recherches approfondies (Losson et Quinif, 2001), conduisant toutefois à exclure une influence significative des défluviations souterraines dans la capture.
6Les traces de la capture ont été reconnues aussi bien dans la vallée de la Meuse que dans celle de la « Paléo-Meurthe-Moselle », paléocours d’eau (correspondant à la Meurthe et à la Moselle en aval de la confluence entre les deux rivières), souvent négligé dans les recherches sur la capture, alors même qu’il en est le bénéficiaire ; dans la vallée de la Meuse lorraine (Harmand et al., 1995), la capture a provoqué un arrêt de l’incision. Dans celle de la « Paléo-Meurthe-Moselle », le creusement s’est en revanche poursuivi au rythme des fluctuations climatiques pléistocènes. Dans les deux cas, des ruptures pétrographiques et minéralogiques ont été retrouvées, permettant de distinguer les terrasses alluviales anté- et post-capture (Cordier, 2004 ; Harmand et Cordier, 2012).
7Sur le site de la capture de la Haute Moselle (appelée « boucles de la Moselle »), et notamment entre la Moselle à l’Est et la côte de Meuse à l’Ouest, d’abondantes formations alluviales recouvrent les Argiles de la Woëvre, conformément au schéma classique de l’étalement des alluvions dans les dépressions argileuses en amont des entonnoirs de percées cataclinales (figure 2).
8Les levés de terrain récents et les sondages situés le long de la RN4 Paris-Nancy dans le contournement de Toul (Douard et al., 1972, in Harmand et al., 1995), ont montré qu'il y existait (outre des alluvions résiduelles anciennes) deux formations antérieures à la capture de la Haute Moselle, formant deux moyennes terrasses, et quatre formations postérieures à celles-ci.
9L’accumulation alluviale la plus puissante (notée Fx1), située à +45 m, correspond à la "terrasse de la Justice" (Flageollet et Vincent, 1985, in Harmand et al., 1995) située au sud de Toul et qui se trouve à 250 m d’altitude environ (terrasse HM5). Elle atteint parfois 10 m de puissance et a été considérée jusque dans les années 1980 comme étant le dernier remblaiement avant la capture de la Haute Moselle.
10En fait, les alluvions de la Justice Fx1 dominent d’une dizaine de mètres une terrasse (notée HM4) préservée de part et d'autre de l'Ingressin (ruisseau issu du Val de l’Asne qui rejoint la Moselle à Toul) et modelées dans les alluvions Fx2 (figure 2), et recouverte par des cônes alluviaux ou des éboulis. Dans le Val de l’Asne, les alluvions Fx2 se trouvent sous une épaisseur de dépôts de versant (colluvions et grèzes litées) excédant 10 m au sud de Foug et à Pagny-sur-Meuse et 20 m à Lay-Saint-Rémy (Harmand et al., 1995).
11La cartographie réalisée par Harmand et al. (1995) et de nouvelles données de terrain mettent en évidence la décroissance des altitudes vers l’Ouest pour la base et le sommet des alluvions Fx2. La base des alluvions Fx2 se trouve à 234 m à Pierre-la-Treiche, 227 m entre Écrouves et Foug à l’entrée du Val de l’Asne, à 224 m à Lay-Saint-Rémy dans le Val de l’Asne et à 222 à Pagny-sur-Meuse dans le secteur de la paléoconfluence avec la vallée de la Meuse.
Figure 2 – Terrasses alluviale et formations superficielles de la Haute-Moselle dans la région du site de capture.
12Le sommet des alluvions se situe à 236-237 m au sud d’Écrouves, et à 235 m à Foug, à 2 km plus à l’ouest. Dans le Val de l’Asne, à Lay-Saint-Rémy, le fond de la paléovallée atteignait au moins 231 m, altitude maximale des alluvions siliceuses traversées par forage.
13Si les recherches ont permis de bien appréhender l’évolution des paysages, l’âge de la capture reste à préciser. Aucune datation numérique des alluvions du Val de l’Asne n’a en effet pu être réalisée à ce jour, de sorte que le calage chronologique repose d’une part sur les datations de terrasses alluviales hors site de capture, et d’autre part sur des spéléothèmes préservés dans les cavités karstiques en amont de Toul. Sur la base de l’étude des terrasses alluviales, la capture serait ainsi postérieure à 400 ou 500 ka (datations ESR de la dernière terrasse anté-capture de la Meurthe ; Harmand et al., 2015) et antérieure à 150 ka (datation OSL de la première terrasse post-capture dans la Haute-Moselle ; Cordier et al., 2014). Enfin, dans la vallée de la Meuse aux Pays-Bas, la capture de la Haute Moselle a été datée par thermoluminescence à partir de silex brulés localisés dans le paléosol du Belvédère à Maastricht, à 270+/-22 ka (Huxtable et Aitken, 1985, in Harmand et al., 1995) puis à 250+/-20 ka (Huxtable, 1993). Ce paléosol du Belvédère coiffe la terrasse éponyme et recouvre les alluvions mosanes dans lesquelles une rupture minéralogique traduit la capture de la Haute Moselle.
14La datation de spéléothèmes associés à la dernière terrasse anté-capture et identifiés en amont du site de capture aboutit, quant à elle, à envisager un âge d’environ 270 ka pour la capture et de placer celle-ci dans le stade isotopique marin 8 (Losson et Quinif, 2001). Cet âge reste toutefois à confirmer et à préciser afin notamment de pouvoir envisager de replacer la capture dans les cycles climato-sédimentaires pléistocènes reconnus dans les vallées de la Moselle, de la Meurthe et de la Meuse, et ainsi de mieux cerner les processus morphodynamiques ayant conduit à cette capture.
15La capture de la Haute Moselle réalisée à l’est de Toul a été possible en raison de trois facteurs, d’une part, la présence d’un col surbaissé à la limite des bassins de la Meuse et du Rhin, d’autre part, l’existence d’un affluent de la Paléo-Meurthe, le paléo-Terrouin, enfin, la présence, à l’est de Toul, d’un affluent de la Haute Moselle à pente faible, la « rivière de la Haie Plaisante ». Ces deux derniers paléocours d’eau se trouvaient, comme la Moselle actuelle entre Toul et Liverdun, dans l’axe de l’ondulation synclinale de Savonnières-en-Perthois – Sarreguemines (Le Roux et Harmand, 1998).
16L’épaisseur des alluvions Fx2 (terrasse HM4, qui atteint 7 à 9 m implique un débordement de la Haute Moselle vers l’est dans la vallée de la Haie Plaisante et un ennoiement du « col » situé à la limite avec le bassin versant de la Meurthe, non loin du vallon de Fontenoy-sur-Moselle (fig. 2).
17Cependant, la capture de la Haute Moselle est le résultat d’une longue évolution géomorphologique qui s’accompagne d'une réorganisation hydrographique régionale. Comme en témoigne la largeur du bassin-versant mosan en Lorraine (moins de 20 km), celle-ci se fait aux dépens du bassin de la Meuse lorraine, et au profit de ceux de la Seine et du Rhin. Cette évolution géomorphologique concerne des cours d’eau surimposés, à la fois dans le socle ardennais et dans les formations sédimentaires du Bassin parisien. Dans celui-ci, la traversée des côtes entrave leur encaissement en même temps qu’il bloque leur déplacement latéral. Les captures ne peuvent donc s’effectuer que dans les dépressions argileuses dans lesquelles les migrations sont possibles (Le Roux et Harmand, 1998). Or, la Meuse est un cours d'eau encaissé dans les calcaires oxfordiens sur la plus grande partie de son tracé lorrain, puis dans le socle ardennais en aval. En revanche, le cours d’eau conquérant, la Paléo-Meurthe (lui aussi encaissé dans le socle du Massif schisteux en aval) draine surtout les formations argilo-marneuses du Trias et du Lias, si bien que lors de la capture la Meuse se situait vers 230 m, la Haute Moselle à Toul vers 240 m (voir ci-dessus) et la Paléo-Meurthe à Dieulouard à environ 215 m (Cordier, 2004).
18S’il est difficile de réaliser un inventaire exhaustif des publications en lien direct avec la capture de la Haute-Moselle, on peut raisonnablement estimer qu’une cinquantaine de publications peuvent être retenues au titre des travaux ayant permis de faire avancer l’état des connaissances sur la capture et ses conséquences pour les cours d’eau concernés. Par ailleurs, la présence de grands noms de la géographie, au premier rang desquels Davis (1895) a indéniablement contribué à donner à la capture de la Haute-Moselle un retentissement international qui se retrouve encore aujourd’hui : cette capture est un classique d la géomorphologie fluviale et nombre de manuels universitaires et d’articles s’y réfèrent (De Oliveira, 2010). Le site fait par ailleurs l’objet d’excursions, qu’elles soient réalisées dans le cadre de colloques scientifiques (colloque « Paléoréseaux hydrographiques » en 1995, excursion de l’Association Française pour l’Étude du Quaternaire en 2007, ou du Fluvial Archives Group en 2012 par exemple) ou de voyages d’études à l’attention des étudiants non seulement du Grand Est mais aussi de Belgique voire des Pays-Bas, les terrasses alluviales de la vallée de la Meuse ayant fait l’objet de nombreux travaux dans ces deux pays dont la Meuse est reconnue comme un cours d’eau majeur.
19Par contraste avec cette connaissance de la communauté scientifique, le site de capture apparait relativement peu connu dans le territoire concerné : le Val de l’Asne est bien un axe de communication important (on retrouve ici l’intuition de Vauban) avec le canal de la Marne au Rhin, la ligne de chemin de fer classique Paris-Nancy, et surtout la RN4 reliant les deux villes. Pour autant, on ne retrouve, notamment le long de la voie express qui traverse tout la Val de l’Asne et notamment les paléoméandres, aucune mention de cette capture. Le découpage administratif, qui partage le Val de l’Asne entre les départements (bien nommés en l’occurrence) de la Meuse à l’Ouest, et de la Meurthe-et-Moselle à l’Est, ne saurait apporter qu’une explication symbolique à ce manque de reconnaissance. Pour autant, une dynamique réelle s’est mise en place au cours des dernières décennies, aboutissant, à la suite des travaux scientifiques menés en continu sur le site depuis la fin du siècle dernier, à des premiers résultats : les mesures de valorisation portant sur l’ensemble du site correspondent ainsi à une inscription à l’inventaire national du patrimoine géologique (INPG, référence LOR0021) ainsi qu’à une mention dans la carte du patrimoine géologique régional du BRGM.
20En outre, une petite partie du Val de l’Asne (correspondant au territoire de la commune d’Écrouves) fait partie du Parc Naturel Régional de Lorraine, dans lequel une démarche d’identification et de valorisation du géopatrimoine est amorcée depuis quelques années, en lien avec les géographes de l’Université de Lorraine et dans le cadre d’un programme INTERREG amorcé en 2024. Le site de la Côte d’Écrouves, qui offre un point de vue reconnu sur le Val de l’Asne, et où se trouve une table d’orientation (malheureusement peu lisible et ne permettant en l’état actuel pas d’appréhender la capture), a ainsi vocation à être un élément clé de la valorisation du site de capture de la Haute Moselle (fig.3), en complément d’autres sites dans le Val de l’Asne : un panneau explicatif reprenant les éléments de la photographie verticale oblique n° 1 permettrait de montrer aux observateurs la paléovallée de la Moselle. Celle-ci peut être observée à une échelle plus grande au sud d’Écrouves (photographie au sol n°2) en contrebas de la terrasse de la Justice (photographie n° 3) facilement accessible au nord de l’échangeur autoroutier. Trois sites (photographies 4, 5 et 6) permettent d’observer les méandres encaissés du Val de l’Asne, respectivement à l’ouest de la ferme de la Savonnières, au SO de Lay-Saint-Rémy, au-dessus de la tranchée autoroutière de la RN4 à travers les calcaires oxfordiens et au marais de Pagny géré par le Conservatoire d’Espaces Naturels de Lorraine et aisément accessibles.
21Parmi les autres sites emblématiques du site de capture, on peut signaler les grottes de Pierre-la-Treiche, en particulier les grottes Sainte-Reine fossilisées par les alluvions de la Haute Moselle (Losson, 2003 ; fig. 3). Un panneau explicatif remarquable est en place non loin des cavités. Enfin, un panneau explicatif pourrait être implanté dans le méandre recoupé de Pagny-sur-Meuse, non encore valorisé, et d’où l’on peut d’observer le débouché du Val de l’Asne dans la vallée de la Meuse et l’ennoiement du paléotalweg du méandre recoupé en période de hautes eaux de la Meuse.
Figure 3 – Sites remarquables de la région du site de capture de la Haute-Moselle.