1Cet article a pour but de montrer comment le plan licence, lancé en décembre 2007, redéfinit la place du tutorat dans les formations universitaires, ce dispositif devenant un élément d’une politique d’établissement visant à favoriser la réussite des étudiants dès la dernière année du lycée. L’auteure s’interrogera sur la place du discours scientifique dans la définition et l’analyse de ces politiques publiques. Elle s’appuiera sur la synthèse d’un ensemble de travaux de recherche élaborés sur le tutorat conduits avec l’Institut National de Recherche pédagogique (1997-2001) puis le C.N.C.R.E. (1998-2000) et sur un programme en cours intitulé « Formation, qualification, emploi » conduit au sein du Grand réseau de recherche « Culture et Société en Normandie ».

2Enfin, elle posera des questions sur l’analyse des effets de ces politiques au regard des objectifs affichés et précisera, en conclusion, en quoi ce thème fait émerger des thématiques de recherche centrales pour comprendre les mutations récentes de l’université française.

Le tutorat ou l’égalité des chances dans l’enseignement supérieur

3Les universités françaises ont connu lors de cette dernière décennie des transformations importantes dues à la mise en œuvre rapide de réformes modifiant durablement leur organisation administrative et pédagogique. Leur participation au processus de Bologne a profondément restructuré le contenu et l’architecture des formations qu’elles dispensent. Dans ce cadre européen, de nouveaux objectifs de formation orientés vers la citoyenneté et l’employabilité ont été fixés aux établissements :

L’utilisation des acquis de l’apprentissage et des compétences est nécessaire pour que les programmes d’études et leurs unités d’enseignement/modules soient orientés vers les résultats et centrés sur l’étudiant. Cette approche demande à ce que les connaissances et les aptitudes clefs dont un étudiant doit faire preuve durant l’apprentissage déterminent le contenu du programme d’études. Les acquis de l’apprentissage et des compétences se concentrent à la fois sur les exigences de la discipline et sur celles de la société en terme de préparation à la citoyenneté et à l’employabilité (Socrates, 2007).

4Cette attention portée à l’apprentissage de l’étudiant existait déjà dans les rapports des experts sur l’enseignement supérieur et dans les politiques publiques avant l’introduction du L.M.D. C’est d’abord le constat de la diversité des profils d’étudiants qui est affirmée dans une institution qui s’est démocratisée et qui s’interroge sur les moyens à mobiliser pour faire réussir les jeunes. Au début des années 90, les rapports Duhamel (Duhamel, 1990) et Quéré (Quéré, 1994) plaident pour la mise en œuvre d’un enseignement sur-mesure à l’université afin de prendre en compte l’hétérogénéité des étudiants. Au regard des échecs en D.E.U.G., le Ministère de l’Éducation nationale, de l’enseignement supérieur et de la recherche introduit dès 1996 des pratiques de tutorat à l’attention des étudiants de premier cycle conduites par des pairs plus avancés dans le cursus universitaire. Le bulletin officiel du 31 octobre 1996 le définit de la façon suivante : « Aider au travail personnel de l’étudiant, aider au travail documentaire, donner son appui aux techniques d’auto-évaluation et d’autoformation, permettre d’établir des relations de proximité entre étudiants et professeurs. » En 1998, le tutorat est officialisé par arrêté, c’est le premier texte d’application de la réforme du Ministre de l’Éducation nationale François Bayrou. Dix ans après, la question de l’échec en premier cycle revient, peu de temps après les manifestations des étudiants contre le contrat première embauche (C.P.E.) qui conduisent au débat Université/Emploi puis à la publication du rapport Hetzel : « L’égalité des chances est une grande cause nationale justifiant la mobilisation de tous. L’enseignement supérieur a un rôle à jouer pour que celle-ci devienne une réalité pour nos jeunes concitoyens » (Hetzel, 2006). Le plan Licence, porté par la Ministre de l’Enseignement supérieur et de la recherche, Valérie Pécresse, affiche l’ambitieux objectif de diminuer par deux le taux d’échec en première année à l’université en cinq ans. Ce plan dénonce « un échec inacceptable, plus marqué à l’université et encore plus en première année, un échec coûteux sur le plan humain et socio-économique ». Le plan se fixe l’objectif d’améliorer la formation de licence et de valoriser ce diplôme tant dans l’espace européen de la connaissance que sur le plan national. Il est précisé sur le site du Ministère au moment du lancement du plan que « l’équilibre entre l’acquisition des compétences et des connaissances s’appuiera sur des innovations pédagogiques (petits groupes, tutorat, e-Learning) ». Si la loi sur l’autonomie, votée la même année, donne aux universités la mission de professionnaliser les études, elle ne rappelle pas la mission qui les distingue des autres établissements d’enseignement supérieur, celle d’accueillir tous les étudiants dans une perspective de démocratisation de l’accès aux études post-baccalauréat et aux formations. Or, les exigences posées par la loi Fillon en 2005 : « Atteindre l’objectif de 50 % d’une classe d’âge au niveau licence » concernent l’université en premier lieu. En effet, les étudiants des universités françaises, titulaires du baccalauréat, sont accueillis, quels que soient leurs résultats académiques, leur projet, et c’est sur ces principes de recrutement que se construisent les parcours des étudiants. Le problème posé à nouveau à l’université est donc de réduire la distance entre les exigences et les attentes de l’institution et les caractéristiques de son public afin de répondre à la double ambition voulue par l’État, celle de former des citoyens qui soient aussi des adultes compétents sur le marché du travail. Parmi les dispositifs qui marquent les pratiques visant à remédier aux difficultés des étudiants figure le tutorat étudiant. Nous constaterons que le visage du tutorat se transforme sous l’impulsion des politiques, des projets d’établissement mais aussi des acteurs par la création de pratiques diversifiées. Nous aborderons deux points principaux. D’une part, nous exposerons la façon dont le plan licence redéfinit la place du tutorat dans les formations universitaires et d’autre part, nous élaborerons une typologie de ces tutorats.

5Enfin, nous évoquerons des pistes de recherche pour évaluer les actions conduites autour du tutorat dans le plan licence et pour en interpréter le sens.

Le tutorat et la réforme Bayrou : mésaventures d’une bonne idée

6Le tutorat vise la réussite académique de l’étudiant en s’appuyant sur l’implication de ses pairs dans la réalisation de son parcours d’études. En 1998, le tutorat d’accompagnement méthodologique et pédagogique s’effectue sur la base du volontariat par et pour les étudiants. Sur un plan scientifique l’idée de ne pas laisser démuni l’étudiant culturellement éloigné des attentes et exigences de l’université trouve sa justification dès les années 60. En effet, l’importance de la méthodologie du travail intellectuel est abordée très tôt par Bourdieu et Passeron lorsqu’ils rappellent la nécessité « d’enseigner les techniques matérielles du travail intellectuel » (Bourdieu, Passeron, 1964). Le tuteur étudiant a donc la tâche de faire découvrir à l’étudiant « son métier » (Coulon, 1997) et de répondre à ses sollicitations pour faciliter ses apprentissages. Pour penser le tutorat deux théories seront convoquées :

• la sociologie de l’autoformation initiée par Joffre Dumazedier (Dumazedier, 1996) qui décrit la figure d’un médiateur apportant un soutien affectif cognitif, et qui donne un sens à la formation institutionnelle de l’apprenant ;

• les théories psychocognitives, qui constituent une référence dans la description des conditions de dépassement des obstacles dans l’apprentissage des étudiants dans différentes disciplines, nous citerons l’ouvrage L’étudiant apprenant (Frenaye, Noël, Parmentier, Romainville, 1998) qui présente l’étudiant comme le personnage central de sa formation.

7La double mission du tuteur est d’accompagner l’étudiant dans la réussite de son parcours d’études tout en levant les obstacles didactiques et pédagogiques à son apprentissage. Cet accompagnement est à la fois d’ordre cognitif et affectif, la proximité culturelle facilitant le processus d’affiliation aux études universitaires au sens où l’emploie Alain Coulon :

Vient enfin le moment où l’étudiant entre progressivement dans son nouveau rôle, où il commence à être familiarisé avec son nouvel environnement, qui ne lui paraît plus hostile ou étranger, même si la vigilance s’impose encore. Cette période au cours de laquelle l’étudiant devient progressivement membre, est celle de l’affiliation. Elle est marquée en particulier par l’aisance acquise à l’égard des règles diverses et nombreuses qui organisent la vie sociale et intellectuelle du travail universitaire, aisance qui se manifeste dans de très nombreuses occasions.

8Ce dispositif a-t-il permis d’atteindre les buts affichés ? Les recherches conduites entre 1997 et 2001 à l’Institut National de Recherche Pédagogique puis complétées par l’étude menée dans le cadre du C.N.C.R.E. à Paris X — Nanterre de 1998 à 2000, ont permis de répondre à cette question. Si le tutorat a pu susciter l’engouement, parce que perçu comme un remède à l’échec des étudiants, l’analyse des pratiques et des témoignages des acteurs dresse les limites de son efficacité. La perception du tuteur est vécue de façon différenciée par les étudiants selon leur origine, leur rapport au savoir, et leur représentation de l’avenir. Bien que partageant les mêmes conditions de vie et de travail, tous les tuteurs ne sont pas perçus comme des modèles d’identification par les tutorés. Si la proximité institutionnelle ou sociale peut être un atout majeur pour jouer le rôle de répétiteur dans un cadre didactique posé par les enseignants, le rôle de tuteur ne peut qu’être limité dans la diffusion des connaissances, l’appréciation des difficultés des étudiants et l’apprentissage de la réflexion critique. L’impact du tutorat sur la réussite des étudiants conduit donc à un bilan contrasté où les variables du contexte jouent un rôle déterminant dans la réussite ou l’échec du dispositif (Annoot, Fave-Bonnet, 2004). Toujours est-il que les étudiants qui en bénéficient ne sont pas ceux qui en ont le plus besoin, cette initiative ayant une portée pour des jeunes déjà affiliés ayant le projet de réussir.

Du tutorat au plan licence en passant par le L.M.D.

9L’entrée dans le xxi^e siècle a été marquée par celle des universités dans le processus de Bologne et a conduit à la mise en œuvre de la réforme dite L.M.D. L’architecture des formations a été profondément remaniée par la semestrialisation, l’introduction de la notion de crédits et la promotion de la mobilité internationale pour les études et les professions. Mais plus profondément, ce sont les finalités des formations elles-mêmes qui ont été repensées avec comme objectif l’employabilité, la citoyenneté étudiante alors que l’université rencontrait un problème d’identité exposé par Alain Renaut (Renaut, 1995) dans les termes suivants :

Si l’on souhaite aujourd’hui ouvrir à nouveau dans toute son ampleur la question des universités, comment ne pas voir qu’elle impose de s’interroger sur la capacité de l’institution universitaire à s’intégrer dans le processus de modernisation de la culture qui accompagne la dynamique des sociétés démocratiques ?

10Il y a donc, dans l’espace européen de la connaissance, un nouveau changement de paradigme où l’université ne participe plus seulement à la diffusion et à la création de savoirs mais aussi à la production de compétences. Trois catégories de compétences sont citées dans le rapport Tuning (Socrates, 2007) :

• les compétences instrumentales : capacités cognitives, méthodologiques, technologiques et linguistiques ;

• les compétences relationnelles : capacités individuelles telles que les aptitudes sociales (interaction et coopération sociales) ;

• les compétences systémiques : capacités et aptitudes liées à des systèmes entiers (associant la compréhension, la sensibilité et le savoir ; exigeant une acquisition antérieure de compétences instrumentales et relationnelles).

11L’annexe descriptive au diplôme, délivrée à chaque diplômé, précise la nature de ces compétences acquises. Le passage d’une formation des élites, que l’on qualifiait en France d’héritiers, à une formation de masse a produit des transformations dans le rapport au savoir des jeunes, l’accent étant davantage mis sur leurs compétences acquises, c’est-à-dire les savoirs utiles pour l’action et non plus l’enseignement lui-même. Les méthodes pédagogiques se sont transformées et les étudiants deviennent les acteurs de nouveaux dispositifs de formation réclamant des formes d’autonomie dans l’apprentissage : parcours dans le cadre du L.M.D. depuis l’entrée à l’université jusqu’à l’obtention du diplôme, choix d’unités libres, tutorat, formations ouvertes et à distance, généralisation de la conduite de projets et de la réalisation de stages. Ces évolutions politiques demandant aux établissements de s’engager dans un processus orienté vers l’accès à l’emploi et la construction de la citoyenneté marquent un tournant décisif dans l’histoire des universités. Ce changement culturel réclamant des initiatives pour la construction des compétences des étudiants est d’autant plus marquant qu’il s’est accompagné d’un changement structurel conduisant vers l’autonomie des universités et transformant les acteurs de l’université en gestionnaires de leur établissement.

12L’été 2007 a été marqué par la loi du 10 août sur les libertés et responsabilités des universités donnant aux établissements du supérieur une nouvelle mission en matière d’orientation et d’insertion professionnelle. Dans ce cadre institutionnel, un plan pluriannuel pour la réussite en licence intitulé « plan licence » a été lancé. L’aide individualisée est privilégiée et les enseignants sont sollicités pour la réaliser. Le parcours de l’étudiant est décliné en plusieurs étapes depuis l’aide à l’orientation en passant par l’accueil, la construction du parcours d’études et l’aide à l’insertion. Nous retrouvons dans le plan licence des thèmes propres aux recherches en éducation tels que la question de la transition secondaire/supérieur, l’individualisation de la formation, la remédiation, la construction du projet personnel et professionnel de l’étudiant et le rôle de l’enseignant comme méthodologue du travail universitaire. Le discours politique induit des présupposés sur les bonnes pratiques à encourager. Le comité de suivi pour la licence avait lui-même produit des recommandations en avril 2007 très proches de celles du plan. La conception et la mise en œuvre du plan sont laissées à l’initiative des équipes de direction sous le contrôle du Ministère de tutelle qui dispense les moyens. Le terme de tutorat apparaît dans la circulaire sans être au centre du dispositif, la notion d’accompagnement personnalisé s’y substitue intégrant un ensemble de pratiques plus larges, y compris conduites par les enseignants. Le concept d’accompagnement exprime ici la volonté d’autonomiser de responsabiliser et de travailler à l’épanouissement de l’étudiant dans un contrat passé avec l’institution. Cet accompagnement n’est donc pas provoqué par une demande spontanée de l’étudiant mais pensé par l’établissement comme un processus qui permet la construction progressive de ses compétences pour une meilleure insertion sociale et professionnelle. Ainsi la première année de licence sera consacrée au renforcement des connaissances de base et à la découverte du métier d’étudiant, la seconde constituera un carrefour qui conduira à la poursuite d’études ou au monde du travail, la troisième année marquera la fin des études supérieures ou l’orientation vers un master comportant un parcours recherche et professionnel.

13C’est donc bien un nouveau modèle qui est en émergence à l’université tant sur le plan politique que sur celui de l’enseignement/apprentissage. Nous observons que des concepts empruntés au monde de l’entreprise et du secteur privé ont fait leur entrée dans le monde de l’enseignement supérieur : responsabilité sociale, management des équipes, construction des compétences sociales et professionnelles, employabilité. La logique de performance semble privilégier le résultat attendu dans un temps prescrit. Ainsi, la formation est évaluée par rapport à l’adaptation au bassin d’emploi. Les parcours d’orientation sont lisibles pour permettre une bonne gestion des effectifs et des flux. La qualité des pratiques pédagogiques est appréciée à partir d’indicateurs quantitatifs : taux de réussite et taux d’insertion. L’importation de ces références jusque là étrangères à l’univers du service public, de l’enseignement des savoirs académiques, de la culture désintéressée interroge les valeurs des acteurs et fait surgir des résistances, des adaptations, des contournements ou des retours à des valeurs conservatrices tant chez les usagers que chez les professionnels. En particulier, ces mutations de l’université ont donné naissance à un courant hostile aux réformes chez les enseignants (Faure, Soulie & Millet, 2005). Les principales revendications de ce courant défendent un éthos académique menacé par le diktat de la professionnalisation et dénoncent le libéralisme et ses formations libre-service :

La déferlante contemporaine de l’utilitarisme dans l’université française ainsi que le nivellement idéologique managérial qui l’accompagne font entrer dans un jeu de concurrence la profession d’enseignant-chercheur et son « éthos académique » avec la demande des entreprises publiques et privées (ce jeu lui étant sans doute défavorable). Un discours antiintellectualiste a donc tendance à se développer, valorisant les administrateurs à partir d’une vision pragmatique du métier d’enseignant-chercheur.

14Dans ce contexte politique et social, le dispositif de tutorat a été maintenu dans les universités lorsqu’il a été intégré aux contrats et aux projets d’établissement. D’autres tutorats méthodologiques ont vu le jour pour accompagner la maîtrise des compétences linguistiques, technologiques, et méthodologiques des étudiants, plus particulièrement dans le domaine de la documentation et des T.I.C.E. Il a existé comme complément de la formation dispensée par les enseignants et comme outil pour la mise en œuvre d’actions en direction des étudiants à différentes étapes clés de leur parcours. Il a parfois été reconnu par une validation pour encourager les poursuites d’études des tuteurs et leur professionnalisation vers les métiers de l’enseignement. Certaines universités ont travaillé à la reconnaissance de cet engagement par l’attribution de crédits E.C.T.S.

Du tutorat aux tutorats

15Il n’existe à ce jour pas d’étude exhaustive présentant les dimensions du tutorat dans une université appelée à devenir autonome. Pour définir les contours d’une telle recherche, nous nous sommes employés à dresser une typologie des tutorats, à partir de notre expérience de cinq ans dans l’équipe de direction d’une université de 7 000 étudiants ayant mis en œuvre le plan licence en février 2008 et le tutorat avant la réforme Bayrou, c’est-à-dire dès 1994. Nous avons choisi de les présenter par ordre chronologique dans le tableau 1 en illustrant ces catégories par des exemples.

16La lecture de ce tableau nous amène à quelques commentaires, la liste des exemples n’étant pas close. D’une part, nous constatons que le tutorat s’organise à partir du parcours de l’étudiant depuis son choix d’orientation jusqu’à l’obtention de son diplôme. Le tuteur joue le rôle de répétiteur, de méthodologue du travail universitaire. Sa fonction est aussi de familiariser le lycéen à l’enseignement supérieur et d’accueillir et de soutenir les étudiants dans la réussite de leur parcours universitaire. Cet engagement au service de la communauté universitaire peut être reconnu par un contrat de travail ou par la validation du projet par des E.C.T.S. dans le cadre de son cursus. Cet engagement va aussi aller au-delà de l’établissement et contribue à son rayonnement sur le territoire. L’étudiant met ses compétences acquises à l’université au service de ses concitoyens en coopérant avec les institutions, les associations, les entreprises, ces organisations étant ou devenant des partenaires de l’université. Nous pouvons conclure en constatant que ces actions s’articulent autour de deux finalités :

• construire la cohésion sociale sur le territoire ;

• construire les compétences académiques et professionnelles de l’étudiant.

17Nous observons que les pratiques du tutorat ont évolué au fil des recommandations et ont suivi les changements institutionnels évoqués dans les précédents paragraphes. Le passage à l’autonomie en 2012, pour tous les établissements d’enseignement supérieur, conduit les universités à s’imposer comme les principaux pôles économiques du territoire et de formidables outils de promotion sociale dans leur environnement. C’est pourquoi le tutorat s’exporte, les étudiants favorisant l’aide à la réussite et se rendant utiles à la société civile devenant « les ambassadeurs » de leur établissement.

Le plan licence révélateur d’une institution en quête d’une nouvelle identité

18Les orientations du plan licence s’appuient sur des présupposés que sont l’inégalité d’accès aux études supérieures, la nécessité d’un travail pédagogique pour réduire ces écarts, la prise en compte des particularités des bacheliers et la reconnaissance du travail des enseignants par une politique de primes. Toutefois, ce plan se place dans le temps contraint des exercices budgétaires, mais pas dans celui des apprentissages ou de l’enseignement, ni dans le temps des incertitudes face au changement. Les variables du contexte, parcours de l’étudiant, politiques d’établissements et interactions des équipes, confrontation des identités de métier des enseignants du supérieur en quête de repères, conduisent nécessairement à des écarts entre prescription et réalisation. La mesure d’indicateurs sur l’attractivité, les flux, les taux de réussite, la présence aux examens, les taux de réorientation et les taux d’insertion apporte aux établissements des grilles de lecture sur les parcours des étudiants mais ne peut mettre en évidence les effets de cette politique sur l’identité des enseignants du supérieur ni sur la façon dont le rapport aux études des jeunes évolue dans leur cadre de vie et de travail. Les paramètres sont donc très nombreux pour identifier les effets du plan licence et du tutorat sur la formation des étudiants.

19Ces considérations nous conduisent à identifier plusieurs recherches émergentes dans le domaine de l’enseignement supérieur en France, domaine déjà peu exploré en comparaison avec les autres cycles de l’enseignement en France. En effet, les universités françaises vivent aujourd’hui la concrétisation d’un long processus engagé avec l’harmonisation européenne des diplômes qui transformera le fonctionnement de l’institution, le rôle des acteurs et peut-être leur statut, ainsi que les modes de formation et le rapport aux savoirs universitaires. Ces changements sont récents mais leurs effets peuvent être étudiés dans plusieurs domaines. Nous nous sommes attachés dans cet article à mettre en évidence les démarches induites par les pratiques de tutorat entre étudiants dans une université en mutation. Ces constats nous conduisent vers plusieurs pistes de travail pour évaluer les effets de ces pratiques sur la formation sociale et intellectuelle des étudiants. D’une part, il conviendrait d’identifier les pratiques de tutorat étudiant dans les établissements à partir d’une définition actualisée du concept, rappelant ses dimensions affectives et cognitives et sa place dans le processus de formation depuis l’entrée à l’université jusqu’à l’insertion (le L.M.D. faisant référence au parcours de l’étudiant). D’autre part, une lecture de ces pratiques devrait s’appuyer sur une analyse des politiques ayant conduit à leur réalisation ainsi que sur le rôle des acteurs mobilisés. Une évaluation complète des effets de cette politique devrait appuyer sur :

• l’observation de pratiques de tutorat ;

• l’analyse de pratiques ;

• la construction de monographies ;

• des analyses comparées des contextes locaux et des politiques d’établissement ;

• des analyses de témoignages d’étudiants et d’enseignants concernés ou non par ces pratiques.

20Plus largement, les résultats de ces travaux nous conduiraient à mieux comprendre le sens de politiques qui s’appuient sur des médiations pour mieux enseigner ou faire apprendre :

• Est-ce pour miser sur les individus, leur autonomie, leur responsabilité, plus que sur l’institution, au sein d’une société libérale ?

• Est-ce pour diversifier les acteurs de la formation universitaire, l’acquisition de savoirs académiques devenant un élément d’un processus de formation qui se diversifie ?

• Est-ce que parce que nos universités accueillent tous les étudiants et qu’elles n’ont jamais renoncé à leur mission de « former une élite intellectuelle et sociale » (Renaut, 1997) d’où les difficultés rencontrées par les étudiants ne correspondant pas à ce profil ?

• Est-ce parce que les universités cherchent à mieux communiquer sur leurs dimensions scientifiques, culturelles et sociales pour être reconnues comme les acteurs privilégiés du développement économique de leur territoire ?

21Ces grandes questions mériteront une attention particulière au fil de l’analyse des dispositifs, des pratiques et des témoignages centrés sur le tutorat étudiant.