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L’organisation du travail dans les coulisses de la différenciation (bis)

La collaboration entre équipes professionnelles et la différenciation des apprentissages : état des lieux d’un accompagnement des enseignants

Sabrin Housni, Marie Dumont, Gwendydd Piret, Audrey Kumps, Gaëtan Temperman et Bruno De Lièvre

Résumés

En Belgique francophone, le “Pacte pour un Enseignement d’Excellence” vise à réformer l’enseignement. Un projet pilote visant à accompagner les enseignants prenant en charge la différenciation des apprentissages de la lecture et de l’écriture a été mené. Une modalité a été privilégiée : le coenseignement. Cet article détaille les modalités d’accompagnement d’enseignants de 10 écoles visant le développement des pratiques professionnelles et se basant sur les besoins identifiés par les enseignants. Nos résultats montrent qu'en outillant les enseignants par des fiches diffusées au sein d’une communauté d’apprentissage professionnelle, ces derniers ont fait évoluer leurs pratiques de différenciation. Après avoir décrit ces changements, nous les mettons en perspective en nous focalisant sur l’impact du coenseignement dans le développement des pratiques, mais également sur l’importance de la collaboration entre chercheurs et enseignants.

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Texte intégral

1Bien que la façon de définir la différenciation pédagogique ne fasse pas complètement consensus (Paré & Trépanier, 2010), elle implique l’idée d’ajuster son enseignement pour « permettre à chacun des élèves d’atteindre un but d’apprentissage » (Prud’homme et al., 2005, p. 2). Globalement, elle vise à favoriser la réussite de tous les élèves et à soutenir leur développement de manière optimale. Pourtant, une fois qu’il s’agit de la mettre en place, cela s’avère complexe tant il y a des dimensions à gérer dans l’enseignement fondamental (Paré, 2011 ; Tomlinson et al., 2003). Il apparait intéressant d’accompagner les enseignants dans leur classe en vue de déterminer leurs besoins et de les outiller dans la mise en place de la différenciation. En effet, il semble que les enseignants éprouvent toujours des difficultés à considérer la diversité en classe autrement qu’en termes de problèmes et demeurent campés dans une vision du travail plutôt transmissive et uniforme (Leroux & Malo, 2015, p. 2).

  • 1 Le cycle 5-8 concerne les élèves de 5 à 8 ans, à savoir les M3, P1 et P2 en Belgique ou les GS, CP (...)

2Suite à ces observations, la Fédération Wallonie-Bruxelles (FWB) s’est lancée en 2015 dans une réforme complète de son enseignement, via le Pacte pour un Enseignement d’Excellence. Dans ce cadre, plusieurs expériences-pilotes ont été mises en place, dont une sur la différenciation en apprentissage de la lecture au cycle 5-81. Concrètement, elle permet l’octroi de périodes supplémentaires destinées à la mise en œuvre du coenseignement dans l’objectif de différencier les apprentissages en lecture et en écriture. De plus, elle offre un accompagnement spécifique des enseignants par un chercheur universitaire.

3Cet article se situe dans le champ de la recherche-action (Elliot, 1991 ; Gauthier, 1984) et propose une analyse de la perception de 47 enseignants de 10 écoles de la FWB ayant participé à cette expérience-pilote pendant 14 mois, encadrés par 3 chercheurs de l’Université de Mons. Cette analyse aura pour objectif de réaliser un état des lieux de cette intervention en se focalisant sur 3 aspects : le développement des pratiques de différenciation des apprentissages, le développement des pratiques professionnelles et l’évaluation de l’accompagnement des chercheurs.

Ancrages théoriques

Le coenseignement, une pratique pédagogique favorisant la différenciation des apprentissages

4Tremblay définit le coenseignement comme un travail pédagogique en commun, dans un même groupe, temps et espace, de deux enseignants qui partagent les responsabilités éducatives (Tremblay, 2015, p. 35). L’auteur met en avant que le coenseignement profite à tous les élèves et qu’il permet aux enseignants de disposer des conditions idéales afin de mettre en œuvre une différenciation pédagogique efficace. Le coenseignement est à différencier de la co-intervention, qui consiste en un soutien individualisé accordé à un élève ou un groupe d’élèves au sein de la classe ordinaire ou en dehors. Comme l’affirme Tremblay (2015, p. 34), « La co-intervention ne constitue pas une différenciation de l’enseignement et n’en favorise pas l’apparition. Il s’agit essentiellement d’une individualisation ». Fort de ces constatations, notre projet prône le coenseignement qui répond aux limites de la co-intervention et qui vise à maintenir tous les élèves au sein d’une même classe grâce à un travail de différenciation de l’enseignement.

5Par la présence de 2 enseignants au sein de la classe, des dispositifs pédagogiques plus innovants peuvent être déployés et les élèves ont plus de possibilités de s’exprimer, de s’engager pleinement dans les apprentissages, de se tromper, de pratiquer la métacognition… Un argument qui revient souvent dans le chef des enseignants est qu’il est difficile de rencontrer les besoins de chaque élève, alors qu’ils sont souvent plus de 20 par classe. Dans le cadre du coenseignement, les enseignants sont 2 à prendre en charge les pratiques de différenciation, le ratio enseignant/élèves et la charge de travail sont ainsi diminués. Un enseignement individualisé et plus soutenu peut ainsi se mettre en place (Friend & Cook, 2007), tout en étant moins stigmatisant, comme les élèves ne sont pas extraits de leur groupe-classe (Murawski & Hughes, 2009). Dans des recherches plus récentes, l’on observe également de meilleures performances en lecture/écriture sous l’effet d’un coenseignement (Tremblay, 2012, 2013), une amélioration de l’estime de soi et des postures de l’élève attendues par l’école (Fontana, 2005 ; Hang & Rabren, 2009).

6Si le coenseignement comporte des avantages, il présente également certaines limites. Tremblay (2015) attire l’attention sur le fait que l’élève à besoins spécifiques ne profite pas toujours d’une intervention directe et que lorsque celui-ci en bénéficie, elle peut sembler « ... superficielle, interrompue, peu préparée, manquant d’intensité et loin de mener des objectifs à long terme » (ibid, p. 35). La préparation des activités de la classe exige une collaboration de la part des enseignants, ce qui implique une flexibilité afin de définir des temps de travail en commun (Froidevaux, 2011). Cela demande donc aux enseignants beaucoup plus d’anticipation, de négociation et de consensus.

7Bien que le coenseignement semble être une piste prometteuse dans la mise en œuvre de la différenciation pédagogique, ces premiers constats montrent qu’il s’agit d’une pratique complexe, qui ne s’improvise pas. Dès lors, un accompagnement par un chercheur universitaire semble opportun. Afin d’alimenter notre réflexion, un état de l’art sur les recherches-actions collaboratives entre praticiens et chercheurs vient compléter cet ancrage théorique.

La recherche action, une collaboration entre chercheurs et praticiens

8La collaboration entre praticiens et chercheurs dans le cadre de recherches-actions existe depuis bien longtemps et a déjà fait l’objet de nombreuses recherches. Domaine très complexe, les recherches actuelles à ce sujet montrent qu’il s’agit d’un terrain d’exploitation important pour les sciences de l’éducation (Giguère & Lapointe, Nyang, 2020 ; Penneman, 2020 ; Desmottes, Leroy & Maillart, 2020 ; Ouellet, Boultif & Dubeau, 2020).

9En effet, Penneman (2020) met en place cette collaboration afin de former et d’accompagner les enseignants dans leur développement professionnel. À travers la collaboration avec les partenaires extérieurs, les enseignants sont invités à mener une réflexion pédagogique et à analyser quelques aspects de leurs pratiques professionnelles en contexte. Des découvertes de nouvelles pratiques se font et l’expertise du formateur donne lieu à des réflexions pour envisager l’apprentissage différemment. L’accompagnement se présente comme une alternative intéressante. Celui-ci offre aux chercheurs l’opportunité d’établir la liste des besoins, d’identifier les pratiques déclarées habituelles des enseignants ainsi que le développement de pratiques collaboratives. L’auteur relève plusieurs facteurs efficaces au développement de la collaboration issus de la littérature. L’inscription du travail dans la durée en fait partie et consiste à encourager l’engagement soutenu de l’ensemble des enseignants. Ces temps de travail devront être organisés de manière fréquente et régulière et devront être inscrits dans le projet d’établissement et soutenus par la direction afin de les rendre officiels. Le partage de normes et de valeurs communes, la distribution des responsabilités au sein des équipes éducatives (identification d’un responsable, partage des tâches, coordination du travail collaboratif...), font également partie des facteurs favorisant le développement professionnel (Horn & Little, 2010 ; Letor, 2009 ; Little, 2006 cités par Penneman, 2020, p. 129).

10Niang (2020) s’est, quant à lui, intéressé à la mise en place d’un dispositif de formation continue des enseignants. L’auteur s’est attelé à étudier si ce dispositif pouvait être un levier au développement du “praticien réflexif” et a basé sa méthodologie de recherche sur la dimension technique du praticien réflexif, à savoir la réflexivité pédagogique qui est objectivement observable et mesurable (Vinatier, 2012 cité par Niang, 2020) contrairement à la dimension affective, qui fait référence à l’engagement volontaire dans la pratique réflexive. De plus, cette dernière dimension est un préalable à l'acquisition de l’autre. L’auteur affirme, au regard de leurs résultats, que les enseignants ont évolué tant dans leurs postures que dans leurs attitudes et leurs comportements pédagogiques. Néanmoins, l’auteur reste prudent quant à leurs résultats basés sur des pratiques déclarées.

11Selon les recherches de Leroux et al. (2015), la collaboration entre chercheur et praticien est essentielle dans la mise en place de pratiques de différenciation. Prud’homme et al. (2005, cités par Leroux et al., 2015) s’accordent à dire que les enseignants éprouvent des difficultés à mettre en œuvre la différenciation dans leur pratique. De ce fait, il est essentiel d’accompagner les enseignants dans leurs efforts de différenciation par un développement professionnel continu et soutenu (Subban, 2006 cité Leroux et al., 2015, p. 17). Leroux et al. (2015) ont constaté des changements positifs durables à la suite d’une formation des enseignants à la différenciation pédagogique et ce, tant pour les enseignants que pour leurs élèves.

12Enfin la recherche collaborative de Giguère & Lapointe (2020) part du constat que certains acteurs du milieu scolaire se développent professionnellement tout au long de leur carrière, à l'inverse d'autres. En outre, le changement de pratiques n’est pas garanti par la qualité de la formation reçue. En effet, même face à la présentation de pratiques préconisées par la littérature, certains enseignants n'ajustent que peu ou pas leurs pratiques. Les facteurs favorables au changement sont l’accès aux ressources amenées par la collaboration avec un chercheur issu du milieu scientifique. D’autres facteurs pour une collaboration entre chercheurs et praticiens sont identifiés tel que le soutien offert par la direction. Toutefois, les auteurs pointent un frein au développement professionnel, celui de la charge horaire ou encore la préservation de la relation de confiance auprès des enseignants (p. 122), malgré la présence régulière d’un chercheur. Les auteurs notent, néanmoins, que, dans ce type d’accompagnement où l’expérimentation s’avère centrale, la disponibilité et la présence régulière des chercheurs sur le terrain devraient être systématique dans les activités de collaboration organisées.

Méthodologie

Échantillon

  • 2 Faculté de Psychologie et des Sciences de l'Éducation

13Notre équipe de recherche est composée de 2 coordinateurs - chef de service et chargé de cours - et 4 chercheuses - assistantes - du service d'Ingénierie Pédagogique et du Numérique éducatif de la FPSE2 à l’UMONS. Elle accompagne 10 écoles et 47 enseignants dans la mise en place du coenseignement (Tremblay, 2015) et propose toute une série d’outils permettant d’améliorer la qualité de la différenciation dans l’enseignement et l’apprentissage de la lecture et de l’écriture. Pour accompagner les 10 écoles, un équivalent temps plein est prévu par le projet.

Stratégie d’investigation et questions de recherches

14Notre recherche a pour but principal la reconnaissance des demandes des enseignants pour passer de l’étape de la réflexion organisée à la pratique de classe (Catroux, 2002, p. 4). Ce processus outille toute personne du monde éducatif de moyens en vue d’améliorer ses pratiques, en s’appuyant sur ses expériences de terrain alimentées par des savoirs théoriques actuels. La recherche menée s’articule autour de trois questions : (1) Dans le cadre du projet-pilote, quelle différenciation a été mise en œuvre par les enseignants ? (2) Quels ont été les facilitateurs et les freins à la mise en place de celle-ci? et enfin (3) Quels ont été les types de collaboration entre les différents acteurs du projet ?

Dispositif d’accompagnement des enseignants

15L’objectif principal de la recherche est de fournir un cadre aux investigations qualitatives effectuées par les enseignants et les chercheurs en contexte écologique. Pour cela, un dispositif hybride a été mis en œuvre (Charlier et al., 2006). Ce dispositif présente certaines composantes pour lesquelles l’accompagnement s’effectue en présentiel ou à distance.

16L’identification des besoins des enseignants est effectuée de diverses manières : (1) par les dires des enseignants lors d’entretiens semi-dirigés réalisés en début de projet ou durant des discussions informelles avec les chercheurs, ou encore lors des échanges via un espace de travail en ligne (2) par les chercheurs lors d’observations in situ. Les données sont traitées tantôt par une analyse de contenu tantôt par un logiciel d’analyse des gestes professionnels : Vosaic. Ce logiciel a pour ambition de filmer les gestes professionnels et de les coder in situ ou a posteriori, à l’aide de variables identifiées par le chercheur. Les variables sont de plusieurs ordres : formes de coenseignement, types de différenciation, gestion de la classe et niveau d’intégration des outils numériques.

17Une fois les besoins déterminés, les chercheurs proposent une série d’outils via un système de fiches (didactiques, pédagogiques, outils), dans un espace de travail en ligne. Ces fiches suivent les recommandations préconisées par les recherches en didactique de la lecture (Goigoux, 2016 ; Dehaene, 2007 ; Lafontaine & Nyssen, 2006 ; Nadon, 2003).

18Ensuite, les enseignants sont invités à identifier et expérimenter diverses pistes relevées dans ces fiches et à effectuer un retour réflexif sur des espaces de travail en ligne dans lesquels se trouvent trois intervenants : les coenseignants et un chercheur. Ces espaces se présentent sous la forme de fils de discussions et sont générés via une plateforme d’apprentissage gratuite à destination des écoles : Google Classroom. D’un point de vue pratique, le processus dans Classroom fonctionne en deux temps. D’abord, un flux permet de transmettre une même information à tous les utilisateurs, mais aussi de la partager, dans une dynamique collective. Ensuite, un espace de communication fermé a été créé pour le duo d’enseignants (titulaire et coenseignant). Comme ils doivent se concerter pour ne proposer qu’une réponse, la collaboration est ainsi favorisée. De plus, communiquer dans un espace “restreint” permet aux participants de se sentir libres de s’exprimer, l’espace étant sécurisé. La possibilité qu’offre Classroom de partager différents médias permet de centraliser les informations.

19Enfin, les enseignants consolident les nouvelles pistes mises en place et sont libres de diffuser les activités nourries de ces nouvelles pratiques, sur une communauté d’apprentissage en ligne créée dans le cadre de ce projet.

20À la fin de chaque boucle de travail, deux solutions sont envisagées : (1) les enseignants identifient de nouveaux besoins sur lesquels ils souhaitent travailler (2) le chercheur se base sur les observations in situ pour proposer des nouvelles pistes de travail. De cette manière, les enseignants régulent leurs pratiques de manière autonome.

21Ce processus d’accompagnement réflexif a été initié dès septembre 2019, s’est mis en place à partir de la première observation des chercheurs dans les classes en novembre 2019 et s’est terminé en juin 2020, avec deux nouvelles observations in situ, afin d’observer l’impact du travail de réflexion sur les pratiques. La deuxième observation s’est déroulée début février 2020 et la seconde visite a dû être annulée, à cause de la crise sanitaire COVID-19. La démarche, dans une perspective cyclique, a permis d’ajuster les interventions des chercheurs et de comparer les pratiques déclarées et les pratiques effectives.

22Enfin, un questionnaire en ligne a été mis en place en juin 2020, afin de récolter les perceptions des enseignants relatives aux apports du projet sur leurs pratiques de classes, sur leur posture réflexive et sur l’accompagnement des chercheurs. Les données sont traitées via des statistiques descriptives et une analyse de contenu. Elles sont présentées dans la section suivante, dans l’optique de répondre aux trois questions de recherches citées supra. D’abord, nous décrivons la mise en oeuvre de la différenciation effectuée dans le cadre du coenseignement (Q1) ; ensuite, nous déterminons les forces et les faiblesses de cette collaboration et du projet en lui-même (Q2) enfin, nous analysons les effets de l’accompagnement des enseignants par l’équipe de recherche (Q3).

Résultats

23Cette section de l’article fait référence aux résultats de la recherche.

Échantillon

24Sur les 47 enseignants impliqués dans ce projet, 27 ont répondu volontairement à un questionnaire en ligne (taux de participation de 57,45%). Le projet-pilote a été, dans la plupart des écoles, imposé par les directions aux enseignants. Selon Bissonnette (2016, 2019), pour qu’un projet d’école puisse s’implémenter, il faut que la majorité de l’équipe éducative enrolée du projet soit en accord avec celui-ci. Si cette majorité n’est pas atteinte, il recommande de ne pas intervenir dans l’école. Ceci pourrait expliquer le faible taux de réponse. Une autre hypothèse serait que « dans le milieu scolaire, on observe que certains acteurs consacrent leur carrière à se développer professionnellement et d’autres, très peu » (Auduc, 2012 ; Giguère & Lapointe, 2020, p. 120). Dans ce dernier cas, les praticiens sont moins enclins à prendre du temps pour participer et s’engager dans des recherches-actions. Recherches pour lesquelles l’engagement et l’implication des praticiens sont un prérequis.

25Parmi ces 27 enseignants, 20 sont titulaires de classe et 7 personnes ont été engagées dans le cadre du projet-pilote dans le but de mettre en place l’accompagnement personnalisé, mesure qui sera mise en place de manière structurelle en 2022, dans le cadre du Pacte pour un enseignement d'Excellence.

  • 3 L’accompagnement personnalisé structurel, selon les textes officiels, fera l’objet d’heures d’accom (...)

26Les niveaux d’enseignement concernés par l'expérience pilote sont les 3e année de l’enseignement préscolaire (GS), 1re année de l’enseignement primaire (CP) et 2e année de l’enseignement primaire (CE1). Si les “titulaires” sont associés à un seul niveau d’enseignement, les personnes pour l’accompagnement personnalisé (dites personnes AP3) peuvent quant à elles enseigner à plusieurs niveaux. Dans notre échantillon, une personne AP enseigne sur un niveau (P1/CP), 3 personnes AP enseignent sur deux niveaux (M3/GS et P1/CP ou P1/CP et P2/CE1) et 4 personnes AP enseignent sur 3 niveaux (M3/GS et P1/CP et P2/CE1). Huit enseignants de l’échantillon enseignent en M3/GS, 18 enseignants en P1/CP et enfin 13 enseignent en P2/CE1.

L’accompagnement des chercheurs

27Pour rappel, ce projet pilote donne lieu à une collaboration entre une équipe de chercheurs et une équipe enseignante. Afin de l’évaluer, les chercheurs ont questionné les enseignants sur ses différentes composantes. La figure 1 présente les aspects principaux de l’expérience-pilote et la manière dont ceux-ci ont pu contribuer à modifier les pratiques professionnelles des répondants.

Figure 1 - Evaluation des différentes composantes de l’accompagnement

  • 4 Par souci de concision, les pourcentages relatifs à une position positive sont additionnés. Dans ce (...)

28Au niveau des observations in situ des élèves effectuées par les chercheurs, 66,67% de l’échantillon4 est plutôt d’accord avec le fait qu’elles ont amélioré leurs pratiques. Par contre 33,33% des enseignants estiment que cet aspect de l’accompagnement n’a pas impacté leurs pratiques, se positionnant dans la catégorie “pas d’accord”.

29Aussi, une majorité des enseignants sont en accord avec le fait que les échanges d’ordre pédagogique (88,89%) ou social (92,59%) ont modifié leurs pratiques. Enfin, au niveau des échanges d’ordre pédagogique, 11,11% de l’échantillon n’est pas d’accord avec le fait que cela ait impacté ses pratiques. Aucun répondant n’a sélectionné la catégorie “pas du tout d’accord”. Au niveau des échanges d’ordre social, 7,4% des enseignants ne sont pas d’accord avec le fait qu’ils aient modifié les pratiques professionnelles .

30Par rapport à l’accompagnement à distance, le pourcentage de satisfaction semble moins élevé : seul 44,44% de l’échantillon est en accord avec l’idée que cela ait eu un impact sur ses pratiques professionnelles. À l’inverse, 55,55% des enseignants considèrent que l’accompagnement à distance n’a pas eu d’impact sur leurs pratiques professionnelles.

31Ces derniers résultats se renforcent au niveau de la communauté d’apprentissage professionnelle : seuls 29,63% des répondants se situent favorablement par rapport à la proposition selon laquelle elle a permis d’améliorer les pratiques professionnelles. Au contraire, 80,37% de l’échantillon estime que la communauté n’a pas contribué à modifier ses pratiques.

32Enfin, un aspect du projet qui semble avoir eu un impact important sur les pratiques professionnelles est la collaboration entre le titulaire et la personne AP : 96,29% des enseignants avancent qu’ils sont en accord et que cette collaboration a modifié leurs pratiques professionnelles. Seul 3,7% de l’échantillon n’est pas d’accord avec l’item.

33Cette première analyse met en évidence que les aspects en présentiel de l’accompagnement semblent donc privilégier l’investissement dans le projet de l’échantillon investigué. Cette envie de “proximité” avec le chercheur est confirmée par les enseignants, qui souhaitent « Plus de contact réel (beaucoup de communications par mail, via le padlet...) », « une réunion entre les différents participants du projet afin de partager nos expériences et nos pratiques » ou encore « Des rencontres sans les enfants à des moments opportuns munis de matériels que nous aurions pu découvrir et manipuler ». D’autres enseignants semblent assez satisfaits de l’accompagnement proposé par les chercheurs. Selon eux « Aucune remarque à vous faire à ce niveau-là. [...] [les chercheurs ont] très bien suivi le projet et [...][sont] toujours restées très disponibles. », « l'accompagnement a été complet et bienveillant. » , « Je ne sais pas, j'ai beaucoup apprécié ces moments de partage ; ils m'ont apporté de la réflexion sur mes pratiques, l'implication du numérique et l'introduction de nouvelles pédagogies de travail ».

34Les composantes à distance n’ont eu d’effets bénéfiques sur les pratiques que pour moins de la moitié des enseignants. Ce retour d’expérience mitigé pourrait être expliqué par plusieurs facteurs : ces composantes demandent du temps de travail en dehors des heures hebdomadaires d’un enseignant, ce qui n’est pas le cas des composantes en présentiel qui viennent se greffer directement dans les pratiques de l’enseignant. Pour rappel, ce projet s’est souvent vu imposer pour la majorité des enseignants par la direction. De facto, certains n’étaient pas prêts à engager ce temps de travail. Une deuxième explication peut être liée à la méthodologie même du projet : les espaces d’échange en ligne sont prévus pour réunir le titulaire de la classe, la personne AP et le chercheur, avec l’ambition de favoriser la collaboration. Néanmoins, dans les faits, la gestion de l’espace d’échanges en ligne a été attribuée à un seul enseignant. C’est donc lui qui était chargé de la lecture des ressources et des échanges avec le chercheur. Alors qu’il a pu apporter une expertise nouvelle en classe, nourri des lectures de ressources et des échanges, nous émettons l’hypothèse que l’autre enseignant a pu attribuer ces ressources, bases du changement des pratiques, à la collaboration avec l’autre enseignant, et pas à l’accompagnement proposé par les chercheurs. Autrement dit, les effets de l’accompagnement à distance se répercuteraient directement dans les pratiques de la personne interagissant avec les chercheurs et au travers de la collaboration pour les autres.

Le développement des pratiques professionnelles et pédagogiques

35La figure 2 reprend les apports perçus du projet par rapport aux pratiques professionnelles des enseignants.

Figure 2 - Modification des pratiques professionnelles

36La figure 2 montre que pour 88,9% des répondants, le projet a favorisé la mise en oeuvre de pédagogies actives au sein de la classe. Le projet a permis l’innovation pédagogique pour 92,6% des enseignants. 96,3% pensent que le projet a permis une amélioration des pratiques. En effet, selon eux, la richesse du projet réside dans « les concertations qui permettent d'aller plus loin dans la façon de procéder ». Certains mentionnent également que « l’amélioration de la leçon [...] [a été possible grâce aux] échanges pendant ou après la leçon ». Finalement, tous s’accordent sur un constat commun : le projet a permis la mise en œuvre de nouvelles pratiques d’enseignement. Celui-ci apporte « une autre vision de la lecture en utilisant une autre approche ». En effet, le projet a rendu possible une diversification des pratiques. Les enseignants mentionnent avoir « modifié les pratiques pour s’adapter au fait que d’être deux en classe : groupe de besoins, remédiation, mais aussi ateliers, manipulations... ». Le projet a également favorisé la “découverte de nouvelles techniques, recherche de nouveaux outils et le partage entre enseignants”. Enfin, « être à 2 permet un sentiment de soulagement, de force qui pousse et donne l'occasion de tester de nouvelles choses à la fois du côté de la préparation, mais aussi de la gestion en classe. Les fiches fournies par les responsables [chercheurs] du projet sont très bien faites : claires et compréhensibles. Nous avons pu facilement les utiliser et reproduire les techniques proposées. »

La différenciation des apprentissages

Figure 3 - Influence du projet sur la différenciation

37Parmi notre échantillon, 88,89% des enseignants estiment que le projet dans sa globalité a eu une influence sur la différenciation des apprentissages (Figure 3). Il ressort dans les justifications des enseignants que le fait d’être deux permet de mieux observer les élèves, de leur accorder plus d’attention, ainsi que diversifier l’utilisation d’outils et de la remédiation. La différenciation passe également par la préparation et l’adaptation de la leçon, ce que les enseignants estiment mieux faire grâce aux observations plus fines qu’ils peuvent poser : « À deux, nous pouvons facilement différencier. Quelquefois j’étais en charge d'accompagner les enfants en difficultés ou au contraire les élèves en dépassement. Nous avons testé les différents types de coenseignement et cela permet également la différenciation. Deux fois plus d’attention, d’échange, de temps et d’écoute et de paroles ». Le respect du rythme d’apprentissage de l’enfant est également un aspect sur lequel le projet a eu une influence : « chaque élève avance à son rythme, les ateliers ont permis une entraide des plus forts au plus faibles ce qui apporte une confiance et l’envie chez l’enfant » ce qui rejoint les conclusions de plusieurs auteurs (Fontana, 2005 ; Hang & Rabren, 2009) selon lesquels le coenseignement permet une amélioration de l’estime de soi.

38Les variables codées avec le logiciel Vosaic lors des observations permettent d’éclairer ces propos. La différenciation avant, pendant et après l’activité (Forget, 2017) a été observée dans un plus grand nombre de classe en l'espace de trois mois. Concrètement avant l’activité, alors que les enseignants veillent à se baser sur un vécu commun avant le début de la leçon, évitant les implicites dans 22,5% des classes en novembre, cette proportion passe à 38,24% en février. Durant l’activité, 64,70% des classes présentent en février une configuration dynamique où les élèves ne réalisent pas tous les mêmes apprentissages ou exercices en même temps, alors que 60% des classes étaient concernées en novembre. La forme de coenseignement en ateliers, qui rend plus actifs les élèves, est bien présente. Ainsi, de nombreuses pratiques adaptées au rythme des élèves ont émergé en plus grande proportion : adaptation de la quantité de travail (novembre [N] : 25% ; février [F] : 58,82%), adaptation du temps de travail (N : 20% ; F : 47,06%), adaptation du contenu aux besoins des élèves (N : 17,5% ; F : 35,29%). Cette organisation favorisant l’autonomie prévoit des aides pour accompagner l’élève dans la réalisation des tâches (N : 35,00% ; F : 55,88%). Par ailleurs, la variation des modalités de production a été observée en plus grande proportion (N : 10,00% ; F : 17,65%). Toujours par rapport à la différenciation pendant l’activité, un étayage prégnant a été constaté dans la grande majorité des classes (N : 67,50% ; F : 91,18%), ainsi qu’un soutien individualisé (N : 20,00% ; F : 47,06%), où l’enseignant se rend disponible pour réexpliquer des notions abordées au préalable. Enfin une minorité d’enseignants réajustent après l’activité des élèves notamment en constituant des groupes de besoin pour la séance suivante (N : 10,00% ; F : 17,65%). Notons qu’une troisième observation était prévue en mai, pour compléter l’évolution des pratiques de différenciation dans les classes, mais elle n’a pas pu avoir lieu suite à la crise sanitaire liée à la pandémie COVID-19.

39Bien qu’il apparaisse complexe d’imputer directement le changement de pratiques à l’utilisation des fiches proposées lors de l’accompagnement, nous pouvons toutefois avancer que les pratiques observées dans les classes s’apparentent aux pratiques préconisées dans ces fiches. En outre, selon les enseignants, ces fiches les ont aidés dans l’évolution de leurs pratiques. En effet, la majorité (71,4%) affirme avoir appris des contenus théoriques inédits, jugés pertinents par rapport aux pratiques de classe (71,4%) et 68,6% des répondants affirment y avoir trouvé des nouvelles pratiques à mettre en œuvre. La structure et la clarté des fiches ont été des atouts dans leur utilisation pour des enseignants. En outre, ce format semble, selon eux, approprié à leur charge de travail (65,7%).

Figure 4 - Influence du projet sur les apprentissages des élèves

40La majorité des enseignants estime que le projet a favorisé les apprentissages pour tous les élèves, tant ceux présentant des difficultés d’apprentissage en lecture (92,6%) que ceux n’en présentant pas (96,3%). En effet, les enseignants mettent en avant « qu’en comparaison avec les autres années, les élèves ont progressé plus rapidement et ont acquis une grande confiance et un intérêt nouveau pour la lecture et l'écriture ». Les enseignants jugent que la collaboration avec la personne AP permet « une meilleure observation des enfants et ainsi mieux cibler les groupes de besoin » en offrant « [...] des techniques de différenciation différentes ». Cette collaboration offre un « autre regard qui permet la diversification dans la pratique » et une « continuité dans le cycle qu’il n’y avait pas avant ». Comme nous pouvons le constater au travers de ces différents verbatims, la collaboration et la continuité pédagogique sont nécessaires à la différenciation, elles apportent « plus d’échanges, d’observations, d’idées », une « nouvelle vision de l’enseignement » ainsi qu’une « complétion des regards (maternel et primaire) ». Grâce à cela, les enseignants se sentent soutenus et rassurés car elles permettent un « soulagement de la charge de travail et de la gestion ». Ces constats corroborent ceux de Tremblay (2015) concernant les apports du coenseignement sur la différenciation des apprentissages.

Figure 5 - Difficultés rencontrées lors de la mise en œuvre de la différenciation au cours du projet

41Lors du projet, les enseignants ont rencontré des difficultés durant la mise en place de pratiques de différenciation. Tel qu’indiqué sur la figure 5, une majorité d’enseignants (77,78%) avance souvent manquer de temps pour mettre à bien des projets comme ils le souhaiteraient. D’autres (59,26%) mettent en avant le manque de formation ou plus précisément un manque de formation en contexte, leur permettant une application directe en contexte de classe. Cette formation devrait permettre de différencier pour tous les élèves, incluant ceux qui auraient des difficultés plus particulières. Cet élément confirme les constats d’auteurs selon lesquels il est difficile pour les enseignants de prendre en compte la diversité de chaque élève (Bergeron, 2014). Un autre élément mis en avant est le manque de concertation entre le titulaire et la personne AP (40,74%). En effet, bien que ce projet permette à un enseignant de se “greffer” à la vie de la classe durant 2 à 6 périodes, les enseignants regrettent un temps de concertation prévu dans leur horaire en dehors des heures de classe. Ce temps permettrait d’organiser et de planifier les enseignements et apprentissages. En outre, 1 enseignant sur 4 (25,93%) regrette le manque d’outils adaptés directement à la différenciation. Enfin, un enseignant mentionne l'intérêt pour l’ensemble de l’équipe de s’investir dans le projet. En effet, sans une certaine ouverture aux nouvelles pratiques (ouverture qui demande un cout en temps de travail), le projet semble perçu comme moins efficace.

Discussion et perspectives

42Cette recherche a la particularité de décrire une collaboration entre praticiens et chercheurs portant sur une pratique de différenciation particulière : le coenseignement. Ces deux sujets, réputés pour leur complexité, sont très largement documentés dans la littérature mais plus rarement de manière conjointe et en contexte écologique. Ainsi, l’état des lieux de ce projet-pilote favorisant la différenciation au cycle 5-8 permet de poser quelques constats concernant l’accompagnement des enseignants par un dispositif hybride. Cet état des lieux se base sur la perception de 27 enseignants suivis par des chercheurs pendant 14 mois. De manière globale, sur la base des retours des enseignants, le dispositif d’accompagnement leur a permis de mettre en place de nouvelles pratiques d’enseignement permettant leur renouvèlement et leur amélioration. Conformément aux travaux de Niang (2020), il convient de rester prudents quant à ces résultats basés sur les pratiques déclarées.

43Au niveau de la différenciation, deux leviers sont très clairement identifiés par les enseignants. En premier lieu, la collaboration avec un deuxième enseignant, qui permet d’apporter un regard nouveau, ainsi qu’une mise en perspective des pratiques de chacun. Pour eux, cette différenciation a été possible grâce à une diversification des outils et des pratiques, une adaptation au rythme d’apprentissage de chaque élève, ainsi qu’une meilleure observation des élèves permettant l’amélioration de la préparation et de l’adaptation des leçons. En outre, grâce à la présence de 2 enseignants au sein de la classe, des dispositifs pédagogiques plus “innovants” peuvent être déployés. Ce deuxième enseignant permet également un soulagement de la charge de travail et dans la gestion de la classe. Les enseignants sont 2 à prendre en charge les pratiques de différenciation, induisant une diminution du ratio enseignant/élèves, ainsi que de la charge de travail. Cette présence simultanée de 2 enseignants permet également de mettre en œuvre des stratégies qui sont moins aisées à mettre en place seul. Enfin, le fait d’être à deux permet au titulaire de ne plus être “le seul responsable” de l’apprentissage des élèves, enlevant ainsi une charge mentale parfois lourde. Rencontrant les propos de Tremblay (2015), le coenseignement permet de facto aux enseignants de disposer des conditions idéales afin de mettre en œuvre une différenciation pédagogique effective. La différenciation des apprentissages mise en œuvre a été bénéfique pour tous les élèves, tant pour permettre la remédiation pour ceux qui en nécessitent, que pour favoriser la consolidation et le dépassement, corroborant les recherches de Tremblay (2012, 2013). Selon les enseignants, cette expérience pilote a donc favorisé non seulement une progression plus rapide dans les apprentissages, mais aussi, tel que relaté dans plusieurs recherches (Fontana, 2005 ; Hang & Rabren, 2009), l’amélioration de la confiance en soi.

44Les difficultés relevées sont le manque de temps pour mettre en œuvre la différenciation, le manque de formations adaptées et le manque de concertation entre les deux enseignants, qui permettrait la planification des enseignements et apprentissages. Ces nombreux freins identifiés à travers cette expérience pilote ont également été observés dans la littérature (Froidevaux, 2011 ; Giguère & Lapointe, 2020). Dès lors, nous recommandons des plages horaires favorisant la concertation, la collaboration et l’échange de pratiques à la concertation dans l’horaire des enseignants pratiquant le coenseignement, accompagnés ou non par un chercheur (Giguère et Lapointe, 2020).

45Le second levier concerne, selon les enseignants, l’importance de l’accompagnement proposé par les chercheurs à travers un dispositif hybride. En effet, de nombreux aspects de l’accompagnement ont modifié leurs pratiques : les observations in situ, les échanges d’ordre pédagogique ou social avec le chercheur directement après les observations, ainsi que la collaboration entre le titulaire et la personne AP. Cela a permis aux chercheurs d’établir la liste des besoins, d’identifier les pratiques déclarées habituelles des enseignants ainsi que le développement de pratiques collaboratives en vue « d’une perspective de conception continuée dans l’usage des outils et dispositifs d’enseignement » (Penneman, 2020, p. 146). Les aspects à distance, c’est-à-dire l’accompagnement à distance et la communauté d’apprentissage professionnelle, ont quant à eux, eu des effets bénéfiques sur les pratiques pour moins de la moitié des enseignants. Cette explication pourrait provenir de plusieurs sources : le taux d’investissement de l’enseignant dans le projet en dehors des heures de classe et la méthodologie d’accompagnement à distance qui ne nécessite pas forcément l’activité des deux enseignants.

46Au niveau du taux d’investissement, Bissonnette (2016, 2019) préconise que la majorité de l’équipe enseignante ait l’intention et la motivation de s’impliquer dans le projet. Dans le cas contraire, celui-ci est compliqué à mettre en œuvre, principalement au niveau de sa pérennisation. Ainsi, il ressort, lors d’entretiens semi-dirigés menés par les chercheurs, que dans plusieurs écoles, les enseignants ont accueilli le projet comme une contrainte de leur direction. Ils ont vécu la collaboration avec la personne AP et l’accompagnement mis en place par les chercheurs comme une surcharge de travail. De ce fait, la dimension affective du praticien réflexif est compromise. En effet, cette dimension fait référence à l’engagement volontaire dans la pratique réflexive, qui est une condition préalable à la dimension technique (Niang, 2020). Contrairement à ce que recommande Penneman (2020), ces temps de travail consacrés à la préparation des activités ne sont ni fréquents ni réguliers ni inscrits dans le projet d'établissement.

47En outre, dans la lignée des travaux de Tremblay (2015), Moldovenau et al. (2015), Cnesco (2017) et Friend et Cook (2007), le coenseignement nous semble être une bonne piste pour améliorer les pratiques d’enseignement, particulièrement la mise en œuvre de la différenciation pédagogique.

48Outre les déclarations des enseignants impliqués dans la recherche, nous avons pu objectiver l’amélioration des pratiques de différenciation dans les classes lors de deux observations in situ. Les observations par les chercheurs ont également mis en évidence l’apparition de pistes présentes dans les fiches, ce qui nous fait dire que les enseignants se les sont appropriées. Pour que le coenseignement puisse se mettre en place de manière efficace au sein d’une école, un dispositif d’accompagnement nous parait essentiel, comme l’avance Penneman (2020). Le dispositif décrit et analysé dans cette contribution serait novateur dans la mesure où il se base sur une hybridation de l’accompagnement. Les enseignants ayant pu y participer de manière efficace ont pu développer leurs pratiques professionnelles. Cependant, deux composantes de la méthodologie pourraient être améliorées : d’une part, l’adhésion au projet impacte la réussite de celui-ci. Ainsi, nous avons pu observer, à l’instar de Froidevaux (2011), que la flexibilité des enseignants, la collaboration, étaient favorables au bon fonctionnement du coenseignement. De plus, certains enseignants ont des difficultés à accepter un autre adulte dans leur classe, ce qui rend le coenseignement difficile. D’autre part, le degré de liberté laissé aux enseignants est à la fois une force et une faiblesse. Les enseignants peu impliqués dans les échanges avec les chercheurs et dans la communauté d’apprentissage professionnelle ont tiré moins de bénéfices au niveau du changement des pratiques professionnelles. Comme l’affirme Penneman (2020), un partage de valeurs communes et une bonne distribution des rôles sont nécessaires pour que le coenseignement puisse se déployer. Nous avons pu observer que durant la collaboration, la personne AP a souvent pris en charge la communication avec les chercheurs à distance, via les outils de formations Classroom et Padlet et ont donc davantage bénéficié de l’accompagnement par les chercheurs. Si le titulaire était réceptif, il a pu bénéficier de ces apports pédagogiques grâce à la collaboration avec la personne AP et innover. Si le titulaire ne s’est pas impliqué, il n’a pas été placé dans des conditions optimales qui auraient permis le changement. Dans ce cas, l’accompagnement à distance n’a pas pleinement fonctionné.

49Dès lors, l’accompagnement par un dispositif hybride parait adapté aux besoins et aux disponibilités des enseignants en termes de formation continue, pour autant que ceux-ci soient engagés dans le projet, comme l’ont constaté Giguère et Lapointe (2020). Au regard de cet état des lieux, il conviendrait de renforcer, dans un premier temps, la présence des chercheurs dans les classes (une observation tous les deux mois) afin de consolider la mise en œuvre du changement des pratiques - voire de l’innovation pédagogique - et de rendre l’accompagnement à distance progressif. Il serait également intéressant de renforcer la présence à distance, afin de favoriser l’implication et la motivation de tous les enseignants dans le projet-pilote Des vidéoconférences ou des webinaires pourraient s’avérer des ressources pertinentes.

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Notes

1 Le cycle 5-8 concerne les élèves de 5 à 8 ans, à savoir les M3, P1 et P2 en Belgique ou les GS, CP & CE1 en France.

2 Faculté de Psychologie et des Sciences de l'Éducation

3 L’accompagnement personnalisé structurel, selon les textes officiels, fera l’objet d’heures d’accompagnement personnalisé prévues dans le cadre du Pacte d’excellence. Ces heures viseront un objectif de différenciation des apprentissages afin de permettre à tous les élèves de progresser à leur rythme, en étant mis dans des situations différentes (de remédiation, de consolidation ou de dépassement). Ce sera donc un moment de régulation des apprentissages, avec un encadrement pédagogique renforcé (2 enseignants pour une classe : un titulaire et une personne AP).

4 Par souci de concision, les pourcentages relatifs à une position positive sont additionnés. Dans ce cas-ci, 66,67% est obtenu en additionnant 7,41% pour la catégorie “Tout à fait d’accord” et 59,26% pour la catégorie “d’accord”. La même opération est effectuée pour les pourcentages relatifs à une position négative.

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Table des illustrations

Légende Figure 1 - Evaluation des différentes composantes de l’accompagnement
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Légende Figure 2 - Modification des pratiques professionnelles
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Légende Figure 3 - Influence du projet sur la différenciation
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Légende Figure 4 - Influence du projet sur les apprentissages des élèves
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Légende Figure 5 - Difficultés rencontrées lors de la mise en œuvre de la différenciation au cours du projet
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Pour citer cet article

Référence électronique

Sabrin Housni, Marie Dumont, Gwendydd Piret, Audrey Kumps, Gaëtan Temperman et Bruno De Lièvre, « La collaboration entre équipes professionnelles et la différenciation des apprentissages : état des lieux d’un accompagnement des enseignants »Éducation et socialisation [En ligne], 60 | 2021, mis en ligne le 30 juin 2021, consulté le 16 avril 2024. URL : http://journals.openedition.org/edso/14675 ; DOI : https://doi.org/10.4000/edso.14675

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