1Dans les écoles primaires québécoises, la volonté d’inclure tous les élèves amène les enseignants à rehausser leur niveau de collaboration et d’interdépendance (Beaumont, Lavoie et Couture, 2010 ; Little, 1990) afin d’enseigner à une diversité d’élèves (Peters, 2007). Ces défis les incitent à innover et à collaborer pour repenser les façons d’enseigner et d’organiser les services éducatifs au sein des écoles (Dubé, 2007). Le coenseignement serait un modèle d’organisation à mettre en place pour répondre aux divers besoins d’apprentissage des élèves en vue de favoriser leur persévérance et leur réussite (Dubé, Ouellet et Moldoveanu, 2015) et contribuerait également au développement professionnel des enseignants (Moldoveanu, Dubé et Dufour, 2015) où les coenseignants partageraient leurs pratiques et expertises respectives pour contribuer à leur développement professionnel mutuel.
2Des recherches antérieures ont montré que le niveau de collaboration des enseignants aurait des effets bénéfiques sur la réussite scolaire des élèves (Goddard, Goddard et Tschannen-Moran, 2007 ; Lapointe et Dion, 2015). La collaboration s'avère essentielle (Beaumont et al., 2010) puisque : « Tous les intervenants, membres de la direction de l’école, du personnel enseignant, du personnel des services éducatifs complémentaires et du personnel de soutien doivent collaborer pour créer les conditions d’enseignement apprentissage les plus favorables. Il faut ainsi dépasser les compétences individuelles et faire émerger une compétence collective » (MELS, 2007, p. 7).
3Les pratiques collaboratives en classe constituent une culture à développer, particulièrement pour répondre à la diversité des besoins des élèves, en mettant de l’avant des pratiques éducatives différenciées et inclusives (Rousseau et Point, 2014). Cependant, les enseignants travaillent souvent de manière autonome et indépendante (Gruenert, 2005 ; Sharpe et Hawes, 2003). Le coenseignement serait une pratique collaborative qui contribuerait à répondre aux besoins d’une diversité d’élèves en offrant des possibilités de différenciation (Tremblay, 2015). Afin de relever ces défis collectivement, l’enseignant pourrait être amené à coenseigner avec l’orthopédagogue, en classe. Cet enseignant, spécialisé en adaptation scolaire, intervenait traditionnellement auprès des élèves en difficulté en les retirant de la classe (CRIRES, 1996). De nouvelles pratiques collaboratives sont désormais envisagées pour repenser l’organisation du travail enseignant de même que celui de l’orthopédagogue. Dans ce contexte, comment des orthopédagogues et des enseignants mettent en œuvre le coenseignement pour soutenir la différenciation pédagogique au primaire ?
4Le cadre de référence abordera le coenseignement et la différenciation pédagogique. Dans le contexte de la présente étude, l’orthopédagogie est effectuée par un enseignant spécialisé qui est diplômé en adaptation scolaire. Selon le mandat qui lui est confié au sein de son école, son rôle comprend, entre autres, la prévention, la rééducation et la consolidation des apprentissages. Ces responsabilités devraient pouvoir se réaliser dans un cadre scolaire misant sur la collaboration et la coopération (Association des orthopédagogues du Québec, 2018).
5Le coenseignement se définit comme un travail pédagogique en commun de deux enseignants qui partagent les responsabilités éducatives d’un groupe d’élèves pour atteindre des objectifs spécifiques dans un même temps et espace (Friend et Cook, 2007). Dans ce contexte, le coenseignement est associé à la conception d’une orthopédagogie non pas corrective, mais qualitative, visant à améliorer la qualité de l’enseignement offert à tous les élèves (Tremblay, 2015). Lors du coenseignement, l’orthopédagogue n’intervient désormais non pas spécifiquement auprès des élèves en difficulté, mais il coenseigne avec l’enseignant à une diversité d’élèves en classe. Friend et Cook (2016) proposent six configurations de coenseignement : 1) un enseigne/l’autre observe ; 2) un enseigne/l’autre soutient ; 3) l’enseignement en ateliers ; 4) l’enseignement alternatif ; 5) l’enseignement parallèle ; 6) l’enseignement partagé. Toullec-Théry (2012) ajoute le soutien partagé. Soulignons que Tremblay (2010) avait catégorisé jusqu’à 31 configurations dans une étude réalisée en Belgique.
6Parmi les conditions favorables à la mise en place du coenseignement, des auteurs soulignent que l’étape de la planification est essentielle. En effet, des études antérieures ont montré que des rencontres de planification (Magiera, Lawrence-Brown, Bloomquist, Foster, Figueroa, Glatz et al., 2006) et du temps de concertation entre les coenseignants sur une base régulière permettraient une organisation des contenus pédagogiques et une mise en œuvre de la gestion de classe plus efficaces (Brusca-Vega, Brown et Yasutake, 2011 ; Hang et Rabren, 2009). Sur le plan interpersonnel, plusieurs études mettent en évidence certaines conditions et attitudes favorables au coenseignement, notamment, une vision commune de l’apprentissage, un respect mutuel, une ouverture à l’autre, une communication de qualité, la possibilité de mettre en œuvre le coenseignement sur une base volontaire et, dans une perspective plus large, un leadership affirmé de la direction de l’école et un accompagnement soutenu des coenseignants (Benoit et Angelucci, 2011).
7Avant de coenseigner, il s’avère important pour les coenseignants de préciser les buts et les objectifs du coenseignement, de clarifier les attentes, l’un envers l’autre, envers les élèves, de documenter les responsabilités de chacun (pédagogiques, didactiques, de gestion de la tâche et du groupe) ainsi que de définir à l’avance les modalités d’adaptation et de différenciation (Murray, 2004). Le temps accordé à la planification permettrait plus particulièrement aux coenseignants de mieux définir les responsabilités de chacun (Hang et Rabren, 2009 ; Benoit et Angelucci, 2011). Pour que le coenseignement soit efficace, le niveau de compétences et les besoins des élèves doivent être bien ciblés (Tremblay, 2015) afin d’élaborer une planification centrée sur des objectifs d’apprentissage, qui prévoit également les rôles et responsabilités pour la gestion des sous-groupes formés au sein de la classe (Hang et Rabren, 2009).
8La figure suivante (Figure 1) illustre six éléments essentiels pour un coenseignement de qualité. Cette boucle présente les éléments nécessaires pour développer un processus collaboratif élargi et efficace pour le coenseignement. 1. Prendre du temps pour planifier la collaboration. 2. Amorcer le processus collaboratif dans une optique de développement professionnel. 3. Choisir la configuration de coenseignement correspondant le mieux à l’activité d’apprentissage. 4. Mettre la pratique réflexive au service des coenseignants. 5. Observer les pratiques collaboratives mises en place et en faire un bilan. 6. Collecter et consigner des données pour documenter et juger de la réussite des élèves à partir des objectifs d’apprentissage visés.
Figure 1. Modèle de Magiera-Simmons (traduit de Cook et Tankersley, 2013)
9Mettre en œuvre le coenseignement pourrait contribuer à soutenir la différenciation pédagogique en vue de répondre aux besoins des élèves. En effet, Tremblay (2015) souligne que « le coenseignement vise à maintenir tous les élèves au sein d’un même groupe (même ceux à besoins spécifiques) par un travail de différenciation de l’enseignement » (p. 35). Il pourrait permettre de différencier l’enseignement plus particulièrement quant aux structures (regroupements des élèves et modalités de travail), mais également au niveau des processus (étayage et rétroaction par les coenseignants, engagement de l’élève) ainsi qu’au niveau des contenus (complexité de la tâche, matériel) (Leroux et Paré, 2016). Dès 1997, Perrenoud suggèrerait l’accroissement de la fluidité dans la progression scolaire, d’organiser des dispositifs de soutien à l’intégration en classe ordinaire afin de privilégier une régulation interactive, qui met l’élève devant des situations d’apprentissage et qui les différencie au moyen de groupes de besoins ou de projets, plutôt que de stabiliser des groupes/niveaux (Meirieu, 1989).
10Plus récemment, on définit la différenciation pédagogique comme : « une approche caractérisée par le choix et la mise en œuvre intentionnelle de pratiques qui tiennent compte des spécificités des élèves et de la dynamique du groupe, visant à contribuer à leur réussite scolaire » (Moldoveanu, Grenier et Steichen, 2016, p. 762). Ces chercheurs distinguent les pratiques de différenciation selon quatre composantes : la différenciation pédagogique relationnelle, temporelle, instrumentale et réflexive.
11La composante relationnelle tient compte des personnes impliquées dans la mise en œuvre du coenseignement. Elle englobe les pratiques à mettre en place auprès des élèves, parfois pour tout le groupe ou pour certains d’entre eux, selon leurs besoins, leur rythme d’apprentissage ou encore leurs préférences. On y trouve également les relations avec d’autres enseignants, les orthopédagogues ou d’autres intervenants. De plus, cette composante présente comme essentiels les rapports de collaboration qui vont s’établir entre les enseignants lors du coenseignement.
12La composante temporelle réfère au « quand » soit, le moment de l’intervention éducative où les pratiques différenciées se mettent en place (planification, intervention, évaluation), que ce soit dans une étape de l’année, une semaine scolaire ou au cours d’une journée. Cela peut également être relatif au plan de travail de l’élève ou d’un sous-groupe d’élèves.
13Quant à la composante instrumentale, elle concerne le « comment », c’est-à-dire les formules pédagogiques, évaluatives et de gestion de la classe utilisées par les enseignants, de manière intentionnelle et planifiée. Il peut s’agir des modalités de travail flexibles, des consignes ou du matériel utilisé.
14En dernier lieu, la composante réflexive réfère à la perception des coenseignants sur l‘incidence de la différenciation en lien avec des aspects de l’engagement et de la réussite scolaires. Ces réflexions peuvent également porter sur la situation d’enseignement-apprentissage pilotée ou sur la réussite éducative et scolaire des élèves (Moldoveanu, et al., 2016). Le coenseignement et la différenciation pédagogique peuvent donc être mis en œuvre, de manière intentionnelle et planifiée, pour enseigner à une diversité d’élèves en classe.
15La recherche menée avait pour but d’explorer les pratiques de coenseignement orthopédagogue-enseignant mises en œuvre dans trois écoles primaires. Elle visait la poursuite des objectifs spécifiques suivants :
161. Décrire les pratiques de coenseignement en classe ;
172. Définir les conditions favorables au coenseignement orthopédagogue-enseignant ;
183. Proposer des pistes pour améliorer le coenseignement au primaire.
19Ce texte portera plus spécifiquement sur les résultats obtenus au regard de la planification, de la différenciation et des configurations de coenseignement mis en œuvre.
20Trois orthopédagogues travaillant dans trois écoles primaires de la région montréalaise ont mis en œuvre du coenseignement en classe. Elles avaient au moment de l’étude entre deux mois et 18 années d’expérience. Les dyades ont été constituées d’une orthopédagogue et d’une enseignante et ont été formées par les coenseignants qui désiraient expérimenter le coenseignement dans l’école où ils enseignaient depuis le début de l’année scolaire. Tous les degrés scolaires ont pu bénéficier du coenseignement, de la 1re à la 6e année.
21Pour atteindre nos objectifs de recherche, nous avons collecté des données en procédant à trois entretiens de groupe d’une durée de 90 minutes chacun avec les orthopédagogues. Celles-ci ont été ciblées, car elles ont participé activement à chacune des étapes du projet, réparties sur l’année scolaire. Ces entretiens visaient à documenter leurs connaissances antérieures au sujet du coenseignement, leurs expériences vécues pendant le projet et leurs pistes d’action futures pour améliorer leur coenseignement en classe. À l’issue du deuxième entretien de groupe, nous leur avons présenté deux séances de formation visant à les accompagner afin qu’elles se familiarisent avec les différentes configurations de coenseignement documentées par la recherche et avec des outils et canevas de coplanification. Le dernier entretien visait à faire émerger : les facilitateurs et les obstacles au coenseignement, les procédures de planification, la différenciation réfléchie et planifiée ainsi que les configurations de coenseignement mises en œuvre.
22Deux observations de 60 minutes ont ensuite été effectuées dans chacune des écoles, pour un total de six observations en classe à l’aide d’une grille d’observation adaptée de Rogers (2016) afin de permettre de consigner des données et de rétroagir sur le coenseignement observé. Les observations ont été effectuées en 3e, 4e et 5e années du primaire et ont permis de faire ressortir des configurations de coenseignement déployées lors d’une situation d’enseignement-apprentissage (SEA), la différenciation planifiée et mise en œuvre et d’offrir de la rétroaction aux dyades de coenseignants. Des fiches de planification de coenseignement élaborées par les participantes ont également été analysées afin d’en faire ressortir les principaux éléments en lien avec la planification, le coenseignement et la différenciation pédagogique.
23Nous avons procédé à la retranscription des trois entretiens de groupe réalisés avec les orthopédagogues. Au total, 291 unités de sens ont été analysées à l’aide du logiciel NVivo11 au moyen d’une grille de codage mixte (Paillé et Mucchielli, 2012). Des thématiques découlaient de notre cadre de référence : leur définition et conception du coenseignement (n=32), leurs expériences antérieures (n=72), les effets perçus (n=44), les facilitateurs (n=53) et les obstacles au coenseignement (n=44) de même que les configurations de coenseignement (n=35). Plusieurs thématiques ont également émergé, celles-ci reliées à la planification (n=17), à la différenciation pédagogique (n=14) et aux pistes d’action pour mettre en œuvre le coenseignement (n=46). Soulignons que certaines unités de sens peuvent avoir été codées plus d’une fois. Les observations en classe et les fiches de planification ont contribué à décrire le coenseignement en fonction des différentes configurations qui ont pu varier pendant une SEA et de documenter la différenciation pédagogique planifiée avant le pilotage de l’activité.
24Les orthopédagogues ont adopté des façons variées de planifier les périodes de coenseignement. On remarque que la planification pouvait être effectuée pour « un bloc », c’est-à-dire une période de six semaines consécutives, pour enseigner une séquence d’activités reliées à un apprentissage, tandis que d’autres dyades planifiaient pour une ou plusieurs périodes de coenseignement par semaine, selon les besoins des élèves. Certaines dyades ont développé leurs propres fiches ou canevas de planification pour les SEA qu’elles allaient coenseigner et y indiquaient les étapes, les rôles et les éléments qui seraient différenciés.
25Les participantes ont soulevé qu’il est parfois difficile de coplanifier, particulièrement en raison du manque de temps. Une des orthopédagogues avait l’accord de sa directrice d’école pour réserver des périodes de planification dans son horaire. C’est parfois l’orthopédagogue qui planifie les activités et les soumet à sa coenseignante ou son coenseignant afin qu’elle ou qu’il rétroagisse sur la planification avant le pilotage de la SEA, et ce, selon le niveau d’interdépendance des coenseignants.
26Puisque le présent projet disposait d’un soutien financier pour réaliser la recherche, plusieurs des dyades formées ont pu bénéficier de périodes réservées spécifiquement pour planifier le coenseignement. Ce temps de concertation et de planification s’est avéré précieux. Les participantes soulignent l’importance d’avoir ce temps de coplanification et de concertation, prévu à leur horaire hebdomadaire.
27Lors des entretiens de groupe, des facilitateurs au coenseignement ont été relevés par les participantes. En plus du temps de concertation et de planification, la complicité qui s’installe graduellement entre les coenseignants, une fois les dyades formées, a également été soulevée. Le soutien de la direction d’école constitue un facilitateur important afin de planifier le temps de concertation, tel que le précise une orthopédagogue :
Pour vrai, de le faire, mettre dans le temps complémentaire, là, 1/2 heure par semaine, ça, c'est gagnant. Si chacune de nos directions pouvait consentir à mettre une 1/2 heure de temps de concertation avec chaque personne avec qui on coenseigne.
28Afin de mieux répondre aux besoins diversifiés de tous les élèves de la classe, les coenseignants ont mis en œuvre de la flexibilité pédagogique (MEQ, 2021) et ont différencié les tâches proposées aux élèves, le matériel, ou encore le soutien offert pendant la SEA coenseignée. Une des orthopédagogues mentionne que les besoins peuvent être ciblés par l’enseignant, et l’enseignement différencié selon les besoins des élèves du groupe-classe :
Moi, c’est les profs beaucoup qui m’amènent…d’après leurs observations. S’ils viennent de faire une situation d’écriture, ils se disent : on revient sur la base en écriture. Donc là, je reprends les « micros » (microprocessus), et après ça « macro » (macroprocessus) avec les élèves. […] je pars un peu du besoin, souvent on se rend compte que c’est un peu tout le groupe aussi. Certains ont plus de difficulté que d’autres, mais en général, on part de la même notion pour tout le monde. […]
29Nos observations ont également révélé que plusieurs modes de présentations étaient utilisés pour coenseigner : des textes, des extraits vidéo présentés sur un tableau numérique interactif, accompagnés d’explications verbales des coenseignants. Certaines des dyades de coenseignement ont planifié des séquences de SEA en vue de réaliser un projet pouvant s’échelonner sur plusieurs semaines. Pour ce faire, l’orthopédagogue et les enseignantes ont choisi de décloisonner les groupes-classes, en réunissant des élèves de 3e et de 5e années :
On a choisi les publicités, puis on les faisait en même temps pour les 3e et les 5e années. Fait que là, on différenciait nos questions. Puis, dans un 2e temps, on posait des questions d’appréciation, de réaction, puis tout ça. Puis ensuite, on a transcrit une publicité, parce que chacune des publicités ciblait une stratégie […]
[…] puis je suis allée chercher des élèves de 3e année, ceux qui ont un diagnostic de douance, que j’ai amenés dans la classe de 5e et là, j'étais subjuguée parce que les (élèves de) 3e années étaient plus forts que les 5e. Ils roulaient là, chacun avait son ordi, puis ils allaient tellement vite là, je voyais des 5e qui n’étaient pas capables d'avoir ces raisonnements-là. Puis là, j'étais comme... « faut les tirer et faire ça », on a décloisonné 3e et 5e, ce qui est un peu spécial, mais ça a vraiment bien fonctionné.
30On constate que le décloisonnement en sous-groupes de besoins semble être un dispositif qui peut être combiné au coenseignement, mettant en relation plusieurs groupes-classes avec leurs enseignants et l’orthopédagogue :
Avec une prof de DGA (classe de difficulté grave d’apprentissage) de 2e cycle, deux profs de 4e année. En fait, on s’est réunis ensemble puis là, on a décidé qu’on décloisonnait nos trois groupes avec quatre personnes.
Chercheuse : En sous-groupe de besoins?
En fait, on est allé séparer les élèves en fonction de ce qu’ils avaient besoin de travailler. Puis on s’est dit : « Ok, il y a le vocabulaire, que c’est difficile. Après ça, il y avait la résolution de problème, la compétence 2 qui n’est pas facile pour certains. Il y avait l’écriture qui était pas facile pour certains. La lecture, la compréhension des informations implicites-explicites que c’était plus difficile. » Donc, on s’est dit : « Parfait, on a quatre sphères d’intervention. » On a séparé nos élèves qui étaient plus fragiles en fonction des besoins.
31Des regroupements d’enseignants de niveaux scolaires différents qui ont planifié du coenseignement avec l’orthopédagogue et ont décloisonné plusieurs groupes-classes ont été expérimentés dans plusieurs écoles, pour soutenir la différenciation pédagogique :
Avec les élèves de 3e cycle, ce qu’on a fait, on s’est comme séparé la tâche […]. On s’est pris à trois, pis on s’est fait des sous-groupes de besoins, trois sous-groupes de besoins. Encore une fois, on est allé chercher des sphères puis nos forces. Tsé moi la lecture, le prof de 5e année, l’écriture, le prof de 6e année, en mathématique. Puis là, on est allés chercher nos élèves qui avaient besoin. Puis un sous-groupe de besoin trois fois semaine, pour les élèves qui sont plus en difficulté […]. Puis, on s’est fait deux sous-groupes variables en fonction des besoins au quotidien, en lien avec ces trois sphères-là et on a cinq périodes d’interventions […].
32Les observations et canevas de planification ont permis de constater que plusieurs configurations peuvent être planifiées et mises en œuvre au cours d’une même situation d’enseignement-apprentissage (SEA) coenseignée. Des auteurs avaient déjà relevé six configurations de coenseignement (Friend et Cook, 2007 ; 2016). Lors des entretiens, les orthopédagogues ont mentionné mettre en pratique plus particulièrement les dispositifs suivants : un enseigne et un observe, un enseigne et un soutient, les deux enseignent en parallèle, un enseignement alternatif (où l’orthopédagogue enseigne spécifiquement à un sous-groupe d’élèves dans la classe), un enseignement en ateliers (où les élèves sont regroupés pour réaliser trois ateliers différents ou plus) et un enseignement partagé entre l’orthopédagogue et l’enseignante pour toute la classe. Elles ont souhaité explorer différents dispositifs de coenseignement :
Moi je faisais beaucoup de team teaching…mon défi c’était d'essayer le plus de dispositifs possible. Donc, on a fait beaucoup d' « ateliers », on a fait le « en parallèle », quand vous êtes venues nous observer. De les (élèves) mettre en dyades pour faire une tâche, ce genre de chose qu'on faisait peut-être moins, donc on a poussé un petit peu plus dans le fond. Et plus on en faisait, plus on vivait, des fois, des succès : « bon bien ça fonctionne, on va faire ça pour telle autre activité ». … J’ai expérimenté dans le fond… tant être dans la classe, un peu comme observateur, qu’être dans la classe avec des sous-groupes, que « être la personne qui anime » une activité dans la classe puisque c’est l’enseignant qui est plutôt observateur.
33La planification de ces différents dispositifs demande tout de même un temps de concertation préalablement :
[…] j’ai des façons de faire que moi je connais […], puis quand je m’assois avec l’enseignant, bien on planifie comme… deux, trois prochaines activités puis là, mettons que je vois que, bon elle a vraiment besoin d’aide au niveau de la stratégie … je vais modéliser, bien je vais dire : « ok, regarde, on pourrait commencer par ici puis là, une fois que tu m’as vue, puis là, la semaine prochaine, on pourrait y aller en sous-groupes, puis après ça, on pourrait faire en tandem (enseignement partagé).» Puis moi, avec l’autre enseignant, on travaille en collaboration à l’intérieur de la classe. Elle…elle a vraiment le sous-groupe d’élèves qui est en modification, pis elle travaille même un peu du niveau inférieur. Tu sais, elle travaille un pas à la fois, elle travaille toutes les structures. Puis moi, je travaille la compétence 2 avec huit élèves. Donc, elle travaille de son bord, puis là, moi je travaille de l’autre côté. Finalement, on n’était pas sûr, puis on a trouvé notre erre d’aller.
34La planification s’effectue à deux et l’animation de la SEA également :
Puis avec une autre prof, ce qu’on s’est dit, c’est qu’on allait faire « en parallèle ». Donc, on prépare ensemble une lecture interactive et ensemble on fait une planification d’un atelier sur l’appréciation littéraire. On la planifie ensemble, on l’anime en deux groupes, à l’intérieur de la classe, puis on revient en planification.
35Différentes façons de planifier les dispositifs de coenseignement ont amené les dyades à développer une aisance nouvelle :
Celle en 5e était plus retirée, mais quand on a fait la planification, moi j’ai dit : «je ne veux pas tout animer toute seule ». J'ai dit : « choisissez-vous des pubs que vous allez animer ». J'ai dit : « c'est pas vrai que je vais faire tout ça ».
Chercheuse : Ça faisait une belle alternance, d'ailleurs, quand on est allées observer.
Oui c’est ça. C'est spécial au niveau de la planif, fallait organiser ça, telle publicité, telle personne qui l'anime […] puis on alternait. […] Par contre, dès le début, on a beaucoup travaillé, où on est les deux en action (enseignement partagé). Les deux en action continuellement, dans le projet. Dès le début, on a eu des moments de rencontres. D’ailleurs, on a commencé… on a eu quasiment plus de rencontres que de situations où je suis allée dans la classe. Donc, beaucoup de rencontres où on a discuté.
36Lors de nos observations, huit types de dispositifs ont été observés. Une configuration nommée « soutien partagé » (Toullec-Théry, 2012) où les coenseignants soutiennent tous les élèves pendant une des phases de la SEA, de même qu’une 8e configuration de « soutien alternatif » où les coenseignants soutiennent des sous-groupes d’élèves selon leurs besoins diversifiés lors de la phase de réalisation de la SEA (Dubé, Paviel et Dufour, 2019). L’analyse des six séances d’observation montre que les coenseignants adoptent plusieurs dispositifs de coenseignement au cours du pilotage d’une même SEA. Bien que la SEA ait été planifiée au préalable, nos observations ont permis de relever que les coenseignants se réajustent, en action, selon le niveau d’engagement des élèves et les besoins manifestés durant la situation.
37Les résultats obtenus mettent en évidence le fait que les pratiques collaboratives déployées par la mise en œuvre des dispositifs de coenseignement et soutenant la différenciation pédagogique pour répondre aux besoins diversifiés des élèves demandent de la coplanification de même que du temps pour échanger, rétroagir ensemble sur la planification, avant et après l’action. La dimension relationnelle de la différenciation pédagogique est très sollicitée lors du coenseignement, car les coenseignants doivent planifier intentionnellement auprès de qui et avec qui elles vont mettre en œuvre des pratiques différenciées (Molodoveanu et al., 2016). La dimension instrumentale est également apparue comme une préoccupation fréquente lors de la planification des SEA, tant pour présenter la situation aux élèves et l’animer que pour le choix du matériel qui leur est proposé pour réaliser l’activité.
38Les coenseignants réfléchissent, rétroagissent et sont en mesure de nommer les conditions qui facilitent la collaboration au sein des dyades, comme évoquées dans le modèle traduit de Cook et Tankersley (2013). On constate que, bien que les coenseignants se soient concertés et aient planifié leur SEA en incluant des configurations de coenseignement, la co-évaluation des élèves n’a pas été une pratique mise en place par nos participantes. Les entretiens et les observations ont permis de constater que le travail collaboratif entre les coenseignants, de même qu’entre les élèves, était mis de l’avant lors des périodes de coenseignement, ce qui relève de la composante relationnelle du modèle de Moldoveanu et al. (2016). Les observations et les planifications révèlent que plusieurs configurations de coenseignement pouvaient être mises en œuvre, en alternance, au cours d’une période de 60 minutes pour répondre aux besoins de chaque élève tout en tenant compte de la diversité au sein des classes. Des sous-groupes d’élèves, parfois hétérogènes, parfois homogènes au niveau des besoins d’apprentissage, ont été organisés selon les objectifs d’apprentissage visés. Du soutien alternatif a été offert au moment où les élèves réalisaient une tâche, un enseignant soutenait plusieurs sous-groupes tandis que l’autre soutenait une dyade pour, par exemple, approfondir une notion. Cette configuration permettait de revenir sur certains aspects moins bien compris. Des auteurs ont souligné qu’une ressource humaine supplémentaire en classe pourrait faciliter la mise en place des pratiques différenciées (Moldoveanu et al., 2016 ; Perrenoud, 1997). Des configurations de coenseignement ont également été mises en œuvre en décloisonnant plusieurs groupes classes ensemble, pilotées par leurs enseignants et l’orthopédagogue, pour différencier les structures (Leroux et Paré, 2016) et les groupes/niveaux (Meirieu, 1989).
39Des études antérieures avaient montré que la planification (Magiera et al., 2006) et des concertations régulières permettraient une mise en œuvre et une organisation des contenus pédagogiques et de gestion de classe plus efficaces (Brusca-Vega, Brown et Yasutake, 2011 ; Hang et Rabren, 2009). Cette intentionnalité met en relief la dimension instrumentale de la différenciation pédagogique, lorsque les coenseignants planifient ensemble, organisent les sous-groupes d’élèves, choisissent du matériel varié et la durée de la situation d’enseignement-apprentissage et déterminent leurs rôles respectifs (Moldoveanu et al., 2016). La collaboration ainsi rehaussée permet de repenser les façons d’enseigner et d’organiser les services et contribue à considérer la diversité des besoins d’élèves collectivement au sein d’une école primaire (Beaumont et al., 2010).
40Par ailleurs, soulignons les retombées du projet sur le développement professionnel mutuel des coenseignants, par la modélisation, les échanges et l’exploration de nouvelles pratiques pédagogiques, tel que l’avait mis en lumière une synthèse des connaissances (Moldoveanu et al., 2015). L’échange des rôles est aussi bénéfique sur le plan de leurs pratiques respectives : dans certaines situations, l’orthopédagogue enseigne au sous-groupe d’élèves « doués » et l’enseignante aux élèves « éprouvant des difficultés ». En observant l’autre enseigner, elles disent avoir développé de nouvelles pratiques.
41La présente recherche visait à décrire les pratiques de coenseignement en classe, à définir les conditions favorables au coenseignement orthopédagogue-enseignant et à proposer des pistes pour améliorer le coenseignement au primaire. Selon les résultats obtenus, il ressort que les dyades formées d’une orthopédagogue et d’une enseignante, dans les trois écoles primaires participantes, adoptaient des démarches de planification différentes et s’offraient un moment de rétroaction avant et après la SEA.
42Au cours de ce projet, plusieurs configurations de coenseignement ont pu être mises à l’essai et observées au cours d’une période de 60 minutes. Quant aux conditions favorables au co-enseignement, nos résultats montrent que la planification est la clé de voûte pour cibler les objectifs d’apprentissage et répartir les rôles des coenseignants en vue de répondre aux besoins diversifiés de tous élèves. Le temps de planification permet de choisir les dispositifs de coenseignement les plus judicieux pour soutenir la différenciation pédagogique selon les objectifs d’apprentissage à atteindre. Réserver du temps à l’horaire hebdomadaire constitue l’une des conditions facilitant les temps de rencontre et de concertation. De ce fait, les coenseignants ont pu ainsi renforcer leur collaboration. Elles ont planifié et ont pu se réajuster en portant davantage attention à l’identification des besoins des élèves. Par leurs observations complémentaires, elles ont tracé un portrait plus juste des élèves pour mieux soutenir la mise en œuvre de la différenciation pédagogique. Les participantes ont réalisé que : « ce sont NOS élèves ». Le rôle de l’orthopédagogue est dorénavant perçu différemment ; elle ne restreint pas ses interventions aux élèves en difficulté.
43En définitive, le coenseignement et la mise en œuvre de la différenciation pédagogique en vue de soutenir tous les élèves nécessitent de développer de nouvelles pratiques collaboratives qui permettent d’envisager l’organisation pédagogique de manière collective, tant par la dyade enseignante-orthopédagogue que par le décloisonnement de plusieurs classes en sous-groupes de besoins. Par ailleurs, retenons que pour assurer un meilleur coenseignement, il faut réserver du temps à l’horaire pour faciliter les rencontres des dyades de coenseignants. Dans une perspective de responsabilité partagée pour une prise en compte d’une diversité d’élèves, le coenseignement semble une voie prometteuse dans un continuum éducatif qui tend vers l’inclusion.
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