- 1 Les principales éditions pour les travaux archéologiques sont le recueil des Rapports dédiés aux ré (...)
- 2 S. Mouraviev, 2010.
- 3 Technique par laquelle des images 2D sont utilisées pour mesurer et reproduire un objet en 3D.
- 4 L’orthophotographie est une technique qui consiste en un traitement d’image visant à corriger les d (...)
1Il existe en Arménie, et dans les études arméniennes en général, une longue tradition de recherches archéologiques et paléographiques. De nombreux recensements et corpus (voir infra) ont été constitués dès le 19e siècle, afin de décrire le matériel archéologique (l’ensemble des vestiges et inscriptions) subsistant, et plusieurs de ces ouvrages font autorité1. Nous nous sommes engagés dans des prospections archéologiques et paléographiques dans l’objectif de compléter ces corpus avec une description actuelle du matériel archéologique et épigraphique existant. Car s’il existe en effet une bibliographie riche et plusieurs corpus photographiques pour l’étude des anciennes inscriptions arméniennes et des lieux de cultes antiques en Arménie, les études, mêmes les plus récentes reposent sur d’anciens relevés, pour la plupart antérieurs à la seconde moitié du 19e siècle2 ou sur des fouilles archéologiques dont les publications sont anciennes et inégales. Si le matériel archéologique a bien évidemment pu connaître diverses dégradations avec le temps et que ces relevés anciens présentent un intérêt indiscutable, nous nous proposons d’y intégrer pour la première fois une dimension numérique. Nous nous appuyons pour cela sur une nouvelle approche technique, la photogrammétrie3, technique qui permet de réaliser des reproductions exactes d’objets à partir d’images prises sous différents angles, et ainsi d’accompagner nos hypothèses de recherches par des plans, des modèles 3D ou encore des orthophotographies4 à jour. La captation des données est réalisée à l’aide d’appareils photographiques au sol et d’un drone, rendant accessibles des zones ou des points de vue jusqu’à présent non couverts par les relevés.
2Réalisées en juin 2019, les prospections archéologiques et paléographiques se sont concentrées sur des sites antiques et du haut Moyen Âge de l’Arménie (voir infra, fig. 1). À ce jour, 25 sites ont été cartographiés et étudiés, selon deux angles d’approche : une étude spatio-temporelle des édifices et des objets, et un relevé le plus complet possible des témoins écrits antérieurs au 9e siècle pour une analyse paléographique ultérieure. Les sites sélectionnés sont principalement situés dans la plaine de l’Ararat et dans la région du Širak, où se sont déjà concentrées un grand nombre de fouilles archéologiques. L’approche adoptée se veut transdisciplinaire avec une combinaison de l’archéologie, de la paléographie et de la linguistique, disciplines associées aux nouvelles technologies, tant au niveau de l’acquisition des données que dans leur traitement (photogrammétrie, analyse statistique, orthophotographies). Pour la partie technique, nous avons utilisé un drone modèle DJI mavic Pro 2 ainsi que les logiciels Metashape Pro 1.6 et Qgis 3.10, deux programmes pour la modélisation et la cartographie, dont nous exposons les possibilités dans les figures 1, 3, 4, 5 et 6.
- 5 Pour cette première campagne de prospections, l’équipe était composée d’Armenuhi Magarditchian, Cha (...)
3Cet article tente de montrer les bénéfices d’une utilisation complémentaire des publications existantes, des travaux de terrain actuellement menés par notre équipe5 et de nouvelles technologies offrant la possibilité de relevés complets et spatialement contextualisés. En adoptant ce système de travail en trois phases, nous souhaitons ainsi proposer une méthode pour les recherches archéologiques et paléographiques en Arménie, qui permette d’atteindre des résultats plus précis et une couverture plus exhaustive des sites et des inscriptions. Après une description de l’état des lieux des ressources existantes, nous exposons succinctement les données récoltées et la méthodologie appliquée pour leur collecte et en vue de leur traitement. Puis, deux exemples représentatifs sont interrogés. Nous illustrons en particulier les applications possibles d’une captation photographique massive par drone pour l’archéologie et la paléographie, en vue de traitements numériques (photogrammétrie et description statistique), de construction de bases de données accessibles et de partage des informations avec le grand public.
Figure 1 Localisation des sites étudiés lors de la première phase de prospections de juin 2019
- 6 Il n’existe pas d’étude de synthèse sur les lieux de culte antique de l’Arménie. Pour la descriptio (...)
- 7 Les travaux archéologiques restent à l’état d’inventaires dispersés et ne sont pas réunis en études (...)
4Les fouilles archéologiques menées depuis la fin du 19e siècle dans la partie orientale du plateau arménien (République d’Arménie) ont mis au jour douze lieux de culte antiques. Artašat, Gaṙni, Armawir et Hołmik sont les principaux sites où d’importants vestiges archéologiques à caractère votif ont été retrouvés6. Duin et Aveni, de taille plus modeste, comprennent chacun également des données essentielles pour appréhender d’un regard plus complet les lieux de culte. Ces nombreux témoins archéologiques révèlent la présence de lieux de culte depuis la prise du pouvoir de la dynastie des Artašēsean (vers 180 av. J.-C.) jusqu’à la christianisation du pays au début du 4e siècle apr. J.-C. Le matériel votif qui y est découvert se caractérise par la variété des vestiges (temples, autels, offrandes), par la diversité topographique des lieux de trouvailles (plaines, montagnes, cités, campagne), ainsi que par la multiplicité des provenances des vestiges (local, hellénistique, romain, perse). Bien que ces multiples traces archéologiques témoignent de l’existence, du fonctionnement et de l’utilisation de lieux de culte durant toute l’Antiquité, aucune analyse d’ensemble n’existe à ce sujet7. Le présent programme a pour but de pallier cette lacune et d’apporter de nouveaux éclairages sur les lieux de culte de l’Arménie antique.
- 8 Il s’agit de la compréhension de l’organisation, de l’évolution, de la structure des lieux de culte (...)
5L’étude de ces espaces de culte antiques dans la partie orientale du plateau arménien doit mener à la création d’un corpus de sources archéologiques et textuelles relatif aux douze lieux de culte identifiés. Ce projet croise trois niveaux de recherche : tout d’abord une analyse typologique ; puis l’étude de leur déploiement topographique ; enfin, pour terminer, une approche comparative avec les régions avoisinantes (la partie occidentale du plateau arménien, les provinces romaines de Cappadoce et de Syrie, l’Empire perse). Ces trois étapes permettront de dresser le tableau des lieux de culte et leur évolution en une analyse synthétique et complète. Le projet a pour objectif d’établir une base fondamentale pour l’identification des types de lieux de culte et de leur développement, de comprendre l’implantation topographique d’une Kultlandschaft8, et amènera de précieux éléments de réflexion sur la question des différentes influences qui ont forgé l’identité culturelle de la société arménienne durant l’Antiquité.
- 9 S. Darthou, 2010, p. 712.
6Dans cette optique, l’intérêt de ces prospections est double : retrouver le matériel archéologique lié aux lieux de culte antiques, afin de l’identifier et de le documenter avec le plus de précision possible (photographies, mesures, relevés, etc.) ; enrichir le corpus d’une contextualisation stratigraphique ou topographique du matériel. Cette approche permet de mieux appréhender la topographie des lieux de culte de l’Antiquité et de comprendre « l’occupation religieuse du territoire » à travers l’archéologie9.
7Quant aux questions de paléographie arménienne, les inscriptions les plus anciennes d’Arménie sont déjà richement documentées et un grand nombre d’entre elles dispose d’une datation relative. Ces inscriptions sont d’une importance capitale pour l’étude et l’histoire de l’alphabet arménien : entre sa création au début du 5e siècle et le premier témoin manuscrit formellement daté de 862 (évangile de la reine Mlkē), il existe un hiatus important, et les données sont rares ou discutables pour cette période longue de quatre siècles et demi. Les corpus sont nombreux et nous pouvons citer en particulier ceux de Łewond Ališan (19e siècle), de Garegin Yovsēp‘ean (1913), de Dickran Kouymjian et Michael Stone (2002), Timothy Greenwood (2004), Serge Mouraviev (2010), ainsi que le corpus des inscriptions arméniennes publié à Erevan (1966-2017). Néanmoins, ces corpus portent essentiellement sur les inscriptions elles-mêmes, sans tenir compte de leur contexte spatio-temporel. Par ailleurs, les études paléographiques qui ont été menées reposent sur des clichés anciens et parfois difficilement lisibles du fait de l’emplacement de l’inscription. Nous nous proposons dans notre recherche d’étudier et de classifier les possibles transformations morphologiques des lettres afin d’en réaliser un classement chronologique et génétique, c’est à dire en faisant l’hypothèse de l’antériorité d’un tracé, et de disposer ainsi de critères paléographiques de datation plus fins. Le corpus d’étude reprend les inscriptions et manuscrits étudiés par les paléographes jusqu’à ce jour, auquel nous ajoutons des fragments de manuscrits (pages de garde, etc.) et des inscriptions inédites.
8Les prospections se sont donc concentrées sur l’actualisation des photographies, la contextualisation des inscriptions mentionnées dans les corpus, la mesure précise de la hauteur et de la profondeur de chacune des lettres et des traits structurels, ainsi que sur la recherche de nouvelles inscriptions non documentées.
Tableau 1 Localisation des sites étudiés lors de la première phase de prospections de juin 2019
Site, Région
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Période*
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Monument/Inscription
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Ałitu, Siwnik’
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Antiquité (?), Moyen Âge
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Monument d’Ałitu
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Armawir, Armawir
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Antiquité
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Lieu de culte antique
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Aruč, Aragacotn
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Antiquité, Moyen Âge
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Aručavank῾
Lieu de culte antique
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Ašōc’k’, Širak
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Antiquité (?)
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Lieu de culte antique ?
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Aštarak, Aragacotn
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Haut Moyen Âge
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L’église Karmrawor
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Awan, Erevan
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Haut Moyen Âge
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Sainte Kat’ołikē Ciranawor
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Beniamin, Širak
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Antiquité
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Lieu de culte antique
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Duin, Ararat
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Antiquité, Moyen Âge
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Lieu de culte antique
Inscription
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Ēǰmiacin, Armawir
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Antiquité, Moyen Âge
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Cathédrale d’Ēǰmiacin et son pyrée
Église à nef unique et pierre tombale
Musée ethnographique d’Ēǰmiacin
Église Sainte Hṙip῾simē
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Ełegnajor, Vayoc’jor
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—
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Musée d’Ełegnajor
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Ełoward, Kotayk῾
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Haut Moyen Âge
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Sainte Kat’ołikē
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Elp῾in, Vayoc’jor
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Ourartou – Antiquité
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Lieu de culte antique
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Ereruyk῾, Širak
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Haut Moyen Âge
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Cathédrale d’Ereroyk῾
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Erevan, Erevan
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—
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Musée d’histoire de l’Arménie
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Gaṙni, Kotayk῾
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Antiquité- Haut-Moyen Âge
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Temple de Gaṙni
Diverses inscriptions
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Haut-Moyen Âge
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Église à nef unique
Diverses inscriptions
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Fin 9e siècle apr. J.-C.
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Xač’k’ar Katranide
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Moyen Âge
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Cimetière de Gaṙni
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Gawaṙ, Kełark’ownik’
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—
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Musée de Gawaṙ
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Hołmik, Širak
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Antiquité
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Lieu de culte antique
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Mastara, Aragacotn
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Haut Moyen Âge
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Église Saint Yovhannēs Mkrtič’
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Mt῾najor, Kełark’unik’
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Antiquité
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Lieu de culte antique ?
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Ōšakan, Aragacotn
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Antiquité ?
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Lieu de culte antique ?
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Ptłni, Kotayk῾
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Haut Moyen Âge
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Ptłnavank῾
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Sisian, Siwnik’
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Antiquité, Moyen Âge
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Église Saint Grigor
Musée de Sisian
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T῾alin, Aragacotn
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Haut Moyen Âge
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Sainte Kat’ołikē de T῾alin
Saint Astuacacin
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Zuart῾noc῾, Armawir
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Antiquité, Moyen Âge
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Cathédrale de Zuart῾noc῾
Musée de Zuart῾noc῾
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* NB : Dans le cadre de ce tableau, nous proposons une périodisation large, car la majorité des sites archéologiques sont utilisés durant plusieurs siècles et les fouilles archéologiques ne permettent pas systématiquement de préciser les datations. De plus, notre objectif est d’avoir une vision d’ensemble du contexte et pas de dater les vestiges avec précision.
9Pour chacun des deux axes de recherche, il existe donc une littérature scientifique bien fournie (voir supra). Toutefois, ces recherches et les recueils d’inscriptions disponibles présentent souvent un aspect fragmentaire, car se focalisant sur un point précis du site uniquement, ou sommaire (en l’absence, par exemple, de relevés ou de descriptions des contextes). Afin de pallier ces manques, nous avons opté pour deux points d’ancrage lorsque nous avons parcouru les sites.
10Tout d’abord, nous avons systématiquement privilégié l’étude par nos propres yeux et sur site du matériel archéologique. Il est en effet important de comprendre la structure ou l’inscription dans son contexte, afin de pouvoir, dans un second temps et à distance, proposer des clefs de lectures. Puis, nous avons documenté et relevé ce matériel archéologique à l’aide d’outils numériques. Dans cette seconde partie du travail, l’objectif est de constituer un corpus aussi complet que possible (tant d’un point de vue du nombre d’objets étudiés qu’en ce qui concerne la qualité des informations s’y rapportant), afin de restituer une documentation objective sur laquelle baser notre recherche et nos hypothèses futures.
11Afin de disposer d’une documentation uniforme pour l’ensemble des sites, nous avons systématiquement appliqué la méthodologie suivante : dans un premier temps, l’exploration du terrain et l’identification des matériels archéologiques clefs à étudier ; dans un deuxième temps, la mise en œuvre des relevés ; enfin, la contextualisation des inscriptions et des lieux de culte étudiés.
- 10 Il s’agit de l’étude des différentes couches géologiques, afin de déterminer leur nature et d’établ (...)
12L’exploration de la réalité du terrain et l’identification des « matériels clefs » est un préalable à toute étude descriptive du matériel recherché et de l’application des technologies à notre disposition. Nous avons d’abord cherché à comprendre et identifier les structures et les édifices qui composent le site archéologique, afin de pouvoir par la suite en dessiner un plan et proposer une stratigraphie10 sommaire couvrant les périodes ourartéenne (c. 9e - 7e siècles av. J.-C.), antique et médiévale. Lors de cette étape, nous avons notamment identifié les points de repères clefs en vues de photographies, de prises de dimensions et de relevés aériens dans un second temps. Ce travail a permis d’organiser une captation qui soit la plus exhaustive possible tout en minimisant les prises de vues nécessaires.
13Nous avons ensuite procédé aux relevés descriptifs et à la prise de photographies du matériel archéologique et des inscriptions, en prenant soin de marquer leurs dimensions dans toutes les prises de vues. La captation précise de ce matériel archéologique a ensuite été complétée au moyen du drone (voir fig. 2). Ces prises de vues aériennes sont d’abord réalisées sous la forme d’un quadrillage complet du site, puis à différentes hauteurs afin de pouvoir réaliser des orthophotographies et des reconstructions 3D. Ces prises de vues peuvent être complétées par des captations au sol, dans le but de proposer des modèles très précis (voir infra), en particulier pour les inscriptions. Cette méthode permet notamment de disposer d’informations spatio-temporelles contextuelles, assurant de pouvoir suivre l’évolution de la conservation du matériel ou de l’édifice. Les photographies réalisées par drone permettent aussi de disposer de vues de face des inscriptions et des sites, sans déformation due à la prise de vue, par exemple dans le cas où le matériel serait situé en hauteur par rapport au photographe. C’est en particulier le cas pour Mastara, T῾alin, Sisian, Ałitu, Aruč, Ereruyk῾, Karmrawor, Ptłni, Awan, et Sainte Hṙip῾simē, où l’inscription de Komitas est cachée par le clocher de la façade ouest, en hauteur et donc invisible au niveau du sol.
Figure 2 Description du processus de captation mis en œuvre
14Au cours de nos investigations, nous avons souhaité approfondir l’étude du contexte dans lequel s’inscrit le mobilier archéologique : un point crucial à nos yeux et trop souvent mis de côté dans les travaux précédents. En effet, la littérature secondaire se caractérise fréquemment par un manque de contextualisation des inscriptions ou des lieux de culte mentionnés, sans précision quant à leur emplacement exact sur le site ni même sur leur composition ou leur structure.
15Il en ressort un travail sur le terrain extrêmement riche au cours duquel nous avons pu, grâce aux outils à notre disposition (drone, appareil photo, etc.), à la méthodologie appliquée et aux outils numériques utilisés, établir une contextualisation et une stratigraphie relative des édifices, afin d’interpréter au mieux le matériel d’étude.
16La quantité de données récoltées est extrêmement importante, allant de vues d’ensemble de sites archéologiques à la photographie des inscriptions lettre par lettre, à différentes échelles – macroscopique (par drone) et microscopique (par un appareil photo portatif) – auxquelles s’ajoutent les métadonnées spatio-temporelles (coordonnées GPS, mesures, descriptions relatives au site, etc.). Ces informations font état d’une situation à un instant donné et constituent donc un élément patrimonial à valoriser, qui peut être mis en comparaison avec des archives photographiques. Si les besoins de la recherche ont en partie été couverts par ces prospections, celles-ci ont généré une importante masse de données à traiter, pour laquelle nous appliquons une méthodologie spécifique.
17Les données captées sont regroupées en trois groupes : les vues aériennes et orthophotographies, réalisées par drone, qui présentent un contexte global au site ; les vues d’ensemble de la structure étudiée, réalisées par drone et par captation au sol ; enfin, les vues ciblées, par drone, captation au sol avec ou sans perche, en particulier lorsque nous sommes en présence d’une inscription. Ces deux premiers types de vues font également l’objet de plans.
18Dans le cadre de ce projet, nous avons fait le choix d’utiliser la photogrammétrie afin de proposer des orthophotographies et des modèles 3D des sites étudiés. La photogrammétrie est une technique qui permet de réaliser des reproductions exactes d’objets à partir d’images prises sous différents angles. Afin d’obtenir un modèle satisfaisant, nous avons pris soin de réaliser des images dont le chevauchement n’est pas inférieur à 60 %. La précision obtenue est ainsi de l’ordre de 3 cm. Le logiciel que nous utilisons est MetashapePro 1.6, qui produit, à partir de plusieurs images d’un même site, un nuage de points communs, localisés spatialement, afin de reconstruire en relier l’objet étudié, en tenant compte de la profondeur, de l’échelle et de la texture. Les modèles générés sont à la fois réalisés au niveau des inscriptions et au niveau d’un site – offrant dans ce cas la reconstitution d’une structure particulière (stratigraphie ou édifice) ou d’un site entier (plan du site).
- 11 Le projet Armenian Heritage and Social Memory Program (High Definition 3D Digital Documentation and (...)
19La photogrammétrie permet en outre de produire, comme nous l’avons vu, des orthophotographies (fig. 5), des maillages 3D photo-texturés (fig. 3), des nuages de points localisés spatialement (fig. 3) et des modèles numériques de surface (fig. 3). Il existe plusieurs autres approches pour la modélisation 3D, notamment la Reflectance Transformation Imaging (RTI) et la télédétection par laser (technologie LIDAR). Nous avons privilégié la photogrammétrie pour sa plus grande souplesse et la facilité de sa mise en place – contrairement à l’utilisation d’un laser, plus précis mais nécessitant une logistique plus importante et moins adaptée au relief de nos objets d’étude – afin de construire rapidement des modèles et des orthophotographies pour de nombreux sites11.
Figure 3 Étapes de construction du modèle 3D de la façade sud de l’Église de Mastara
20Au cours de notre campagne de prospection de deux semaines, nous avons visité plus de vingt sites, soit une trentaine de monuments (dont une dizaine de lieux de culte et plus de 80 inscriptions) et six musées. Il ne s’agit pas de présenter ici tous les résultats de notre vaste campagne de prospection, mais d’exposer deux exemples concrets qui illustrent la manière dont nous avons pu améliorer la documentation pour nos travaux Le choix s’est dirigé sur deux sites archéologiques riches qui nous ont offert des nouvelles découvertes : Duin et Mastara.
- 12 Gouverneurs pour le compte de la Perse sassanide. Voir P. Donabédian et C. Mutafian, 2010, p. 127.
- 13 P. Donabédian et C. Mutafian, 2010, p. 127.
21Occupée dès l’âge du bronze (3e millénaire av. J.-C.), Duin devient au 2e siècle av. J.-C. un site hellénistique, en même temps que la capitale arménienne Artašat. Six siècles plus tard, en 428 apr. J.-C., la ville se transforme en capitale de l’Arménie du marzpan12 à la chute de la branche cadette arménienne de la dynastie des Aršakuni. Puis elle devient, en 470 apr. J.-C., le centre spirituel de l’Arménie chrétienne13.
- 14 A. Kalantarian 1996, p. 69-70. Il ne s’agit pas ici de discuter de la fonction antique de l’édifice (...)
22Le site de Duin est intensément fouillé entre 1946 et 1976. Les fouilles mettent au jour de nombreux édifices tels qu’une cathédrale, une église à nef unique ou encore un grand quartier d’habitations (fig. 5). L’un d’eux serait le palais du kat’ołikos – ou catholicos, le patriarche suprême de l’Église apostolique arménienne. Dans l’aile ouest de cet édifice est retrouvée une salle avec quatre colonnes. En son centre, un piédestal en tuf carré aux dimensions 1,5 m x 1,5 m. Il s’agirait d’un temple du feu sassanide datant du 6e siècle apr. J.-C. construit par le marzpan Surēn qui s’est emparé du palais du catholicos à cette époque14.
23Les documents publiés à ce jour relatifs au temple du feu se limitent à un plan sommaire du palais du catholicos avec la mention de l’emplacement du piédestal (fig. 4, I) et quelques photographies. En effet, les fouilles se sont essentiellement focalisées sur les périodes préhistoriques et sur le Moyen Âge. Aussi, l’archéologie antique a été étudiée sans mise en relation avec les autres périodes.
24Ce premier état des lieux montre que la documentation et l’analyse des différentes stratigraphies manquent à ce jour. Aussi, l’objectif du travail de prospection sur le terrain est de vérifier si les données publiées sont correctes, d’essayer d’affiner les informations liées à la stratigraphie mais également de photographier le piédestal avec ses alentours. Il sera ainsi possible de compléter notre documentation et de comprendre comment ce lieu de culte s’insère dans la structure architecturale du le palais catholicossal.
Figure 4 Comparaison entre la documentation existante et les photographies prises lors des prospections de 2019
25Les premières prospections sur le terrain ont permis d’étudier par nos propres yeux les structures qui composent le lieu de culte antique à l’intérieur du palais, mais également de comprendre son emplacement et ses interactions avec les autres édifices du site. Par exemple, nous avons pu vérifier la stratigraphie sur le terrain et nous assurer de l’exactitude des anciens relevés. Ainsi le mur nord de l’hypothétique temple du feu (mur gris sur le plan de Ghafadarian) est bien stratigraphiquement en dessous du mur nord du palais du catholicos. Étant sur place, nous avons également eu l’opportunité de mesurer avec exactitude le matériel archéologique de l’hypothétique temple du feu, de le photographier (fig. 4, II-IV) et de nous rendre compte que le faible état de conservation ne permettait pas réellement de proposer une lecture plus fine de la stratigraphie. Toutefois, la documentation numérique a généré des photographies d’une précision extrême, qui rend possible un relevé au pierre à pierre.
26Puis, à travers une seconde manipulation, nous avons créée des orthophotographies par photogrammétrie (exploitées grâce au logiciel QGIS – fig. 5). Le matériel de travail généré est précieux, car il nous permet de soutenir nos hypothèses et argumentaires d’une manière concrète et visuelle. Aussi, en tissant ensemble tous ces éléments, il est possible de proposer une base de données solide à partir de laquelle, dans un second temps, nous étudierons les vestiges en détail, par un travail de comparaison avec des architectures similaires, notamment dans le monde sassanide, et une tentative d’identification de la structure.
Figure 5 Duin : orthophotographie et image satellite Esri superposées, Metashape et QGIS
- 15 Ł. Ališan, 1890, p. 135 ; G. Yovsēp’ean, 1913, p. 174-175 ; D. Kouymjian et al., 2002, p. 113 ; T. (...)
- 16 Ł. Ališan, 1890, p. 35 ; T. Greenwood, 2004, p. 85.
- 17 G. Yovsēp’ean, 1913, p. 174 ; T. Greenwood, 2004, p. 84.
27Située dans la plaine de l’Ararat, l’église de Mastara a été bâtie au 5e siècle et fait partie des plus anciens édifices religieux d’Arménie (voir la fig. 6). Plusieurs de ses inscriptions sont déjà largement documentées, notamment celles qui sont situées sur le mur ouest – (i) l’inscription de Grigoras15, datée vers 640 et (ii) celle qui est située sous la fenêtre de la porte principale de l’abside ouest16 – ainsi que sur le mur sud avec (iii) l’inscription de T’eodoros datée circa 640, située au-dessus de la fenêtre de l’abside sud17, et (iv) celle située sur la partie ouest de ce mur. Ces quatre inscriptions, qui apportent des éléments sur la date de fondation de l’église, sont situées en hauteur et sont difficilement lisibles. En conséquence, dans leurs album de paléographie arméniennes, publiés respectivement en 2004 et 2010, Timothy Greenwood et Serge Mouraviev réalisent par exemple l’étude de l’inscription (i) en se basant sur la même photographie, prise en contrebas et en noir et blanc.
- 18 C. Vidal-Gorène Chahan, 2020-2021, p. 130.
28Les autres murs de l’église sont recouverts d’inscriptions non datées. L’utilisation du drone et le quadrillage complet de l’église ont notamment permis de mettre au jour huit inscriptions non datées, pour la plupart situées en hauteur sur le mur sud. Les lettres qu’elles contiennent proposent quelques morphologies archaïques, notamment pour la lettre Ayb qui possède une boucle suggérée18. Ces inscriptions présentent de nombreuses aspérités et dégradations qui rendent difficile la lecture, problème qu’il a été possible de résoudre grâce à la réalisation automatique de modèles 3D de celles-ci (voir infra), par photogrammétrie.
29Ces prospections ont également été l’occasion de réaliser des mesures de chacune des lettres et de leurs traits constitutifs, afin d’étudier en particulier la variation de la gravure au fil des siècles, tant au niveau de la technique de gravure que dans la forme des lettres. Ces données pourront être comparées entre les différents sites afin d’observer la présence ou non de critères pour la datation relative des inscriptions. Dans la figure 6, le modèle 3D de l’inscription inclut ainsi une composante de profondeur.
Figure 6 Plan des façades ouest et sud de l’église de Mastara, avec situation des inscriptions actuellement documentées dans la littérature (a-d, en bleu) et décrites en détail dans le nouveau corpus (i-iv, en rouge)
***
30Les prospections menées en 2019 dans le cadre de ce projet ont donné lieu à un corpus d’étude enrichi et actualisé pour plus de vingt-cinq sites antiques et du haut Moyen Âge arménien. L’important volume de données récoltées rend indispensable l’utilisation de méthodes statistiques et descriptives pour traiter et lier ces bases d’informations. Comme nous l’avons illustré, le travail de terrain conduit à l’acquisition de données transversales permettant de situer et de contextualiser les objets d’étude. Ces données étaient pour la plupart lacunaires dans les études antérieures relatives aux sites présentement sélectionnés. L’intérêt immédiat qui ressort du travail de terrain est qu’il est désormais possible de disposer d’éléments de comparaison entre les différents relevés, déjà publiés ou récemment effectués sur le terrain, et ainsi de se rendre compte de l’évolution chronologique de l’état du matériel archéologique. Par ailleurs, les techniques de photogrammétrie et d’orthophotographie, associées à l’archéologie, apportent une compréhension spatio-temporelle des objets d’étude. Les données numériques générées peuvent également être mises en interface – c’est-à-dire intégrées à un système numérique, une interface de consultation – afin d’obtenir une visualisation de l’évolution des dégradations possibles des vestiges. Les données récoltées pourraient être utilisées pour divers projets ; nous envisageons quatre applications possibles. Outre constituer des corpus d’étude actualisés, contextualisés et proposant une évolution chronologique de l’étude, nous souhaitons rendre disponible les données, sous la forme d’une base de données en ligne interactive, qui permettra à l’utilisateur de naviguer dans un site archéologique à différentes échelles, grâce à l’utilisation des modèles 3D géo-localisés, décrits et disposés dans leur contexte. La quantité de données étant extrêmement importantes, il serait envisageable d’en rendre accessible une partie pour les besoins de la recherche. Elles pourront être associées à des technologies de crowdsourcing afin de les annoter selon les besoins (identification de bas-reliefs, identification d’inscriptions, etc.). Enfin, il est également théoriquement possible de produire des modèles 3D des édifices ou des inscriptions à partir de photographies touristiques libres de droits, disponibles sur internet (wikimedia, etc.). Ces photographies permettraient de compléter et d’affiner les modélisations, ou de construire des modèles de sites pour lesquels nous n’aurions pas fait de captation propre. Il s’agit là d’un atout majeur pour l’archéologie.