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Interactions et dynamiques sociales des structures corporatistes dans la Monarchie Hispanique à l’époque moderne (XVIe-XVIIe siècles)

Introduction

Béatrice Pérez, Raquel Ferrón Martínez et Victoria Villalba

Texte intégral

1L’enjeu de ce volume monographique intitulé « Interactions et dynamiques sociales des structures corporatistes dans la Monarchie Hispanique à l’époque moderne (XVIe-XVIIIe siècles) » a été de s’intéresser à la constitution du tissu social de différentes structures corporatistes en plusieurs points des possessions des Habsbourg à l’Époque moderne et aux multiples façons qu’elles ont d’interagir entre elles et avec les autres acteurs urbains.

  • 1 Claude GAVARD, Jean-François SIRINELLI (dir.), Dictionnaire de l’historien, Paris : PUF, 2015.
  • 2 David GARRIOCH, « Confréries de métier et corporations à Paris (XVIIe-XVIIIe siècles) », Revue d’hi (...)

2Le terme corporation est défini par Guillaume Garner de la façon suivante : « La corporation désigne une association, constituée en vertu de privilèges octroyés par l’autorité publique, regroupant des artisans ou des marchands qui défendent leurs intérêts collectifs. Pendant le Moyen Âge et l’Époque moderne, d’autres types d’associations lui sont proches : guildes marchandes, compagnonnages, confréries »1. Avant les révolutions et l’avènement de l’individu, les sociétés médiévale et moderne se fondent sur la prévalence de la communauté face à l’individualité, quel que soit le type de groupe (la famille, la paroisse, la confrérie, la corporation, etc.). La sphère professionnelle n’échappe pas à cette logique et l’organisation des individus en un corps social et économique (depuis les corporations de métiers jusqu’aux confréries dévotionnelles et aux universités, en passant par les consulats et autres structures marchandes) est un élément structurant de l’étude des relations et des interactions existantes entre les individus à ces périodes historiques. Ainsi, ces époques constituent-elles un âge d’or des structures corporatistes et de leur développement dans la société. Dans ce dossier monographique, nous nous sommes intéressés aux corporations au sens large – en étendant ce terme à des groupes qui ne sont pas seulement issus des milieux marchands et artisans –, soit aux structures corporatistes dans la ville, qui correspondent à « [des] corps légalement constitué[s] avec des droits et des privilèges ; [des] communauté[s], c’est-à-dire [des] entité[s] professionnelle[s] qui [ont leur] place dans l’économie et la société urbaines »2. La pluralité des formes corporatives a constitué un des aspects essentiels de ce volume, afin de rendre compte de la diversité sociale et de la multiplicité des interactions entre les différents groupes.

  • 3 L’une des publications les plus récentes sur cette question est la suivante : Philippe BERNARDI, Co (...)

3De nombreux historiens et historiennes se sont penchés sur le fonctionnement interne des corporations de métier en étudiant précisément les règlements administrant l’organisation de ces corporations et structurant les conditions de production des denrées et objets issus de l’exercice du métier en question3. Mais au-delà de la considération économique de la corporation comme véritable corps producteur, il est intéressant de se pencher sur le versant social des structures corporatistes à l’Époque moderne afin de sonder l’évolution d’un phénomène structurel dans les sociétés d’Ancien Régime, car la corporation est un objet social dans la mesure où elle se fonde sur un groupe initialement réuni par une pratique professionnelle spécifique et commune.

  • 4 Simona CERUTTI, « Du corps au métier : la corporation des tailleurs à Turin entre XVIIe et XVIIIe  (...)

4À la fin des années 1980, l’historienne Simona Cerutti soulignait déjà le travers de l’analyse de la corporation « uniquement à partir des caractéristiques du métier4 » et menait une étude sociale de la constitution de la corporation des tailleurs dans la ville de Turin. Dans le sillon de son étude, nous avons souhaité étendre l’analyse à diverses professions et corps de métiers, en plusieurs points de l’espace monarchique hispanique.

5Ainsi, la portée sociale nous a intéressés en premier lieu : comment est constitué le tissu social d’une structure corporatiste ? La corporation est souvent perçue d’un point de vue extérieur comme un corps social homogène, mais l’est-elle réellement ?

6Il s’agit également d’interroger le rapport entre la structure corporatiste et son milieu : dans quelles situations la corporation interagit-elle avec d’autres groupes ? De quelles natures sont ces échanges ? Quelles formes prennent-ils ?

7Enfin, comme tout corps social, la corporation se donne à voir dans la société. Quels sont les éléments qui favorisent une visibilité de la structure corporatiste dans la société et qui renforcent le sentiment d’appartenance au groupe ? À travers quels rites, quelles cérémonies, quelles fêtes le groupe professionnel se construit-il d’un point de vue social ?

8Ce volume est construit autour de trois axes thématiques :

Axe 1 : Composition et constitution du tissu social corporatif

  • 5 David GARRIOCH, art. cit., p. 97 : il cite un propos de Steven Kaplan.
  • 6 Steven L. KAPLAN, « Idéologie, conflits et pratiques politiques dans les corporations parisiennes a (...)

9Dans cette partie, nous avons interrogé les notions de hiérarchie et d’égalité au sein du groupe corporatif, notamment dans le cadre de métiers souvent moins perçus comme des corporations mais dont l’exercice de la profession reste encadré par des règles (Steven Kaplan parle de « corporatisme sans corporation »5). Le notariat ou les fonctions universitaires en sont des exemples, et leur accès est régi par des règlements précis (pour le cas du notariat castillan par les Ordenanzas de la ville, textes juridiques qui régissent les conditions d’accès à l’office, le nombre de notaires, l’emplacement des offices notariaux dans la ville mais également les privilèges dont jouissent les notaires publiques) selon lesquels l’intégration de l’individu se fait suivant des prérequis stricts. Nous nous sommes intéressés à la composition sociale de la structure corporatiste : qui sont les individus qui la composent ? Comment s’associent-ils ? Quels sont les rapports de force qui existent au sein de la corporation ? Comment s’organise l’équilibre entre « la théorie de l’égalité » et « une pratique de la hiérarchisation et de la discrimination »6 ? Quels sont les cas d’union, de semblant d’égalité et à l’occasion de quels événements surviennent-ils (phénomène d’entraide en cas de maladie, de veuvage, de décès) ? Dans le cadre de ce premier axe, Ofelia Rey Castelao s’est intéressée à la portée des lois de libéralisation économique du XVIIIe siècle espagnol en ce qui concerne l’accès des femmes au monde du travail. Bien que les corporations aient essayé d’empêcher l’exercice de leur travail en dehors de ces associations, la chercheuse démontre comment, dans ce contexte de transition vers le surgissement des industries privées capitalistes, les corporations ont fini par perdre la bataille contre la modernité. En ce sens, Raquel Ferrón Martínez a analysé la place des femmes sévillanes dans les ordenanzas des corporations des métiers du textile et du cuir pendant le XVIe siècle et a complété ce travail par une réflexion entre ce cadre théorique et réglementaire et la pratique, étudiant également la condition de certaines apprenties du textile dans la Séville de la fin du XVIe siècle. Francisco Hidalgo Fernández, pour sa part, s’est penché sur la Málaga du XVIIe, siècle d'évolution vers des pratiques de travail capitalistes, pour démontrer comment les relations sociales des orfèvres étaient essentiellement marquées par l'inégalité et la dépendance, la seconde étant engendrée par la première, puisque les besoins de certains de ces artisans étaient fréquents et mobilisaient tout à la fois des réseaux familiaux, professionnels et de tierces personnes de confiance.

Axe 2 : Quand la corporation fait corps

10La structure corporatiste est en perpétuelle interaction avec le reste de la société. Il est intéressant de se pencher sur les différents types d’interactions pouvant exister dans le cadre urbain (interactions corporation/corporation ; corporation/couronne ; corporation/ville ; corporation/clientèle) et soulignant les conflits d’intérêts ou les solidarités qui se développent avec des groupes externes à la corporation. En somme, il s’agit de considérer la structure corporatiste en tant qu’acteur socio-économique dans la cité. Ainsi, Susana Truchuelo García propose une analyse du tissu social dans les villas de Guipúzcoa en tant que corps politiques aux multiples réalités. L’historienne dresse un portrait complexe des interactions ayant lieu entre les différents corps composant la villa, eux-mêmes parfois constitués en associations ou en groupes sociaux unis par la défense d’intérêts communs comme c’est le cas des comunidades de aldea, de la noblesse ou encore de différents groupes professionnels comme les militaires et les corporations de métier.

Axe 3 : Représentations sociales et symboliques de la structure corporatiste : quand la corporation se donne à voir

11Ce troisième axe a permis de se pencher sur les représentations de l’identité sociale corporative à travers l’étude, par exemple, des rites, des fêtes ou des processions propres à une structure corporatiste. Il s’agissait également de considérer d’une part, l’image transmise au reste la société par le biais de ces cérémonies, et d’autre part, le processus d’intégration de l’individu au groupe à travers ces différents événements. La représentation sociale de la structure corporatiste peut également s’observer à travers les liens établis avec des institutions caritatives comme les hôpitaux, les hospices ou les fondations, dont les donations révèlent une projection sociale particulière de la communauté de métier. Enfin, il a été question dans cette session de la superposition de l’appartenance professionnelle et de l’appartenance religieuse, de la double appartenance à la corporation et à la confrérie dévotionnelle. Dans le cadre de ce troisième axe, José Jaime García Bernal présente une réflexion sur l’affermage d’un impôt particulier, l’alcabala de la renta des cordonniers dans la Séville du XVIe siècle. En établissant un tableau précis représentant les différents niveaux d’imposition de ce tribut, l’historien rend compte de l’organisation des différentes unités de production liées à la cordonnerie et souligne un aspect financier très important de ce milieu dont le capital industriel est monopolisé par certains ateliers. Pour finir, Victoria Villalba s’est intéressée au lien existant entre deux structures corporatistes : la confrérie sévillane de Nuestra Señora de la Consolación et le Consulado de mercaderes de Séville. Son article analyse la composition sociale des deux structures et les mécanismes qui sous-tendent les interactions entre la confrérie et le Consulat.

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Notes

1 Claude GAVARD, Jean-François SIRINELLI (dir.), Dictionnaire de l’historien, Paris : PUF, 2015.

2 David GARRIOCH, « Confréries de métier et corporations à Paris (XVIIe-XVIIIe siècles) », Revue d’histoire moderne et contemporaine, n°65, 2018, p. 95.

3 L’une des publications les plus récentes sur cette question est la suivante : Philippe BERNARDI, Corine MAITTE, François RIVIERE (dir.), Dans les règles du métier. Les acteurs des normes professionnelles au Moyen Âge et à l’époque moderne, Palerme : New Digital Frontiers, 2020.

4 Simona CERUTTI, « Du corps au métier : la corporation des tailleurs à Turin entre XVIIe et XVIIIe siècle », Annales. Histoire, Sciences Sociales, 43e Année, n°2, 1988, p. 323.

5 David GARRIOCH, art. cit., p. 97 : il cite un propos de Steven Kaplan.

6 Steven L. KAPLAN, « Idéologie, conflits et pratiques politiques dans les corporations parisiennes au XVIIIe siècle », Revue d’histoire moderne et contemporaine, n°49, 2002, p. 8.

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Pour citer cet article

Référence électronique

Béatrice Pérez, Raquel Ferrón Martínez et Victoria Villalba, « Introduction »e-Spania [En ligne], 49 | Octobre 2024, mis en ligne le 01 octobre 2024, consulté le 05 novembre 2024. URL : http://journals.openedition.org/e-spania/52723 ; DOI : https://doi.org/10.4000/12joh

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Auteurs

Béatrice Pérez

CLEA, Sorbonne Université

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