1Adapté de son HDR en sciences de l’information et de la communication, l’ouvrage d’Aurélie Laborde explore les violences numériques ainsi que la résistance des individus et des collectifs dans le cadre du travail, considérées comme l'une des facettes sombres, invisibles, cachées, discrètes et peu étudiées des organisations. Son approche appelle à prendre en compte la dimension politique de la communication organisationnelle et propose une démarche de recherche-action collaborative permettant d’éclairer les pratiques professionnelles inciviles et violentes produites dans les organisations, prolongées dans les dispositifs numériques et invisibilisées par le management.

3La deuxième partie traite les résistances discrètes au travail et se compose également de quatre chapitres. Elle aborde la disqualification de la résistance par les « techno-discours » fondés sur une idéologie conditionnant les formes d’appropriation des technologies et rejetant toute critique qui remet en question ses arguments. Alors que les travaux de recherche sur les résistances à l’usage des technologies des années 2000 sont focalisés sur le non-usage perçu comme une défaillance, le tournant « positif » dans les approches sur les résistances transformatrices des organisations émerge à partir des années 2010. Aurélie Laborde montre que l’usage des technologies joue un rôle de révélateur des dysfonctionnements organisationnels et permet de libérer les paroles. Elle révèle aussi que l’usage peut servir à développer une conscience politique des formes de domination au travail. Le « soft control » du management n’entraîne pas une disparation de la résistance, mais une évolution vers des pratiques cachées et créatrices profitant des failles technologiques que l’auteure analyse à travers le concept de l’« exploit » d’Alexander Galloway et Eugène Thacket. Pour penser la résistance comme source de transformation constitutive des organisations, Aurélie Laborde propose d’allier approche critique des usages et approche centrée sur les résistances analysées à partir de la notion du pouvoir d’agir. Elle note ainsi l’importance de penser la résistance au travail comme processus évolutif car donnant lieu à de nouvelles formes de résistance discrètes et invisibles, et dépassant le cadre organisationnel.

4La troisième partie constituée de trois chapitres rend compte de la démarche de recherche-action collaborative pour éclairer la face obscure des organisations. Aurélie Laborde revient sur l’approche de recherche-action qu’elle associe au paradigme du pragmatisme en partant du principe que c’est l’action qui permet de générer des connaissances scientifiques. Pour illustrer cette approche, le programme Civilinum sur l’évolution de la civilité au travail est cité pour expliquer que la démarche de terrain s’est déroulée en trois temps : les réunions régulières qui ont permis de définir l’objet et les problématiques rencontrées par les chercheurs et les organisations ; les focus groups organisés en plusieurs thématiques et réunissant une vingtaine de participants ; et la co-rédaction d’un livre blanc sur les incivilités numériques. Cet exemple engage des questionnements sur la neutralité scientifique, la réflexion éthique, le processus de construction des connaissances ou encore la perspective critique de la démarche de recherche. L’auteure explique ces éléments afin de défendre une démarche de recherche originale qu’elle appelle la « recherche-action collaborative », et qui s’intéresse aux objets considérés comme « négatifs » dans les organisations, qui est inscrite dans l’action et vise l’action, et qui s’appuie sur la réflexivité continue et les critiques des différents acteurs participants. Aurélie Laborde conclut que cette démarche recherche simultanément la production des connaissances, l’apprentissage et l’action dans un contexte professionnel caractérisé par de fortes transformations, incertitudes et complexité renforcées par les nouvelles formes du travail à l’ère du numérique.

5L’ouvrage d’Aurélie Laborde cadre les nombreux travaux de recherche sur les usages des technologies au travail, propose de nouveaux éclairages sur les violences numériques et les résistances discrètes, et présente la recherche-action collaborative comme approche pertinente pour mener des recherches dans les milieux professionnels en mutation permanente. À travers les perspectives critiques qu’elle présente, Aurélie Laborde soutient la mobilisation des praticiens dans le processus de construction de la recherche.