- 1 Ce site a fait l’objet d’une exploitation pendant la période coloniale, à partir de 1939, selon un (...)
1Le renouveau de l’exploitation artisanale de l’or au Tchad s’inscrit dans le boom africain des années 2000 (Magrin, 2013 ; Chevrillon-Guibert et Magrin, 2018 ; Chevrillon-Guibert et al., 2019 ; Moutedé-Madji, 2020). Au sud-ouest du pays, dans le Mayo Kebbi-Ouest, une petite exploitation de l’or est connue à Gamboké1, mais l’intensification contemporaine date de 2012 (Goual, 2012). La découverte de l’or au Tibesti en 2012 (Tubiana et Gramizzi, 2017), au Guéra en 2014 puis au Fitri dans le Batha et au Sila en 2015, sont à l’origine des vastes mouvements d’orpailleurs. Ces ruées vers l’or ont lieu dans des contextes souvent conflictuels entre les autorités locales, les exploitants (migrants ou autochtones) et l’État qui cherchent, chacun, à contrôler l’exploitation de cette ressource précieuse (Chevrillon-Guibert et al., 2019). Chaque groupe cherche à se positionner pour capter la rente liée à l’exploitation de ce métal précieux. Au sud-est du lac Fitri, les orpailleurs s’installent dans la forêt et les villages environnants les sites, malgré l’interdiction des autorités (Magrin, 2017).
2Les problèmes se posent avant tout en termes d’inégalité d’accès aux revenus tirés de l’exploitation et de la commercialisation de l’or. Ils renvoient également à un ensemble de bouleversements qui affectent les territoires concernés : par exemple, l’exploitation de l’or au sud-est du Sénégal a été source de mutations sociales, démographiques, politiques, économiques et environnementales importantes (Doucouré, 2014). À Chami, en Mauritanie, elle est à l’origine d’une urbanisation inédite et d’une dynamique socio-économique favorable à une grande diversité d’acteurs, non sans impacts environnementaux liés à l’usage massif du mercure à proximité d’une aire protégée (Gagnol et al., 2019). Au Ghana et au Burkina Faso, l’orpaillage procure des revenus et des devises, mais il est plus bénéfique aux orpailleurs migrants qu’aux autochtones (Sawadogo, 2021).
- 2 Avec 42 habitants au km2 en 2009, la province est la deuxième plus peuplée du pays.
3Nous nous intéressons ici de manière plus spécifique aux impacts socio-économiques des mines dans le contexte du Mayo Dallah (illustration 1). Cette nouvelle activité artisanale, pratiquée sur plusieurs sites par des autochtones et des migrants, des acteurs formels et informels, a pour cadre une province agricole densément peuplée2 et une économie typique des savanes du sud du Tchad, associant agriculture, élevage, pêche et parfois commerce frontalier (Magrin, 2001).
Illustration 1 - Le Mayo Kebbi-Ouest au Tchad
Source : CNRD / Tchad. Auteur : M. Vincent, 2025.
- 3 Elles viennent du Mayo Kebbi, des provinces voisines, des autres provinces du Tchad et du Cameroun, (...)
4Avec l’extraction de l’or, on constate l’arrivée de nombreuses personnes3 en quête d’emploi et d’or, l’apparition de nouvelles activités (orpaillage, commerces et services) et l’essor de systèmes d’activités mixtes : le plus souvent, l’orpaillage s’associe aux anciennes activités, ce qui s’accompagne d’une amélioration des moyens de production et de retombées économiques au niveau des ménages. L’objectif de l’étude est d’analyser la recomposition des systèmes d’activités socio-économiques liés à l’orpaillage et ses effets sur le développement à l’échelle locale. Nous faisons l’hypothèse que l’orpaillage constitue une source de création de richesses et de revenus pour les exploitants, les autorités locales et nationales, et ainsi un facteur de recomposition du système d’activités qui produit des effets socio-économiques positifs, malgré les bouleversements associés à l’arrivée de migrants, l’implantation de villages spontanés et l’extension des excavations au détriment des terres cultivables.
- 4 Ces données ont été complétées par des recherches documentaires menées au sein de l’UMR Prodig (Uni (...)
5Notre analyse s’appuie sur la cartographie des sites, la description des techniques utilisées et l’analyse des revenus que procure l’orpaillage aux acteurs locaux et régionaux. Les données ont été collectées en 2020 sur quatre sites aurifères par un étudiant de Master de l’université de N’Djaména (Tchouki, 2020) et complétées par nous en 2023. Un questionnaire a été administré à 120 autochtones et migrants, jeunes hommes et femmes, ayant en commun d’être impliqués dans le travail de l’or, à l’aide d’un choix raisonné, en fonction de la proximité du village avec le site aurifère. Le questionnaire a permis de collecter des données sur la provenance des enquêtés, leurs activités, leurs revenus, les techniques d’exploitation de l’or, sa vente et ses effets socio-économiques. Par ailleurs, 30 entretiens individuels ont été menés avec des représentants du ministère des Mines à N’Djaména et à Pala, des chefs traditionnels, des détenteurs de permis d’exploitation de l’or et des orpailleurs sans autorisation. Ils ont permis de collecter des données sur les techniques utilisées, la réglementation et les pratiques, ainsi que sur divers impacts de l’exploitation de l’or. En outre, quatre focus group, des observations directes et des relevés de coordonnées GPS ont été réalisés4.
- 5 Au Mali, par exemple, le premier code minier a été adopté en 1981 à partir de lois sur les substanc (...)
6Avant l’ère pétrolière inaugurée en 2003, l’économie du Tchad reposait essentiellement sur l’agriculture et l’élevage. Au Tchad, les zones d’activités minières concernent trois principales provinces qui ont fait l’objet de ruées importantes : le Tibesti (Kouri Bougoudi, 2012), le Mayo Kebbi-ouest (Gamboké, 2012), le Batha (Fitri, 2015) ; il existe aussi une activité minière secondaire dans d’autres provinces comme le Sila et le Wadi Fira. Les mines représentent moins de 1% du secteur extractif au Tchad, largement dominé par le pétrole. L’exploitation minière se fait avec ou sans l’Etat, et jusqu’à très récemment, l’or était totalement absent des statistiques économiques officielles. Une telle situation amène à postuler l’existence d’une exportation illicite et frauduleuse voire d’un accaparement de l’or – des exportateurs frauduleux ont d’ailleurs été arrêtés à Douala, en Egypte et à N’Djamena avec des quantités importantes d’or entre 2020 et 2022 (Moutedé-Madji, 2022 ; Mugelé, [2022]). Le code minier tchadien est très récent puisqu’il date seulement de 20185. Comme souvent, il distingue trois types d’exploitation : artisanale traditionnelle, artisanale semi-mécanisée et industrielle, avec des autorisations ou permis d’exploitation pouvant atteindre trois, dix et vingt ans respectivement.
7Le Mayo Kebbi-ouest est un espace peuplé à l’économie agricole relativement dynamique. La province du Mayo Kebbi-ouest se distingue au sein des savanes soudaniennes du Tchad comme un espace assez densément peuplé, à l’agriculture productive, associant pendant longtemps sans conflit majeur l’agriculture et l’élevage – la fumure animale servant de support à des systèmes agricoles intensifs –, et la pêche. C’est un des foyers historiques les plus dynamiques de la culture cotonnière, dont l’essor a favorisé celle du maïs, orienté vers les marchés locaux ou régionaux (Magrin et al., 2003). L’orpaillage y est une activité ancienne mais marginale.
8Le Mayo Dallah est un espace riche en ressources naturelles ce qui constitue un facteur d’attraction des populations. Au centre de cette province, le département du Mayo Dallah appartient à la zone soudanienne avec des pluies annuelles qui varient de 600 à 1350 mm pour une moyenne de 975 mm. Historiquement moins peuplé que la moyenne provinciale du fait de sa situation de marge entre les sultanats Peul de Binder, les royaumes et chefferies Moundang et Toupouri, et les denses communautés Ngambaye de l’Est, il a constitué au cours des dernières décennies une aire de polarisation du peuplement. Habité à l’origine par les Zimé de Pala, les Pévé de Dari, Lamé et Doué, le Mayo Dallah a été peuplé par des populations venant de régions voisines en quête de terres cultivables et d’eaux poissonneuses : Ngambaye et Laka venant de l’Est et du Sud, Moundang de l’Ouest et Toupouri du Nord, ainsi que des populations diverses venant de la Tandjilé (Tchouki, 2020), attirées par ses ressources agricoles et halieutiques. La ville de Pala, par sa position sur l’axe Moundou-Kélo-Leré et à proximité du Cameroun, abrite une population cosmopolite, composée des groupes ethniques ci-dessus cités mais aussi de Foulbé, Kado et d’autres venus du Tchad, du Cameroun, du Nigéria. La population du département a été évaluée en 1993 à 132 000 habitants et 335 000 en 2009 (RGPH, 2009).
9Cependant, comme ailleurs au Tchad méridional, depuis le début des années 2000, la forte croissance de la population sur fond de crise de la filière cotonnière et de faiblesse des politiques publiques de soutien à l’agriculture, entretiennent sous-emploi et pauvreté en milieu rural comme dans les villes secondaires, à l’image de Pala (Magrin et Raimond, 2012). La population est dominée par de nombreux jeunes sans emploi, malgré l’existence d’une exploitation industrielle de ciment à Baoré, près de Pala, depuis 2012. Dans ce contexte, l’exploitation de l’or a constitué pour une précieuse opportunité.
10La gouvernance territoriale se caractérise par une mosaïque des pouvoirs coutumiers et une lenteur de la décentralisation. La constitution tchadienne de 31 mars 1996 prévoit l’organisation du Tchad en collectivités territoriales décentralisées : régions, départements, communes et communautés rurales. Dans les faits, les communes et les communautés rurales ont tardé à se mettre en place du fait de la lenteur de mise en place du processus de décentralisation. En août 2018, des provinces remplacent les régions. L’organisation la même année d’élections législatives, couplées à des élections communales et régionales, a permis une avancée. Avant cette date, en l’absence de collectivités décentralisées, les chefferies traditionnelles (aux niveaux des villages et cantons) exerçaient le pouvoir local à côté des autorités régionales (gouverneur) et départementales (préfet) nommées.
11Les espaces aurifères du Mayo Dallah sont soumis à différents types de gouvernance locale suivant les populations concernées. Ainsi, chez les Zimés et Pévés, la terre appartient à la communauté représentée par le chef de terre, le Pouyan. Le chef de village n’a que des fonctions politiques et administratives limitées et ne peut agir qu’avec l’accord du Pouyan pour toute question relative à la gestion de la terre. En revanche, chez les Moundang, les Gong contrôlent toutes les activités de la vie courante. Ils agissent par l’intermédiaire de leurs représentants installés dans tous les villages.
12Le code minier de 2018, prévoit le versement de 5 % des taxes minières au profit de la communauté rurale. En l’absence de ces collectivités locales jusqu’en 2024, les chefs traditionnels reconnaissent avoir reçu des montants forfaitaires symboliques offerts par les entreprises exploitantes.
- 6 Rappelons que l’encadrement du secteur minier est très récent au Tchad, même si l’exploitation remo (...)
- 7 La Société Nationale d’Exploitation Minière et de Contrôle a la responsabilité d’organiser l’exploi (...)
13En raison du caractère artisanal de l’exploitation, de l’attribution tardive de permis6 et du contexte politique et socio-économique du Tchad marqué une certaine instabilité, le secteur de l’or est encore peu structuré, ce qui rend difficile le suivi de la quantité et de la qualité de la production. L’adoption d’un code minier en 2018 puis la création en 2022 de la Société nationale d’exploitation minière et de contrôle (SONEMIC)7 en lieu et place de l’éphémère Société nationale des mines et géologie (SONAMIG, 2018-2022) devraient permettre d’y remédier. Il sera question dans cette partie de localiser et de décrire les sites à travers les modes et techniques d’extraction.
14L’essentiel des sites aurifères du Mayo Dallah se trouve dans le canton Erdé, qui abrite Pala, chef-lieu de la province (llustration 2).
Illustration 2 - Localisation des sites aurifères dans le Mayo Dallah au Mayo Kebbi-ouest
Source : CNRD / Tchad. Auteur : M. Vincent, 2025.
15L’illustration 2 localise les sites d’exploitation de l’or dans le Mayo Dallah. Ces sites sont situés dans le canton Erdé à moins de 30 km au nord de la ville de Pala, sauf celui de Yapala qui est localisé au sud-ouest à 89 km de Pala, dans le canton Dari. Ils ont fait l’objet d’une exploitation artisanale plus ou moins continue, sauf celui de Gamboké, dont l’accès aux orpailleurs a été interdit par les autorités pour permettre une exploitation semi-industrielle. Ces sites ont connu, au début de l’extraction, un moment de forte attraction à l’origine de la création de villages spontanés. Lorsque la ressource s’épuise ou qu’un nouveau gisement est découvert, les orpailleurs s’orientent vers ce dernier sans se préoccuper de la restauration de l’espace et un nouveau cycle commence. Cependant, l’ancien site n’est pas pour autant abandonné. Les orpailleurs y reviennent si les nouveaux ne tiennent pas leurs promesses.
- 8 Il a été créé par les commerçants allogènes, venus de N’Djamena et d’ailleurs.
- 9 Le propriétaire est un ancien homme politique, originaire de Pala.
16Le tableau 1 rassemble des informations sur les différents sites d’exploitation de l’or du Mayo Dallah. Le site de Gamboké, situé à 17 km de Pala, est le plus ancien – son exploitation est attestée en 1921, mais le contexte colonial, le faible prix de l’or et les contraintes d’ordre technique y ont pendant longtemps retardé une exploitation importante. En 1998, Magrin (2001) y notait une activité d’orpaillage modeste et très artisanale. Ainsi, exploité depuis longtemps mais de manière discontinue, il a été l’objet d’une véritable ruée en 2012. Le ministère des Mines y a octroyé des permis à des exploitants et organisations semi-industriels nationaux comme le Groupement des exploitants d’or de Pala (GEOP8), la Société tchadienne d’exploitation de l’or (STEOR) et la Société d’exploitation minière de Pala (SEMPA9). Ces entreprises semi-industrielles détentrices de permis sont une douzaine en 2023.
Tableau 1 - Description des sites d’or du Mayo Dallah
Nom de sites
|
Coordonnées
|
Date d’ouverture
|
Superficie (en ha)
|
Distance de Pala (en km)
|
Gamboké
|
9o 26’ 51’’N
14o 49’ 14’’E
|
1921
Ruée en 2012
|
415,32
|
17
|
Yapala
|
8° 56’ 8’’N
14° 40’ 56’’E
|
2012
|
34,33
|
89
|
Rong
|
9° 30’ 52’’N
14° 58’ 8’’E
|
2006
|
30,23
|
22
|
Leang
|
9°32’30,16’’N 15°00’47,83’’E
|
2014
|
-
|
28 (et 6 de Rong)
|
Guindi
|
9o 27’21,35’’N 14o56’11,93’’E
|
2015
|
-
|
12
|
Zadjouli,
|
9°25'55,5''N
14°54'01''E
|
-
|
15,39
|
6
|
Source : Tchouki, 2020.
17Le site de Yapala, dans le canton Dari, a la particularité d’être localisé au sein du parc national de Sena Oura, une aire protégée qui abrite les espèces rares comme l’Elan de Derby, l’Hippotrague ou encore l’Ourébi. Cette réserve a été en grande partie détruite par les orpailleurs (Moutedé-Madji, 2020) à cause du gisement d’or qui s’y trouve. Ainsi le site a été fermé en 2020 en raison de son impact sur l’aire protégée. Il en est de même pour celui de Guindi, fermé en 2020 par les autorités car jugé illégal. En dépit de leur fermeture, d’anciens orpailleurs poursuivent leurs activités. À la différence des autres chantiers, celui de Leang est implanté au sein même du village.
18Une tentative d’exploitation industrielle du gisement de Gamboké par une entreprise de Corée du Sud, AFKO, en 2001, a échoué, sans que l’on connaisse à ce jour les véritables raisons de son départ. La thèse de panne du matériel souvent avancée n’est pas vraiment convaincante. L’hypothèse de la faible rentabilité semble bien plutôt expliquer ce départ précoce d’AFKO. Quoi qu’il en soit, de ce fait, l’exploitation minière des dernières années dans le sud-ouest tchadien a été exclusivement artisanale et semi mécanisée.
- 10 Bali-bali, mot d’origine ouest africaine, est un terme emprunter pour désigner un jeu de hasard, à (...)
19Dans le Mayo Dallah, l’or existe dans les alluvions superficielles ainsi que dans les filons de quartz en profondeur. Ainsi, l’exploitation artisanale se fait selon les caractéristiques de la ressource : elle est alluvionnaire ou filonienne. L’exploitation alluvionnaire utilise plusieurs techniques pour extraire du métal jaune, auxquelles les orpailleurs donnent différents noms. L’exploitation « sous-marin » consiste à exploiter l’alluvion aurifère par lavage dans le lit mineur du cours d’eau ; le « contre-mur » consiste à creuser sous les berges afin d’enlever la terre aurifère pour la laver dans la rivière ; le bali-bali10 désigne le balayage de la surface pour en extraire des poussières d’or. Sur la terrasse, en dehors du lit de la rivière, les orpailleurs creusent des excavations de 4 à 10 m jusqu’au gravier aurifère afin de l’extraire pour les laver dans la rivière. Cette technique est très utilisée et la plus rentable. Ces techniques liées à l’or alluvionnaire sont les plus utilisées sur les sites de Gamboké et Zadjouli.
20En revanche, à Rong et à Guindi, on exploite de l’or filonien. La pratique consiste à réaliser des excavations et des galeries profondes de 20 à 40 m selon la position du filon de quartz contenant l’or. Les minerais sont concassés à l’aide d’outils comme le pic, la pioche, le burin ou à l’aide d’un compresseur et de marteaux piqueurs. Après extraction, le minerai est lavé, séché et broyé avant le lavage à l’eau, puis le recours au mercure ou au cyanure pour amalgamer l’or. Cette forme d’exploitation filonienne nécessite plus d’efforts et est réalisé par les hommes, mais elle est la plus rentable selon 80 % des orpailleurs interrogés.
Illustration 3 - Recherche de l’or à l’aide d’un détecteur des métaux à Rong
Extrait de Tchouki, 2020.
21L’illustration 3 montre des orpailleurs qui cherchent l’or avec un détecteur de métaux (dans un trou) et des jeunes, hommes et femmes, membres du groupe, qui suivent avec intérêt cette recherche. Le creusement des trous est l’œuvre des jeunes hommes locaux ou migrants. Une fois l’or détecté, il sera lavé dans les rivières par les femmes comme le montre la l’illustration 4, avant d’être amalgamé. Le cas échéant, on pourra creuser à partir de là un puits profond pour suivre la veine de quartz aurifère.
Illustration 4 - Des jeunes femmes lavent l’or dans le mayo à Gamboké
Mayo : nom peul désignant les cours d’eau dans cette région et au Nord Cameroun voisin.
Extrait de Tchouki, 2020.
22Sur les sites, la majorité des travailleurs sont les creuseurs, les concasseurs, les broyeurs et les laveurs – les femmes contribuant surtout à l’exploitation alluvionnaire ou aux phases de transformation, notamment le lavage. À côté de ceux qui font le travail physique, on trouve aussi les acheteurs, les commerçants.
- 11 Un détecteur de métaux coûte entre 500 000 et 1 000 000 FCFA (750 à 1500 €) ; les orpailleurs n’ont (...)
- 12 Les femmes sont les principales actrices au niveau de lavage dans la chaine des activités d’orpaill (...)
23L’or est exploité de manière semi-mécanisée par une douzaine d’entreprises détentrices de permis spécifiques (semi-industriels) ainsi que de manière artisanale par 54 détenteurs de permis et plus de 1 575 petits artisans miniers locaux, recensés en 2015, qui opèrent dans l’informel (Moutedé-Madji, 2020). Les démarches d’obtention d’un titre débutent pour l’entreprise ou l’individu par la négociation au préalable du terrain avec l’autorité coutumière. Ensuite, le ministère des Mines met à disposition deux ingénieurs géologues pour faire des levées des coordonnées du site sur la base desquelles le croquis est réalisé pour le montage du dossier avant sa validation et la délivrance du permis d’exploitation. Mais dans les faits, ce n’est pas systématique. Le détenteur de permis a le monopole d’achat de l’or produit sur le site qui lui est attribué. Les orpailleurs autochtones ou migrants travaillant dans son secteur ne sont pas ses employés, mais ils collaborent avec lui dans la recherche de l’or. Le détenteur de permis met à leur disposition des matériels (détecteurs de métaux11, moulin à broyage, bacs à lavage) pour l’extraction. Une fois l’or produit, il est divisé en trois parts : une part pour le détenteur de permis, une autre pour les jeunes qui creusent et concassent le minerai de quartz et une dernière part pour les femmes12 et les hommes qui s’occupent du lavage. Cette forme de partage de la ressource ressemble à celle observée en Afrique de l’Ouest dans des systèmes coutumiers à forte ancienneté (Petit-Roulet, 2023).
24Les acteurs du secteur de l’or peuvent être regroupés en trois catégorie : les détenteurs de permis ou propriétaires de sites (venus de N’Djaména, résidant à Pala ou dans les villages environnants), les orpailleurs migrants (du Mayo Kebbi, des autres localités du Tchad et des pays voisins), qui se logent dans des tentes ou autres habitations en matériaux sommaires installés sur les sites ; enfin des femmes et des jeunes des villages riverains, qui pratiquent l’orpaillage comme une activité secondaire et qui viennent sur les sites au retour des champs.
25La collecte et la vente de l’or du Mayo Dallah profitent à différents acteurs. Le commerce est assuré par des acteurs formels et informels, des « entrepreneurs de la frontières » (Arnaldi di Balme et Lanzano, 2013). Les acteurs formels sont constitués des propriétaires des permis, impliqués dans l’exploitation, et des acheteurs officiels venus de N’Djaména. Ces derniers s’installent sur les sites ou dans les villages et collectent l’or auprès des orpailleurs. Les producteurs déclarent une partie de leur production et paient les taxes afférentes aux agents du ministère des Mines de Pala, puis vendent leur métal précieux à N’Djaména. De là, l’or du Tchad est principalement exporté vers Dubaï et Le Caire, sans traçabilité précise.
26Des commerçants aux activités non déclarées (tchadiens, camerounais, nigérians) sont également présents sur les sites, dans les villages riverains et à Pala, et achètent de manière informelle de l’or auprès des orpailleurs. 65 % de nos enquêtés confirment l’existence de trafics clandestins et la fuite de l’or. Ces acteurs achètent l’or plus cher que le prix officiel auprès des orpailleurs et ils le revendent au Cameroun et au Nigéria avec des bénéfices importants. Un troisième groupe de marchands est celui de bijoutiers, installés à Pala et à N’Djaména. Ils achètent de l’or pour la transformation sur place en produits finis et sont très sollicités par beaucoup de femmes de N’Djamena et d’autres villes qui en font un moyen sûr d’épargne et, pour ainsi dire, leur banque.
- 13 La brigade minière est composée de gardes nomades et de gendarmes et a pour rôle d’assurer le contr (...)
27Ces deux derniers groupes achètent l’or à un prix qui varie selon les sites. En novembre 2020, un gramme d’or est acheté à 20 000 FCFA à Gamboké et à 25 000 à Guindi (tableau°2). Un tel différentiel crée une concurrence entre les sites pour attirer les orpailleurs qui n’ont pas de contrat avec les propriétaires des permis. Il alimente le circuit de la vente clandestine et illicite (Reichel, 2018). Cette situation est analysée en Mauritanie, où entre 2016-2022, environ 30 tonnes d’or sont sorties clandestinement du territoire. Les principaux importateurs d’or Mauritanien sont la Suisse, le Canada et les Émirats (Swissaid, 2024). En vue de limiter la fuite ou la fraude d’or, une brigade minière13 a été installée à Pala le 15 mars 2021 pour le contrôle quotidien sur les sites. Cependant, cette structure de contrôle et de répression est sans grand moyen d’action (en termes de véhicules et surtout de carburant). Ainsi, il ressort des entretiens que l’or produit échappe en partie au contrôle du ministère des Mines. D’anciens orpailleurs de Gamboké sont expérimentés dans le trafic et continuent à le pratiquer, en relation avec d’autres acteurs illégaux de N’Djaména, du Cameroun et du Nigéria. Ils sont donc à l’origine de la déperdition de l’or de la filière et du manque à gagner pour les collectivités locales et l’économie nationale. Sur les sites, des exploitants rencontrés déplorent la fuite d’or au détriment de l’économie nationale.
Tableau°2 - Prix d’achat de l’or en gramme selon les sites aurifères en novembre 2020
Sites aurifères
|
Quantité en gramme
|
Prix en FCFA
|
Prix en €
|
Prix du ministère en FCFA
|
Gamboké
|
1
|
20 000
|
30,49
|
20 000
|
Guindi
|
1
|
25 000
|
38,11
|
20 000
|
Rong
|
1
|
21 000
|
32
|
20 000
|
Zadjouli
|
1
|
25 000
|
38,11
|
20 000
|
Source : Enquête terrain, 2020
28Le tableau°2 présente les prix de vente d’or par site. Il en ressort que les prix pratiqués sur trois sites sont plus élevés que celui fixé par le ministère des Mines, en particulier à Guindi et Zadjouli, ce qui reflète les stratégies de commerçants opérant dans l’informel de capter une part de la production.
29Le prix de l’or a évolué dans le temps sous l’effet de l’augmentation des cours mondiaux, renforcé parfois par des facteurs locaux comme l’arrivée de nouveaux acheteurs. Ainsi, au sein de cet espace aurifère du sud-ouest du Tchad, avant 2000, le prix sur les marchés locaux et sur les sites aurifères oscillait entre 2 000 et 4 000 FCFA le gramme. À la suite de l’arrivée de la société AFKO en 2001, dans le contexte du boom minier des années 2000, le prix de l’or est passé au-dessus de la barre de 5 000 pour se stabiliser entre 6 000 et 7 000 FCFA entre 2006 et 2009. Dix ans plus tard, en 2019, le prix de l’or a franchi 20 000 FCFA le gramme et varie en 2025 entre 20 000 et 25 000 FCFA le gramme.
30Au sein du débat général sur l’impact économique des ressources minières sur le développement, souvent traduit en termes de « malédiction des ressources naturelles » (Auty, 1993), nous nous intéressons ici aux effets de l’exploitation artisanale de l’or sur les recompositions des systèmes d’activités puis sur l’économie locale, dans un contexte de région rurale active, densément peuplée et en paix mais soumise aux tensions nées de la croissance démographique en contexte de pauvreté et de vulnérabilité.
31La crise du coton dans les années 2000 et la découverte de l’or ont amené 30 % des jeunes autochtones enquêtés à abandonner l’agriculture au profit de l’orpaillage, activité génératrice de revenu monétaire. D’autres, plus nombreux, associent l’agriculture et l’orpaillage (40 %). Le reste, constitué surtout de personnes âgées, ne s’intéresse pas à l’orpaillage, qui nécessite de la force physique. « L’or, une fois produit, rapporte vite l’argent et permet d’avoir ce dont nous avons besoin », nous disait un orpailleur. Les revenus obtenus par ces jeunes sont utilisés pour satisfaire des besoins de consommation en biens et services, mais aussi pour des investissements.
32Le tableau°3 présente les systèmes d’activités sur les sites aurifères du Mayo Dallah, les revenus issus de ces activités et les investissements réalisés pour 30 orpailleurs interrogés par site. Il en ressort que les populations interrogées, qui sont de tradition des agriculteurs, des éleveurs ou des pêcheurs ou encore des agro-éleveurs ou des agro-pêcheurs, ont associé à leurs anciennes professions une nouvelle activité, l’orpaillage.
Tableau°3 - Les systèmes d’activités selon les revenus, sexes et investissements
Systèmes d’activités pratiqués
|
Sexe
|
Revenu moyen annuel par catégorie socio-professionnelle
|
Total
|
Investissements
|
Agriculture
|
Elevage
|
Orpaillage
|
Commerce
|
|
Charrue, houe charrette, bœuf, engrais, scolarité.
|
Agriculturet orpaillage
|
H
|
600 000
|
-
|
150 000
|
-
|
750 000
|
Ustensiles, habits, condiments, moulin.
|
F
|
50 000
|
-
|
100 000
|
-
|
150 000
|
Outils agricoles, bœufs, moutons, dot
|
Agriculture, élevage et orpaillage
|
H
|
600 000
|
50 000
|
150 000
|
-
|
800 000
|
Ustensiles, habits, condiments, moulin.
|
F
|
50 000
|
10 000
|
100 000
|
-
|
160 000
|
Ustensiles, habits, sel de cuisine, moulin
|
Orpaillage et commerce
|
H
|
-
|
-
|
500 000
|
1 000 000
|
1 500 000
|
Boutique, marchandises, moto, aliments, moulin
|
F
|
-
|
-
|
100 000
|
150 000
|
250 000
|
Ustensiles, habits, sel
|
Orpaillage et élevage
|
H
|
-
|
150 000
|
800 000
|
-
|
950 000
|
Bœufs, mouton, chèvres, dot, santé, construction
|
F
|
-
|
10 000
|
150 000
|
-
|
250 000
|
Ustensiles, habits, sels
|
Orpaillage
|
H
|
-
|
-
|
800 000
|
-
|
800 000
|
Nourriture, moto, bœufs, moulin, construction, boutique
|
F
|
-
|
-
|
200 000
|
-
|
200 000
|
Ustensiles, habits, sel, savon.
|
Source : enquête terrain, 2020.
33Sur chaque site, vingt hommes et dix femmes ont été échantillonnés. Au total, 120 personnes ont été interrogées sur quatre sites. La majorité est constituée d’agriculteur-orpailleur et orpailleur.
34Nos enquêtes montrent plusieurs combinaisons d’activités entre les activités rurales pré-existantes et l’orpaillage. Si l’estimation des revenus des différentes activités rurales est particulièrement ardue, celle de l’orpaillage l’est plus encore, marquée par une très forte irrégularité en fonction des hasards de la géologie, du savoir-faire du travailleur et du facteur chance. Nous nous sommes basés ici sur la déclaration des revenus annuels moyens faites par les personnes interrogées. Leur analyse révèle que les villageois qui associent l’orpaillage et le commerce ont le revenu moyen annuel le plus élevé, atteignant 1 500 000 FCFA contre 750 000 FCFA pour ceux qui associent l’agriculture et l’élevage et 600 000 FCFA pour les agriculteurs simples, qui ne s’investissent pas dans l’or. L’orpaillage fournit donc en moyenne pour ceux qui ne pratiquent que cette activité, un revenu annuel de 800 000 FCFA (chez les hommes), contre 600 000 FCFA pour l’agriculture et 150 000 FCFA pour l’élevage, bien que le revenu des éleveurs soit complexe à appréhender. Enfin, l’orpaillage est une source de revenu pour les femmes, mais celles-ci gagnent moins d’argent que les hommes, à cause de la nature des tâches assumées (balayage, tamisage, lavage, filtrage), jugées secondaires et donc moins bien rémunérées. L’orpaillage est donc une source de revenu additionnel importante, parfois plus rémunératrice que l’agriculture et l’élevage pour les autochtones. Il permet en outre à 45 % des orpailleurs (ou orpailleurs-agriculteurs, orpailleurs-commerçants, orpailleurs-éleveurs) d’investir ces ressources financières dans l’acquisition de petits matériels agricoles et de motos. Ainsi un homme a utilisé le revenu de l’or pour se former et créer un centre de santé ; un autre a ouvert une boutique à Gamboké.
35Quant aux femmes, 60 % injectent les revenus de l’or dans le petit élevage, la nourriture, l’achat d’ustensiles et d’habits. Des revenus obtenus par les jeunes locaux, quoique limités, sont utilisés pour satisfaire les besoins familiaux. Certains orpailleurs ont gagné plus d’argent « …tel a gagné 17 millions de FCFA, voire plus, tel autre 3 millions de FCFA, tel autre encore 500 000 FCFA… il n’y a que ma mort qui me sortirait d’ici » (Goual, 2012). Un tiers des personnes interrogées ont utilisé cet argent pour investir dans le commerce. Cependant, ces retombées financières restent aléatoires et limitées dans le temps en fonction de la production de l’or et de la saison. Des villageois qui ont abandonné l’agriculture sont obligés d’y retourner s’ils n’ont pas gagné suffisamment d’or.
36Le code minier de 2018 prévoit que 5 % des revenus des droits fixés et des taxes prélevées localement soit affecté aux collectivités locales riveraines des sites extractifs. Le tableau°4 montre la collecte mensuelle d’or déclaré auprès du service provincial des Mines de Pala lors de l’année 2019 par des entreprises semi-industrielles.
Tableau°4 - Collecte mensuelle d’or déclaré au service des Mines de Pala en 2019
Mois
|
J
|
F
|
M
|
A
|
Quantité (en g)
|
1 449,33
|
317
|
816
|
4 060
|
Valeur (FCFA)
|
28 986 000
|
6 340 000
|
16 320 000
|
81 200 000
|
Mois
|
M
|
J
|
J
|
A
|
Quantité (en g)
|
856
|
283
|
856
|
3317,75
|
Valeur (FCFA)
|
17 120 000
|
5 660 000
|
17 120 000
|
66 355 000
|
Mois
|
S
|
O
|
N
|
D
|
Quantité (en g)
|
1029,25
|
220
|
164,7
|
1100
|
Valeur (FCFA)
|
20 585 000
|
4 400 000
|
3 295 000
|
22 000 000
|
TOTAL
|
Quantité (en g)
|
14 469,03
|
Valeur (FCFA)
|
289 381 600
|
37Source : Service provincial de Mines, 2019.
38La collecte mensuelle se fait sur la base de l’or produit par la douzaine de sociétés ayant des permis d’exploitation. Cette situation donne une idée sur ce que l’or rapporte au ministère des Mines. En 2019, le trésor public de Pala a encaissé près de 300 millions F CFA (450 000 €), correspondant à 14,469 kg d’or déclarés. Il faut noter qu’il n’existait pas de structure étatique de contrôle installée sur les sites, ce qui suggère des quantités produites sous-évaluées et en partie non déclarées. Les sociétés versent 10 % de taxe (tableau°5) comme participation en faveur du développement local. C’est notamment pour prélever ces sommes et vérifier la correspondance entre les déclarations et la réalité de la production que la SONEMIC a été créée en 2023.
Tableau°5 - Revenus mensuels et annuels des sociétés exploitantes en 2019 (en FCFA)
Sites d’exploitation
|
Sociétés exploitantes
|
Revenu Moyen mensuel (en million)
|
Revenu Moyen annuel (en million)
|
Participation au développement local (10%)* (en million)
|
Gamboké Vri
|
Mahamat Abakar
|
4
|
48
|
4,8
|
STE-OR
|
3
|
3,6
|
3,6
|
OR-Tchad
|
8
|
96
|
9,6
|
Rong
|
Fidélité
|
6
|
72
|
7,2
|
Ali Issa Gori
|
2
|
24
|
2,4
|
Zadjjouli
|
Sala Saleh
|
5
|
60
|
6
|
Hassane Senaissi
|
6
|
72
|
7,2
|
Gamboké Goumaye
|
Adoum Tchaimi
|
3
|
36
|
3,6
|
SEMPA
|
2
|
24
|
2,4
|
Groupement Dourgoulouma
|
4
|
48
|
4,8
|
Guindi
|
Saleh Soulemane
|
8
|
96
|
9,6
|
Toula Luc
|
2
|
24
|
2,4
|
Total
|
|
4,636 364
|
636
|
63,6
|
* Bien que le code minier prévoie 5 % pour les collectivités décentralisées, les entreprises versent 10 % au service des Mines.
Source : Service provincial de Mines, 2020.
39Il ressort du tableau°5 que le revenu moyen annuel total des douze entreprises d’exploitation de l’or du Mayo Dallah mesuré en 2019 est de 636 millions FCFA (près d’un million d’euros) avec une moyenne mensuelle de 4,5 millions (6 800 €). La somme payée en contribution fiscale s’élève pour ces douze entreprises à environ 64 millions FCFA (97 000 €), ce qui est finalement modeste. En outre, ces ressources ne sont pas versées aux collectivités locales : elles sont remises aux chefs traditionnels et aux autorités étatiques déconcentrées (sous-préfet, préfet, gouverneur), sans transparence, et ne profitent ainsi guère au développement communautaire des villages riverains des sites miniers.
40Ces réalités soulèvent la question du rôle de l’orpaillage dans le financement du processus de développement. En l’état actuel, les revenus officiels de l’or restent très faibles, tant à l’échelle locale que provinciale et nationale, du fait notamment de circuits commerciaux parallèles et frauduleux. Les agents déconcentrés du ministère des Mines de Pala que nous avons rencontrés estiment qu’au moins 50% des orpailleurs ne déclarent pas leur production. Or la brigade minière manque de moyens pour assurer sa mission de contrôle, et notamment de moyens de déplacements nécessaires au suivi des sites et à la répression de la vente frauduleuse de l’or.
41En dehors de la participation fiscale versée par les sociétés exploitantes, qui s’élève à 63 millions FCFA en 2020, il est prévu dans le code minier que les sociétés participent également au développement local en construisant des écoles, des centres de santé, des forages. Sur le terrain, seule la société Fidélité a pu réaliser un forage et construit des hangars comme des salles de classe de collège, à Rong. Les autres se contentent de payer les 10 % de taxe au ministère des Mines. Le résultat, c’est que les villages aurifères ne bénéficient pas de meilleures infrastructures éducatives et hydrauliques que le reste de la province, où l’accès aux services est faible (illustration°5).
Illustration 5 - Des cours sous les arbres à Gamboké en l’absence de bâtiment scolaire
Extrait de Tchouki, 2020.
42L’illustration 6 montre des élèves et une enseignante en cours sous les arbres et à l’arrière-plan un habitat traditionnel non amélioré, alors que l’or et le ciment sont exploités depuis des années dans ce village. Cela montre l’absence des retombées collectives des revenus de l’or à l’échelle de la communauté aurifère.
43Depuis un quart de siècle, l’orpaillage apparaît comme une activité socio-économique à part entière pour les paysans du Mayo Dallah et constitue une source de revenu additionnel précieuse en complément des activités rurales traditionnelles que sont l’agriculture et l’élevage. Les revenus de l’or obtenus par les autochtones ou les migrants sont utilisés pour résoudre les problèmes financiers quotidiens des familles, et parfois pour investir dans une diversification des sources de revenus. Cependant, ces retombées socio-économiques et financières restent aléatoires et limitées dans le temps. En outre, les entreprises semi-industrielles ayant des permis d’exploitation n’investissent pas dans la réalisation d’infrastructures communautaires sur les sites aurifères, contrairement aux exigences du code minier d’avril 2018. Les retombées des 10 % de taxes versés au service des Mines au bénéfice théorique du développement local ne sont pas visibles à l’échelle de la communauté minière. Il en est de même des retombées du secteur sur l’économie provinciale et nationale, tant les taxes prélevées sont modestes à cause notamment de l’importance du circuit de vente clandestine. Par conséquent, contrairement à l’hypothèse posée au départ, on observe que l’exploitation de l’or dans le Mayo Dallah a un impact socio-économique très limité sur le processus de développement à toutes les échelles, malgré son importance en tant que source de revenus additionnels pour les ménages impliqués dans l’activité.
44Pour améliorer l’impact de l’or sur les régions productrices et l’économie nationale, l’État a réorganisé le secteur d’exploitation artisanale à travers le décret n° 3039/PT/PM/MMG/2023 du 17 octobre 2023, portant gestion des substances minérales et organisation des exploitations artisanales de l’or et des autres substances précieuses au Tchad, en complément de code minier de 2018. Ce décret mérite d’être diffusé auprès des acteurs et de mobiliser des moyens pour assurer le contrôle de la production. La collecte et la vente au niveau des comptoirs de la SONEMIC pourrait ainsi à l’État de collecter des revenus pour le budget national et de redistribuer à l’échelle provinciale. Comment les 10% collectés en faveur du développement local sont-ils répartis ? Comment l’environnement local est-il modifié par cette activité ? Autant de pistes à suivre par de futures recherches.