Éric Delamotte Recherches francophones sur les éducations aux médias, à l’information et au numérique1

2Présentant dès le départ l'existence de plusieurs vérités sur la question de l’EMI, notamment les variations dans « l’objet d’étude » d’un pays à un autre ou les approches pédagogiques de la discipline, l’ouvrage fait preuve d’une pluralité disciplinaire et méthodologique et regroupe des résultats de recherches menées en Europe et au Canada.

3À l’heure où la production de l’information (information utile, fake news, polémiques, propos haineux) est intensive avec la participation active des réseaux sociaux, les éducations aux médias, à l’information et au numérique se légitiment et ont tout à fait leur place dans les débats éducatifs et politiques. Ce livre met en lumière les enjeux (pratiques et scientifiques) liés au domaine de l’éducation aux médias.

4Ainsi, l'importance de la collaboration impliquant les recherches qui structurent les différents questionnements sur les pratiques info-communicationnelles, les dispositifs numériques et les médias est soulignée dans la partie introductive de cet ouvrage rédigé par Éric Delamotte, professeur en sciences de l’information et de la communication à l’Université de Rouen Normandie.

5La première partie consacrée à la question de l’éducation aux médias s’emploie à retracer la construction de cette discipline et son évolution depuis les années 1980, une évolution cyclique (p. 27) qui ne permet pas de réellement appréhender les véritables avancées du domaine depuis sa genèse. Les auteurs insistent sur la non-uniformité des méthodes dans l’éducation aux médias, même s’il existe une certaine unicité en ce qui concerne son objet d’étude. Les trois chapitres qui forment la première partie du livre s’accordent sur plusieurs points, à savoir : les difficultés à cerner l’objet d’étude de l’éducation aux médias, le peu d’investissement des sciences de l’éducation dont il relève initialement, la prédominance du modèle « production des médias scolaires par les élèves » dans le déploiement de l’éducation aux médias sur le terrain notamment en France, les enjeux institutionnels, etc.

6Pour eux, la pluridisciplinarité qui investit le champ de l’éducation aux médias dans la sphère francophone, fait partie intégrante de l'identité de ce domaine dès sa naissance. Toutefois, ce champ pose plusieurs problèmes dont « la difficulté à le rattacher à un domaine spécifique » comme le mentionne Marlène Loicq (INSPE, Université de Paris-Est Créteil) et Jacques Piette (Université de Sherbrooke, Québec) dans le premier chapitre de l’ouvrage : « L’éducation au média s’est construite en électron libre, gravitant autour de plusieurs disciplines dont elle mobilise les concepts et méthodes, sans jamais s’y laisser attacher officiellement ».

7Isabelle Féroc Dumez (INSPE, Université de Poitiers) quant à elle souligne l’absence de l’aspect communicationnel dans la construction des projets d'éducation aux médias alors que la discipline des sciences de l’information et de la communication est celle qui investit le plus ce champ.

8Par ailleurs, la question de l’éducation à l’information constitue l’objet de la seconde partie de cet ouvrage. Les auteurs reviennent principalement sur la documentation, le métier des enseignants chargé de l’éducation aux médias et à l’information dans les établissements. Ils revisitent l’historique de la construction du domaine de l’information-documentation en France pour porter non seulement un regard critique sur les travaux conduits dans ce domaine mais aussi sur leurs propres travaux.

9Les trois chapitres constitutifs de cette deuxième partie de l’ouvrage nous parlent longuement de la notion de culture de l’information. Cette notion renvoie à un ensemble de connaissances et de savoir-faire partagés qui permettent de communiquer de manière pertinente. Le livre propose une pluralité de définitions de la culture de l’information. Les avis sont partagés entre ceux qui considèrent une seule et unique « culture de l’information » qui permet de maîtriser et de critiquer les contenus, et ceux qui sont ouverts à l’existence des « cultures de l’information ». Ces derniers questionnent le rapport culturel à l’information et aux documents, faisant mention de l’existence de plusieurs cultures. Les auteurs mettent également en évidence le rôle de médiateur de la culture de l’information entre l’information et la communication.

10Une réflexion est également menée par les auteurs sur la part de l'enseignant documentaliste dans la transmission de cette notion de culture informationnelle. Pour Viviane Couzinet (LERASS, Université Toulouse III-Paul Sabatier), « il faut que les professeurs-documentalistes s’emparent davantage de "la culture informationnelle" et partagent l’affiliation aux SIC ». Annette Béguin-Verbrugge (GERiiCO, Université de Lille), pour sa part, revient sur les trois axes des fonctions du professeur-documentaliste rappelés dans la nouvelle circulaire éditée en mars 2016. L’une de ces fonctions concerne justement la culture de l’information : « Le professeur-documentaliste est enseignant et maître d'œuvre de l’acquisition par les élèves d’une culture de l’information et des médias (...) ».

11Pour finir, l’ouvrage aborde la notion de l'éducation au numérique dans une troisième partie. Les auteurs s'attardent sur la didactique de l’informatique en milieu scolaire. Le premier chapitre fait un retracement factuel de l’historique de l’enseignement de l’informatique. Il mobilise et définit un champ sémantique non exhaustif qui caractérise la discipline de l’informatique à son apparition. Au xxi^e siècle, la notion d’informatique scolaire mérite une attention particulière dans l’univers de la recherche. Le second chapitre de cette partie traite justement de cette notion qui renvoie à la fois à des activités sociales mais aussi à un champ scientifique et technique. Béatrice Drot-Delange (Université Clermont Auvergne) et Cédric Fluckiger (CIREL, Université de Lille) abordent dans « l'informatique scolaire », des questions sémantiques pertinentes pour aller au-delà de la référence informatique qui renvoie à la programmation et appréhender les usages qui permettent de parler de numérique. De ce fait, Béatrice Drot-Delange propose de définir « l’informatique scolaire » comme une informatique pour tous, qui concerne l’ensemble des savoirs et des savoir-faire nécessaires à chacun pour qu’il puisse être en mesure d’exprimer son agentivité dans la société numérique actuelle. Les auteurs exposent leurs différents travaux sur cette thématique et insistent sur l'importance d’identifier les liens que l’informatique scolaire entretient avec la culture informationnelle et médiatique.

12À partir de ces travaux convergents, divergents et surtout complémentaires, comment l’éducation aux médias, l’éducation à l’information et l’éducation au numérique pourraient unifier leurs objets d’étude pour tenter, d’un point de vue pragmatique, de révolutionner la didactique de l’EMI ? Pourquoi la notion de communication semble quasi absente de ces travaux ? Ce sont les questions que nous nous posons après la lecture de cet ouvrage riche et surtout pluriel qui aborde non pas de façon exhaustive les différentes approches liées aux éducations aux médias, à l’information et au numérique, mais qui fait un bilan stupéfiant des travaux dans la sphère francophone. Il montre les avancées mais aussi les limites de ce qu’il en est actuellement.

13Ainsi, ce livre ouvre de nombreuses pistes pertinentes à explorer et développer dans les recherches en éducation aux médias, à l’information et au numérique. Des recherches qui peuvent approfondir « la construction d’un véritable projet éducatif durable qui prend en compte toutes les problématiques (la compréhension des médias, l’analyse de leur contenu, la protection contre le harcèlement…) ». Pour Thierry de Smedt (Académie royale des sciences, des lettres et des beaux-arts de Belgique) et Pierre Fastrez (FNRS, Université catholique de Louvain), l’éducation aux médias est encore une nébuleuse hétérogène d'initiatives locales. Dans le dernier dialogue de la troisième partie de l'ouvrage, Daniel Peraya (TECFA, FPSE, Université catholique de Louvain) propose également une piste d’approfondissement des recherches sur « les approches critiques de la technologie éducative » pour aller au-delà des études empiriques sur les inégalités numériques en éducation.

14Pour notre part, nous avons été interpellée par les dialogues et les regards croisés des auteurs du chapitre 4, qui permettent d’appréhender la délicate articulation entre l’information et la communication. Pour ces chercheurs qui veulent promouvoir une interdisciplinarité dans l’éducation à l’information, il y a une nécessité de commencer en interne au sein de la discipline de l’information et de la communication elle-même. Les trois points de rapprochements (rapprochement entre les travaux inscrits dans les analyses fines et compréhensibles de l'activité avec ceux cherchant le dépassement théorique, conceptuel, voire théorique ; un rapprochement entre le scientifique et l’acteur du monde social ; un rapprochement entre l’information et la communication) que propose Vincent Liquète pour renforcer les liens du domaine nous paraissent pertinents pour parvenir à la forme singulière « information-communication » que propose Viviane Couzinet. Toutefois il serait intéressant de voir si cette singularité liée au nom du domaine porte réellement en elle les bases d’une interdisciplinarité dans les sciences de l’information et de la communication.

15L'ouvrage s'adresse à un public déjà initié aux éducations aux médias (professionnels, chercheurs, élèves et parents). Il leur offre un aperçu utile des défis de l'information dans nos sociétés contemporaines. De plus, le style rédactionnel de l’ouvrage facilite sa lecture. Un ensemble de dialogues qui laissent le temps au lecteur de comprendre chacun des points abordés.