1En 2023, Andrea Rea, Antoine Roblain et Julia Hertault publient un nouvel ouvrage dans la collection « Débats » des Editions de l’Université de Bruxelles, connue pour son traitement de thèmes contemporains clivants. Ici, le pari, réussi, est de comparer deux expériences de l’hébergement citoyen en Belgique qui sont au cœur des débats politiques et d’opinion publique. Il s’agit de celles des exilé.es ukrainien.nes de 2022. À l’aide du concept d’hospitalité, étudié tant dans sa dimension collective – comme action politique et institutionnelle – qu’individuelle à travers l’expérience des hébergeur.ses, l’existence d’un double standard dans l’accueil des exilé.es est ici questionnée.

2Une soixantaine d’entretiens auprès des différent.es hébergeur.ses alimentent ce travail comparatif qui rassemble aussi plusieurs enquêtes effectuées en Belgique sur la spécificité de l’hébergement citoyen et qui s’articule habilement avec de riches démonstrations théoriques. Ainsi, les théories du don, l’hospitalité et la féminisation du travail du care nourrissent la réflexion sur ces deux initiatives d’hébergement de la part des personnes qui les pratiquent. Le plan est classique, puisque le premier chapitre permet de présenter des éléments contextuels et théoriques pour ensuite guider le lecteur dans la comparaison des carrières des hébergeur.ses. Chaque initiative d’hébergement fait l’objet d’un chapitre dans lequel les profils des hébergeur.ses sont analysés. L’ouvrage se conclut par une analyse minutieuse de ces deux initiatives mettant en lumière leurs similitudes et leurs divergences.

4Les deux chapitres suivants s’intéressent quant à eux à la carrière morale et militante des hébergeur.ses de la Plateforme et de celle des hébergeur.ses de 2022. L’objectif de ces deux chapitres est de comprendre le passage à l’acte : devenir hébergeur.se. Pour cela, les profils socio-démographiques de ces deux catégories d’hébergeur.ses sont successivement décortiqués. En outre, ils diffèrent peu et sont majoritairement féminins, ce qui correspond aux caractéristiques genrées du travail humanitaire et du care (Bereni et al., 2012). De plus, l’analyse des dispositions à l’origine des motivations à devenir hébergeur.ses révèle que l’engagement politique et militant préalable de ces deux groupes est rare. En revanche, la taille du logement possédé est un élément particulièrement déterminant dans la capacité et la volonté à devenir hébergeur.ses pour ceux.elles de 2022. En effet, les Ukrainien.nes sont hébergé.es pour de plus longues périodes que les autres exilé.es qui sont davantage dans des situations temporaires de transit. Dans ce cas, avoir une chambre supplémentaire est souvent un des critères importants. Ne s’arrêtant pas là, les auteur.ices identifient également des déclencheurs de l’action distincts. Alors que ces deux catégories d’hébergeur.ses agissent au nom de la morale, l’action de la Plateforme se fonde sur la compassion ; le choc moral est un sentiment d’injustice à la vue de la situation de campement ou en réaction aux propos du gouvernement. Ce passage à l’acte est collectif et permis par les réseaux sociaux et l’organisation de la Plateforme. En revanche, pour ceux.elles qui hébergent des Ukrainien.nes, ce passage à l’acte repose davantage sur une pratique individuelle où le sentiment de proximité identitaire et la mobilisation d’une histoire personnelle d’exil joue un rôle important. Le choc moral provient de l'identification d’une situation de vulnérabilité des exilé.es ukrainien.nes, alimentée et exacerbée par les discours publics.

5Le dernier chapitre poursuit cette comparaison et explore ce double standard entre les pratiques d’hébergement citoyen. Bien que les différent.es hébergeur.ses partagent le constat d’une déresponsabilisation de l’État face au devoir d’hospitalité et fondent leur pratique sur le civisme plutôt que le politique, leurs expériences de l’hébergement se distinguent, et cela dans les deux dimensions, de l’hospitalité. À propos de sa dimension collective, l’État est défaillant et n’organise pas lui-même l’accueil. Cependant, son attitude à l’égard de la pratique citoyenne - en tant que palliatif de ce manquement - est dissemblable : criminalisation pour les hébergeur.ses de la Plateforme face à une relation quasi-marchande avec les hébergeur.ses de 2022. Concernant les limites dans la dimension individuelle de l’hospitalité, le partage de l’intimité d’un foyer ainsi que l’attente de formes de réciprocités sont des difficultés qui pèsent davantage sur les hébergeur.ses d’Ukrainien.nes que sur les autres puisqu’elles sont liées à la durée de l’hébergement. Enfin, les hébergeur.ses de 2022 se sentent souvent isolé.es là où la logique horizontale de la Plateforme permet un soutien aux citoyen.nes qui s’engagent dans cette pratique. Notons que les limites de cette pratique ne sont analysées que du point de vue de l’hôte invitant.e.

6Les limites individuelles rencontrées par les hébergeur.ses apparaissent mais l’analyse des difficultés de cette initiative et les relations nouées avec les hébergé.es ne sont pas au cœur du propos. Davantage concentré sur les déterminants du passage à l’acte, le.la lecteur.ice curieux.se pourra être frustré.e de ne pas en apprendre plus sur les modalités concrètes de l’accueil et le vécu des hôtes, hébergeur.ses et hébergé.es (Babels, 2019). La thèse est, quand bien-même, parfaitement claire, ces expériences d’hébergement inédites en Belgique montrent la capacité des citoyen.nes à agir au nom de « la générosité, le dévouement moral et la solidarité » (p.135) mais cela ne peut remédier durablement aux manquements de l’État. Non seulement les citoyen.nes eux.elles-mêmes rencontrent des limites dans leurs pratiques, mais surtout la crise de l’accueil reste un problème structurel qui doit trouver des solutions à ce