Des éducateurs « hors pairs »? Place et rôle des enseignants en EPS dans le système d’enseignement – Varia (70/décembre 2023)
Notes de la rédaction
Calendrier
Date limite d’envoi des projets : 30 septembre 2022
Date limite d’envoi de l’article intégral : 31 janvier 2023
Date limite de retour des expertises : 30 avril 2023
Date limite d’envoi de l’article définitif : 30 septembre 2023
Parution : décembre 2023
Vous pouvez adresser un projet d’article aux trois coordonnateurs (stephan.mierzejewski@univ-lille.fr ; lucie.mougenot@u-picardie.fr ; therese.perez-roux@univ-montp3.fr) de ce dossier thématique avant le 30 septembre 2022 (3 pages, soit 10 000 signes environ avec les cadrages scientifiques habituels).
Après accord de principe, toute contribution devra ensuite être présentée en respectant les normes de la revue (soumettre une contribution : https://edso.revues.org/395 et les recommandations aux auteurs : https://edso.revues.org/624) puis, après accord des coordonnateurs, sera soumise à double expertise “en aveugle” selon les normes de la communauté.
Argumentaire
- 1 Indicateurs parmi lesquels peuvent rapidement être mentionnés la précocité des vocations, les taux (...)
- 2 Bien que des évolutions soient intervenues ces vingt dernières années avec les générations successi (...)
Les enseignants en EPS ont la réputation de former une communauté « à la pointe » de la pédagogie. Et de fait, différents indicateurs1 attestent de la relation d'affinité marquée des membres de ce corps d'enseignants avec le versant relationnel de leur activité professionnelle (Mierzejewski, 2016). Cette situation contraste avec ce qui s’observe le plus souvent chez leurs confrères et consœurs des autres matières du second degré français, qui fondent encore leur légitimité première sur la maîtrise et la transmission de savoirs formels (Isambert-Jamati, 1966 ; Tanguy, 1983 ; Esquieu, 2005 ; Guibert, Lazuech et Rimbert, 2008)2. Cette sensibilité éducative particulière des enseignants en EPS français n’a rien de fortuit. Elle doit être rapportée aux conditions socio-historiques de l’insertion de leur matière dans les programmes scolaires. D’abord introduite sous forme militaire et paramédicale en vertu de considérants d’ordre surtout patriotiques, hygiénistes et moraux (Defrance, 1987 ; Arnaud, 1991 ; Denis, 2003 ; Defrance et al., 2021), l’enseignement de l’éducation physique a bénéficié - à partir de l’entre-deux-guerres puis tout au long des années 1960-70 - de l’intérêt porté aux « disciplines d’éveil » et aux « méthodes actives » dans le sillage des courants de l’Éducation nouvelle (Gleyse, 2012). Or, si la mise en avant d’une certaine expertise pédagogique demeure à double-tranchant dans l’univers culturel scolaire où elle conserve le statut de « compétence scientifique dévalorisée » (Chapoulie, 1979), elle n’en a pas moins contribué à l’amélioration de l’image et de la position sociales de la profession d’enseignant en EPS (Michon, 1982, 1993 ; Mierzejewski, 2005). Ce positionnement semble en outre prendre une nouvelle acuité dans le contexte d’un système d’enseignement de plus en plus interpellé sur sa capacité à remédier aux différentes marques de fragilisation du lien social et avec l’insistance corollaire sur les compétences relationnelles de l’ensemble des enseignants.
L’idée que l’Institution scolaire est un pilier majeur de la cohésion sociétale est en elle-même très ancienne. Elle constitue l’une des obsessions des législateurs, pédagogues et sociologues républicains dès l’instauration de l’École publique obligatoire, à un moment où l’unification de la Nation n’était pas acquise (Chapoulie, 2010). À travers l’insistance sur la notion de « tâche commune », Émile Durkheim (1922) entendait ainsi déjà lutter contre la tendance des enseignants du second degré à cultiver l’érudition et à se focaliser sur leurs missions d’instruction, au détriment de leur action de façonnement des entendements et d’édification morale des jeunes générations. Avec un vocable et dans une conjoncture renouvelés, c’est précisément le propos que l’on retrouve chez des auteurs contemporains qui, à l’instar de François Dubet (2002), définissent l’exercice de l’enseignement comme un travail « sur autrui » (Tardif et Lessard, 1999 ; Barrère, 2002). De par l’agencement très spécifique des espaces, du temps, des corps et des savoirs qu’elle opère, la forme scolaire (Vincent, 1980) imprime une empreinte profonde et durable sur les dispositions sociales et affectives, autant que culturelles et cognitives des élèves. Cette action socialisatrice opère même avec d’autant plus d’efficace qu’elle s’exerce sur le mode implicite, qu’elle passe par corps (Bourdieu, 1997 ; Faure, 2000). Le terrain de l’EPS constitue à cet égard un observatoire privilégié du mouvement simultané d’incorporation du social et de socialisation des corps (Détrez, 2002 ; Fleuriel et al., 2021). Mais au-delà de l’image que les enseignants en EPS (se) donnent d’eux-mêmes : qu’est-ce qui dans leurs propriétés initiales, leurs socialisations successives et les modalités de leur activité professionnelle permet (ou non) d’étayer l’hypothèse d’une contribution particulière de ces enseignants à l’assomption des missions citoyennes, démocratiques et émancipatrices de l’école publique ?
- 3 Qu’en est-il par exemple des facteurs de diversité interne que peuvent constituer les variables lié (...)
- 4 Sachant que la filière STAPS, en charge de cette formation, est elle-même structuralement héritière (...)
Plus souvent invoqués que réellement étudiés, les fondements et medium supposés d’une telle contribution méritent d’être questionnés en profondeur. Les enseignants en EPS forment-ils, en premier lieu, un corps aussi unifié et se distinguent-ils autant qu’on ne l’imagine spontanément de leurs homologues des autres disciplines du point de vue des caractéristiques socio-démographiques, des ressources scolaires et des rapports au pédagogique (Charles et Clément, 1999 ; Mierzejewski, 2016 ; Mierzejewski et Martinache, 2018) ?3 Comment se conjuguent concrètement les biographies individuelles des futurs enseignants de cette discipline et leurs expériences de formation au sein de la filière chargée de reconnaître et de développer les dispositions et valeurs fondatrices du groupe (Perez-Roux, 2012) ?4 Des variations significatives s’observent-elles dans leurs modes d’implication dans les classes, au sein des établissements et/ou à l’échelle de la vie scolaire tout entière (Mees, Carlier et Renard, 2003) ? Dans leurs pratiques de formation continue et leurs évolutions de carrière ? L’image de dynamisme et les valeurs humaines qui se dégagent des souvenirs que les enseignants en EPS laissent à leurs élèves (Meyre, 2013) les constituent-elles ipso facto en figures identificatoires capables d’infléchir durablement le devenir socio-scolaire des mêmes élèves ? Leurs propres parcours de socialisation professionnelle coïncident-ils, autrement dit, avec la mise en évidence d’une plus-value socialisatrice avérée dans le quotidien des établissements scolaires, dans le cadre des cours d’EPS et/ou en dehors ?
- 5 Vision qui entérinerait la réputation d’éducateurs « hors pair » (au singulier) des enseignants en (...)
Il n’est certes pas indifférent que ce soit rituellement vers les professeurs d’EPS (outre les CPE) que l’assemblée se tourne à l’occasion des conseils de classe, au moment de contrebalancer les verdicts proprement scolaires par la prise en compte de la « personnalité » des élèves. Mais ces observations courantes ne doivent pas encourager une vision irénique de l’éducation physique, pensée comme entièrement débarrassée des vicissitudes du social5. Dans le travail de mise en forme scolaire des corps qui s’opère en éducation physique, c’est - comme dans tous les autres domaines d’enseignement - la rencontre entre les socialisations premières et les usages culturels dominants qui est en jeu (Lahire, 1995 ; Thin et Millet, 2007), avec toute la violence symbolique que cela peut recouvrir (Boltanski, 1971 ; Thin et Millet, 2007 ; Couchot-Schiex 2007 ; Jacolin-Nackaerts et Clément, 2008 ; Combaz et Hoibian, 2011 ; Moniotte et Poggi, 2014 ; Van de Broeck, 2015 ; Brière-Guenoun et al., 2018). Aussi ce projet de dossier thématique entend-t-il se doter d’une base de comparaisons entre disciplines et, autant que possible, entre contextes nationaux, pour éviter de naturaliser des traits socio-professionnels qui, assumés ou subis, relèvent encore trop souvent de la caricature. Sans prétendre à l’exhaustivité, l’objectif est, ce faisant, de multiplier les éclairages scientifiques afin de dresser un tableau interdisciplinaire (histoire, sociologie, psychologie sociale, socio-didactique, ethnologie…) aussi cohérent que possible des relations à l'œuvre entre l’histoire collective des enseignants en EPS, la genèse de leurs positionnements scolaires, la portée éducative des outils et gestes professionnels qu’ils mobilisent et les fonctions sociales dont ils s’acquittent au sein du système d’enseignement. Chaque proposition d’article s’attachera en ce sens à alimenter l’un des trois niveaux (non exclusifs) de questionnements suivants :
1) Socio-histoire et morphologie du groupe, primes socialisations, genèse de l’ethos professionnel collectif ; facteurs d’unité et de diversité ; éléments de comparaisons entre configurations disciplinaires et nationales ;
2) Socialisations professionnelles, rapports à la formation, aux réformes en cours ; définitions concurrentes du métier et contours/tensions disciplinaires ; relations avec les parents d’élèves, les collègues et la hiérarchie ; éventail des positions occupées, des rôles et fonctions assumées au sein de l’appareil scolaire ; éléments de comparaisons entre configurations disciplinaires et nationales ;
3) Pratiques/gestes professionnels en contextes, relation avec les élèves, travail en équipe, et effets socialisateurs sur des publics/profils d’élèves ciblés dans et en dehors de la classe ; contribution à la vie scolaire ; éléments de comparaisons entre configurations disciplinaires et nationales.
Bibliographie indicative
Barrère, A. (2002). Les enseignants au travail, routines incertaines. Paris : L'Harmattan.
Boltanski, L. (1971). Les usages sociaux du corps. Annales ESC, 26-1, 205-233.
Brière-Guenoun, F., Couchot-Schiex, S., Poggi, M.P. et Verscheure, I. (2018). (Coord). Les inégalités d’accès aux savoirs se construisent aussi en éducation physique et sportive… Analyses didactiques et sociologiques. Besançon : Presses Universitaires de Franche-Comté.
Charles, F. et Clément, J.-P. (1999). Les professeurs en EPS et leurs pairs des autres disciplines scolaires : caractéristiques et trajectoires des professeurs-stagiaires à l’IUFM d’Alsace. Revue STAPS, 48, 7-23.
Combaz, G. (1992). Sociologie de l’éducation physique. Paris : PUF.
Combaz, G. et Hoibian, O. (2011). La pratique des activités physiques et sportives : les inégalités entre les filles et les garçons sont-elles plus réduites dans le cadre scolaire ? Carrefours de l'éducation, 32, 167-185.
Couchot-Schiex, S. (2007). Observation des pratiques des enseignant(es) d’EPS au regard du genre. Recherche et formation, 54, 151-164.
Denis, D. (2003). L'Institution scolaire ? Surprises et réflexions de l'historien. Tréma, 22, 87-106.
Dubet, F. (2002). Le déclin de l’institution. Paris : Seuil.
Durkheim, E. (1968/1922). Éducation et sociologie. Chapitre IV, L’évolution et le rôle de l’enseignement secondaire en France. Paris : PUF, p. 49-59.
Eloy, F. et Palheta, U. (2008). Cultures juvéniles et enseignement musical au collège. Revue française de pédagogie, 163, 39-50.
Esquieu, N. (2005). Portrait des enseignants de collèges et lycées. Interrogation de 1 000 enseignants en mai-juin 2004. Note d’information 05.07, MEN-DEPP.
Farges, G. (2017). Les Mondes enseignants. Identités et clivages. Paris : PUF.
Gleyse, J. (2012). Les méthodes actives (l’Éducation Nouvelle), en éducation physique et sportive. Le rôle décisif d’Ernest Loisel (1882-1943). STADION, International Journal of Sport History, 37, 1, 15-32.
Gleyse, J. (2019). L'orthodoxie et l'homomorphisme scolaires. Mais lesquels ? Tombeau pour Pierre… Dans Pierre Arnaud. Historien de l'EPS et du sport scolaire. L’Harmattan, p. 213-231.
Guibert, P., Lazuech, G. et Rimbert, F (2008). Enseignants débutants. « Faire ses classes ». L’insertion professionnelle des professeurs du second degré. Rennes : Presses universitaires de Rennes.
Isambert-Jamati, V. (1966). La rigidité d’une institution : structure scolaire et systèmes de valeurs. Revue française de sociologie, 7-3, 306-324.
Jacolin-Nackaerts, M. et Clément, J.-P. (2008). La lutte contre l'obésité à l'école : entre biopouvoir et individuation. Lien social et politiques, 59, 47-60.
Jellab, A. (2005). Les enseignants de lycée professionnel et leurs pratiques pédagogiques : entre lutte contre l'échec scolaire et mobilisation des élèves. Revue française de sociologie, 46(2), 295-323.
Lahire, B. (1995). Tableaux de familles. Heurs et malheurs scolaires en milieu populaire. Paris : Hautes études/Gallimard/le Seuil.
Mees, V., Carlier, G. et Renard, J. (2003). Le regard des chefs d’établissement sur leur équipe d’enseignants en éducation physique. Dans G. Carlier (éd.). Si l’on parlait du plaisir d’enseigner l’éducation physique. Éditions AFRAPS, p. 401-412.
Meyre, J. (2013). Les souvenirs laissés par les bons enseignants d'EPS : l'assertivité socio-conative comme concept explicatif. Revue Staps, 100(2), 77-87.
Michon, B. (1983). Éléments pour une histoire sociale des enseignants en éducation physique et sportive. Revue Staps, 8, 12-18.
Mierzejewski, S. (2005). Le Corps académisé. Genèse des STAPS (1968-1982), thèse de doctorat en STAPS, Université de Paris 10.
Mierzejewski, S. (2016). Vous avez dit « profs de gym » : Retour sur la question de la domination sociale et culturelle des enseignants en EPS. Sociétés contemporaines, 101(1), 63-89.
Mierzejewski, S. et Martinache, I. (2018). Les professeurs d'EPS, un corps foncièrement à part ? Regards croisés, 26, 26-30.
Millet, M. et Thin, D. (2007). Le classement par corps. Les écarts au corps scolaire comme indice de "déviance" scolaire. Sociétés et jeunesses en difficulté, 3 [en ligne].
Moniotte, J. et Poggi, M.-P (2014). Curricula cachés et biais perceptifs en EPS. Carrefours de l’éducation, 38, 193-210.
Perez-Roux, T. (2012). L’épreuve du premier poste pour les enseignants d’EPS néo-titulaires : contextes d’insertion professionnelle et dynamiques identitaires. Dans G. Carlier et C. Delens. Construction de l’identité professionnelle chez des stagiaires et des enseignants novices en EP. Belgique : PU de Louvain la neuve, p. 163-187.
Rayou, P. et Van Zanten, A. (2004). Enquête sur les nouveaux enseignants. Paris : Éditions Bayard.
Tanguy, L. (1983). Savoirs et rapports sociaux dans l’enseignement secondaire en France. Revue française de sociologie, 24-2, 227-254.
Tardif, M. et Lessard, C. (1999). Le travail enseignant au quotidien. Expérience, interactions humaines et dilemmes professionnels. Bruxelles : De Boeck.
Van Den Broeck, D. (2015). Distinctions Charnelles. Obésité, corps de classe et violence symbolique. Actes de la Recherche en Sciences Sociales, 208, 14-39.
Vincent, G. (1980). L'École primaire française. Étude sociologique. Lyon : Presses universitaires de Lyon.
Notes
1 Indicateurs parmi lesquels peuvent rapidement être mentionnés la précocité des vocations, les taux de possession du BAFA et la désignation de la qualité de la relation avec les élèves comme dimension essentielle de leur activité.
2 Bien que des évolutions soient intervenues ces vingt dernières années avec les générations successives d’entrants, important des rapports au métier moins scolastiques et exclusivement centrés sur les canons de la culture légitime (Rayou et Van Zanten, 2004 ; Farges, 2017 ; Fourquet, 2021). Et bien, également, que des contre exemples notables existent dans des disciplines telles que l’éducation musicale (Eloy et Palheta, 2008) ou dans l’enseignement professionnel (Jellab, 2008).
3 Qu’en est-il par exemple des facteurs de diversité interne que peuvent constituer les variables liées au genre, à la proximité avec la culture sportive fédérale ou encore avec l’égalitarisme (v/s l’élitisme) scolaire républicain ?
4 Sachant que la filière STAPS, en charge de cette formation, est elle-même structuralement héritière de la culture professionnelle dispensée dans les écoles normales primaires (Michon, 1983 ; Mierzejewski, 2005 ; Gleyse, 2019). Question qui constitue à ce jour un point encore largement aveugle de l’historiographie de l’éducation physique française.
5 Vision qui entérinerait la réputation d’éducateurs « hors pair » (au singulier) des enseignants en EPS, là où le parti pris méthodologique de ce dossier est de mettre à l’épreuve dans leur effectivité, comme dans leur genèse, les singularités de ce corps de professionnels « hors pairs » (au pluriel).
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