Reine Bürki (dir.), Engager les bibliothèques dans la transition écologique
Bürki, R. (dir.) (2023).
Engager les bibliothèques dans la transition écologique
. Coll. Boîte à outils, Presses de l’Enssib.Texte intégral
1Comment s’établit la relation des bibliothèques hexagonales avec la transition écologique pour activer des approches durables et responsables ? L’ouvrage publié aux Presses de l’Enssib sous la direction de Reine Bürki rend compte de cette synergie sur l’ensemble du réseau des bibliothèques. Il correspond à un premier acte structurant de ce qui sous-tend la relation entre les livres et les questions environnementales, entre les bibliothèques et leur développement durable, responsable et social. Élaboré en trois volets propices aux lectures transversales, l’ouvrage est composé d’un ensemble de 14 articles et deux entretiens. Des encadrés au fil des articles permettent d’apporter un éclairage sur une mission interministérielle, des normes et textes réglementaires, voire des expérimentations ou des notions plus spécifiques comme la littératie écologique. L’organisation de l’ouvrage en facilite la lecture et permet de mieux percevoir les enjeux et les thèmes abordés.
2Les normes, réglementations et expérimentations actuelles sont présentées dans une première partie intitulée « Fonctionner durable ». Elle débute par l’intitulé emblématique de la pensée durable : « Agir local, penser global » pour présenter le concept de développement durable à partir du rapport Brundtland, et des Agenda 21 puis 2030 de l’ONU. D’agendas en sommets, Joachim Schöpfel resitue les étapes décisives du programme durable et soutenable, notamment par les initiatives professionnelles des bibliothèques vertes, et par l’engagement de l’IFLA avec le Green Library Award et ses critères généraux d’évaluation. L’arsenal réglementaire environnemental appliqué aux bâtiments des bibliothèques est détaillé par Johanne Ouazzani sur les actions (diagnostics énergétiques, rénovations, consignes climatiques pour les collections) ainsi que sur les aides, les lois, les missions interministérielles du numérique écoresponsable voire même sur le « Plan climat-biodiversité et transition écologique » qui contribuent au développement d’un service public écoresponsable. Les leviers de réduction des gaz à effet de serre (GES) sont observés par Fanny Valembois dans les activités professionnelles de la bibliothèque, notamment sur l’évaluation de l’impact énergétique et climatique des bibliothèques et sur l’inventaire du bilan carbone des établissements. Lionel Dujol constate la nécessaire prise en compte du cycle de vie du numérique entre fabrication, période d’usages et fin de vie des équipements pour relever le défi d’une transformation numérique écoresponsable en bibliothèque en luttant contre le gaspillage et en adhérant à l’économie circulaire. Florence Rodriguez décrit la filière du livre en recherche d’un équilibre entre diffusion et conservation. La politique documentaire est focalisée sur la consultation et le renouvellement tandis que le traitement des collections est plus secondaire et que la fragilisation des collections par les ultraviolets, les conditions climatiques et la pollution atmosphérique induit un traitement durable par la conservation préventive. La médiathèque de Venelles est un démonstrateur de programmation de projet culturel, scientifique, éducatif et social en lecture publique ; dans ce contexte Élisabeth Arquier expérimente un ensemble de méthodes et d’outils (charte d’engagement, actions écoresponsables, carte collaborative d’initiatives locales) se situant dans une logique globale de fonctionnement durable et de responsabilité sociétale.
3En ouverture de la deuxième partie, « Manager environnemental », Sophie Bobet s’appuie sur son expérience de direction de la médiathèque de la Canopée, distinguée « meilleur projet mondial de bibliothèque verte » par l’IFLA en 2022, pour expliciter le cadre et les règles du management environnemental (SME) en stimulant une intelligence collective reliée à une culture de l’expérimentation créative par des actions et des évaluations régulières au moyen d’outils de diagnostic et d’indicateurs. L’animation d’un réseau de sept bibliothèques municipales à Annecy encourageant la prise d’initiatives, l’usage des outils de sensibilisation à l’écoresponsabilité et la créativité des agents constitue le cœur de la mission Transitions que conduit Bruno Fouillot depuis 2022. Celle-ci comprend un plan pluriannuel de formation des managers pour des évolutions organisationnelles et environnementales qui mutualisent les politiques documentaires et numériques du réseau de lecture publique. En matière de sensibilisation aux transitions et nouveaux comportements des équipes en bibliothèques universitaires, Raphaëlle Bats analyse le cas de l’Université de Bordeaux qui a engagé un programme de mobilisation de ses agents par l’éducation au changement climatique ainsi qu’à l’écolittératie transmises dans le cadre d’ateliers pour susciter la responsabilisation et l’encapacitation collective. Pour prolonger la réflexion, Natalia Leclerc montre comment la stratégie de développement durable et de responsabilité sociétale en bibliothèque universitaire se structure, au moyen du label DD&RS et de ses référents, sur une démarche en mode projet avec des outils de gestion adaptés pour la veille sur les actions et problématiques émergentes, tout en permettant aux établissements de s’autodiagnostiquer pour progresser. Le soutien et la formation des professionnels du livre en Normandie sont assurés par l'agence Normandie Livre & Lecture (N2L) à l’aide d'une charte élaborée en 2022 et d’un annuaire régional. Marion Cazy complète cette séquence par un entretien sur la mission de N2L qui vise à dynamiser les coopérations avec d'autres acteurs de la lecture, et à mettre en place de nouveaux circuits pour développer l'économie sociale et solidaire (ESS) dans la filière du livre sur le territoire.
4Le troisième axe « Agir responsable » explore l'engagement des bibliothèques dans la transition écologique en termes de réduction de l’empreinte carbone, mais aussi de réflexion sur les besoins du public. La création de la commission « Bibliothèques vertes » de l’ABF propose ainsi un blog pour centraliser les ressources dans ce domaine. Sophie Bobet souligne le caractère indissociable du développement durable et de la responsabilité sociétale pour conduire une politique documentaire sur les collections, les services, la programmation culturelle et la médiation, et elle propose le lieu de la bibliothèque comme un espace refuge pour les publics lors de phénomènes climatiques extrêmes. L’inclusion en bibliothèques est, elle, analysée par Nathalie Clot sur l’exemple de la bibliothèque universitaire d'Angers qui envisage un accueil sans préjugés des lecteur.trices en espaces de lecture et l'inclusion de personnes neuroatypiques. Cette approche inclusive implique l’adaptation des espaces (salles de sieste, outils d’isolement), le développement des compétences du personnel pour y répondre, et questionne les normes sociales en encourageant la neurodiversité par des initiatives allant de l'art à des séances de médiation animale. Les maisons associatives de l’Environnement (ME) œuvrent pour la sensibilisation, l’éducation et la diffusion de la culture environnementale sous forme de conférences, débats et ateliers tout en offrant à tous les niveaux de lecture des ressources documentaires indexées par une classification spécialisée sur l'écologie et la biodiversité. Vanessa Minarro et Claire Papillon témoignent ainsi de l’adaptation des ME aux évolutions sociétales notamment par l’organisation avec la Métropole de Lyon du prix littéraire « Lire pour agir » valorisant les initiatives citoyennes en transition. Le projet de recherche ECODOC porté par Raphaëlle Bats pose l’idée de la conception d’une écologie documentaire inhérente à l’organisation des savoirs en bibliothèque et il interroge la mise en relation des savoirs et des intelligibilités de façon technique, éthique et politique dans l’objectif de développer des dispositifs de valorisation de connaissances pour des territoires en transition.
5Au moyen de formations, d’enquêtes et d’événements, l'association pour l'écologie du livre créée il y a quatre ans questionne par la lecture le modèle numérique et ses dimensions informationnelles pour sensibiliser aux enjeux environnementaux. Dans ce dernier entretien de l’ouvrage, Martin Schaffner développe l’approche de l’association en « trois écologies du livre » : matérielle, sociale et symbolique, où les enjeux d’écoresponsabilité, les questions d’interdépendance et de bibliodiversité sont au centre des réflexions.
6C’est sous la forme d’un memento décliné en six axes que le lecteur se voit proposer une synthèse finale : Arpenter, Formaliser, S’adapter, Sensibiliser, Agir, et Rayonner, notamment par les associations et réseaux interprofessionnels et institutionnels. Une bibliographie indicative, précédée d’une liste des sigles et acronymes et d’un glossaire, viennent en fin d’ouvrage compléter les nombreuses références citées au fil des contributions.
7À la dernière page de l’ouvrage, le lecteur prend connaissance dans un encadré de l’ensemble des étapes de fabrication et de transports de l’ouvrage qu’il lit, pour en évaluer l’empreinte environnementale. Le label PEFC comme le label Imprim’Vert attestent d’une cohérence entre contenu et contenant car l’écologie du livre commence bien là.
8S’il fallait un prolongement à ces travaux, l’étude hexagonale des aspects durables et responsables en bibliothèques pourrait se poursuivre sur une plus vaste échelle pour étudier au niveau international d’autres approches et pratiques de la transition écologique dans ces lieux de connaissances. Cet ouvrage collectif nous remémore que la bibliothèque est par essence un lieu durable de conservation des livres au travers des âges, comme du savoir qu’ils renferment, et qu’elle répond depuis ses origines à l’économie de l’usage dans le partage des biens que forment l’ensemble des connaissances constitutives du fonds. Les défis soulevés par la transition représentent probablement pour les bibliothèques une opportunité de se réinventer sur la base de ce qui les fonde.
Pour citer cet article
Référence papier
Sophie Pittalis, « Reine Bürki (dir.), Engager les bibliothèques dans la transition écologique », Études de communication, 62 | 2024, 219-222.
Référence électronique
Sophie Pittalis, « Reine Bürki (dir.), Engager les bibliothèques dans la transition écologique », Études de communication [En ligne], 62 | 2024, mis en ligne le 05 juin 2024, consulté le 17 juin 2025. URL : http://journals.openedition.org/edc/17053 ; DOI : https://doi.org/10.4000/11ryf
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