1Pierre George (1909-2006) a été dans les années cinquante et soixante un géographe témoin des mutations de la géographie humaine de l’Europe et de la France. Les innovations technologiques, leurs applications à des espaces élargis re-dessinaient un monde pour demain. La géographie humaine de P. George était particulièrement attentive aux données démographiques et aux indicateurs économiques (énergie, production industrielle). Ces agrégats lui permettaient des projections sur un futur proche ou plus lointain. P. George a d’abord envisagé l’avenir des territoires dans le contexte politique de la planification « socialiste ». En URSS, les plans quinquennaux scandaient la croissance économique soutenue par les ressources naturelles, minières, énergétiques, hydrauliques. Les combinats industriels et la conquête des « terres vierges » d’abord projetés puis réalisés semblaient, dans ce cadre volontariste et planifié, articuler le présent et le futur.

2Mais P. George a admis plus tard, bien plus tard, que la marche vers cet avenir radieux soviétique n’était pas aussi assurée qu’annoncée. Les transformations engagées en France dans ces années cinquante traduisent enfin ces temps nouveaux pour un territoire qui était resté figé depuis un demi-siècle. « Temps nouveaux », l’expression avait été employée par Vidal à la veille de la Grande guerre qui avait suspendu des dynamiques territoriales « Belle époque », et que les reconstructions post-guerre, à l’identique, n’avaient pas retrouvées. La France de demain qui s’esquissait dans les années cinquante ne pouvait dupliquer celle d’hier.

4Le lancement de la collection a lieu au moment où démarre le 3^ème Plan (1959-1961) et sa suite accompagnera le 4^ème (1962-1966). Le commissaire Pierre Massé, qui a l’appui du Général (« le Plan est une ardente obligation »), introduit dans les programmes une dimension territoriale du territoire. Les géographes auteurs de la collection doivent combiner dans leurs contributions les héritages, les dynamiques à l’œuvre et les perspectives ouvertes par la planification et déclinées dans les ensembles régionaux. P. Massé (1962) explicite ainsi ce volet territorial :

« Le troisième choix est une action destinée à atténuer autant que possible les déséquilibres entre les régions. L'inégalité est un phénomène naturel. Paris et Lyon ont été des carrefours de voies. Marseille, Bordeaux, Nantes, Le Havre se sont édifiés autour de rades ou d'estuaires abrités. D'autres villes ont prospéré auprès des richesses minérales du Nord, du Centre et de l'Est. Cependant de nouveaux centres d'intérêt sont apparus. Des signes de saturation et de vieillissement ont commencé à se manifester. Qui a grandi le premier est aussi le premier à vieillir. Tous ces facteurs se traduisent sur la carte économique et sociale de la France d'aujourd'hui, en inégalités de peuplement, en inégalités de dynamisme, en inégalités d'emploi, en inégalités de revenu.
La théorie économique des localisations optimales est moins avancée que celle de l'allocation optimale des ressources. Il faut donc se contenter, dans l'action régionale, de critères relativement grossiers. Si l'on distingue, par une simplification sans doute abusive, des régions fortes et des régions faibles, on peut dire que le IV^e Plan prévoit une politique d'accompagnement dans les premières et une politique d'entraînement en quelques points judicieusement choisis des secondes. »

5Les géographes de ce moment, qui avaient grandi dans la France figée de l’Entre-deux-guerres, le temps où les maisons étaient grises (J. Gracq), sont attentifs, presque émerveillés, par la vitalité qui se manifeste dans le pays, par les micro-événements géographiques qui la concrétisent, ici et là. Ainsi P. Pinchemel dans la conclusion de son ouvrage sur la France (1964) écrit :

« Tous les éléments constitutifs de l’espace français sont traversés par des courants qui les transforment rapidement ou qui amorcent leurs transformations. On imagine volontiers une immense carte de France sur laquelle s’allumeraient de petites lampes de couleurs différentes chaque fois qu’en un point quelconque l’organisation du territoire serait modifiée. Des communes remembrées aux centrales hydro-électriques, des autoroutes aux usines décentralisées, des nouveaux quartiers urbains aux lacs collinaires, des voies ferrées supprimées aux taudis détruits des milliers de ces lampes jalonneraient ainsi cette mise à jour, cette refonte du territoire ».

6Remarquons que dans ne figurent pas encore dans cette liste les indices de modernité que seront les ZIP, les centrales nucléaires, le TGV, les parcs naturels.

7L’analyse de ces différents volumes (textes et iconographie) permettra de repérer les modalités de cette démarche qui combine un état des lieux présents et qui esquisse les transformations en cours (chantiers) et les projets à venir. P. George, avant de diriger cette collection, avait exprimé ces réserves vis-à-vis de la géographie appliquée, dans laquelle il estimait que les géographes étaient subordonnés aux décideurs et aux ingénieurs. Il lui avait préféré l’expression de « géographie active » qui préserverait, pour lui et ses collègues, une dimension critique, vis à vis des choix projetés ou réalisés. Plus tard il envisagera une géographie prospective qui intégrerait une analyse des conséquences environnementales des aménagements.

8Singulière expérience du « boomer » devenu géographe senior, qui écrit ces lignes. Il a retrouvé ces volumes comme une recherche du temps passé. Sur une quarantaine d’années il a été, successivement, le témoin des innovations attendues et, quand ce demain est devenu un aujourd’hui, celui des séquelles de ces opérations. Il avait commencé son cursus en géographie en lisant cette collection qui célébrait les métamorphoses de territoire français et constate aujourd’hui que nombre de ces nouveautés étaient devenues des friches. La durabilité des innovations est relative à l’obsolescence des techniques, le pas de temps de ce cycle moderne a été de quelques décennies.

Une préface qui dessine le cadre général de la collection

9Le premier volume s’ouvre par une préface dans laquelle les directeurs de la collection en précisent la problématique, partiellement hypothétique, sur un mode interrogatif.

« Dans notre monde qui, chaque jour, se transforme, il n’est plus de repos, ou presque, pour l’observateur. L’esquisse du mouvement, malgré ses incertitudes, est plus vraie que le tableau minutieux, déjà désuet avant d’être terminé (…).
Nous apprécions encore mal la portée des grands actes diplomatiques créant la C.E.C.A. et le Marché commun. Nous pouvons, cependant, affirmer que la vitesse de propagation ne sera pas la même suivant les régions, que l’impact ne sera pas analogue sur tous les points de notre territoire.
La « géographie volontaire » saura-t-elle triompher des routines séculaires et d’une tradition centralisatrice fortement inscrite dans la texture du pays et dans les esprits ?
Quelles sont les forces objectives que nous devons mettre à notre service sous peine d’être broyés par elles ? En fonction de quel avenir et dans quels cadres faut-il concevoir l’aménagement du territoire? »

10Les géographes français qui ont connu le temps où les maisons étaient grises sont attentifs aux transformations qui travaillent les paysages, les villes, et les campagnes françaises. Ces témoins sont Jacqueline Beaujeu-Garnier, Étienne Juillard , Michel Phlipponeau, Jean Gottmann, Philippe Pinchemel. Pierre George est l’aîné de ce groupe ; il dispose à la fois d’une position éditoriale aux PUF et d’une aura moderniste qui attire les chercheurs plus jeunes. Ces derniers vont être sollicités pour leur connaissance des différentes régions, et faire équipe avec les économistes-statisticiens de l’Insee.

11Demain…. Dans la préface plusieurs formulations orientent ce projet éditorial. Le temps verbal est le futur être – sera –, savoir – saura –. Le contexte est celui des transformations. La notion statique de « tableau minutieux » est remplacée par celle « d’esquisse du mouvement ». Les initiatives européennes introduisent une dynamique différenciée selon les régions. L’aménagement du territoire est projet d’avenir. Ce « Demain » s’amorce aujourd’hui dans un présent actif. Des chantiers balisent déjà le territoire et attestent que le futur est engagé. Il est engagé à partir d’un état hérité des lieux, c’est un futur qui se dessine à partir du prisme des régions : « la vitesse de propagation ne sera pas la même suivant les régions ».

12Huit régions sont en quête de futur : la collection couvre la France de demain en l’envisageant dans huit régions qui, à la fin des années cinquante, sont très inégalement engagées dans la modernité économique. Une modernité qui est principalement associée à la fonction industrielle. À l’exception de Paris et secondairement de Lyon, les activités de services sont moins associées à l’avenir. La fonction touristique est peu abordée, même dans le volume 5 qui traitera de la région méditerranéenne. Ce sont les activités dites productives, industries diverses d’abord et une agriculture rénovée, ensuite, qui dessinent l’avenir.

13Ces géographes du temps sont confiants dans la technique, dans la figure experte de l’ingénieur, et les initiatives d’un état entrepreneur :

« L’âge paléotechnique a fait place à l’âge néotechnique. Si dans certains secteurs l’industrie nécessite toujours des usines de plus en plus grandes, l’implantation de celles-ci est moins conditionnée par la situation des gisements que par la concentration industrielle et l’agglomération de la population. Ces grandes usines utilisent souvent des appareils légers par rapport à leur volume qui peuvent être construits dans des ateliers éloignés de moyennes ou de faibles dimensions » (tome 8).

14Dans la collection nous solliciteront deux volumes, celui de la région parisienne et celui de la région méditerranéenne…

Le premier ouvre la collection

15Les auteurs sont P. George et Pierre Randet (1906-1994). Celui-ci est polytechnicien, chef du service du plan d’urbanisme du ministère de la reconstruction en 1945, directeur de l’aménagement du territoire en 1958. L’alter ego de P. Georgeest une autorité administrative et technique. C’est lui qui rédige dans ce volume la vingtaine de pages consacrées à l’aménagement de ce « Grand Paris de demain » qu’il considère déjà comme une « grande ville mondiale ».

16P. Randet l’envisage, la grande région, dans « un rayon de 200 km autour de Paris ». Dans ce large périmètre les villes doivent disposer de « zones industrielles », ce dispositif engagé leur permet un « réveil parfois brutal ». On tourne ainsi la page d’un hier de stabilité voire de routine.

17La conclusion du volume inscrit la région parisienne dans l’Europe de demain, les conditions géographiques de cet avenir sont en priorité le renforcement des infrastructures de transport, notamment pour les industries lourdes. Cette priorité est des relations intracontinentales est significative de cette décennie.

18« On observera que les ondes vivifiantes émises par Paris se propagent plus puissamment vers l'Ouest et le Sud-Ouest que dans toute autre direction. Paris, grand port séquanien, sensible à l'appel de la mer, carrefour des lignes aériennes intercontinentales, est une ville mondiale plus qu'européenne ; le vide relatif de la Picardie, de l'Ardenne et de la Champagne sépare la région de Paris de la puissante concentration humaine et économique de l'Europe du Nord-Ouest. Aussi faut-il tisser de nouveaux liens entre l'axe de développement de la Seine et l'axe Méditerranée-mer du Nord, ligne de force de l'Europe de demain. Le réseau de voies navigables du Bassin parisien, notamment, devra épouser celui de l'Europe, au moyen d'une liaison à grand gabarit de la Seine à la Meuse et la Moselle par l'Oise, le canal de l'Oise à l'Aisne et le canal des Ardennes. Dans cette perspective, c'est au confluent de la Seine et de l'Oise que pourrait être implantée la principale zone d'industrie de transformation lourde du Grand Paris. »

19Les échanges entre les deux auteurs, P. George, l’universitaire, et P. Randet, l’ingénieur praticien, expliquent les observations de prudence, comme une charte pour une démarche prospective mesurée et concertée :

« L’essai de prévision ne peut plus être aujourd’hui un simple jeu subjectif de l’esprit. Des données objectives pèsent sur l’évolution et définissent des perspectives qui malgré des forces d’inertie, se projettent avec autorité sur l’avenir »

« Qui considérait l’aménagement du territoire comme un divertissement de cabinet, ou comme une utopie en économie non dirigée, ne dédaigne pas aujourd’hui de prendre des avis avant de projeter ses propres affaires sur la carte ».

20Un volet « vert » est enfin glissé dans ce demain :

« Autant que l’environnement agricole, la parure des bois et des forêts, qui est un des traits les plus caractéristiques de l’Ile-de-France doit être défendu contre tous les empiétements, qui ont déjà singulièrement compromis l’intégrité des futaies de Saint Germain ou de Fontainebleau ».

Une grande région méditerranéenne

21Elle dessine un grand arc des Alpes du Sud aux Pyrénées orientales. L’avenir de cet ensemble est placé sous le signe de la maîtrise de l’eau, captée dans l’arrière-pays montagneux et orientée vers les bassins et les plaines littorales.

22Le maître d’œuvre de ce volume est Raymond Dugrand (1925-2017). Résistant, élève de Pierre George il est le seul géographe de cette génération à avoir été, à la fois, un universitaire éminent et un praticien de l’aménagement. À Montpellier, une avenue « Raymond Dugrand », lui est dédiée (60 m de large et 1,5 km de long, on reconnait par l’odonymie son action)… Le co-auteur Paul Carrère est le directeur de l’Insee de Marseille.

« Le Sud-Est français recèle d’énormes possibilités. L’explication de la crise qu’il connaît tient moins au potentiel naturel qu’à l’action de l’homme ». Ce constat d’un « sous-développement » (notion par ailleurs employée) implique l’action coordonnée d’autres hommes, ingénieurs-développeurs, des Prométhées de l’eau en Languedoc…

« Les travaux hydrauliques actuellement entrepris à partir de la Durance et du Rhône représentent une œuvre gigantesque qui n’a d’égale dans le monde que les réalisations américaines de la Tennessee, ou celles de la Russie méridionale (basse Volga) ».

23Raymond Dugrand, en fidèle disciple de P. George transfère dans le discours géographique des précisions techniques et chiffres communiqués par les ingénieurs. C’est ce « réalisme » georgien », analysé par O. Orain, qui permet de préciser le futur….

« Le canal franchira le Vidourle par un siphon de 20 m, débouchera, sur la vallée de l’Hérault par une galerie de plus d’un kilomètre, et passera le fleuve sur un aqueduc de 1,1 km. Il ne pourra traverser la vallée de l’Orb que par un nouveau pont-canal dépassant 2,4 km de portée. Il recevra alors d’une dérivation débitant 15 m3/s, venue des barrages de Rieuberlou et de Ceilles, établis sur l’Orb, l’eau nécessaire à l’irrigation du Narbonnais ».

24Temps verbal au futur, chiffres divers (longueur, portée, débit), termes de l’art (siphon, galerie, pont-canal) conjugués à l’hydronymie héritée (Orb, Hérault, Rieuberlou) forment un récit du futur assuré. Les « maîtres » de l’eau sont la Compagnie Nationale du Rhône (CNR), la Compagnie nationale du Bas-Rhône-Languedoc (CNB-RL),les centrales hydroélectriques d’EdF turbinent les eaux du fleuve et lesquelles refroidissent à Marcoule-Pierrelatte les essais des premiers réacteurs nucléaires du Commissariat à l’Energie Atomiques (CEA).

Quatre volumes sur huit constatent que La France de demain entre dans l’âge atomique….

25Quatre des huit volumes relèvent que l’atome est un atout d’avenir …des mines d’uranium du Massif central, aux centres de recherche de l’Ile-de-France et de la vallée du Rhône, et à la première centrale de production électrique à Chinon. À plusieurs reprises le CEA (Commissariat à l’énergie atomique) est mentionné comme l’organisme qui préside à cet avenir « Sur la voie tracée par Frédéric et Irène Joliot-Curie ». Un territoire nucléaire du CEA se dessine dans la France de demain, qui sera élargi par l’EDF.

26Les énergies principalement mobilisées pour aménager le territoire, soutenir l’économie et répondre aux besoins sociaux sont le charbon, le pétrole et l’hydroélectricité. La production charbonnière plafonne, le pétrole est importé, l’effort d’équipement hydroélectrique est significatif. La mise en production du gaz naturel de Lacq est soutenue. Mais la référence aux Joliot-Curie est symbolique de la confiance dans la science, ses savants et ses ingénieurs qui maîtrisent l’atome. Remarquons que l’emploi du terme atome prévaut encore sur celui de nucléaire. Ce dernier fait référence à une fission maîtrisée par les réacteurs, l’atome renvoie à l’usage militaire, explosif, celui de la bombe.

28L’Atlas aérien de la France, que Pierre Deffontaines lance dans ces années charnières 50/60, atteste de ce renouveau. Dans le noir et blanc de rigueur des images des taches plus claires signale les chantiers des barrages, les nouvelles zones industrielles, les commentaires fournis de celles-ci emploient le registre de la dynamique économique et territoriale :  vaste, puissant, moderne, etc.

La filière atomique-nucléaire

29De la mine (Bessines, Limousin) à la centrale en chantier (Chinon) en passant par les laboratoires du CEA (Saclay).

Produire, Circuler, Habiter, les chantiers de la France pour demain...

30Au temps des maisons grises succède celui du blanc béton, promis sur plan (ou maquette), fraîchement décoffré, puis fonctionnel.

31Peu de géographes sont réticents vis-à-vis de ce parti pris de l’avenir positif illustré par cette collection. Seule exception celle Maurice Le Lannou (1906-1992), collégien de France, qui a distillé dans ces chroniques du Monde rassemblées sous Le déménagement du territoire (sous-titré Rêveries d’un géographe (1967) des réserves vis-à-vis de ces projets-opérations. Selon lui, les priorités économiques et les choix techniques qui en découlent « déménagent » des territoires constitués et hérités, ceux de « l’homme-habitant ». Il est à noter que ses critiques ont été reprises par Alberto Magnaghi dans son essai Le projet local (2003), qui prône un retour aux lieux.

Peut-on identifier dans l’histoire de la géographie des moments propices à anticiper le futur ?

32Quand les géographes ont déclaré que des pays étaient « neufs » dans le contexte colonial, ces territoires ont été l’objet de « projections », celles des intérêts et des moyens des métropoles, dessinant des fronts pionniers. Une partie de la géographie coloniale, telle qu’elle a été conçue par Marcel Dubois (1856-1916), est envisagée comme des propositions d’aménagement. Dans les pays qui ne sont pas « neufs », tels ceux de l’Europe, le futur est un réaménagement des héritages, ceux des territoires déjà constitués. Il est rare dans une discipline prudente comme la géographie de se projeter à plus long terme. Cependant un changement de régime politique radical, une révolution, peut favoriser un rapport totalitaire au territoire. Au XX^e siècle, les nazis ont envisagé de réaliser dans ce qu’ils appelaient leur espace vital – vidé par la déportation et la mort de ses habitants –, un plan en partie conçu par W. Christaller, un géographe-expert. P. George, avant de revenir à l’hexagone, avait, en 1947, dans son livre sur l’URSS, célébré les projets staliniens, et évoquer les conquêtes des terres vierges et annoncé la réalisation d’une mer sibérienne…

33À l’inverse de ce régime « progressif », on peut imaginer des futurs régressifs moins radieux voire inquiétants. La conscience de la transformation brutale et utilitariste des milieux a conduit E. Reclus, et moins connu, Alexandre Woiekof, à formuler des avertissements motivés sur les dangers de la Raubwirtschaft (économie prédatrice) contre-point de la Belle Époque. Elle envisage un futur caractérisé par la pollution urbaine et charbonnière, l’érosion des sols, l’hécatombe des espèces animales. Jean Brunhes avait mentionné précocement, en temps réel, ces risques dans sa Géographie humaine (1910).

34Contemporain et lecteur intéressé d’A. Woiekof, P. Vidal de la Blache est sensible « aux temps nouveaux » et il envisage en 1895 la France de Demain...

35À la fin de son carnet de voyage et de réflexion n° 13 (en novembre 1895) P. Vidal de la Blache envisage la France de demain. Il est, par des voyages et des lectures, dans l’élaboration de son Tableau de la géographie de la France qui sera publié en 1903. Les consignes d’E. Lavisse, le commanditaire, ont été de mettre l’accent sur les héritages plutôt que sur les innovations. Par ces quelques notations manuscrites on peut remarquer que ce parti historique et rétrospectif ne limite pas Vidal dans ses réflexions. Il a visité les pays voisins l’Empire allemand et le Royaume Uni, il sait que la France, comme ses voisins est engagée dans des mutations territoriales, certes lentes mais bien réelles.