1Dans une France marquée par le chômage des jeunes et la précarisation du travail, le diplôme reste un marqueur social fortement corrélé à l’employabilité, et « générant différences aussi bien qu’inégalités et hiérarchies » (Millet et Moreau, 2011, 17). Malgré les assertions selon lesquelles les recruteurs lui accorderaient une place secondaire dans les critères de sélection par rapport à l’expérience et aux compétences acquises, il continue à freiner ou accélérer les progressions de carrière. L’effet déterministe du diplôme se vérifie même longtemps après son obtention dans le cadre de la formation initiale, et son niveau constitue un atout compétitif sur le marché du travail. Son cadre de délivrance, le système français de la formation supérieure, est éminemment complexe et segmenté, subdivisé en universités, instituts et écoles publiques ou privées.
- 1 Nous utilisons par commodité l’appellation usuelle « diplôme » dans le cadre de cet article en év (...)
2L’offre de formation du supérieur est obscurcie par la popularité croissante de dénominations, de labels et d’appellations liées à l’internationalisation du marché de la formation et à l’absence de définition unique pour la notion de diplôme aujourd’hui, également désignée de manière plus générique, mais très ambiguë, par le terme de « certification professionnelle1 ». Un diplôme est matérialisé par un document qui doit permettre de répondre à trois questions essentielles : à qui ce document a été délivré, par quelle instance émettrice et quelles sont les connaissances et compétences évaluées et reconnues au détenteur de ce document (intitulé parfois complété d’un niveau et d’une mention).
- 2 Dans le deuxième cas de la labellisation au terme d’une procédure formelle, l’organisation prend (...)
- 3 N’importe quel organisme de formation peut délivrer un bachelor. Certains organismes ont créé leu (...)
3Les organismes de formation délivrant des diplômes jouent également de la complexité du système en proposant des diplômes désignés de manière parfois très inventive et se référant à des formes hétérogènes d’accréditation ou de labellisation. Le terme de labellisation est ici compris dans son double sens : l’attribution informelle à une organisation d’un label de reconnaissance par des parties prenantes ou son attribution formelle au terme d’une procédure rigoureuse conduite par une instance tierce2. Le label est souvent matérialisé par un logotype que l’organisation labellisée peut utiliser sur ses supports de communication afin de s’en prévaloir. Ces logotypes de label sont donc des icônes hyper communicationnelles par intention. La profusion et les subtilités d’appellation et de labels3 conjuguées à la complexité de la cartographie de l’offre de formations du supérieur gênent la prise de décision d’orientation et le choix de formation par les lycéens, les étudiants et leurs familles. Ces derniers perçoivent pourtant ce choix avec d’autant plus d’acuité que « la prescription faite à chaque individu d’élaborer son projet professionnel, si ce n’est de vie, se fait plus pressante [...] ; il y a là un risque de transfert subreptice de responsabilité [...] et la qualité de l’information et des conseils est loin d’être toujours au rendez-vous » (Verdier, 2010, 121).
4Les étudiants et leurs parents peuvent s’informer sur l’offre de formation en consultant des fichiers et des listes thématiques fournies par des institutions publiques dont les missions incluent l’information des étudiants, comme les antennes locales et les sites de l’Office national d’information sur les enseignements et les professions (ONISEP) ou le site-portail national des masters (trouvermonmaster.gouv.fr). Ils consultent aussi des sources d’information élaborées et diffusées par des entreprises qui forment ensemble le secteur d’activités de l’orientation. La réputation des formations diplômantes de facto en concurrence sur un « marché » de la formation se construit notamment au travers de sites Internet qui médiatisent l’offre de formation par secteur d’activité et par métier principalement à travers des classements ordinaux.
5Malgré leurs métrologies ambigües et leurs méthodologies opaques voire relevant d’épistémologies peu rigoureuses, ces évaluations et classements sont très consultés par des étudiants qui questionnent rarement leur autorité. L’identité des diplômes dérive d’un calcul (Georges, 2009 ; Domenget, 2015), mais aussi de modalités de reconnaissance : l’affichage des accréditations et des labels dont les formations peuvent se prévaloir au moyen de logotypes. Le nombre, la notoriété et le prestige de ces logotypes contribueraient donc à asseoir la légitimité du bon classement des diplômes qui arrivent en tête des palmarès en dépit parfois de leur déficit de notoriété, de leur faible antériorité ou de leur coût très élevé.
- 4 Ils ont été ou sont responsables de diplômes, de la licence professionnelle au master, dans les s (...)
- 5 Cette expression figure dans le titre de l’habilitation à diriger des recherches de Valérie Lépin (...)
6Cet article emprunte ses concepts à la théorie du document, à l’approche critique des dispositifs d’évaluation et du concept de réputation, à la sémiologie du texte et de l’image, ainsi qu’aux approches communicationnelles des organisations et à la communication stratégique. La méthodologie d’enquête s’appuie sur une connaissance juridique et sociologique fine de l’offre de formation supérieure et des pratiques de reconnaissance incluant des formes d’accréditation et de labellisation. Ce texte résulte du travail conjoint de deux chercheurs fortement engagés dans leur relation à l’objet de cette recherche en tant qu’universitaires responsables de diplômes4 et donc en prise avec des « enjeux de normalisation, de valuation et d’évaluation5 » (Lépine, 2018). L’un des auteurs opère à un retour réflexif sur les fonctions qu’il a occupées pendant les 12 ans où il a été rapporteur adjoint de la Commission nationale de la certification professionnelle (CNCP). L’enquête intègre des éléments perçus par lui dans le cadre d’une longue observation ethnographique organisationnelle informelle (Grosjean et Groleau, 2013).
- 6 Nous avons décidé d’exclure du corpus la start-up en pleine expansion Studyadvisor. Bien que son (...)
7Deux approches méthodologiques complémentaires ont été mobilisées. La première approche consiste de manière classique en une revue de presse sur le thème de l’évaluation et du classement des diplômes et une enquête par entretiens semi-directifs avec des responsables de formations, des chargés de communication ayant été en poste dans trois universités, ainsi que des insiders anonymes, soit des étudiants salariés d’entreprises du secteur de l’orientation dans le cadre de petits jobs. La deuxième approche relève de l’observation minutieuse des traces de la vision stratégique des professionnels de la communication à travers les sites Internet des acteurs de référence du secteur de l’orientation, et plus précisément les pages de classement des formations, que ces classements découlent d’enquêtes réalisées par des salariés ou de méthodes d’agrégation d’avis individuels au moyen de plateformes numériques participatives. Le corpus inclut les sites des groupes L’Étudiant, Studyrama et Eduniversal6.
8Des clés de lecture sémiotiques et discursives des pages de description, d’évaluation et de classement des diplômes des sites des principaux acteurs du secteur de l’orientation ont contribué à l’analyse d’enjeux politiques, économiques et sociaux. Cette analyse s’est déployée au regard de la promesse communicationnelle qui figure sur les sites et les brochures téléchargeables de ces formations, du statut juridique de leurs organisations de rattachement et des missions qui en découlent (services publics ou marchands). Nous avons analysé la « raison graphique » (Goody, 2013) de ces pages rapportées à l’éditorialisation des logotypes qui attestent et représentent visuellement des reconnaissances, soit des accréditations et des labels, qui agissent comme des indicateurs de qualité qui font autorité.
9L’État français s’est longtemps réservé le monopole de la délivrance des diplômes, ce qui était censé permettre le contrôle tant de leur pertinence sociale que de leur qualité. Aujourd’hui, de nombreuses instances revendiquent leur légitimité à délivrer des diplômes, mais un débat sur l’usage même du terme « diplôme » perdure. Les tenants d’une interprétation rigoriste affirment que ce terme devrait encore s’appliquer exclusivement à la sanction de processus de formation organisés par des organismes publics, qui seraient donc les seuls à pouvoir les délivrer, de manière à garantir la nature du contenu de ces formations, leur niveau, partant leur valeur intrinsèque. Ce point de vue repose notamment sur l’article L335-13 du Code de l’éducation. Cet article relatif aux formations professionnelles du second degré parait difficilement applicable à l’ensemble du champ des formations diplômantes de l’enseignement supérieur. Il ne pourrait guère servir de fondement en cas de contentieux. De plus, le terme « monopole » n’apparaît plus qu’une seule fois dans le code de l’éducation. Le tout début de l’article L613-1 précise que « L’État a le monopole de la collation des grades et des titres universitaires », évitant ainsi soigneusement le terme de diplôme qui figure pourtant dans le titre de la section. L’usage du terme « diplôme » s’est donc généralisé pour décrire un document attestant de la validation des acquis d’une personne, quelle que soit l’instance émettrice.
10Tel un parchemin, le diplôme est un objet documentaire durable. Sa valeur documentaire se caractérise surtout par son mode très spécifique de production par l’Imprimerie nationale en ce qui concerne les diplômes publics nationaux, et par son unicité, d’où des modalités très contrôlées de transmission de l’instance émettrice vers les bénéficiaires : par exemple, en main propre après signature d’une attestation de réception, ce qui doit prévenir toute possibilité de contestation. Cette procédure manifeste l’autorité symbolique du diplôme.
11L’unicité du diplôme en tant que document participe à le rendre précieux et contribue à son prestige. Les remises de diplômes donnent lieu à des cérémonies officielles qui sont autant de rites de passage matérialisés par des photographies posées le diplôme à la main, parfois dans des vêtements spécifiques comme des toges. Les professions libérales et certaines familles affichent au mur leurs diplômes encadrés, attestant de leur valeur symbolique. Le diplôme possède une matérialité très spécifique, il respecte des règles éditoriales et esthétiques précises d’une grande stabilité diachronique, ce qui participe à son autorité intemporelle. Sobre, il est néanmoins ornementé de motifs iconiques fortement symboliques. Le baccalauréat arbore par exemple une couronne de lauriers, symbole césarien de triomphe militaire. Le logo du ou des instances émettrices est systématiquement présent.
12Investi de fonctions info-communicationnelles, le diplôme est la quintessence du « document par intention » (Liquète, 2015, 246) pensé dans une visée explicitement communicationnelle. Il est un support qui sert à communiquer des informations à de nombreux destinataires implicites : recruteurs mais aussi familles, patients ou clients. Il précise de manière systématique certaines données : le nom et le niveau de la formation suivie, la date d’obtention, les noms de l’instance émettrice et du détenteur. Le nom du diplôme projette implicitement la maîtrise par son détenteur d’un ensemble de connaissances et de compétences dont découlent de nombreux usages sociaux potentiels : poursuite d’études ou accès à un concours, mais surtout recherche d’un emploi. Le diplôme incarne ainsi une institution sociale dont le document ne serait finalement que la trace. L’autorité du diplôme découle d’un long processus d’institutionnalisation sociale, elle garantit aux jeunes diplômés un accès privilégié à un type d’emploi. Elle rassure les recruteurs soucieux d’optimiser leurs processus de sélection sur le fait que le candidat qu’ils reçoivent possède bien le type et le niveau attendu de connaissances et de compétences.
13Bien que le diplôme n’ait pas toujours été pensé en regard d’une problématique d’insertion, il est aujourd’hui inscrit dans cette pragmatique économique et sociale. Le début des années 2000 marque un réel tournant dans cette perspective. La loi de modernisation sociale de 2002 instaure le droit à la validation des acquis de l’expérience (VAE) et crée le répertoire national des certifications professionnelles (RNCP). La loi relative aux libertés et responsabilités des universités de 2007 vient quant à elle parachever l’édifice en consacrant la mission d’insertion professionnelle des universités.
14La loi de modernisation sociale de 2002 opère un changement de paradigme en mobilisant le terme de certification professionnelle sans en proposer de définition. Pour autant, il est possible d’inférer une définition de la nature des objets qui constituent le RNCP, c’est-à-dire l’ensemble des diplômes, titres à finalité professionnelle et certificats de qualification professionnelle (CQP). Le terme « certification professionnelle » devient ainsi une manière générique de décrire l’ensemble des diplômes, des titres à finalité professionnelle et des CQP. La loi pour la liberté de choisir son avenir professionnel de 2018 précise la nature des certifications professionnelles en explicitant leur objet et leur structuration.
- 7 Ces trois mentions sont le nom du titulaire, la dénomination du diplôme délivré ainsi que l’organ (...)
15Une certification professionnelle atteste qu’un individu a été évalué sur la base de référentiels formalisés. Les ministères prennent soin de préciser les trois mentions7 qui figurent nécessairement sur les diplômes contrôlés par l’État. Il n’existe cependant pas de règle générale quant aux mentions qui peuvent y être apposées à l’initiative de chaque organisation émettrice. Dans une perspective d’insertion professionnelle, chaque parchemin venant attester d’une certification professionnelle doit être porteur d’éléments relatifs aux connaissances et compétences implicitement reconnues à son détenteur par l’autorité signataire. L’enregistrement au RNCP constitue quant à lui une forme de reconnaissance de l’État garantissant l’accessibilité de la certification par la VAE, ainsi que sa finalité professionnelle au regard des référentiels qui la documentent et de l’insertion professionnelle qu’elle facilite et qui est vérifiée.
16Le cadre de référence unique que constitue le RNCP est singulier. On y trouve inscrit l’ensemble de l’offre de certifications, qu’elle soit accessible dans le cadre de la formation initiale ou continue, qu’elle concerne le secondaire ou le supérieur, qu’elle soit le fait d’organismes publics, privés ou des branches professionnelles. La loi de modernisation sociale entendait démocratiser l’accès aux diplômes (Maillard, 2017). Ce faisant, elle consacra « une relativisation de la place de l’État comme certificateur » (Caillaud, 2011, 249), mais facilita la comparaison entre les certifications via le RNCP. Le lien accru entre l’inscription au RNCP et le financement de formations professionnelles eut pour effet une inflation de l’offre diplômante.
- 8 Cet article n’aborde pas les mécanismes d’assurance qualité en formation. « L’introuvable qualité (...)
17La question de la transparence et de la lisibilité de l’offre de formation se pose au-delà des multiples appellations des diplômes car ces derniers n’ouvrent pas les mêmes droits, ni ne confèrent les mêmes avantages sur le marché de l’emploi public comme privé. Les formes de reconnaissance des diplômes sont nombreuses et hétérogènes, elles procèdent d’acteurs variés qui s’appuient sur des critères aussi différents que leur objet et leur portée8.
18Lorsqu’il ne délivre pas un diplôme directement, l’État peut le reconnaitre à travers son enregistrement au RNCP. La reconnaissance peut également s’opérer par des mécanismes de labellisation nationale ou internationale (Conférences des grandes écoles), ou bien encore émaner d’acteurs socioprofessionnels (associations et syndicats professionnels, offices professionnels de qualification). Les branches professionnelles peuvent également accréditer des diplômes précis par leur référencement explicite dans les grilles de classification de leur convention collective. Enfin, les entreprises, généralement les grands groupes, peuvent définir une politique de recrutement et une grille de rémunération amenant à repérer et distinguer les principaux diplômes exigés de leurs cadres supérieurs.
19L’enregistrement au RNCP a été prononcé par arrêté du ministre en charge de l’emploi et de la formation professionnelle suite à l’avis de la CNCP jusqu’en 2018. Il est aujourd’hui prononcé par le directeur général de France compétences, autorité nationale de financement et de régulation de la formation professionnelle et de l’apprentissage. La loi donne à France compétences une base légale et des instruments permettant une meilleure régulation du système français dans la perspective d’une réduction de l’inflation de l’offre, notamment en lui conférant un pouvoir de contrôle des organismes.
20Dans le champ de la formation professionnelle, la labellisation peut être la résultante d’une procédure d’assurance qualité gérée par une instance tierce, visant à certifier la conformité au regard d’attendus formalisés. Si des organismes en acceptent le coût, c’est davantage parce que la labellisation vise, dans une démarche marketing, à « mettre en confiance [...]. Il s’agit donc d’attirer pour conquérir, notamment quand la notoriété est inexistante ou ne suffit pas à elle seule à attirer de nouveaux interlocuteurs » (Sutter, 2005, 284-285).
- 9 En mars 2020, la base de données des marques de l’INPI incluait 82 diplômes avec le terme « bache (...)
21Parmi les principales désignations renvoyant à des formes hétérogènes de labellisation, on relève l’appellation bachelor, terme employé pour désigner le premier niveau de l’enseignement supérieur académique dans les pays anglo-saxons. L’usage du terme en France remonte à 2007 avec la création de la marque déposée « Bachelor des Chambres de commerce et d’industrie© ». Comme le constate l’Inspection générale de l’administration, de l’éducation nationale et de la recherche dans son rapport, « des écoles se sont emparées du terme “bachelor” car il a l’avantage de constituer une “marque” parlante à l’international et de n’être pas protégé, à la différence du terme “licence” » (IGAENR, 2017, 2). L’usage de ce terme s’est depuis largement répandu pour aujourd’hui devenir un standard d’appellation pour toutes les formations souhaitant valoriser leur « comparabilité » avec les diplômes de niveau 6. Aucune exigence réglementaire ou normative ne pèse toutefois sur l’usage de ce terme qui peut donc être utilisé par n’importe quelle organisation, pour décrire n’importe quel diplôme, quel qu’en soit le niveau d’où une inflation continue du nombre des bachelors9. Les universités décidèrent paradoxalement d’investir elles aussi cette appellation plébiscitée par les étudiants. Elles créèrent fin 2019 le bachelor universitaire de technologie (BUT).
- 10 AACSB : Association to Advance Collegiate Schools of Business ; AMBA : Association of MBAs ; EFMD (...)
22Concernant le niveau 7 correspondant à cinq années d’études après le baccalauréat, de nombreuses appellations de diplôme cohabitent : master, MBA, MSc, mastère spécialisé, etc. Ces dernières renvoient parfois à des labels reposant sur des critères précis et vérifiés de qualité. Ces labels peuvent être accordés par des organisations françaises (Conférence des grandes écoles) ou internationales (AACSB, AMBA, EFMD10...). Les sites Internet qui présentent les formations ainsi labélisées arborent les logos afférents. Ce choix éditorial procède d’un souhait de valoriser la qualité de ces formations, mais il permet conjointement à ces labels de développer leur notoriété et d’acquérir une forme d’autorité réticulaire.
23L’évaluation de la valeur des formations, de la portée des différentes formes de reconnaissance et leur articulation mutuelle reste un exercice difficile pour les étudiants. Porter un jugement critique sur la rigueur des méthodes qui président les processus évaluatifs en amont de ces formes de reconnaissance suppose une immersion dans un vocable jargonnant complexe et une enquête poussée sur des processus délibérément obscurs. Les critères quantitatifs et qualitatifs permettant l’usage de ces appellations qui font figure de labels de qualité varient : mode de gouvernance, densité des partenariats institutionnels, place de la recherche, moyens mobilisés (nombre d’enseignants ou nombre d’enseignants relatif au nombre d’étudiants, niveau scientifique moyen des membres du corps professoral), statistique de la mobilité internationale des étudiants, résultats produits par le dispositif en termes d’insertion, taux de validation par année, etc.
24Ces labels sont censés être un critère de choix d’une formation diplômante au-delà de la cohérence avec un projet professionnel évaluée à l’aune de sa maquette de cours et de la description des compétences visées. Pourtant, l’évaluation de la validité de ces labels est une gageure. L’effet de désorientation des jeunes procède donc autant de la complexité du système de reconnaissance que de stratégies délibérées d’organisations privées qui délivrent des diplômes reprenant des intitulés prestigieux sans qu’aucune instance de labellisation, ni aucune autre forme de reconnaissance ne soit mentionnée ou identifiable. L’appellation MBA désigne, par exemple, aujourd’hui une offre pléthorique de formations d’une année qui accueillent des étudiants parfois sans expérience au sein d’organismes de formation récents ne bénéficiant d’aucune forme de reconnaissance par des instances nationales et d’aucune notoriété auprès des recruteurs.
25Ce foisonnement de diplômes concurrents et visant à concurrencer ceux du système académique ne se limite plus aujourd’hui aux titres visant le niveau 6 et 7 de la nomenclature des niveaux. Des concurrents du doctorat émergent au travers d’une offre empruntant là encore aux acronymes anglo-saxons tels que les PhD (Philosophiæ doctor), Executive PhD ou bien encore DBA (Doctorate in business administration), dont les parcours ne sont pas forcément rattachés à une école doctorale, ni même enregistrés au RNCP. Le niveau 8 de la nouvelle nomenclature des niveaux adoptée en 2019 n’est pas l’exclusive en droit du doctorat. Aujourd’hui, le doctorat demeure encore le seul diplôme inscrit à ce niveau, mais des tentatives prochaines d’inscription au niveau 8 sont probables.
26La mise en visibilité des formes de reconnaissance et de labellisation est réalisée au moyen de logotypes présents dès la page d’accueil des sites institutionnels des écoles privées, sans que l’on sache précisément à quel(s) diplôme(s) précis ces logotypes se rattachent. Certaines écoles bénéficiant d’une accréditation pour seulement l’une de leurs formations n’hésitent pas à afficher le logotype de l’accréditation sur leur page d’accueil, amenant ainsi les éventuels candidats en phase de prospection à croire que toutes les formations de l’école sont accréditées. Si cette matérialisation de la labellisation par la présence du logotype restait jusqu’alors circonscrite aux formations privées, le ministère de l’Enseignement supérieur, de la Recherche et de l’Innovation a récemment opéré un virage historique dans sa stratégie de communication avec la production de labels et de logotypes propres aux diplômes délivrés par l’État. Le logotype des masters est, par exemple, un hexagone qui représente par métonymie le territoire métropolitain français, ce qui sémiotise l’idée d’un diplôme national. Cet hexagone est dessiné par trois cadres concentriques colorés qui rappellent le drapeau tricolore français. Ils forment un liséré tricolore qui accentue le caractère officiel de ce logotype au sein duquel est écrit en majuscules en blanc sur un fond bleu-vert foncé : « Diplôme national de master contrôlé par l’État ».
Figure 1 : Exemples de logotypes d’identification des formations contrôlées par l’État proposés pour la communication des établissements
27Des organismes de formation privés capables d’acheter des espaces publicitaires coûteux (affiches, stands dans des salons) mentionnent sur leur plaquette de présentation et leur site Internet une ribambelle de logotypes parfois fantaisistes qui doivent rassurer les étudiants sur leur sérieux. Le monde universitaire a longtemps considéré que les formations de leur périmètre ne devaient pas faire de publicité, que les dépenses publicitaires étaient le lot des formations nouvellement créées ou de mauvaise qualité tandis que les formations universitaires bénéficiaient d’une notoriété naturelle du fait de leur passé ancien et parfois glorieux ou par le simple bouche-à-oreille. Cette vision était d’autant plus confortable qu’elle coïncidait avec la pauvreté des moyens dont disposent les services de communication des universités en comparaison des budgets publicitaires des écoles privées. La création d’une famille de logotypes pour les formations universitaires et leur apparition sur les pages de descriptions des formations universitaires témoignent d’un revirement stratégique de la part du ministère, suite à la prise de conscience de la nécessité d’une mise en visibilité de la reconnaissance pour améliorer la réputation des diplômes publics.
- 11 Le revirement dans la communication stratégique des acteurs de la formation universitaire est aus (...)
28Les programmes diplômants se distinguent en termes de statut, de niveau, d’accréditation et de débouchés, mais aussi de cursus, d’origine sociale des étudiants, de réputation et de prestige. Au sein de ce système, la réputation des formations universitaires se détériorerait. Les conditions de travail des étudiants n’y seraient notamment pas propices à l’épanouissement personnel et à l’insertion professionnelle (Bodin et Orange, 2013). Le déploiement massif d’un logotype hexagonal sur les sites Internet des formations universitaires révèlent une stratégie offensive d’universités soucieuses d’apprendre à manier les mêmes leviers symboliques11 que les organismes privés. L’argumentaire qui accompagne la diffusion de ces logotypes par un simple lien de téléchargement précise que :
« Dans un paysage de la formation en forte évolution et dans le souci d’assurer l’information la plus précise et documentée possible aux lycéens, apprentis, étudiants en réorientation et aux familles, le ministère [...] a souhaité afficher de manière claire, par l’apposition d’un label, toutes les formations de l’enseignement supérieur dont la qualité académique est spécifiquement contrôlée par l’État, qu’elles soient dispensées par un établissement public ou privé12 ».
29Le ministère opère un glissement sémantique, réduisant le processus d’évaluation de la « qualité » académique des formations à un dispositif de contrôle ciblé sur les seuls éléments déclaratifs de leur description. Ces logotypes témoignent d’une acceptation implicite de l’existence d’un marché concurrentiel de la formation supérieure et d’une prise de conscience d’un risque réputationnel pour les formations universitaires.
30Dans ce cadre fortement concurrentiel, les écoles privées multiplient les signaux visant à rassurer quant à la qualité et la reconnaissance de leur offre. La durée d’étude post-baccalauréat (Bac +3, Bac +5) est ainsi souvent mentionnée sans pour autant que le diplôme ne soit inscrit au RNCP et positionné sur la nomenclature des niveaux, ni qu’il autorise ou facilite la poursuite des études dans un cycle supérieur. La référence à l’attribution d’ECTS est également souvent mise en avant sans qu’aucun cadre conventionnel permettant leur usage ne soit mentionné. Les crédits sont alors intransférables et inutilisables dans une perspective de poursuite d’études. Malgré les avancées de la loi de 2018 en termes de régulation et de contrôle et hormis des cas patents d’usage abusif, il reste extrêmement délicat de trouver une base juridique permettant de tempérer la communication agressive de certaines écoles, le code de la consommation restant la principale arme dans ce domaine.
31« À partir des années 1970-1980, la pratique des classements médiatiques s’est propagée au sein d’espaces sociaux jusque-là peu affectés par la palmérisation médiatique : enseignement supérieur et recherche » (Bouchard, 2015, 7). Les sites Internet des groupes L’Étudiant, Studyrama, et Eduniversal non seulement cartographient les formations en fonction de leurs niveaux, domaines et de mots-clés qui les décrivent, mais aussi les évaluent à travers l’éditorialisation d’une métrologie chiffrée qui fait écho à leur promesse communicationnelle.
32L’Étudiant est un groupe spécialisé dans l’information sur la formation, les études et les métiers. Son site propose à la fois un très riche contenu relevant du journalisme, un annuaire des formations et un classement. Les pages dédiées aux divers diplômes évoquent de manière textuelle les accréditations et labels comme : Diplôme national, Titre d’établissement RNCP niveau 6, Habilitation CTI grade de master, Label CGE. Le jugement porté par les visiteurs sur les diplômes procède a priori moins de ces mentions textuelles discrètes que d’étoiles vertes qui fonctionnent « comme indice d’un jugement [...] indépendamment de toute traduction » (Jeanneret, 2015, 166-167). Ces représentations iconiques stellaires sont désormais largement diffusées sur le Web jusqu’à une forme de standardisation (Deseilligny, 2014, 42), d’où une conscience accrue du fait qu’elles puissent « cacher pas mal de choses » (Pélissier, 2019). Les étoiles incarnent un jugement moyen fabriqué par un dispositif numérique participatif (Broudoux, 2015) à partir des avis d’internautes à l’identité non vérifiée qui ont cliqué sur un nombre d’étoiles pour chacun des 11 critères mentionnés. L’évaluation se traduit visuellement par une ligne de cinq étoiles vertes pouvant être remplies de couleur, pleinement, à moitié ou pas du tout. Une échelle avec 11 niveaux est ainsi sémiotisée pour construire un sens conditionné par la mention surplombante du nombre des avis exprimés dans une taille de fonte identique, une position qui valorise ce tandem d’informations dans le parcours de lecture.
33Le site Internet du groupe L’Étudiant propose aussi des articles de fond sur les critères permettant de choisir un « bon master », un catalogue très complet de formations, des palmarès d’écoles de commerce et des « bancs d’essai » des meilleurs masters dispensés dans des universités. Réalisé par des salariés du groupe au terme d’une démarche annuelle d’enquête expliquée très sommairement, ce banc d’essai se présente sous la forme d’un « tableau interactif » au contenu sommaire et d’apparence modeste.
Figure 2 : Classement par nombre d’étoiles sur le site de L’Étudiant
34Le site amiral du groupe Studyrama évoque un « acteur référent du monde de l’orientation et de l’aide à la réussite aux examens et aux concours ». Sur les pages de description des formations, un encadré « Chiffres clés » intègre une rubrique « Statut » (privé ou public) et une rubrique « Visa(s) et labels(s) » au sein de laquelle apparaissent en toutes lettres des mentions comme : Habilitation Commission des Titres d’Ingénieurs (CTI) ; Membre de la Conférence des Grandes Écoles (CGE) ; EUR-ACE ». Les pluriels entre parenthèses du titre de cette rubrique constituent autant d’invitations à considérer la profusion des visas et labels comme un signe favorable quant à l’autorité d’un diplôme. Cette rubrique n’est pas un invariant. À l’inverse, la présence de logotypes et de pictogrammes précisant la nature et les types de reconnaissance pour chaque diplôme s’impose comme un invariant sur les sites du groupe Eduniversal13 qui proposent à la fois une description, une évaluation et un classement des diplômes. Ce groupe créé en 2007 par une fusion avec l’agence de communication Noir sur Blanc reste connu sous son ancien nom, « SMBG ». Il se présente comme « la référence mondiale de l’évaluation des masters dans 152 pays », ainsi que l’auteur et l’éditeur de classements « reconnus dans le monde entier et encensés à la convention de Shanghai ». Sur les pages de présentation des diplômes, des pictogrammes décrivent de manière graphique presque ornementale des aspects factuels précis en lien avec chaque formation (durée, organisation des études, lettre du directeur, recevoir une plaquette, avis des étudiants, nombre de places disponibles). Des étoiles dorées incarnent un jugement issu de métriques évaluatives simplistes ainsi invisibilisées14. Cette représentation graphique conforte une idéologie gestionnaire (Barats et Née, 2020).
Figure 3 : Exemple de classement ordinal agrémenté d’étoiles sur le site meillleurs-masters.com
35La « raison graphique » dominante dans l’éditorialisation de l’évaluation sous la forme d’une pastille à l’effigie d’une médaille et d’étoiles invite à penser les diplômes dans une logique concurrentielle. Les pages de présentation des diplômes sur les sites Internet du groupe Eduniversal valorisent les idées de compétition et de classement ordinal. À rebours de cette logique de compétition entre diplômes, les logotypes représentent des reconnaissances et des labels qui construisent l’autorité intrinsèque des formations à travers une double logique qualitative et quantitative. Non seulement des logotypes doivent être présents, mais encore doivent-ils être nombreux, immédiatement reconnaissables et prestigieux. Ils sont d’autant plus importants que les deux acteurs privés de l’orientation n’utilisent pas le même vocabulaire pour désigner les formes et systèmes de reconnaissance : formation inscrite au RNCP, Titre d’établissement RNCP, enregistré au RNCP.
- 15 Ce master a été choisi parce que mis à l’honneur par le site meilleurs-masters dès la page d’accu (...)
Figure 4 : Exemple de présentation d’un master15 dans laquelle les logotypes abondent sur le site meilleurs-masters.com
36Dans le cas d’Eduniversal, les logotypes de reconnaissance et de labellisation ne viennent guère contrebalancer cette raison compétitive puisque leur présence prend la forme d’une ligne d’une dizaine de pastilles carrées jaunes ou grises au bout de laquelle s’affichent les pastilles de reconnaissance et de labellisation : le niveau au RNCP, l’accréditation HCERES pour les formations universitaires, l’accréditation CGE ou le fait d’être membre de la CGE, la certification ISO 9001, le label Qualicert et même une accréditation Eduniversal dont le logo est une branche de lauriers. Dans ce contexte, l’éditorialisation de description, de jugements en qualité, et de classements des diplômes de niveau 7 par Eduniversal sur le site meilleurs-masters fabrique conjointement l’autorité des formations qui misent sur une grande diversité de symboles de reconnaissance, et celle d’Eduniversal, qui s’érige puissamment « accréditeur », évaluateur, promoteur et éditeur.
37Dans un contexte d’insertion professionnelle sous tension, de surabondance et de complexité de l’offre de diplômes, les sites Internet des entreprises du secteur de l’orientation présentent des informations factuelles, des classements et des métriques évaluatives censées permettre aux lycéens et aux étudiants – et à leurs familles derrière eux –, de prendre des décisions optimales, conformément à une logique gestionnaire. Pour autant, la description qualitative des diplômes est très inégale et souvent réduite à la portion congrue.
38Dans la lignée d’une « passion évaluative » et d’une « folie quantitative » (Le Moënne et Parrini-Alemanno, 2010, 7), les jugements métriques des diplômes sont soit produits à partir d’enquêtes quantitatives et qualitatives à l’épistémologie fragile mais peu contestée dans l’espace public, soit coproduits par les internautes. Des dispositifs numériques participatifs cadrent en effet leur expression selon des modalités ambiguës (identifiées non validées, listes brèves et très subjectives de critères d’évaluation). Les évaluations métriques obtenues sont formalisées graphiquement par des étoiles, tandis que des séries diversement longues de logotypes diversement prestigieux sémiotisent l’idée de reconnaissance par des instances supérieures légitimes (accréditation et de labellisation). L’éditorialisation des pages de ces sites valorise ces deux catégories de repères visuels, les érigeant en déterminants majeurs de l’autorité réputationnelle des formations. Ces symboles visuels simplistes, conjugués à leur éditorialisation fortement marquée par une vision économique inspirée du libéralisme, contribuent donc à orienter, légitimer, conforter ou rassurer les étudiants dans leur prise de décision en faveur d’un diplôme.
39La formation professionnelle s’impose comme un marché de libre concurrence où l’État français est comme aspiré dans une compétition avec des groupes privés. Institué dans une position paradoxale de régulateur et d’acteur critiqué de l’enseignement supérieur, il diffuse ses propres logotypes qui insistent sur la dimension nationale de diplômes qu’il se limite pourtant à « contrôler ». Des contestations individuelles et collectives s’expriment au sujet de cette vision libérale qui a été accompagnée et favorisée par les gouvernements successifs dans une perspective de massification des diplômes. Pour autant, les formations universitaires utilisent ces nouveaux logotypes de reconnaissance dans un mouvement stratégique d’intégration du principe d’un « marché des diplômes » et d’acceptation de ses règles. C’est là l’un des ressorts de la naturalisation d’une vision idéologique libérale de l’enseignement supérieur.