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Situations

Licencier: un cas de conscience. À propos de Potentiel du sinistre de Thomas Coppey (2013) et de Cora dans la spirale de Vincent Message (2019)

Corinne Grenouillet
p. 137-155

Abstracts

The scarcity of jobs and the obligation of today’s executives to select employees for layoffs create moral dilemmas and suffering. This article proposes to examine two cases of conscience within two contemporary corporate novels related to the necessity of laying off a subordinate. Potentiel du sinistre by Thomas Coppey (Actes Sud, 2013) and Cora dans la spirale by Vincent Message (Seuil, 2019) explore these cases of conscience, taking care to place the reader on the side of their characters, middle managers in the insurance world. Following the work of Frédérique Leichter-Flack, notably Qui vivra qui mourra. Quand on ne peut pas sauver tout le monde (Albin Michel, 2015), the situations in which the authors immerse their characters become the basis for an ethical reflection.

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Full text

  • 1 A. Adler, M. Heck (dir.), Écrire le travail au XXIe siècle, quelles implications politiques?; S. (...)
  • 2 S. Florey, L’engagement littéraire à l’ère néolibérale.
  • 3 A. Labadie, Le roman d’entreprise français au tournant du XXIe siècle.
  • 4 C. Grenouillet, «La représentation du travail dans le champ littéraire et critique contemporain».
  • 5 Ce colloque, organisé par Aurore Labadie et moi-même, a eu lieu les 12-14  octobre 2022 à l’unive (...)
  • 6 M. C. Nussbaum, La connaissance de l’amour.
  • 7 Nous reprenons ici la synthèse d’E. Zanin, à laquelle nous renvoyons pour une analyse du contexte (...)
  • 8 F. Leichter-Flack, Qui vivra qui mourra; Id., Le laboratoire des cas de conscience; M. Gibert, L’ (...)

1La critique des romans ou des récits du travail a jusqu’à présent porté son attention sur leur dimension socio-littéraire, sociologique ou politique1. Elle a insisté sur les questions d’engagement2 ou d’implication3 des auteurs et sur l’espoir d’une repolitisation de la littérature4. Cet article voudrait changer l’angle de vue en examinant deux romans dans une perspective éthique, comme y a invité l’institut thématique interdisciplinaire LETHICA et son colloque de 2022 consacré aux «Fables du tri: travail, entreprise, et conflits éthiques dans la littérature et le cinéma des XXe et XXIe siècles»5. Cette approche s’inscrit dans la lignée des travaux pionniers de Martha Craven Nussbaum6 qui «analysent les textes littéraires comme l’expression de cas moraux, théorisant ainsi des problématiques éthiques à partir d’une approche phénoménologique des intrigues de fiction»7, mais je me m’inspirerai ici, pour l’essentiel, des livres de Frédérique Leichter-Flack et de Martin Gibert8.

2Dès lors qu’on s’intéresse au monde contemporain, dans les pays industrialisés, force est d’admettre que le travail se décline sur le mode de la pénurie d’emploi et du chômage de masse. L’emploi est en effet un secteur où la pénurie est avérée et structurelle, les salariés constituant les variables d’ajustement des politiques d’augmentation de la productivité d’un groupe: licencier garantit les profits parfois indécents des détenteurs du capital.

3La représentation qui en est faite n’est pas restée indifférente à cet aspect et, depuis les années 2000, nombre de romans et de témoignages narrent des épisodes de restructurations assortis de renvois de salariés. Les licenciements appartiennent aujourd’hui à la topique des romans du travail, notamment de ceux qui mettent en scène les instances managériales de la grande entreprise du secteur tertiaire, qui seront l’objet de cette étude.

  • 9 U. Eco, Lector in fabula, p. 99.
  • 10 Je m’inspire des travaux de V. Jouve dans L’effet-personnage dans le roman. L’auteur montre l’imp (...)

4L’exclusion de l’entreprise se décline dans des situations narratives fortes, construites sur les scénarios communs9 de la vie ordinaire. Elles mettent en scène des personnages auxquels le lecteur s’identifie10 d’autant plus efficacement, à notre sens, que les auteurs que nous avons choisi d’étudier adoptent peu ou prou une esthétique réaliste et entrent dans l’intériorité et les émotions de leurs protagonistes.

  • 11 F. Leichter-Flack, Qui vivra qui mourra.
  • 12 Une mère de famille grecque est sommée par un soldat allemand de choisir, parmi ses trois fils qu (...)
  • 13 W. Styron, Le Choix de Sophie, 1981 [1979].
  • 14 C’est-à-dire «où il n’y a plus de choix qu’entre le mal et le mal et où il n’est plus possible d’ (...)
  • 15 Dans la série télévisée américaine Homeland, d’Howard Gordon et Alex Gansa (2011-2020), inspirée (...)

5Les situations de pénurie – le manque de nourriture et d’eau, l’exposition au froid, le manque de soin – constituent des réservoirs inépuisables pour la réflexion éthique et romanesque, ainsi que l’a montré Frédérique Leichter-Flack dans Qui vivra, qui mourra11. À ces manques fondamentaux identifiables dans diverses situations ou catastrophes, les camps de concentration nazis ont ajouté les sélections, réalisées par des hommes sur des hommes, c’est-à-dire la désignation, arbitraire et récurrente, des personnes qui devaient être éliminées. Dans plusieurs exemples, réels12 ou fictionnels13, étudiés par Frédérique Leichter-Flack, la sélection passe par un tiers, qu’on force à réaliser l’opération. Ils mettent notamment en scène un nazi contraignant une femme à choisir, parmi ses enfants, celui qui doit être maintenu en vie, donc celui qui doit périr: le choix moral de Sophie, au sein d’une «situation verrouillée»14, accule la malheureuse à une déchéance morale irréversible. Les exemples de l’autrice ne sont pas pris exclusivement dans le cadre de la Seconde Guerre mondiale ou des camps, même si ce contexte a porté à leur incandescence de tels cas de conscience. D’autres conflits historiques plus récents comme la guerre en Irak ont offert un terreau fertile à la réflexion éthique, à travers la littérature ou le cinéma15, en raison de leur caractère extrême et percutant. Nous voudrions montrer que la représentation de dilemmes moraux issus de la nécessité de choisir ou de trier ne se restreint pas aux situations extrêmes évoquées par F. Leichter-Flack; pour peu qu’on y prête une attention suffisante, on les observe aussi dans les romans d’entreprise contemporains.

  • 16 On aura reconnu la catégorie définie par A. Labadie, Le roman d’entreprise français au tournant d (...)

6Ces dilemmes liés à des situations de pénurie et/ou à l’obligation de sélection surviennent en effet dans des cas ordinaires qui combinent un triage imposé à un salarié occupant une fonction d’encadrement et la nécessité d’une «survie» professionnelle. Pour un cadre d’aujourd’hui, garder son emploi signifie bien souvent licencier autrui. La sélection des meilleurs s’articule sur l’exclusion des plus faibles ou des moins conformes. Cette pratique engendre sentiment d’injustice et souffrance morale: c’est ce que démontrent, selon moi, Potentiel du sinistre et Cora dans la spirale, deux romans d’entreprise16 consacrés au monde de l’assurance, qui déclinent deux cas de conscience emblématiques en prenant soin de placer le lecteur du côté de leurs personnages.

Potentiel du sinistre (2013)

  • 17 Nous nous référons aux analyses de P. Bourdieu qui distingue deux pôles structurant le champ litt (...)

7Potentiel du sinistre, premier roman de Thomas Coppey, a reçu le Prix du roman d’entreprise et du travail 2014, qui salue des ouvrages destinés davantage au grand public qu’aux producteurs du champ littéraire17. L’auteur, né en 1980, est resté depuis lors au seuil du champ littéraire, malgré la publication d’un deuxième roman, Divertissement, publié en 2017, toujours chez Actes Sud. Pourtant, ce roman de 215 pages mérite qu’on s’y attarde pour la précision de l’analyse qui y est faite d’un parcours professionnel singulier et pour la tonalité satirique qui s’y déploie.

  • 18 T. Coppey, Potentiel du sinistre, p. 16. Désormais les références à ce roman figurent entre paren (...)
  • 19 Sur cette question, nous nous référons au témoignage informé de D. Bille, DRH, la machine à broye (...)
  • 20 A. Del Rey, La tyrannie de l’évaluation.

8Après un «parcours de haut niveau en mathématiques et finance»18, Chanard, le personnage principal, désigné par son patronyme même dans la sphère privée, a intégré une entreprise située au croisement du monde de la finance et de l’assurance. Il se révèle rapidement capable d’«assumer des responsabilités à un niveau supérieur», tandis que «ses performances atteignent ou dépassent les objectifs fixés (A-AAA)» (p.  44), devenant un des «Talents» du «Groupe» qui l’a embauché. Cette dénomination de «talent» est commune aujourd’hui dans les entreprises soucieuses de classer leurs employés afin d’identifier les meilleurs, en les distinguant des moins performants, désignés par l’anglicisme low performers; on la trouve aussi dans Cora dans la spirale. Cette pratique de classement dénommée ranking vise la rémunération au mérite des salariés, mais plus sûrement la sélection de ceux qu’il convient de remercier, bien que le ranking forcé soit interdit par la loi française19. Cette pratique s’appuie sur les valeurs de la méritocratie que véhicule la «tyrannie de l’évaluation»20. L’entreprise légitime ainsi par les «résultats» de ses salariés les rares promotions qu’elle attribue aux meilleurs et les exclusions, beaucoup plus fréquentes, des moins performants d’entre eux. Nous avons mis entre guillemets le terme «résultats», car la mise en concurrence poussée à l’extrême des salariés les uns envers les autres est surtout une méthode pour justifier des licenciements.

  • 21 A. Labadie, Le roman d’entreprise français au tournant du XXIe siècle, p. 195-198.
  • 22 M. Gibert, L’imagination en morale, p. 121.

9Ce roman a été à juste titre étudié par Aurore Labadie pour sa satire caustique de la langue du management21, mais il doit l’être aussi pour la réflexion éthique et le cas de conscience qu’il propose. Si la dimension morale de ce roman n’a pas été repérée, c’est sans doute qu’elle n’est pas «perceptuellement saillante», mais au contraire «sous-exposée», pour parler comme le philosophe Martin Gibert22, spécialiste de psychologie morale, et qu’elle exige un effort d’attention. Une lecture du roman, à hauteur de personnages, permettra de la mettre en lumière.

10Le dilemme concerne le renvoi de Vautier, un collègue célibataire et solitaire, qui a facilité l’insertion professionnelle de Chanard et avec qui celui-ci s’est lié d’amitié. Présenté comme le type du bon collègue, loyal et droit, qui obéit non seulement au «Code de conduite [du Groupe]», que tous les salariés sont censés suivre, mais aussi, précise le narrateur, «peut-être [à] ses propres principes» (p. 30), Vautier possède une conscience fondée sur des valeurs et une morale personnelles.

11Chanard et sa femme Cécile, de leur côté, sont engagés dans le culte de la performance et de la réussite professionnelle et le premier connaît une ascension professionnelle rapide. Contrairement à eux, Vautier, habité par une forme d’inquiétude, n’est pas engagé aveuglément dans les projets de son entreprise et conserve à leur égard une distance critique, comme on le voit dans cette affirmation:

Il m’arrive de trouver mesquin d’avoir pour objectif maître de produire de l’argent avec de l’argent, pour le compte de clients qui en ont souvent déjà beaucoup (p.  33).

Il nourrit par ailleurs une passion pour le cinéma qui l’empêcherait de se «concentre[r] sur sa fonction» (p. 45), ce qui lui est sévèrement reproché par ses supérieurs.

12Prétextant un moment de crise, lié à l’échec d’un produit assurantiel imaginé par Chanard, la direction du Groupe intime à celui-ci l’ordre de «se séparer de 10 % de l’effectif primaire de [son] équipe». Le calcul est présenté avec un humour noir qui rétablit la donnée humaine:

Ce qui signifie 0,5 personne pour une équipe de cinq. Autrement dit une personne (p. 154).

Mathématiquement, le calcul aurait pu tout aussi bien être ramené à 0, mais le lecteur a compris qu’éviter un licenciement n’est pas l’objectif du «Groupe»…

13Deux chapitres, situées au deux tiers du roman (p. 153-163), sont consacrés au dilemme éprouvé par Chanard. Il tente d’abord d’argumenter en faveur du maintien de l’équipe en raison de la «complémentarité» de chacun de ses membres, mais son «Branch Director» reste «intraitable» (p. 156). Deux personnages permettent ensuite à Thomas Coppey de développer le cas de conscience. Chanard consulte son subordonné le plus proche, Préville, puis sa femme, Cécile.

14Le premier lui fait comprendre que la direction vise le licenciement de Vautier. Celui-ci a connu une mise à pied de quatre semaines suite à un épisode dépressif, et il est classé «cinquième sur cinq» dans la liste de collaborateurs (p. 156). Chanard doit-il licencier Vautier, qui travaille dans le Groupe depuis huit ans, ou «le Nouveau» qui vient d’arriver? Selon la direction, le Nouveau est «un collaborateur prometteur, des plus compétitifs, intègre, et doté d’une culture du risque tout à fait admirable» (p. 160). Cette appréciation pastiche la langue de l’entreprise. Outre le banal «collaborateur», en relèvent les références à la compétitivité exigée de chacun, et la «culture du risque» qui révèle une phraséologie bien implantée dans la langue du management. Pour Préville, il ne fait pas l’ombre d’un doute que Vautier doit être sacrifié sur l’autel de la rentabilité.

15De son côté, Cécile recommande à son mari peu ou prou la même chose: faire ce qu’on attend de lui «avec le bien du Groupe comme impératif» (p. 155) et, puisqu’il est un manager et que c’est son rôle, «commander» sans se poser de question. Elle estime par ailleurs qu’  «il est logique et normal que les éléments psychologiquement instables soient écartés» (p. 157), et donc que Vautier le soit.

16La raison économique incarnée par son collègue, comme le cynisme et le pragmatisme incarnés par sa femme, plaident donc en faveur du renvoi de Vautier et du maintien du Nouveau. Pourtant, Chanard propose le renvoi de celui-ci. Et cette décision va le mettre dans une position délicate face à hiérarchie. Contre l’avis de Chanard, le «Groupe» décide en effet de renvoyer Vautier, ce qui montre bien que la prise en considération de l’avis du manager n’était que pure façade. Les jeux étaient faits avant même qu’il ne soit consulté.

17Le roman de Coppey met ainsi l’accent sur un cas de conscience, même si le point de vue et l’usage du discours indirect (libre ou non) pris en charge par le narrateur n’invitent pas le lecteur à éprouver une grande empathie à l’égard du personnage principal, examiné tel un papillon par un entomologiste. Mais il ne minore pas le fait que la demande initiale du Groupe produit de la souffrance.

18En tant qu’organisateur du travail dans son équipe, Chanard se rend compte des effets potentiellement délétères de ce licenciement sur ses collaborateurs:

[…] la charge de travail abandonnée sera redistribuée aux employés restants, comme toujours dans ces cas-là. Un tel surcroît d’activité générera du stress, une pression supplémentaire inutile en période de crise […] (p. 155).

  • 23 Ch. Dejours, Souffrance en France.

19Mais la plus grande souffrance est engendrée par l’obligation de participer à l’injustice sociale, au «mal», pour parler comme Christophe Dejours23. L’enquête collective La misère du monde (1993) avait mis en lumière, elle aussi, ces double binds néolibéraux. Chanard devra en effet «désigner la victime de la restructuration» (p. 154) et, par conséquent, endosser le rôle du «coupeur de têtes» ou du «cost-killer» (p. 155), ce qui lui répugne. Sa souffrance est clairement éthique.

20Que ferions-nous, nous lecteurs et lectrices, à la place de Chanard? Et d’abord, le roman lui-même nous invite-t-il à nous poser cette question? Nous oblige-t-il à adopter la perspective de Chanard, en nous aidant à comprendre sa situation de son point de vue?

  • 24 V. Jouve, L’effet-personnage dans le roman, p. 68.
  • 25 C. Grenouillet, «Figures et discours du pouvoir».
  • 26 T. Pavel, Univers de la fiction, cité par V. Jouve, L’effet-personnage dans le roman, p. 68.
  • 27 V. Jouve, L’effet-personnage dans le roman, p. 119 ss.

21Chanard vit dans un monde proche du nôtre – dans L’effet personnage dans le roman, Vincent Jouve parle de «proximité culturelle»24 – et il est amené à connaître des situations qu’un lecteur contemporain pourrait vivre. Il incarne un type, le manager, occupant une fonction de cadre, fréquent dans les romans d’entreprise, et homologue de dirigeants réels25. Néanmoins la tonalité générale du roman, ironique, gêne l’identification du lecteur au personnage. La distance que la narration instaure par rapport à son personnage principal n’est pas «bienveillante» pour reprendre le terme de Thomas Pavel26. Ainsi lit-on que Chanard se «lamente» en buvant des verres dans un café, avant de rentrer chez lui où sa femme lui apporte un verre d’eau et une aspirine. Ni le décor attribué au débat intérieur (le bistrot), ni le verbe décrivant péjorativement l’état de Chanard (se lamenter), ni le résultat de ses cogitations (un mal de tête pris en charge par sa femme) n’activent le code de sympathie27 qui associe le lecteur au malheur d’un être de fiction. Chanard est au contraire soumis au regard satirique du narrateur. Le lecteur se voit alors tiraillé entre la compréhension empathique de la difficulté qu’éprouve le personnage à devoir choisir et le sens général du roman, qui se gausse de l’adhésion aveugle du personnage et de sa femme au monde du management et de l’entreprise. Si Chanard, après tout, se trouve dans une telle situation, c’est qu’il l’a bien voulu, semble nous dire le narrateur. La seule véritable solution n’aurait-elle pas été de se protéger des sirènes du discours managérial et de refuser de travailler dans une grande entreprise?

22Le licenciement de Vautier fait pourtant basculer la trajectoire de Chanard. Celui-ci ne cesse de penser à son ami et devient moins productif. Il échoue lors d’une négociation. Son état mental subit des hauts et des bas. La lecture de livres de développement personnel et ésotériques l’ébranle intérieurement. Il est mis en arrêt maladie pour quinze jours, puis consulte un psychiatre qui renouvelle son arrêt. À son retour (chapitre 35), il est anxieux, incapable de se concentrer et ne songe qu’à fuir son travail. Les dernières phrases du roman, citées ci-dessous, constituent le point d’orgue de ce qui s’apparente à une sortie du monde de l’entreprise. À force de recherches, Chanard a fini par découvrir la «Structure», une institution vouée au bien-être et à la reconstruction psychologique et cherche à l’intégrer…; or, au moment où il atteint ce but, il s’aperçoit que celle-ci est pilotée par un «Depression Manager» et que ses valeurs sont exactement les mêmes que celles de l’entreprise qu’il vient de quitter:

Chanard passe une nuit difficile, il se présente en petite forme. Le Depression Manager est éloquent, il énumère des valeurs: Performance. Transparence. Courtoisie. Engagement. Éthique. Humanité. Notre mission est de procurer le bien-être à ceux qui nous font confiance. Notre ambition est de devenir la structure la plus admirée du monde, réputée pour son expertise et l’excellence de ses résultats. Maintenant, parlez-moi de vous (p. 215).

23Le roman raconte donc l’impossibilité d’échapper à une logique du management qui s’est définitivement immiscée dans tous les secteurs de la société. Le lecteur rit et se moque de Chanard, bien persuadé qu’il ne céderait pas lui-même aux mirages entrepreneuriaux…, mais est-il si différent, au fond, de Chanard et aurait-il agi différemment dans sa situation?

Cora dans la spirale (2019)

24Vincent Message, né en 1983, est un écrivain de la même génération que Thomas Coppey. Normalien, maître de conférences à l’université de Paris VIII où il a fondé le master de création littéraire, il occupe une place plus assurée dans le champ littéraire, à la fois comme auteur et comme critique. De nombreux médias ont rendu compte de ses romans, plusieurs interviews de lui sont visibles ou lisibles sur la toile. Ses deux premiers livres (Les Veilleurs, 2009; Défaite des maîtres et possesseurs, 2015) ont été primés et le premier avait été sélectionné pour les grands prix littéraires d’automne; Cora dans la spirale figurait dans les sélections de rentrée des Inrockuptibles, des prix Fnac, Renaudot et Médicis. Les Années sans soleil, son quatrième roman, est paru en 2022.

  • 28 V. Message, Cora dans la spirale. Désormais les références à ce roman figureront dans le texte en (...)

25Avec Cora dans la spirale28, un épais roman de facture réaliste et de tonalité sérieuse, Vincent Message entre dans la complexité de la vie d’une femme, vue sous toutes ses facettes de mère, d’épouse, d’amante et surtout de salariée d’une grande entreprise d’assurance, et il la saisit dans un moment de crise, professionnelle et amoureuse. La narration du drame de Cora Salme, qui s’est déroulé en 2012, est confiée à un enquêteur, Mathias, situé dans un futur proche, les années 2030, dispositif qui met ce drame et son contexte social en perspective.

  • 29 «Et ça ne te gêne pas, […] de gagner tout ce fric à demander aux autres de faire mieux avec moins (...)

26Ainsi, avant la grande épreuve du licenciement auquel Cora doit procéder dans le neuvième chapitre, central, du roman (p. 286-314), le lecteur a-t-il recueilli de nombreuses informations sur l’histoire et les valeurs de la protagoniste éponyme. Il sait qu’elle est dotée d’un sens moral puissant, hérité d’une famille protestante, qu’elle est également pourvue d’une sensibilité de gauche, attentive aux plus miséreux et qu’elle a une conception du travail comme participation à l’amélioration du monde (p. 320). Elle n’adhère pas aux valeurs du capitalisme financier, s’insurge contre les actionnaires qui «se goinfrent un peu plus» (p. 256), et trouve scandaleuse «cette société de la rente» (p. 258)29. Titulaire d’un diplôme d’une école de commerce, elle aurait voulu s’impliquer dans le domaine de l’entrepreneuriat solidaire et social (p. 63), mais l’absence d’offre d’emplois dans le secteur l’a conduite à se diriger vers le marketing assurantiel, choix déterminé par des considérations humanistes (p. 64).

  • 30 F. Leichter-Flack, Le laboratoire des cas de conscience.

27La réduction des coûts entamée dans son entreprise après la crise des subprimes de 2008 provoque un violent conflit intérieur entre ses valeurs personnelles et ses obligations professionnelles. Le roman devient alors un véritable laboratoire de cas de conscience30.

28En effet, sa hiérarchie demande à Cora, en tant qu’«encadrant[e] de proximité» (p. 299), de prendre ses «responsabilités» (p. 299), euphémisme désignant la sélection et l’éviction de deux salariés.

29Le roman s’attache, comme celui de Coppey, à préciser les procédures de classement et d’évaluation permettant de réaliser ce triage. Les managers sont invités à cesser «de surnoter, de mettre de gentils A à tout le monde […]. Pour que personne ne soit tenté de tricher, la direction a décidé qu’il fallait de toute façon un minimum de 20 % de D» (p. 296). La procédure relève clairement du ranking forcé décrit par Didier Bille, puisqu’elle présuppose que toutes les équipes comportent automatiquement un cinquième de salariés méritant de recevoir une mauvaise note, donc d’être renvoyés.

  • 31 L. Boltanski, È. Chiapello, Le nouvel esprit du capitalisme.

30Ce plan a été mis en place grâce à l’aide d’un cabinet de consultants, notamment une femme ambitieuse (Delphine Cazères), devenue par ailleurs la maîtresse de Cora. La proximité de cette consultante avec le personnage principal permet à l’auteur de faire entendre dans le roman la voix de ceux qui font partie de la catégorie des «forts» (p. 310), c’est-à-dire des gagnants du capitalisme selon Luc Boltanski et Ève Chiapello31, dont Message connaît bien les travaux. Ces gagnants n’ont pas d’attaches affectives, ni ne possèdent de biens qui les enracineraient dans un lieu; surdiplômés, ils sont animés par «l’esprit d’aventure» (p. 311) qui les conduit à se transporter au bout du monde pour les besoins de leur métier.

31Le dilemme se construit au moyen du dialogisme. Trois personnages se voient ainsi confier la défense du plan de licenciement Optimo.

32Le «N + 2» de Cora espère pouvoir se débarrasser du «poids mort» que représentent des salariés peu performants et travailler avec «des gens plus smart». Il fait entendre le discours viriliste, identifié par le psychiatre Christophe Dejours, sur le thème du sale boulot à exécuter, de la «passe difficile» qui exige que tous les managers y participent. Comme le Branch Director de Coppey, ce supérieur hiérarchique se targue de comprendre le malaise moral des cadres chargés de choisir qui licencier: «entre nous soit dit, moi non plus je n’aime pas ça» (p. 297). D’après lui, certains «gobent» même des «antidépresseurs pendant les réunions» (p. 307). Le deuxième défenseur du plan Optimo, la directrice des ressources humaines, fait valoir qu’on trouve bien pire ailleurs, que Cora n’est pas à même de juger des choix économiques de son entreprise, avant de lui asséner que «si [elle] trouve le climat irrespirable, […] [elle] est libre de partir» (p. 306), ce que son «N + 2» lui avait donné à entendre lui aussi (p. 299). Quant à la consultante, elle se place «du point de vue de la boîte» (p. 311), qui gagne, elle, chaque année «moins» d’argent (p. 294) et qui, en tant qu’«organisme vivant», doit être constamment restructurée par l’ajustage de ses effectifs (p. 298). Delphine propose une approche technique de la procédure, expliquant que toute entreprise «provisionne» pour régler les contentieux des prud’hommes, et dénuée d’empathie pour la souffrance humaine.

  • 32 S. Myers, Plumes ouvrières, littératures en action.

33Le romancier prête ensuite au mari de Cora une autre analyse, distanciée, plus théorique et métaphorique, de la situation où se trouve sa femme. Il la compare à celle d’un joueur d’échec devant une «fourchette» où une pièce est nécessairement perdue au coup suivant (p. 299). Confrontée à l’obligation de licencier, Cora doit choisir entre «une pièce secondaire, un cavalier, un fou, c’est-à-dire quelqu’un d’autre» ou «sa dame, autrement dit elle-même» (p. 299). On retrouve la question de la «place» évoquée par Samia Myers32: qui doit être à la place du mort?

34Le dilemme est bien celui, moral, du choix de la personne à sacrifier, à un moment où l’absence de choix n’est pas possible, bien que Cora, comme Chanard, ait tenté de défendre cette option (ne pas choisir) et de se décharger du problème sur un autre collègue.

35De la même façon que Coppey a fourni quelque épaisseur à l’ami licencié, Message prend soin de donner consistance à «Nadège Galtier», le maillon faible de l’équipe, qui sera licenciée. À l’inverse de Vautier, ce personnage réactive un double socio-type, la vieille fille mal fagotée et la collègue insupportable. Bavarde, elle passe son temps à se plaindre. Pusillanime, elle ne prend jamais aucune initiative. Rebutée par Internet, elle commet une grave faute professionnelle en diffusant malencontreusement un mail. Rien en elle ne la rend sympathique. Mérite-t-elle pour autant d’être la victime d’un licenciement répondant à un ranking forcé? Tel est l’enjeu éthique du chapitre 9, qui répond, en profondeur, à une autre question morale: une vie peut-elle valoir moins qu’une autre? Celle de Nadège vaut-elle moins que celle de Cora?

36Toujours en empathie avec son héroïne, l’auteur prête à Cora la délicatesse de proposer à sa subordonnée de démissionner «pour maquiller cet épisode sur son CV» (p. 302). Mais le lecteur sait qu’une démission dépouillerait Nadège de son indemnité de licenciement et il en vient à soupçonner Cora de faire, à son corps défendant peut-être, le jeu de son entreprise.

37C’est en discours direct, devant le dictaphone de Mathias plus de vingt-cinq ans après les faits, que Cora explique: «Ça a brisé quelque chose en moi. Quelque chose qui s’était fendillé lors de ma chute à Saint-Lazare, et qui n’a plus tenu, qui cette fois a cédé» (p. 303). Malgré son humanité et bien qu’elle ait souhaité se dispenser d’un tel acte, Cora a en effet pleinement participé au renvoi de Nadège, et à ce qui s’apparente, pour peu qu’on y soit attentif, à une tentative d’homicide involontaire.

38Que Vincent Message confie ce cas de conscience, fréquent dans la réalité, à une femme sensible, sensée et attachante, oblige là aussi le lecteur ou la lectrice à se poser la question de ce qu’il ou elle aurait fait dans un tel cas.

  • 33 Le terme est l’objet d’un commentaire autonymique qui insiste sur le cynisme qu’il recouvre.

39Comme dans le livre de Coppey, l’épisode constitue un moment de basculement dans le récit. Si le N+2 Franck Tommaso fait partie de ces «hommes sérieux» qui affirment «assumer» leurs actes33, Cora, elle, ne peut se satisfaire d’avoir accompli sans broncher le «sale boulot» qui était attendu d’elle. Son déchirement intérieur ne peut être comblé par les certitudes apportées par un discours viriliste. La souffrance psychique liée à la «honte» d’avoir agi contre ses propres valeurs (p. 302) la conduit bientôt dans un enfer: le thème de la catabase structure en effet en profondeur le roman.

  • 34 De tels événements sont loin d’être improbables dans un cadre professionnel. Ils ont été notammen (...)

40Notre référence à la valeur d’une vie a pu sembler excessive. Pourtant les conséquences de l’annonce du licenciement sont d’une violence extrême: Nadège fait une crise cardiaque sur son lieu de travail, crise dont elle ne se remettra jamais totalement34. En tant que salariée peu adaptée, solitaire, et hors normes, Nadège Galtier prend place aux côtés de deux autres personnages vulnérables du récit, les victimes collatérales du capitalisme: le jeune Malien qui se suicide, la petite Manon qui meurt dans une voiture en plein soleil, oubliée par sa mère surmenée.

  • 35 La question se pose aussi pour Chanard: «Il répète à Cécile qu’il n’appliquera pas la consigne et (...)
  • 36 L. Boltanski, È. Chiapello, Le nouvel esprit du capitalisme, p. 161-189, en particulier p. 183 sq(...)

41Aurait-il fallu que Cora se sacrifie elle-même plutôt que d’accepter de choisir quel salarié renvoyer?35 C’est une des options suggérées par son mari quand il évoque la fourchette du jeu d’échec, mais elle est rapidement balayée (p. 299): Cora n’a pas d’autre travail en vue. Contrairement à son amie consultante, elle s’est endettée pour acheter un appartement, elle est mère d’une petite fille et n’est donc pas libre de renoncer à son emploi. Elle ne dispose pas de la légèreté et de l’absence d’ancrage des gagnants du nouveau capitalisme connexionniste36.

42Par le mécanisme de l’identification au personnage souffrant, essentiel dans la réception ordinaire, le lecteur est conduit à épouser le point de vue de Cora, à s’indigner du choix qui lui est demandé, à s’émouvoir de ses difficultés et du drame qu’elle connaît, et à en chercher les raisons. Cora fait partie des petites mains du capitalisme, ceux qui sont situés plutôt au bas de l’échelle (bien que bon nombre de salariés soient encore plus bas qu’elle). À travers son drame, qui est une des conséquences du choix qu’elle a dû réaliser, c’est donc l’ensemble d’un système qui est dénoncé.

43Depuis le XIXe siècle, la fiction réaliste s’appuie sur la réalité, dont elle prétend expliciter les rouages. Cette réalité, nous la connaissons, mais le roman nous la fait ressentir. Les deux exemples montrent comment fonctionnent en régime fictionnel les mécanismes du triage à la sortie de l’entreprise en s’appuyant sur des personnages qui nous sont relativement proches. Les deux supports de cas de conscience sont toutefois construits différemment par les romanciers. Chanard est l’objet d’une stylisation au service d’un objectif satirique. Cora comme socio-type – la femme de trente ans salariée du secteur tertiaire – est proposée à l’identification du lecteur non seulement par les mécanismes de la proximité culturelle, mais aussi par la mise en action du code de sympathie.

  • 37 La mise à mort du travail, série documentaire réalisée par J.-R. Viallet sur une idée de Ch. Nick (...)

44Ces romans mettent en lumière le travail des cadres et offrent une approche non manichéenne de la complexité des rapports de subordination au sein de la grande entreprise moderne. La figure du patron d’autrefois s’efface derrière la multiplicité des strates d’encadrants intermédiaires qui sont aux commandes de celle-ci. Le système capitaliste ne peut plus s’appréhender selon un schéma opposant de manière binaire des salariés victimes situés tout en bas de l’échelle – même s’il en existe, bien évidemment – et des dirigeants bourreaux prêts à tout pour assouvir leur appétit de gain; même s’il apparaît clairement que les détenteurs du capital sont les principaux bénéficiaires et les principaux responsables de la «mise à mort du travail»37.

45On ne peut que souligner la perversité du système mis en place dans l’entreprise qui attribue à certains de ses acteurs, des cadres situés à un niveau intermédiaire dans la hiérarchie et non au sommet de celle-ci, la mission d’opérer la sélection, donc le licenciement. Cette délégation en cascade conduit à une dilution de la responsabilité morale: un manager ne fait qu’accomplir des ordres venus d’en haut et il pourrait, le cas échéant, se prévaloir de cette subordination devant la justice. Dans le même temps, les cadres concernés – et ils sont malheureusement nombreux – bénéficient involontairement de la mise au chômage de leurs subordonnés: chaque manager ne peut en effet rester dans le poste qu’il occupe qu’à condition d’accepter de réaliser cette tâche éprouvante, voire destructrice moralement, qui consiste à renvoyer un ou des collaborateurs.

46Néanmoins, Cora est loin de tirer un quelconque bénéfice de l’accomplissement de sa mauvaise action morale, tout au contraire. Si elle ne perd pas son travail, les conséquences indirectes du renvoi de sa collègue Nadège Galtier sur sa vie sont tragiques puisque sa fillette décède, drame dont la justice la tiendra pour responsable et qui lui vaudra un procès.

47Dans ces deux romans, Chanard et Cora occupent simultanément deux places: ils sont les supérieurs des salariés qu’ils vont sélectionner. Mais en tant que managers de «proximité» (intermédiaires), ils peuvent, à leur tour, tomber, notamment s’ils refusent d’accomplir leur mission. C’est ce qui arrive à Philippe Lemesle, personnage central du film de Stéphane Brizé campé par Vincent Lindon dans Un autre monde (2021): ce directeur s’oppose à un énième dégraissage du site industriel qu’il gère dans le respect et la confiance de ses salariés, car il mettrait en péril la viabilité de l’outil de production. Pour cette raison, Philippe Lemesle se voit signifier son renvoi. Ses supérieurs lui proposent alors, en une saisissante escalade dans la perversité, d’abandonner cette sanction, à condition qu’il accepte de procéder au licenciement de son plus fidèle collaborateur et quasi ami.

48Ce que montre le film de Stéphane Brizé, c’est que l’individu en entreprise, même pris dans des dilemmes éthiques intenses et destructeurs, peut recouvrer sa dignité morale. À la suite de cette proposition indigne, Philippe rédige en effet, à l’intention de sa hiérarchie, une lettre de démission qui est lue en voix off. C’est ainsi qu’il perd son travail, mais qu’il se sauve moralement, donnant au spectateur le sentiment bienfaisant de la réparation éthique.

49Faute d’avoir eu le courage, ni même l’idée, d’écrire une telle lettre, Cora s’acquitte du prix exorbitant que lui fait payer son romancier, la perte d’un enfant, drame auquel elle survit contre toute attente. Quant à Chanard, il est puni lui aussi, condamné à rester à jamais prisonnier de l’univers managérial dont il a été un zélateur particulièrement convaincu.

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Bibliography

Textes

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Travaux

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Filmographie

Viallet, Jean-Robert, La mise à mort du travail, série documentaire réalisée sur une idée de Christophe Nick, Éditions vidéo France Distribution, 2009.

Brizé Stéphane, Un autre monde, long-métrage produit par Nord-Ouest Film, 2021.

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Notes

1 A. Adler, M. Heck (dir.), Écrire le travail au XXIe siècle, quelles implications politiques?; S. Chavel, S. Servoise-Vicherat (dir.), Le travail sans fin; C. Grenouillet, Usines en textes; V. Poltier, Une contradiction fondamentale dans la littérature du travail.

2 S. Florey, L’engagement littéraire à l’ère néolibérale.

3 A. Labadie, Le roman d’entreprise français au tournant du XXIe siècle.

4 C. Grenouillet, «La représentation du travail dans le champ littéraire et critique contemporain».

5 Ce colloque, organisé par Aurore Labadie et moi-même, a eu lieu les 12-14  octobre 2022 à l’université de Strasbourg <https://lethica.unistra.fr/evenements/evenement/les-fables-du-tri-travail-entreprise-et-conflits-ethiques-dans-la-litterature-et-le-cinema-des-xxe-et-xxie-siecles>.

6 M. C. Nussbaum, La connaissance de l’amour.

7 Nous reprenons ici la synthèse d’E. Zanin, à laquelle nous renvoyons pour une analyse du contexte et du contenu du livre fondateur de M. C. Nussbaum (E. Zanin, «Lire pour apprendre à aimer»).

8 F. Leichter-Flack, Qui vivra qui mourra; Id., Le laboratoire des cas de conscience; M. Gibert, L’imagination en morale.

9 U. Eco, Lector in fabula, p. 99.

10 Je m’inspire des travaux de V. Jouve dans L’effet-personnage dans le roman. L’auteur montre l’importance de ce mécanisme à travers différent processus, comme l’essentialisation de l’être fictif ou l’effet de vie.

11 F. Leichter-Flack, Qui vivra qui mourra.

12 Une mère de famille grecque est sommée par un soldat allemand de choisir, parmi ses trois fils qui doivent être fusillés, celui qui sera épargné. Cet exemple, donné par Albert Camus dans une conférence datant de 1946, est cité par F. Leichter-Flack au chapitre II, « Les choix tragiques. Des situations où il n’est plus possible d’être moral », de Qui vivra qui mourra.

13 W. Styron, Le Choix de Sophie, 1981 [1979].

14 C’est-à-dire «où il n’y a plus de choix qu’entre le mal et le mal et où il n’est plus possible d’agir de manière humaine» (F. Leichter-Flack, Qui vivra qui mourra, chap. II).

15 Dans la série télévisée américaine Homeland, d’Howard Gordon et Alex Gansa (2011-2020), inspirée elle-même de la série israélienne Hatufim, le sergent Brody, captif pendant huit ans dans une geôle d’Al-Qaïda, a été conduit à tuer son codétenu, sous la menace d’être lui-même mis à mort.

16 On aura reconnu la catégorie définie par A. Labadie, Le roman d’entreprise français au tournant du XXIe siècle.

17 Nous nous référons aux analyses de P. Bourdieu qui distingue deux pôles structurant le champ littéraire, celui de la «production pure», où les œuvres ne sont parfois lues que par les seuls producteurs de livres et par les critiques, et celui de la «grande production», où T. Coppey me semble se situer (P. Bourdieu, Les règles de l’art, p. 204).

18 T. Coppey, Potentiel du sinistre, p. 16. Désormais les références à ce roman figurent entre parenthèses dans le texte.

19 Sur cette question, nous nous référons au témoignage informé de D. Bille, DRH, la machine à broyer.

20 A. Del Rey, La tyrannie de l’évaluation.

21 A. Labadie, Le roman d’entreprise français au tournant du XXIe siècle, p. 195-198.

22 M. Gibert, L’imagination en morale, p. 121.

23 Ch. Dejours, Souffrance en France.

24 V. Jouve, L’effet-personnage dans le roman, p. 68.

25 C. Grenouillet, «Figures et discours du pouvoir».

26 T. Pavel, Univers de la fiction, cité par V. Jouve, L’effet-personnage dans le roman, p. 68.

27 V. Jouve, L’effet-personnage dans le roman, p. 119 ss.

28 V. Message, Cora dans la spirale. Désormais les références à ce roman figureront dans le texte entre parenthèses.

29 «Et ça ne te gêne pas, […] de gagner tout ce fric à demander aux autres de faire mieux avec moins pour que des actionnaires se goinfrent un peu plus?» déclare-t-elle (p. 256).

30 F. Leichter-Flack, Le laboratoire des cas de conscience.

31 L. Boltanski, È. Chiapello, Le nouvel esprit du capitalisme.

32 S. Myers, Plumes ouvrières, littératures en action.

33 Le terme est l’objet d’un commentaire autonymique qui insiste sur le cynisme qu’il recouvre.

34 De tels événements sont loin d’être improbables dans un cadre professionnel. Ils ont été notamment étudiés par la psychodynamique du travail. Voir M. Pezé, Ils ne mouraient pas tous mais tous étaient frappés, p. 131 ss.

35 La question se pose aussi pour Chanard: «Il répète à Cécile qu’il n’appliquera pas la consigne et s’ils insistent, il proposera le Nouveau. Sinon ce sera moi, ma loyauté sera sauve et le compromis viable» (p. 157).

36 L. Boltanski, È. Chiapello, Le nouvel esprit du capitalisme, p. 161-189, en particulier p. 183 sq.

37 La mise à mort du travail, série documentaire réalisée par J.-R. Viallet sur une idée de Ch. Nick, 2009.

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References

Bibliographical reference

Corinne Grenouillet, “Licencier: un cas de conscience. À propos de Potentiel du sinistre de Thomas Coppey (2013) et de Cora dans la spirale de Vincent Message (2019)”Études de lettres, 320 | 2023, 137-155.

Electronic reference

Corinne Grenouillet, “Licencier: un cas de conscience. À propos de Potentiel du sinistre de Thomas Coppey (2013) et de Cora dans la spirale de Vincent Message (2019)”Études de lettres [Online], 320 | 2023, Online since 05 June 2023, connection on 16 April 2024. URL: http://journals.openedition.org/edl/4556; DOI: https://doi.org/10.4000/edl.4556

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