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Les collectifs d’agriculteurs comme soutien au renouvellement de l’activité agricole. Éléments issus de l’analyse du réseau d’un collectif paysan

Local group of alternative farmers as a support for the renewal of agricultural activity
Carla Scorsino, Étienne Polge et Marta Debolini
p. 79-94

Résumés

Les collectifs d’agriculteurs sont considérés comme des leviers pour les transitions agricoles. Parmi la diversité de collectifs existants, de nouvelles formes de collectifs tournés vers une agriculture alternative et agroécologique émergent et visent à faciliter et pérenniser l’installation agricole. Cet article propose d’étudier le rôle des liens socioéconomiques en place dans un collectif paysan du Vaucluse. En mobilisant l’analyse de réseaux sociaux, et via l’étude de la diversité des ressources échangées ainsi que des coopérations entre les membres, il s’agit ici de comprendre le rôle joué par le groupe et par les relations sociales dans les activités agricoles. Ce travail met en avant le rôle déterminant du collectif pour l’autonomisation et pour l’intégration locale des agriculteurs.

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Texte intégral

1Dans les années 1980, les premiers travaux mobilisant l’analyse de réseaux sociaux pour l’appliquer à des groupes d’agriculteurs ont montré l’importance des configurations sociales et des réseaux de dialogues dans l’acquisition collective de compétences (Darré et al., 1989 ; Darré 1984). À l’instar de ces réseaux dans lesquels se jouaient les changements de pratiques et la redéfinition des normes agricoles, les collectifs d’agriculteurs ancrés localement pourraient aujourd’hui être un levier pour les processus de transition – compris comme une construction progressive de nouvelles pratiques socio-productives (Piraux et al., 2010). Ils peuvent constituer des lieux d’émergence de niches d’innovation capables de façonner les régimes sociotechniques (Geels, 2002). En effet, il a été montré que les processus de changement de pratiques sont, entre autres, le produit d’interactions sociales (Darré, 1984). Les collectifs, parce qu’ils engendrent un espace de discussion et se traduisent par la mise en réseaux des agriculteurs, participent à ces processus. Ceux-ci restent cependant soumis à l’ancrage socio-spatial des innovations, à l’interconnexion des espaces et aux relations de pouvoirs entre les parties prenantes (Truffer et al., 2015).

2Les conditions de mise en œuvre des changements de pratiques dans les territoires peuvent s’observer à travers l’analyse des dynamiques de coordination par la proximité (Polge et al., 2016 ; Rallet et Torre, 2004). Celle-ci prend en compte les coordinations facilitées par la proximité géographique (physique/perçue, permanente/temporaire, recherchée/subie) et par la proximité organisée liée à des logiques d’appartenance (à un réseau, un collectif, ou une organisation) ou à des logiques de similitude (des attributs individuels). Au-delà des dynamiques de proximité géographique – c’est-à-dire d’une proximité spatiale à la fois topo-géographique et fonctionnelle (Torre, 2009) –, qui peuvent faciliter les rencontres et l’interconnaissance, l’appartenance à une même organisation telle qu’un collectif agricole, constitue une proximité organisée entre ses membres qui renforce leurs interactions et favorise l’établissement de relations socio-économiques.

3Les collectifs d’agriculteurs peuvent également donner lieu à des dynamiques et actions collectives, qui permettent à leurs membres d’accéder à des ressources cognitives et matérielles (Compagnone, 2014). Ces ressources, fruit des interactions et du caractère identifié tout comme partagé de celles-ci, sont à la base de la constitution des collectifs, qu’elles soient instrumentales ou à visée de coordination (Grossetti, 2020).

4Dans ce contexte de renouveau pour les dynamiques de groupe, nous assistons également à l’émergence de nouvelles formes de collectifs d’agriculteurs (Ruault et Soulard, 2015), qui coexistent avec les formes plus classiques (elles-mêmes en évolution), et répondent aux transformations qui traversent le monde agricole et à l’essor d’agricultures dites « alternatives ». Ces modèles d’agricultures alternatives cherchent à se distinguer des modèles dominants, alors qualifiés de « conventionnels », « industriels » ou encore « productivistes » (Deverre, 2011 ; Ansaloni et Fouilleux, 2006 ; Leméry, 2003) et revendiquent des pratiques plus durables voire agroécologiques. Ces pratiques sont souvent celles revendiquées à leur installation par les néo-ruraux. Cette dernière catégorie, bien qu’hétérogène (Lamine, 2012), désigne ici des agriculteurs s’installant dans une démarche de « retour à la terre » en dehors du cadre d’une reprise d’exploitation familiale (Cazella, 2001 ; Bellon et al., 1995), pouvant ou non être issus du milieu agricole (Lamine, 2012). Le terme néorural est ici associé à la fois à un retour à la terre et à un retour à l’agriculture ; il s’apparente donc à celui de « néo-agriculteur » (Dolci et Perrin, 2017).

5L’importance actuelle des néo-agriculteurs au sein de la profession agricole atteste que les transformations agricoles en cours, si elles concernent les pratiques agricoles, se manifestent également par une évolution dans le profil sociologique des porteurs de projets agricoles. En effet, les nouvelles installations en agriculture, même dans le cadre d’une reprise de ferme, sont de plus en plus le fait de personnes s’installant hors cadre familial (Le Bel et Pizette, 2020 ; Martin, 2016 ; Hervieu et Purseigle, 2013) et qui ne sont pas issues du milieu agricole (Chouteau et al., 2020). Pour ces nouveaux installés qui ne bénéficient donc pas d’un appui familial qualifié (main-d’œuvre, réseau professionnel), s’ajoute souvent à la nécessité de développer des compétences techniques agricoles, une méconnaissance du milieu agricole en lui-même.

6Ces nouveaux agriculteurs s’installent généralement avec une conception différente du métier (Le Bel et Pizette, 2020 ; Martin, 2016) : ils souhaitent valoriser des formes d’agricultures alternatives et sont adeptes de pratiques agroécologiques (Dolci et Perrin, 2018, 2017). Ils portent en général des projets atypiques (investissement initial modeste, recherche d’autonomie multidimensionnelle, ferme de petite taille, etc.) par rapport au « modèle de ferme classique » (Chouteau et al., 2020) et engagent parfois dans leur projet une certaine dimension militante. Des enquêtes menées auprès des nouveaux installés montrent que ces installations, hors cadre familial, portées par des personnes non issues du milieu agricole, sont fragilisées par un certain nombre de freins à lever, tels que l’accès au foncier, le coût des investissements à réaliser ou la méconnaissance du milieu agricole (Fadear, 2020 ; InPact, 2016 ; Martin, 2016). Pourtant, la pérennisation de ces installations et l’intégration au sein de la profession agricole de ces nouveaux profils d’agriculteurs constituent un véritable enjeu pour le renouvellement des générations agricoles futures (Chouteau et al., 2020 ; Favrelière, 2009).

7Dans cet article, nous proposons d’étudier un collectif informel de néo-agriculteurs adeptes d’agricultures alternatives, le collectif Paysan du Pays des Sorgues. Notre étude s’intéresse au rôle que joue ce collectif pour ses membres et pour les systèmes productifs qu’ils pilotent.

8Dans la lignée des travaux portant sur les interactions entre agriculteurs au niveau communal (Polge et al., 2018 ; Compagnone, 2014, 2004 ; Compagnone et Hellec, 2015 ; Darré et al., 1989), nous mobilisons ici l’analyse de réseaux sociaux (ARS) et choisissons d’étudier le collectif à travers les réseaux socio-économiques qu’il engendre.

9Via une analyse de la structure des réseaux de communication, de conseil et d’échange de ressources matérielles au sein du collectif, des positionnements des membres et par l’étude de la diversité des ressources circulantes (Polge et al., 2018), nous apprécions les relations socio-économiques établies par les membres du groupe ainsi que la mobilisation individuelle ou collective de ces relations comme support aux activités agricoles. L’analyse permet, entre autres, d’identifier comment les relations avec les autres agriculteurs donnent aux membres un accès à des ressources concrètes. Il s’agit également d’évaluer l’importance que représente ce type de collectif local pour des systèmes productifs ayant une vocation agroécologique et alternative, portée par des néo-ruraux. Enfin, l’analyse des poly-appartenances nous permettra d’étudier l’accès à des ressources extérieures au groupe étudié et de mettre en évidence l’existence permise de lien avec d’autres collectifs par des individus en position intermédiaire bénéficiant de trous structuraux dans le réseau (Burt, 1995).

Le collectif Paysan du Pays des Sorgues et son territoire d’implantation

10La zone d’influence du collectif étudié se situe dans la partie nord du Vaucluse à l’est de la vallée du Rhône et s’étend du Comtat Venaissin au Pays des Sorgues. Le territoire se compose majoritairement d’une vaste plaine alluviale et de plateaux et formations calcaires.

11Des années 1930 à 1960, le secteur agricole de cette zone – et le Vaucluse dans son ensemble – a connu un âge d’or en se positionnant comme une zone primeur d’exportation grâce au développement du maraîchage, à la suite de la création du canal de Carpentras. Depuis, l’activité maraîchère y est restée importante. Bien que fragilisée par la concurrence étrangère dès les années 1980, elle s’est accompagnée du développement de la viticulture et de l’arboriculture, formant ainsi une zone de production agricole diversifiée. Les évolutions actuelles montrent toutefois une expansion du vignoble au détriment des autres activités agricoles, avec pour conséquence une diminution de la diversité agricole et des paysages ruraux. Ce développement du vignoble, notamment dans les zones d’appellation reconnue, couplé à l’attrait touristique et à la pression urbaine sur le territoire, engendrent des problématiques d’accès au foncier pour les agriculteurs non issus du milieu agricole.

12Le collectif Paysan du Pays des Sorgues (PPS) est informel. En effet, il ne dispose pas de statut officiel mais existe à travers la représentation qu’en ont ses membres et par un certain sentiment d’appartenance qui les associe au groupe. Le collectif est entendu ici comme une forme de regroupement de pairs qui souhaitent « faire collectif » en lien avec leur activité professionnelle, sans pour autant s’associer au sein d’une même structure juridique. Il est ainsi explicite, possède des frontières reconnues et procure ou impose des ressources (Grossetti, 2020).

13Créé entre 2015 et 2016 avec l’appui de l’ADEAR 84, le collectif regroupe des agriculteurs aux activités agricoles diversifiées, dont une majorité d’entre eux possèdent au moins une activité de maraîchage. Les membres de PPS ne se sont pas installés dans le cadre d’une reprise familiale. Ils ont des profils socioprofessionnels diversifiés et ne sont pas issus, pour la plupart, du milieu agricole. Leur formation de base n’est pas agricole et ils ont eu d’autres activités professionnelles avant de s’installer en agriculture. Les agriculteurs de ce groupe se revendiquent « paysans » et participent au développement d’une agriculture alternative de même qu’agroécologique. De ce fait, leur projet agricole revêt une dimension militante allant au-delà du simple projet professionnel.

14Les systèmes de production mis en place par les membres se fondent sur des pratiques relevant de l’agriculture biologique, souvent avec une certification Agriculture Biologique (AB) ou avec des mentions associées à des cahiers des charges plus exigeants que la certification AB (Nature&Progrès, Demeter). Ils sont installés sur des systèmes productifs de taille modeste, ne dépassant en général pas ou peu le seuil minimal de surface permettant l’accès au statut de chef d’exploitation et aux prestations sociales liées à ce statut. Ces agriculteurs commercialisent au moins une partie de leur production – sinon la totalité dans la plupart des cas – par des circuits courts.

15La coordination de ce groupe informel s’opère par l’organisation de réunions mensuelles (visite de ferme ou simple réunion) et un travail de diffusion d’informations. Elle est prise en charge par un représentant issu du milieu associatif rural et agricole, mais n’intervenant pas en qualité de conseiller agricole, ni vraiment d’animateur officiel ». Ce collectif est né d’un besoin de partage et de mise en réseau commun de plusieurs agriculteurs récemment installés sur le territoire. Il comptait 44 agriculteurs répertoriés en 2018 (intégrés dans les groupes de discussions numériques), dont 26 ont été qualifiés d’actifs par le représentant (ils assistent aux réunions). Les membres du groupe, après avoir identifié un certain nombre de problématiques communes, ont mis en place des comités de travail thématiques en lien avec celles-ci (chantier participatif, habitat léger, foncier, etc.). La vocation de ce collectif est d’être un lieu d’échange entre pairs, autour d’enjeux non uniquement techniques mais communs à ces membres.

Méthodologie

1. L’entretien ethnographique, technique et sociométrique comme méthode de collecte des données

16Une série d’entretiens avec les membres du collectif PPS a été menée entre juillet 2018 et mars 2019. Si le collectif ciblé ne regroupe pas exclusivement des maraîchers, nous avons choisi pour ce travail d’étudier les maraîchers du groupe. Ainsi, nous avons cherché à nous entretenir avec la totalité des membres répondant au double critère de pratiquer au moins une activité de maraîchage et d’avoir été identifiés par le représentant du groupe comme actifs au sein du collectif (ceux ayant assisté plus d’une fois aux réunions). Au total, 11 agriculteurs ont été interrogés au sein du collectif.

17Une première étape a consisté à mener des entretiens exploratoires avec des acteurs du territoire agricole concerné, un entretien semi-directif avec le représentant du groupe et une observation participante lors d’une réunion du collectif. Les entretiens avec les agriculteurs ont été construits selon un format hybride, avec une première phase d’entretien semi-directive et une seconde partie plus directive de type sociométrique. La première phase nous a permis de décrire les systèmes productifs et leurs trajectoires, de caractériser individuellement les agriculteurs d’un point de vue socio-économique ainsi qu’en termes de perceptions de leur activité, aussi de positionner les agriculteurs vis-à-vis des dynamiques collectives et d’accompagnement. La seconde phase des entretiens avait pour objectif de collecter des données relationnelles par un questionnaire sociométrique permettant de décrire les relations. L’objectif premier était de reconstituer les réseaux des relations personnelles des maraîchers participant activement à la vie du collectif afin de les positionner au sein et en dehors du collectif.

18Lors de chaque entretien, il s’agissait donc d’identifier les membres du collectif avec lesquels l’interviewé était en interaction en dehors des réunions du collectif, et de caractériser ces interactions (type d’interaction, force de la relation). Notre intention était ainsi d’identifier, à partir de la proximité organisée engendrée par l’existence du groupe, quelles relations étaient effectivement activées par les membres interrogés. Les réseaux représentent ainsi l’ensemble des relations entre agriculteurs interrogés (réseau complet), ainsi que leurs relations avec les autres agriculteurs non interrogés du collectif. L’enquêté était également questionné sur ses interactions avec les agriculteurs extérieurs au collectif, afin de caractériser son positionnement social global. Finalement ont été récoltés des éléments pour caractériser les agriculteurs cités ainsi que pour évaluer la force des relations établies (fréquence d’interaction, ancienneté de la relation, terminologie pour qualifier les liens).

19Les trois types d’interactions qui sont apparues structurantes lors des entretiens exploratoires sont :

  • La discussion : il s’agit de l’existence d’échanges verbaux répétés entre deux individus, et allant au-delà des simples formules de politesse : « Avec quels membres du groupe avez-vous l’habitude de discuter en dehors des réunions ? » Nous avons choisi le type discussion comme critère a minima de l’existence d’une relation entre deux individus. Parmi les relations de discussion, nous avons ensuite précisé celles donnant lieu à une discussion autour des pratiques agricoles.

  • Le conseil : l’interaction donne lieu à un échange (réciproque ou non) de conseils autour de la production agricole, il s’agit ici d’un échange de ressource cognitive. Une fois un membre identifié (discussion), la question était : « Recevez-vous et/ou donnez-vous des conseils à cette personne ? », puis le sens de l’échange et les thématiques de conseil étaient caractérisés.

  • L’échange de ressources matérielles : la relation se manifeste par un échange matériel (réciproque ou non) de biens et/ou services venant en appui à l’activité agricole. Parmi ces échanges, nous précisions ensuite leur nature réciproque – c’est-à-dire pour lequel les deux parties prenantes reçoivent une contrepartie – ou non réciproque. La nature des ressources échangées a également été renseignée afin d’étudier la diversité des échanges. Dans le cas d’un échange réciproque, était distingué son caractère marchand (l’une des contreparties est monétaire) ou non marchand (don contre don).

20L’étude de ces différentes relations au sein du collectif nous a permis d’appréhender tant les fonctions cognitives (discussion, conseil) que les fonctions matérielles du groupe.

2. Traiter et analyser des données relationnelles

21À partir des données relationnelles obtenues, des matrices binaires ont été réalisées afin de décrire au sein du collectif les liens de discussion, de conseil et d’échange de ressources matérielles (biens ou services) pour l’activité agricole. Ces matrices ont été traitées avec l’extension statnet du logiciel R afin de visualiser graphiquement les réseaux (sociogrammes) constitués d’agriculteurs (sommets) et de liens, puis à l’aide d’indicateurs structuraux et d’indicateurs de centralités des individus, d’en analyser leur structure générale et le positionnement des agriculteurs.

22Nos analyses concernant les caractéristiques structurales des réseaux porteront sur la description de la morphologie générale des réseaux (taille, densité, agencement) ainsi que sur l’identification de structures cohésives. Nous parlons de cohésion lorsque tous les membres ont des liens avec beaucoup d’autres, conduisant à un « maillage plus serré » du tissu d’interactions (Compagnone et Hellec, 2015). Pour ce dernier aspect, nous étudions le degré d’interconnexion locale à travers le nombre de groupes de trois agriculteurs liés entre eux (Holland et Leinhart, 1974) réciproquement (triades fermées) ou non (triades avec des liens orientés manquants), et la taille des groupes constitués de personnes toutes liées réciproquement (cliques) ou non (quasi-cliques). Afin d’appréhender l’efficacité de circulation des informations et ressources au sein des réseaux, nous calculons les moyennes de la longueur des plus courts chemins – c’est à dire la moyenne des plus petites distances entre deux personnes.

Résultats : les interactions socio-économiques des membres du collectif PPS

1. Description des réseaux socio-économiques des membres interrogés au sein du groupe

23Par la suite, les sociogrammes étudiés sont orientés : le sens des interactions décrites est donc représenté. Toutefois, pour l’analyse des structures cohésives (en cliques et quasi-cliques – certaines personnes du groupe ne sont pas liées réciproquement à tous les autres membres), nous avons choisi de considérer les graphiques comme non orientés. Cette hypothèse permet, par exemple, pour l’identification de cliques de conseil, de considérer que le lien bilatéral existe même si un seul des deux individus reçoit des conseils de l’autre. La figure 1 représente les réseaux d’interactions des membres interrogés (Ai) entre eux et avec ceux n’ayant pas été interrogés (Bi) : ceci permet d’avoir une idée des liens qu’entretiennent les maraîchers actifs du groupe avec les autres agriculteurs du groupe.

Figure 1. Sociogrammes des réseaux étudiés au sein du collectif

Figure 1. Sociogrammes des réseaux étudiés au sein du collectif

Source : les auteurs.

24Les deux systèmes de production identifiés en figure 1 correspondent à une typologie de systèmes productifs réalisée dans le cadre d’un travail plus large (Scorsino et al., 2018), construite à partir de critères liés à la taille du système, aux pratiques culturales et aux circuits de commercialisation mis en place.

25Le réseau de communication des membres interrogés du collectif PPS (figure 1.A) est assez connecté : il s’organise en une structure dense et plutôt régulière, seul un individu ayant été interrogé est isolé du reste du groupe (A11 déclare n’interagir avec aucun des membres en dehors des réunions du collectif).

26La réciprocité au sein de ce réseau est forte, les membres interrogés déclarent en moyenne 4.5 relations à l’intérieur du collectif et la longueur moyenne des plus courts chemins au sein de l’ensemble connexe est de 1,86 (cf. tableau 1). Ce dernier aspect signifie qu’il faut en moyenne moins de deux intermédiaires pour connecter deux membres du groupe.

Tableau 1. Indicateurs d’ensemble des réseaux des relations personnelles des maraîchers au sein de PPS

-

Communication

Conseil

Ressources matérielles

Taille du réseau

-

-

-

Nombre d’agriculteurs

20

20

20

Nombre de liens

61

45

53

Structuration et organisation du réseau

-

-

-

Densité

0.16

0.12

0.14

Densité du sous-graphe contenant les agriculteurs interrogés

0.36

0.25

0.33

Longueur moyenne des plus courts chemins

1.96

2.78

2.5

Moyenne des centralités de Freeman

0.29

0.25

0.37

Structures cohésives

-

-

-

Nombre de triades non orientées avec tous les liens existants

48

8

16

Taille de la plus grande clique

5

4

4

Nombre de cliques de taille maximale

5

1

4

Taille du plus grand k-core auquel appartient l’individu le plus central (centralité de degré)

6

5

6

Source : les auteurs.

27Autour des membres A7, A3, A4 et A2, plusieurs ensembles particulièrement cohésifs se dégagent. Cinq cliques non disjointes contenant chacune cinq membres peuvent être identifiées : elles regroupent au total 9 des 11 membres interrogés. L’existence de ces cliques témoigne d’une forte cohésion d’ensemble au sein du réseau des membres interrogés, validée par le dénombrement des triades non orientées qui constituent le réseau (48 triades pour lesquelles tous les liens non orientés existent). Tous ces ensembles cohésifs, cliques, k-cores (quasi-cliques) et triades, sont assez bien connectés entre eux et se superposent, donnant un cœur de réseau la fois dense et cohésif. Ces connexions nombreuses entre les membres donnent un réseau avec une bonne circularité : les informations peuvent circuler par de nombreux chemins et par des intermédiaires qui ne sont souvent pas uniques.

28Le réseau de conseil (figure 1.B) exclut 5 des 20 agriculteurs du réseau de communication, mais reste assez dense par rapport au réseau de communication. Ce réseau conserve une structure régulière. Un groupe particulièrement cohésif et central apparaît, formant une clique avec les quatre agriculteurs A2, A3, A4 et A8. Le réseau se compose de 8 triades dont 5 fermées complètes (tous les liens orientés sont présents), ainsi que 3 triades avec seulement un lien orienté manquant : le réseau de conseil apparaît donc comme cohésif. Pourtant, certains agriculteurs, notamment B1 et B2, ont plus de degrés entrants que sortants. Ils n’ont pas été interrogés mais les agriculteurs qui l’ont été déclarent recevoir des conseils de leur part sans pour autant leur en donner : ils se positionnent en « donneur » de conseil. Nous notons également que l’échange de conseil se fait aussi entre des agriculteurs n’ayant pas les mêmes types de production (et pas uniquement entre maraîchers). Différentes interactions de conseil peuvent être distinguées : outre du conseil sur les pratiques culturales, s’échangent des conseils sur la gestion comptable et administrative, sur l’achat de terres ou sur l’accueil de volontaires.

29Le réseau d’échange de ressources matérielles (figure 1.C) est particulièrement dense, notamment si nous le comparons au réseau de communication puisque presque toutes les interactions (90 %) donnent lieu à un ou plusieurs échanges de ressources matérielles. Ce réseau est plus hiérarchisé (centralité de Freeman plus élevée (Freeman, 1978)) que ceux de communication et conseil (pour une comparaison des trois réseaux, se référer au tableau 2). En considérant les graphiques comme orientés, deux cliques (non disjointes) de chacune quatre membres sont observés (regroupant les individus A2, A3, A4, A8, A7). Ces cliques sont au nombre de quatre (avec chacune quatre membres) si nous négligeons l’orientation des liens : les membres sont les mêmes que pour les cliques orientées auxquels s’ajoute l’individu A6. Les agriculteurs A2 et A3 sont particulièrement centraux dans le réseau d’échange de ressources et appartiennent à toutes les cliques mentionnées précédemment. Les individus A3 et A7 sont des individus intermédiaires au sein de ce réseau : ils occupent donc des positions stratégiques et potentiellement avantageuses.

Tableau 2. Éléments de description des réseaux représentés en figure 1

Communication

Conseil

Échange matériel

Connectivité forte

Ensemble dense et cohésif

Réciprocité forte

Circularité

Ensemble dense et cohésif

Peu réciproque

Connectivité forte

Ensemble dense et cohésif

Hiérarchique

Source : les auteurs.

2. Diversité des ressources échangées et des coopérations

30Le sociogramme présenté en figure 1.C, décrit le réseau d’échange de ressources matérielles existant au sein du collectif, toutes ressources confondues. Les données collectées afin de préciser la nature des ressources échangées montrent que les ressources qui circulent sont variées. Les différents types de ressources (tableau 3) sont par ordre d’importance : de la main-d’œuvre, du matériel agricole, des productions agricoles, des semences ou plants, du foncier.

Tableau 3. Nombre de binôme d’échange de ressources par type de ressource

Type de ressource échangée

Binômes d’agriculteurs ayant déclaré avoir ce type d’échange

Main-d’œuvre

21

Matériel agricole

14

Marchandise

11

Semences, plants

6

Foncier

5

Source : les auteurs.

31Les membres du collectif PPS s’échangent assez largement du temps de travail, et font référence dans leurs discours à des échanges de « coups de main », d’« aide au travail » ou bien à des travaux spécifiques qu’ils ont effectués chez d’autres agriculteurs (montage de serre, etc.). Non seulement l’échange de temps de travail est fréquent dans le groupe, mais il concerne également la plupart des membres : il n’est donc pas propre qu’à certains agriculteurs mais est bien une pratique répandue. En effet, hormis A11 qui n’entretient pas de relation en dehors des activités du collectif, tous les membres interrogés déclarent échanger de la main-d’œuvre avec au moins un autre agriculteur du groupe, et au total 21 binômes d’échange de main-d’œuvre ont été reportés. Ces échanges ne sont jamais monétaires (ce ne sont pas des prestations de service) mais relèvent d’un système d’aide et d’entraide.

32L’échange de matériel agricole est également assez répandu et correspond, la plupart du temps, à un prêt ou à du prêt réciproque, plutôt qu’à du matériel partagé (un seul binôme concerné). À l’exclusion de A11, seul l’un des membres interrogés (A8) déclare n’échanger de matériel avec aucun des autres agriculteurs du groupe (mais déclare « en parler » avec A2).

33Des productions agricoles sont échangées pour la vente ou la revente : elles permettent à certains agriculteurs de compléter l’offre sur leur point de vente en direct, et à d’autres d’écouler un surplus ou de trouver un point de vente. L’échange de productions agricoles est soit monétaire, soit fondé sur du don contre don. Dans certains cas, un agriculteur vend sur son point de vente les produits d’un autre : il s’agit là d’un échange de temps de travail. Si l’échange des trois types de ressources précédentes est assez répandu dans le groupe, d’autres sont davantage pratiqués par certains membres. Les individus A6 et A7 sont chacun impliqués dans 3 des 6 échanges de foncier qui ont été reportés, et sont à la fois prêteur et emprunteur. L’échange de foncier se réalise soit par don (prêt gratuit), soit par du troc (le foncier est troqué contre une ressource d’un autre type). A7, qui a une activité de pépinière de plant, est impliqué dans 3 des 6 échanges de plants ou semences qui ont été déclarés.

34Outre l’échange de ressources matérielles, les agriculteurs de PPS sont impliqués dans d’autres collaborations en lien avec les activés agricoles. Parmi elles figure la réalisation de commandes groupées pour les semences, plants et engrais verts (A2, A3, A4, A5, A8 et A1), la production commune de plants qui concerne trois binômes (A3/A7, A3/A4, et A4/A9) et la mise en commun de cultures qui concerne deux binômes (A3/A4 et A2/A6).

3. Poly-appartenances des membres et interactions avec les acteurs du conseil agricole

35Le tableau 4 renseigne les poly-appartenances des agriculteurs interviewés. Parmi les 11 agriculteurs de PPS interrogés, 6 appartiennent à au moins un autre collectif d’agriculteurs (hors syndicat agricole). Deux types de collectifs ont été identifiés : ceux dédiés à la mutualisation à des fins de commercialisation, et ceux dédiés à l’innovation et au partage de connaissances techniques.

Tableau 4. Poly-appartenance à des collectifs des agriculteurs interrogés

-

Collectifs pour la commercialisation

Collectifs techniques

La Banaste

Naturellement paysan

Dephy Ferme

CIVAM

Nombre d’agriculteurs de PPS interrogés appartenant à ce groupe

3

3

1

1

Agriculteurs interrogés appartenant à ce groupe

A2, A7, A8

A3, A5, A6

A5

A5

Source : les auteurs.

36Les six agriculteurs ayant des poly-appartenances sont membres d’un des deux collectifs tournés vers la commercialisation en circuit court (magasin de producteur). Seul A5 fait également partie de collectifs plutôt techniques.

37En ce qui concerne le conseil agricole public ou privé, les membres déclarent ne pas bénéficier d’un suivi professionnel régulier et, mis à part A5, aucun n’appartient à des groupes techniques liés à des institutions. Toutefois, les membres de PPS déclarent certains liens avec les institutions de développement agricole (tableau 5), soit parce qu’ils ont bénéficié d’aide lors de leur installation, soit parce qu’ils suivent des formations, sont membres des institutions lorsqu’elles ont un statut associatif, ou encore parce qu’ils accèdent à des ressources qu’elles mettent à disposition.

Tableau 5. Liens des agriculteurs interrogés avec les institutions du développement agricole

-

Réseau InPact PACA

Chambre d’Agriculture du Vaucluse

-

ADEAR 84

GR CIVAM PACA

Agribio84

Nombre d’agriculteurs interrogés de PPS en lien avec l’institution

7

4

3

2

Agriculteurs interrogés de PPS en lien avec l’institution

A1, A2, A5, A6, A7, A19, A10

A4, A7, A8, A5

A1, A4, A5

A6, A9

Source : les auteurs.

  • 1  Réseau INitiatives Pour une Agriculture Citoyenne et Territoriale.
  • 2  Groupement Régional des Centres d’Initiatives pour Valoriser l’Agriculture et le Milieu rural.
  • 3  Agribio Vaucluse, adhérent du CIVAM et de la FNAB (Fédération Nationale des Agriculteurs Biologiqu (...)

38La plupart des relations avec le développement agricole se rapportent au réseau InPact1 PACA (ADEAR 84, GR CIVAM2, Agribio843) qui s’est donné pour mission de « travailler autrement en agriculture » (InPact PACA).

Discussion : le collectif paysan comme soutien des activités agricoles ?

39Les résultats permettent de mettre en avant le rôle du collectif dans l’acquisition d’un capital social liée à l’activité agricole, dans la pérennisation des installations agricoles, dans l’autonomisation des systèmes productifs et dans l’insertion sociale et professionnelle.

1. Le collectif PPS, générateur de capital social pour ses membres

40L’analyse de la structure des réseaux pour les trois types d’interactions étudiés met en évidence la densité des interactions en place et la cohésion des membres au sein du groupe.

41La densité et la régularité au sein du réseau de discussion assurent l’efficacité dans la circulation des informations et ressources cognitives (multiplicité des chemins possibles), qu’elles proviennent de l’intérieur du groupe (acteurs périphériques ou cliques centrales) ou de l’extérieur du groupe via les poly-appartenances de certains membres. L’échange de conseil est également dense au sein du groupe : il donne accès à des ressources cognitives concernant des aspects diversifiés de l’activité agricole (production, commercialisation, diversification, etc.) et constitue un support technique pour les membres. La grande majorité des relations établies au sein du collectif (9/10) conduisent à l’échange d’au moins un type de ressource matérielle. Si l’analyse de réseau montre que ces interactions sont denses, les discours et l’étude de la diversité des ressources qui circulent révèlent que ces échanges sont une pratique régulière, répandue et qui concerne une diversité de ressources. Ces ressources circulent par un système informel et basé sur l’entraide, qui repose sur des types d’arrangements divers et n’implique pas d’échange monétaire.

42Le réseau de relations ainsi tissé, en étant un espace d’échange d’informations et de ressources matérielles, devient ressource collective en propre. La cohésion du groupe pourrait également favoriser l’innovation et la recherche de solutions collectives, venir en soutien face à une problématique donnée – la mise en place de groupes thématiques l’illustre bien –, ou bien encore constituer une opportunité d’amélioration des systèmes productifs des membres. À partir des logiques d’appartenances que le collectif engendre par son existence (proximité organisée) et par la proximité géographique temporaire qu’il crée (réunions) (Polge et al., 2016 ; Rallet et Torre, 2004), les relations sont donc effectivement activées et se traduisent par un apport concret de ressources pour les activités agricoles, facilement accessibles par les membres (compte tenu de la densité et régularité du réseau). En cela, les relations sociales semblent jouer un rôle important pour les systèmes de production et le réseau d’interactions au sein du collectif constitue un capital social partagé pour les agriculteurs (Polge, 2015 ; Burt, 2000).

43L’étude des relations au sein du collectif atteste de la densité des liens qui se créent entre les agriculteurs du même groupe, ayant tous des systèmes « alternatifs ». L’étude des poly-appartenances et des liens avec le développement agricole montre que les agriculteurs du groupe sont principalement en lien avec des acteurs agricoles « alternatifs » mais pas exclusivement. Notamment, le collectif « Naturellement paysan » rassemble des agriculteurs aux systèmes productifs variés voulant commercialiser une partie de leur production en direct. Ceci met en évidence le rapprochement d’acteurs « conventionnels » et « alternatifs » dans la mise en place de dispositifs innovants pour la transition des systèmes agricoles (Lamine, 2012). Ce rapprochement entre des acteurs portant plusieurs modèles agricoles pourrait participer à la constitution d’un capital social commun à des agriculteurs développant des modes de production distincts (Compagnone, 2019 ; Compagnone et Hellec, 2015).

2. Le collectif PPS comme facteur de facilitation et de pérennisation des installations agricoles

44Le vaste réseau d’entraide et de circulation de ressources qui existe au sein du collectif semble soutenir les systèmes productifs alternatifs des membres et compenser certaines caractéristiques qui pourraient être perçues comme une faiblesse initiale.

45En effet, la majorité des agriculteurs du groupe ne sont pas issus du milieu agricole et sont installés en dehors du cadre d’une reprise familiale. Les systèmes productifs ont été développés avec des capitaux financiers et des investissements initiaux limités et incorporent peu de capitaux fixes. Notamment, de plus faibles investissements pour le matériel agricole ont été réalisés par rapport à la moyenne des exploitations françaises : l’échange répandu de matériel entre pairs pourrait bien compenser cette caractéristique. Un autre défi pour les néo-ruraux est celui de l’acquisition de foncier, d’autant plus marqué dans le Vaucluse où le prix des terres agricoles est élevé (Safer, 2018). Les agriculteurs ayant besoin de plus de surface agricole, tels que A6 et A7 qui ont diversifié leur activité (resp. avec des céréales et de l’élevage équins), bénéficient de prêts de terres par des membres qui n’exploitent pas entièrement leur foncier (beaucoup possèdent un système en maraîchage sur petite, voire micro-surface).

  • 4  Équivalent temps plein.

46Aussi, les membres de PPS ont mis en place des systèmes productifs dans lesquels ils travaillent seuls (1 ETP4), ils ne bénéficient pas d’une aide familiale en main-d’œuvre qualifiée et régulière (l’aide familiale est ponctuelle mais est alors le fait de personnes non issues du milieu agricole) et ne font que très peu appel à de la main-d’œuvre extérieure. Les « gros chantiers » peuvent alors être réalisés grâce à la participation des pairs par la mise en place de chantiers collectifs d’entraide. L’entraide familiale souvent observée dans les exploitations familiales pour lesquelles les ascendants sont également agriculteurs et donc qualifiés, semble être substituée dans le cas de PPS à une solidarité collective.

47Certains échanges semblent essentiels pour le fonctionnement des systèmes productifs au sein du groupe, en particulier pour certains membres qui dépendent plus largement du soutien de leurs pairs. C’est le cas de A3 et A7 qui sont particulièrement centraux dans les différents réseaux, dont l’installation est récente et dont les systèmes productifs restent à stabiliser. C’est également le cas de A6, qui est très central dans l’échange de ressources, et qui a rencontré de grandes difficultés après son installation, bénéficiant par la suite du soutien de ses pairs.

48L’intégration sociale entre pairs et la dynamique collective apparaissent alors comme un moyen pour les membres de PPS de lever certains des freins à l’installation. L’implication de ces néo-agriculteurs dans des réseaux locaux semble venir rééquilibrer un désavantage initial lié à leur profil socio-économique (installation hors cadre familial de personnes non issues du milieu agricole, faible capacité d’investissement, etc.) et contribuer à la pérennisation de leur activité agricole. Ce rôle positif joué par les réseaux sociaux dans la viabilité des exploitations agricoles de ces profils d’agriculteurs a également été observé par Dolci et Perrin (2018, 2017) en Sardaigne (Italie) et dans l’Alentejo (Portugal).

3. Le collectif PPS, un moyen d’améliorer l’autonomisation des systèmes productifs ?

49L’étude des liens avec les institutions de développement agricole, ainsi qu’avec les acteurs du conseil agricole, montre que les membres du collectif bénéficient peu de conseil agricole professionnel et, si c’est le cas, uniquement de manière ponctuelle. Cette faible mobilisation des sources classiques d’information et de conseil semble compensée par de l’échange de conseil technique entre pairs (Compagnone et Hellec, 2015 ; Compagnone 2014). Les membres de PPS ont donc mis en place un vaste réseau d’entraide, représentant une forme de coopération et d’organisation du travail qui ne repose pas forcément sur la réciprocité mais plutôt sur une solidarité dans la production agricole qui est « motrice » de lien social (Sabourin, 2012). Ainsi, dans le groupe la non-réciprocité ne semble pas menacer les rapports entre les membres (individus « donneurs » ou « receveurs », dons, entraide asymétrique).

50Ce réseau d’interdépendances entre les agriculteurs du groupe, et la coopération locale qui émerge du collectif peuvent également relever de mécanismes d’autonomisation des agriculteurs en diminuant leur dépendance vis-à-vis des capitaux industriels et financiers (Lucas et Gasselin, 2018 ; Ploeg, 2014). Ainsi, l’échange de matériel agricole ou de foncier permet de dépasser d’éventuels blocages dus au manque d’apport financier. L’autonomisation s’effectue également via la mutualisation des facteurs de production (pépinière commune), ou par la réduction des intrants coûteux par l’échange de plants et semences produites sur les fermes (Lucas et Gasselin, 2018). Enfin, dans une certaine mesure, l’échange de marchandise pour la vente et la revente permet aux agriculteurs d’avoir une certaine autonomie pour la commercialisation (permet une gamme complète sur un stand de vente en direct), autonomie également apportée pour certains par leur appartenance à des collectifs à l’origine de magasins de producteurs.

4. Le collectif PPS, une ressource pour l’insertion sociale et professionnelle

51L’insertion au sein d’un réseau de pairs est un moyen d’intégration au sein de la profession agricole (Mailfert, 2007). L’appartenance au collectif PPS répond à un enjeu de reconnaissance professionnelle via la reconnaissance par les pairs, qui permet d’accéder à un « statut » (Chiffoleau, 2012 ; Lazega, 2001), et qui est d’autant plus importante que les membres du groupe s’identifient à un même modèle avec des normes communes au groupe (Darré, 1996).

52Le « retour à la terre et à l’agriculture » des néo-agriculteurs se manifeste généralement par une triple mobilité : géographique, sociale et professionnelle (Dolci et Perrin, 2017 ; Mundler et Ponchelet, 1999). L’insertion au sein du collectif PPS pourrait participer à une intégration nouvelle à ces trois niveaux – et non pas uniquement d’un point de vue professionnel. En effet, ces réseaux de relations localement distribués, ainsi que l’appartenance de plusieurs des membres à d’autres collectifs locaux, relèvent d’une certaine intégration locale et donc géographique. Enfin, l’appartenance au collectif PPS, permet une intégration sociale qui dépasse la sphère des relations professionnelles. Les agriculteurs interrogés qualifient souvent les membres du collectif avec lesquels ils sont en interaction de « copain » ou d’« ami ». Ainsi, les relations décrites sont parfois des relations d’amitié et le réseau étudié est donc constitué d’un certain nombre de liens « forts » (Burt, 1992 ; Granovetter, 1973).

53L’intégration multiple qu’engendre l’appartenance au collectif pourrait être particulièrement importante pour les agriculteurs étudiés, dans la mesure où l’exclusion économique et sociale, si elle touche globalement la profession agricole, impacte particulièrement les « petits producteurs », ceux n’ayant pas le statut d’exploitant agricole et les nouveaux venus, entres autres (Chiffoleau, 2012).

Conclusion

54L’étude montre que la proximité organisée engendrée par le collectif conduit effectivement à l’établissement et à l’activation de relations entre les membres, créant un réseau d’interactions au sein du groupe dense et cohésif. Ces interactions, en plus de se manifester par du dialogue professionnel entre pairs, donnent également lieu à un échange concret de ressources cognitives et matérielles diversifiées. Elles constituent ainsi une forme de capital social pour les agriculteurs, et rendent compte du large support reçu par les pairs au sein du groupe ainsi que des systèmes d’entraide et de coopération en place. Le collectif pourrait être un lieu privilégié d’innovation, voire constituer par sa forme et son fonctionnement une innovation.

55Les systèmes d’interdépendances établis entre les membres témoignent de l’importance jouée par le collectif pour les systèmes productifs « alternatifs » des agriculteurs étudiés qui incorporent peu de capitaux propres, intègrent peu de main-d’œuvre et bénéficient moins d’accès à du conseil professionnel. La mise en place de certains systèmes d’interdépendances pourrait participer à un processus d’autonomisation (Lucas et Gasselin, 2018) des agriculteurs du collectif (vis-à-vis des capitaux financiers, vis-à-vis du conseil professionnel, vis-à-vis des fournisseurs d’intrants, etc.) et contribuer à la pérennisation des installations d’agriculteurs non issus du milieu agricole. L’appartenance au collectif semble contribuer à une triple intégration des agriculteurs membre, à la fois sociale, professionnelle et territoriale.

56L’insertion des agriculteurs étudiés au sein du territoire pourrait aller au-delà des relations avec leurs pairs : l’étude approfondie des circuits de commercialisation qu’ils développent, ou de leur participation à des initiatives sur leur territoire permettrait d’évaluer l’importance des liens socio-économiques qu’ils développent sur leur territoire d’installation (Martin, 2016) et ainsi leur participation au développement de ce dernier.

57Cette intégration locale se manifeste également dans le fait que les membres interrogés rapportent un certain nombre de relations avec des agriculteurs extérieurs au groupe et installés sur le territoire. L’analyse des réseaux personnels des membres et le positionnement du réseau du collectif au sein d’un réseau local plus étendu ouvrent des perspectives d’étude – notamment en ce qui concerne la mise en relation entre acteurs « classiques » et ceux plus « alternatifs » – et pourrait constituer un véritable enjeu pour penser l’accompagnement des transitions.

58Enfin, le collectif étudié a peu d’années d’existence (deux environ) alors qu’au fil du temps les liens compatibles (qui donneront des relations durables) se renforcent et ceux incompatibles disparaissent (Burt, 1984) : il est donc possible que les réseaux étudiés ne soient pas encore stabilisés et que la densité d’interactions observée soit liée à la nouveauté du groupe. Une approche dynamique des réseaux (Polge et al., 2016 ; Bidart, 2012) pourrait être intéressante afin d’appréhender l’évolution des liens, voire de la confronter aux trajectoires des agriculteurs membres.

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Notes

1  Réseau INitiatives Pour une Agriculture Citoyenne et Territoriale.

2  Groupement Régional des Centres d’Initiatives pour Valoriser l’Agriculture et le Milieu rural.

3  Agribio Vaucluse, adhérent du CIVAM et de la FNAB (Fédération Nationale des Agriculteurs Biologiques).

4  Équivalent temps plein.

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Table des illustrations

Titre Figure 1. Sociogrammes des réseaux étudiés au sein du collectif
Crédits Source : les auteurs.
URL http://journals.openedition.org/economierurale/docannexe/image/10669/img-1.png
Fichier image/png, 273k
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Pour citer cet article

Référence papier

Carla Scorsino, Étienne Polge et Marta Debolini, « Les collectifs d’agriculteurs comme soutien au renouvellement de l’activité agricole. Éléments issus de l’analyse du réseau d’un collectif paysan »Économie rurale, 382 | 2022, 79-94.

Référence électronique

Carla Scorsino, Étienne Polge et Marta Debolini, « Les collectifs d’agriculteurs comme soutien au renouvellement de l’activité agricole. Éléments issus de l’analyse du réseau d’un collectif paysan »Économie rurale [En ligne], 382 | octobre-décembre 2022, mis en ligne le 01 janvier 2024, consulté le 17 avril 2024. URL : http://journals.openedition.org/economierurale/10669 ; DOI : https://doi.org/10.4000/economierurale.10669

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Auteurs

Carla Scorsino

UMR 1114 EMMAH INRAE/AU, Site Agroparc, Avignon

Étienne Polge

Université Clermont Auvergne, AgroParisTech, INRAE, VetAgro Sup, UMR Territoires, Clermont-Ferrand

Articles du même auteur

Marta Debolini

UMR 1114 EMMAH INRAE/AU, Site Agroparc, Avignon

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Droits d’auteur

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