Introduction

Le programme 2020 sur l’éducation morale et civique (EMC) en élémentaire

2Pour les élèves du cycle 2 au cycle 4, l’EMC poursuit trois finalités : le respect d’autrui, l’acquisition et le partage des valeurs de la République et la construction d’une culture civique. Le troisième point intéresse plus particulièrement notre propos.

La construction d’une culture civique dans les IO

3Les IO stipulent (MENJS, 2020) :

La conception républicaine de la citoyenneté insiste à la fois sur l’autonomie du citoyen et sur son appartenance à la communauté politique formée autour des valeurs et principes de la République. Elle signale l’importance de la loi et du droit, tout en étant ouverte à l’éthique de la discussion qui caractérise l’espace démocratique. […] L’École « permet à l’élève d’acquérir la capacité à juger par lui-même, en même temps que le sentiment d’appartenance à la société. Ce faisant, elle permet à l’élève de développer dans les situations concrètes de la vie scolaire son aptitude à vivre de manière autonome, à participer activement à l’amélioration de la vie commune et à préparer son engagement en tant que citoyen ».

4Les prescriptions de 2020 marquent la spécificité de la culture civique envisagée en ce qu’elle vise l’autonomie, c’est-à-dire la capacité de juger par soi-même afin de se donner ses propres règles d’agir. L’autonomie s’exerce ici dans un espace démocratique particulier qui signe une appartenance à une communauté politique dans laquelle un horizon de valeurs, de principes républicains et de lois s’articule à une éthique de la discussion. Il s’agit de préparer l’élève à participer à l’amélioration de la vie commune, et à s’engager en tant que citoyen. Dans cette perspective, quatre domaines s’articulent pour la culture civique portée par l’EMC.

1. La culture de la sensibilité qui consiste à identifier et exprimer ce que l’on ressent ainsi qu’à comprendre ce que ressentent les autres.

2. La culture de la règle et du droit qui vise le respect des règles de la vie commune et compréhension du sens de ces règles.

3. La culture du jugement, culture du discernement qui se déploie d’une part sur le plan éthique avec l’exercice du jugement à partir d’une compréhension des enjeux et des éventuels conflits de valeurs, et d’autre part sur le plan intellectuel quand il s’agit de développer l’esprit critique des élèves en commençant par la capacité à s’informer de manière éclairée

4. La culture de l’engagement qui favorise l’action collective, le sens de la responsabilité par rapport à soi-même et par rapport aux autres, à la nation et à l’environnement (climat, biodiversité, etc.) (MENJS, 2020).

La culture civique dans les IO : un processus

5Le cadre théorique de la philosophie de la problématisation (Deleuze, 1968 ; Fabre, 1999 ; Caparros-Mencacci, 2003 ;2014) a été choisi pour étudier les prescriptions précédentes. L’analyse indique que la culture civique est conçue comme un processus – c’est-à-dire un cheminement qui se construit dans le temps. Ce processus est complexe en ce qu’il comprend quatre types de culture qui ne s’additionnent pas mais s’intègrent et coopèrent. Certes, la connaissance des règles et de la loi est indispensable. Mais elle s’articule avec la sensibilité à soi et aux autres, mise au service du jugement lequel combine un aspect éthique et un aspect intellectuel : la fonction critique. Il s’agit ainsi, à partir d’une situation problématique c’est-à-dire qui pose problème – autrement dit qui demande de réfléchir et de faire autrement que ce qu’on sait déjà faire (Caparros-Mencacci, 2003) –, d’en comprendre les enjeux éthiques en prenant en considération différents points de vue ainsi que de la documenter, de la questionner, afin de s’informer de manière éclairée. Puis d’exercer sa responsabilité c’est-à-dire d’envisager une réponse ou des réponses à des questions posées à soi, aux autres et au monde, en modes de coopération et de mutualisation lesquels favorisent les échanges, l’argumentation et la confrontation des idées. L’examen de ces éléments prescriptifs permet de reconnaître les trois dimensions du processus organisateur de la culture civique, à savoir le processus de problématisation [Fabre (1999), Caparros-Mencacci (2003 ; 2014)]. On y distingue la position de la problématique, sa construction et la quête de la réponse dont la mise en œuvre va présenter des spécificités dans le cas de la culture civique, nous y reviendrons plus loin. Enfin, il est à noter que les IO relatives à l’EMC accordent une place d’importance aux deux objets suivants qu’étudie cet article : l’éducation au développement durable et le débat.

La discussion réglée et le débat argumenté ont une place de premier choix pour permettre aux élèves de comprendre, d’éprouver et de mettre en perspective les valeurs qui régissent notre société démocratique et à comprendre les perspectives des acteurs impliqués dans les problématiques abordées. (MENJS, 2020)

6Il s’agit donc est d’initier chez les élèves un travail de valeurs, individuel et collectif, en référence et en faveur desquelles les élèves problématisent : s’approprient les affaires publiques, se documentent, discutent, débattent et prennent des décisions éclairées. Le projet de l’EMC est donc de former à une citoyenneté politique (Sauvé, 2015) fondée sur la problématisation. Pour Barthes (2017, p. 2), « il s’agit de redonner pleinement ici son rôle à l’éducation afin qu’elle propose des pratiques de mobilisations collectives, qu’elle renoue avec plus d’imagination démocratique, qu’elle tende à former des citoyens autonomes ».

7À ce point, des questions se posent. Ces intentions sont-elles suivies d’effet sur le terrain ? L’application par les enseignants des prescriptions ainsi que des ressources sur l’enseignement moral et civique et sur le débat réglé ou argumenté (MEN, 2015) y suffisent-elle ? Car la tentation est grande de penser qu’il n’y a qu’un pas entre l’exposé des buts et leur atteinte par le seul fait de suivre les prescriptions d’EMC. Mais est-ce le cas ?

8Les travaux de Chauvigné (2014) montrent l’aspect prescriptif et non pas accompagnateur des IO qui disent ce qui doit être mais pas comment faire pour y arriver. En conséquence, les chemins d’enseignement et d’apprentissages restent implicites. Et c’est bien là la question : que demandent aux enseignants et aux élèves les prescriptions relatives à l’EMC pour être atteintes ? À quelle(s) condition(s) la capacité de l’élève à « juger par lui-même, en même temps que [la construction] du sentiment d’appartenance à la société » peuvent-elles être mises en œuvre ? Quel développement de la citoyenneté politique peut-on observer dans les classes ? Quelles difficultés rencontre la mise en place de ces prescriptions ?

Les « éducations à » participent-elles à une logique normative ?

9Barthes et Alpe constatent depuis 2012 que « les « éducations à », enchâssées dans un contexte de forte pression libérale et d’instrumentalisation de l’éducation, pourraient tendre à participer à [… une] dynamique normative ». Cette normativité se traduit dans les classes par le fait que « l’exécution de consignes, l’application de techniques l’emportent sur la recherche, l’initiative ou le projet de l’élève » (Barthes, 2017, p. 2), c’est-à-dire sur la problématisation. Autrement dit, le plus souvent, les élèves sont envisagés comme devant être les exécutants d’un ensemble de gestes standardisés pensés pour eux, avant eux, sans eux, et non pas comme des êtres qui questionnent et problématisent. Cette posture d’exécutant va à l’encontre de ce qui peut être attendu par les IO de 2020 et plus largement de ce qui peut être attendu de l’école. Lang (2016) souligne lui aussi un effet de « la logique néolibérale [qui] enferme les individus dans des procédures et des processus conçus spécifiquement pour les soulager de l’exigence de penser par eux-mêmes ». Une deuxième question se pose alors : à quelles conditions les prescriptions récentes de 2020 pourraient-elles trouver un écho sur le terrain ?

Le processus de problématisation est-il organisateur de la culture civique ?

10Barthes avance un élément d’importance, en soulignant que les éducations à se présentent « dans leur forme dominante, comme peu distanciées des pratiques sociales et sont peu problématisées » (2017, p. 2). Ainsi, pour cet auteur comme pour les IO, la problématisation est envisagée comme un élément central de l’enseignement de la culture civique, comme un élément essentiel des « curriculums […qui permettrait de] contrer les dérives normatives vers une citoyenneté politique. (Ibid, p. 4). L’article va s’arrêter sur ce point.

Deux catégories de problèmes d’enseignement

11Comprendre le processus de problématisation dans la culture civique suppose comprendre les types de problèmes auxquels sont confrontés les élèves. Dans cette perspective, l’article a choisi de se référer à la problématologie, c‘est-à-dire à l’étude du questionnement (Meyer, 1997). Cette dernière permet d’identifier deux types de problèmes en déterminant a priori comment va évoluer leur questionnement : d’une part les problèmes résolubles qui admettent une solution laquelle clôt le questionnement et dont la réponse préexiste à l’élève ;’autre part les problèmes non résolubles qui admettent une réponse laquelle ne préexiste pas à l’élève, réponse qui élucide la question sans la résoudre et contient en elle un questionnement nouveau (Caparros-Mencacci, 2003 ; 2014). On le voit, l’identification de la catégorie problématologique est un élément d’importance pour l’enseignant qui peut en anticiper plusieurs aspects. Les lignes qui suivent étudient ces deux catégories de problèmes.

Les problèmes à résoudre

12Prenons, à titre d’exemple, le problème d’arithmétique où doit être calculé le prix de 5 paquets de pâtes à 2.15 euros l’un. Même si l’enseignant ne peut entièrement prédéterminer le cheminement des élèves vers la réponse, il peut connaître la réponse à ce type de problème avant même de l’avoir posé en classe, car cette dernière est atemporelle, indépendante des élèves et du lieu. Elle peut être entièrement caractérisée, prédéterminée, et par conséquent, elle est préexistante aux différents protagonistes. Cette catégorie de problème sous-tend des données positives, complètes et suffisantes et un corpus de savoir définitivement reconnu et enseignable comme tel (Danino, 1999) qui permettent à toute personne de pouvoir résoudre le problème, c’est-à-dire de le réduire et de le délier tout à la fois. Or, un problème peut être « réduit et délié » s’il est possible, à partir de la masse d’informations implicites ou explicites de son énoncé, d’extraire un ensemble fini, complet et suffisant de données pertinentes – ici le nombre de paquets de pâtes et le prix paquet –, lesquelles entreront dans la constitution de l’algorithme de résolution. Le raisonnement, la démonstration mise en œuvre dans cette catégorie de problèmes, permet de justifier complètement la réponse en mettant en défaut toute tentative de contradiction. Le dialogue « défenseur-contradicteur », intérieur à chaque élève ou porté collectivement à la parole en classe, aboutit à des arbitrages nets, sans question restante. De ce fait la réponse est apocritique (Meyer, 1986) – apo (qui sépare, qui évacue), critique (le questionnement). En d’autres termes, elle solutionne et supprime le problème. On l’appelle plus couramment une solution. De ce fait, ces problèmes s’inscrivent dans une logique classique binaire pour laquelle il est possible de parler de réponse vraie ou fausse. Leur zone de validité est strictement déterminée. Une autre caractéristique est qu’ils se prêtent à « l’analyse de la question ou la division en sous- problèmes de plus en plus simples : réduction analytique du complexe » (Fabre, 2017). Ils sont majoritairement – mais non exclusivement – présents dans les disciplines dites scientifiques (mathématiques, physique, technologique…). L’écriture d’une dictée peut être, dans cette perspective, vue comme une réponse apocritique à un ensemble de problèmes orthographiques. Il est à préciser que les problèmes qui n’admettent pas de réponse, ou ceux qui admettent plusieurs réponses voire une infinité de réponses apocritiques que l’enseignant peut potentiellement anticiper entièrement, sont considérés comme des problèmes résolubles. Selon Fabre (Ibid.) ces problèmes d’enseignement peuvent être rapportés à une conception cartésienne du problème. Cependant, tous les problèmes n’admettent pas une ou des solutions qui suppriment le débat, le questionnement. C’est le cas des problèmes propres à l’enseignement de la culture civique.

Les problèmes à élucider dans l’enseignement de la culture civique

13Les problèmes à élucider n’ont pas pour destinée d’être clos par une solution. Ici, la réponse ne supprime pas le questionnement initial, elle ne le laisse pas intact non plus : elle le transforme. Elle produit une avancée qui procède d’arbitrages solidement constitués permettant de progresser, avancée qui éclaire des pistes et des questions inexplorées, non tranchées ou nouvelles. Cette élucidation constitue ce que Meyer (1997) appelle une réponse problématologique.

L’huile de palme extraite du palmier à huile est utilisée dans de fabrication de très nombreux produits alimentaires. Elle est accusée d’être mauvaise pour la santé et pour l’environnement mais tout le monde n’est pas du même avis.

15Ce problème des bienfaits et/ou des méfaits de l’huile de palme sur la santé et sur l’environnement est corrélé à celui de l’arrêt ou de la poursuite de sa production et de sa consommation. Il répond à deux caractéristiques identifiées par Fabre (2017) : il est flou et complexe.

16Il est flou parce qu’il admet « plusieurs valeurs de satisfaction des propositions (et pas seulement le vrai et le faux) » (Fabre, 2017, p. 17). En effet, « l’huile de palme est bonne pour la santé et l’environnement » et « l’huile de palme est mauvaise pour la santé et l’environnement » ne sont pas les deux seules réponses. D’autres réponses plus problématologiques sont possibles pour les élèves. Comme celles de Joanes et de Noa ci-dessous :

Joanes : Il y en a qui […] auraient préféré qu’on arrête tout, mais moi s’ils arrêtent beaucoup l’huile de palme…mais s’ils en mettent un tout petit peu dans mon produit, ça me dérange pas mais… il faudrait bien qu’il…. y ait pas trop de mort, trop de cancer du poumon, trop d’obésité, tout ce qu’on a dit heu…..

Noha : on peut pas enlever toute l’huile de palme, sinon se sera difficile de produire de l’huile de tournesol et de soja pour tout le monde.

17Ces réponses sont immanentes, situées et portent la signature des élèves. Dans cette configuration, l’enseignant ne peut entièrement prédéterminer ni le cheminement des élèves vers la réponse, ni la réponse qu’ils vont fournir. Il est donc dans une incertitude plus grande que pour un problème à résoudre. De plus, les raisonnements qui produisent ces réponses problématologiques ne mettent pas les élèves définitivement à l’abri des nombreuses tentatives de contradiction qui ne manquent pas de surgir, comme on le perçoit chez Joanes : ils ne permettent donc pas de les justifier complètement. Le dialogue « défenseur-contradicteur » est intérieur à chaque élève mais dans ce type de problème d’éducation civique, on le verra plus loin, il est aussi porté collectivement à la parole comme on le voit chez Joanes et chez Noa. Il n’aboutit pas à des arbitrages nets, il ne supprime pas toutes les questions bien au contraire, il peut en faire surgir d’autres. Enfin, le caractère flou est accentué parce qu’« il n’existe pas de critère permettant de hiérarchiser avec certitude [… ces réponses] » (Xypas, 2017, p. 9).

18Mais le problème de l’huile de palme est également complexe. Fabre (2017, p. 17) mentionne que « l’idée de « problèmes complexes flous » est […] anticartésienne ». Ce type de problème ne se laisse pas « décomposer en sous problèmes bien distincts selon le modèle cartésien qui sert de base à l’enseignement scolaire » (Xypas, 2017, p. 10). Ce qui constitue une difficulté majeure pour l’enseignant qui, dans sa phase de préparation, peut se trouver face à une « masse problématique » dans laquelle il n’y voit pas clairement et qu’il ne sait pas toujours par quel bout prendre. Il y a donc pour lui un travail préliminaire qui consiste à « rechercher la structure profonde de ce qui fait problème, en évitant deux écueils : les traits de surface qui brouillent l’entendement et la tentation d’adhérer d’emblée à des solutions » (Ibid, p. 8). Partant, il se trouve dans l’obligation d’analyser la question afin d’opérer « un ensemble de réductions ou de simplifications » (Fabre, 2017, p. 16) permettant d’identifier des sous problèmes qui se spécifient en ce qu’ils ne sont pas indépendants. Ils vont provisoirement être distingués pour être par la suite articulés. Pour le cas que nous étudions, l’enseignant de CM2 a choisi de traiter quatre sous-problèmes liés à la production/consommation de l’huile de palme : la santé, l’environnement (faune et flore), la protection du travail des producteurs de l’huile de palme et des intérêts des industriels. On le voit, pour ce type de problème, il n’y a pas « de corps de savoir définitivement reconnu et accepté qui permette de décrire entièrement la situation à l’aide d’un nombre fini de paramètres discrets, c’est-à-dire strictement indépendants les uns des autres » (Caparros-Mencacci, 2014). Il s’agit d’un problème « dont « l’espace » ne peut être décrit de manière exhaustive et dont les données ne sont pas toutes disponibles en mémoire » (Xypas, 2017, p. 9). Ce qui constitue pour l’enseignant un motif supplémentaire d’incertitude.

19Enfin, une autre caractéristique de ces problèmes, liée à leur caractère flou et complexe, peut être repérée. Weil-Barais note que la résolution de problème est pensée essentiellement comme une activité individuelle. Ce qui n’est pas le cas des problèmes liés à la culture civique qui est une affaire collective. En somme pointe-t-elle (2017, p. 39-41) :

le problème devient complexe et flou du fait de l’entrée d’autres personnes dans le système chargé de trouver une solution. Les discussions conduisent à remettre en cause la solution initialement conçue, à modifier les données du problème et même les priorités. […] Le débat implique confrontation, négociation, conflit, recherche d’alliances, compromis… ce qui engage les personnes aux plans cognitif, affectif, émotionnel, identitaire et social.

20Sont ainsi mis en évidence plusieurs niveaux d’incertitude auxquels l’enseignant doit faire face :

1. incertitude d’abord liée à la « masse problématique » plus ou moins opaque qu’il ne peut entièrement circonscrire mais au travers de laquelle il doit faire des choix de sous problèmes à distinguer puis à relier,

2. incertitude ensuite liée aux cheminements et aux réponses des élèves qu’il ne peut entièrement prédéterminer. Autrement dit, il sait peu de choses sur le futur travail intellectuel des élèves.

3. incertitude également sur l’évaluation des réponses des élèves car il n’y a pas de critère permettant de les hiérarchiser.

4. incertitude enfin sur l’engagement des élèves aux plans cognitif, affectif, émotionnel, identitaire et social, lequel ne peut lui aussi être entièrement prévu.

21Face à ces incertitudes, il importe que l’enseignant puisse disposer d’outils lui permettant d’analyser a priori le problème. La connaissance de la catégorie des problèmes d’enseignement et de leurs caractéristiques problématologiques (Caparros-Mencacci, 2003) est résumée dans le tableau ci-dessous. C’est une première condition propice à la mise en œuvre de la capacité des élèves à problématiser.

Problèmes à résoudre et problèmes de culture civique à élucider : deux catégories de problèmes d’enseignement

Problème à résoudre Réduit et délié Conception cartésienne	Problème à élucider dans l’enseignement de la culture civique Flou et complexe Conception anticartésienne
Réponse(s) apocritique(s) La(les) réponse(s) : est/sont une solution qui clôt le questionnement relatif à la question posée. est/sont atemporelle(s), transcendante(s) est/sont préexistante(s) à l’apprenant : l’enseignant peut la (les) prédéterminer. a/ont une zone de validité strictement déterminée(s) : elle peu(ven)t être vraie(s) ou fausse(s).	Réponses problématologiques Chaque réponse constitue une avancée : qui procède d’arbitrages solidement constitués permettant de progresser et d’éclairer des pistes et des questions inexplorées, non tranchées ou nouvelles immanente à l’apprenant, située, portant sa signature qui ne préexiste pas à l’apprenant : l’enseignant ne peut la/les prédéterminer entièrement mais il peut en contrôler les caractéristiques qui a une zone de validité indéterminée : il y a plusieurs valeurs de satisfaction de la question mais pas de critère permettant de hiérarchiser avec certitude ces réponses
Le problème à résoudre : est entièrement descriptible à l’aide d’un nombre fini de paramètres discrets. se prête à l’analyse de la question ou la division en sous- problèmes de plus en plus simples : réduction analytique du complexe	Le problème à élucider ne peut être décrit de manière exhaustive. Les données ne sont pas toutes disponibles en mémoire ne se laisse pas décomposer en sous problèmes bien distincts mais en sous problèmes interreliés. L’enseignant doit d’abord opérer un ensemble de réductions ou de simplifications avant de prévoir leur articulation
Le dialogue « défenseur-contradicteur » : est intérieur à chaque élève et/ou porté collectivement à la parole aboutit à des arbitrages nets, sans question restante permet de justifier complètement la réponse en mettant en défaut toute tentative de contradiction. problématicité close	Le dialogue « défenseur-contradicteur » : est intérieur à chaque élève et il est obligatoirement porté à la parole collectivement implique confrontation, négociation, conflit, recherche d’alliances, compromis… engage les élèves aux plans cognitif, affectif, émotionnel, identitaire et social. n’aboutit pas à des arbitrages nets, mais à des propositions incluant un questionnement ne permet pas de justifier complètement la réponse, ne supprime pas la contradiction mais la met en exergue problématicité maintenue

22Cet outil rend possible une analyse a priori du problème proposé aux élèves, a-t-on dit. En effet, l’enseignant peut anticiper l’espace du problème – qui peut être entièrement descriptible ou pas –, le type de réponse – apocritique ou problématologique – qu’il peut attendre, leur zone de validité, la possibilité de les hiérarchiser ou pas. Mais pas seulement. L’outil permet aussi de s’orienter dans l’action c’est-à-dire de se référer à « un système ramifié de représentations de l’action et de son produit, des propriétés du matériel de départ et de ses transformations successives, plus toutes les indications dont se sert pratiquement le sujet pour exécuter son action » (Galperine, 1980). Grâce à cette base d’orientation de l’action, l’enseignant sait que la culture civique repose sur des situations problématiques floues et complexes. Et que par conséquent, il doit préalablement procéder à des choix de réductions et de simplifications qui rendent perceptibles certains sous problèmes et en occultent d’autres, provisoirement peut-être, et où se posera la question de la légitimité de certains choix programmatiques (Roth, Barthes & Cohen, 2020, p. 8). Mais son travail d’anticipation n’est pas terminé. Il doit également envisager la manière, propre à ce problème, d’instaurer le dialogue individuel et collectif « défenseur-contradicteur ». Ce qui sera un moment-clé de la séquence, le moment de la construction du problème qui est une dimension d’un deuxième outil utile pour orienter son action : le processus de problématisation.

Le processus de problématisation en éducation civique

23Si l’outil précédent permet l’anticipation des caractéristiques du problème à élucider, le processus de problématisation concerne lui, les processus des élèves qui se confrontent au problème afin d’y apporter une réponse.

24La formalisation de ce processus itératif à trois phases permet à l’enseignant de s’orienter dans le dédale des interactions avec les élèves confrontés à un problème d’éducation civique. Il peut repérer la façon dont les élèves posent, re-posent le problème, en font un problème pour eux. Grâce à ce processus, il sait aussi que la position du problème ne peut immédiatement être rabattue sur la quête de la réponse (Caparros-Mencacci, 2003). S’y insère une phase tout aussi essentielle qui est la construction du problème (Fabre, 1999) dans laquelle peut être travaillé le dialogue « défenseur-contradicteur ». L’enseignant comprend alors qu’il doit faire en sorte que les élèves ajournent la quête de la réponse, mais que ces derniers ne peuvent construire le problème sans garder à l’esprit la question posée et sans avoir également pour perspective de trouver une réponse. Le tableau ci-dessous formalise le processus de problématisation spécifique aux problèmes de culture civique à élucider

Les trois phases itératives du processus de problématisation en culture civique

Position	Construction	Quête de la réponse
Reconnaissance ou re-création d’un problème comme problème-pour-soi. Avoir conscience d’un problème. Constater un désaccord sur un sujet. Reformuler le problème.	Réinvention et structuration d’un espace d’investigation visant l’élucidation des conditions du problème Se centrer sur la compréhension, la définition, la détermination des données, des enjeux, des circonstances : discussion, argumentation, débat, confrontation, négociation, conflit, recherche d’alliances, compromis… Mettre en liens les données. Inscrire le problème dans un réseau de problèmes S’engager aux plans cognitif, affectif, émotionnel, identitaire et social.	Réinvention et exécution de plans successifs, conduisant à la production d’une réponse. Reconstituer après coup (avec transformation) un cheminement vers la réponse, de manière à le rendre intelligible à autrui : constitution de trajectoire. Produire un énoncé constitue une avancée contenant une transformation de ce questionnement.

25Le processus de problématisation est destiné, non pas à rester une affaire privée pour chacun des élèves ou des formés, mais au contraire à être érigé en objet d’apprentissage. Des questions se posent alors. Comment l’enseignant ou le formateur agit-il pour que les sujets aient conscience du problème, pour qu’ils ajournent la résolution tout en continuant à garder à l’esprit la quête de la réponse ? Comment suscite-t-il des temps de discussion, d’argumentation ?

L’organisation du dialogue « défenseur-contradicteur »

26On l’a dit plus haut, l’enseignant de CM2 a procédé à une réduction/simplification du problème lié à la production/consommation de l’huile de palme qui l’a amené à choisir de le décomposer en quatre sous-problèmes :

1. quelle influence sur la santé de la consommation d’huile de palme ?

2. quelle influence sur l’environnement – faune et flore – de la production d’huile de palme ?

3. quelle influence de la production d’huile de palme sur l’emploi des travailleurs ?

4. quelle influence de la production d’huile de palme sur les industriels ?

27Afin de permettre l’organisation du dialogue « défenseur-contradicteur, l’enseignant a choisi une institution : le procès. On peut apprécier l’habileté de ce dernier qui a trouvé un moyen efficace de susciter le dialogue « défenseur-contradicteur » en faisant incarner par des élèves les arguments « défenseurs » et les arguments « contradicteurs ». Pour préparer ce moment, il a divisé sa classe en cinq groupes d’élèves auxquels il a octroyé un rôle. Les avocats de l’accusation qui représenteront les défenseurs de la santé publique (un groupe d’élèves), et les défenseurs de l’environnement (un groupe d’élèves). Les avocats de la défense représentent quant à eux les industriels (un groupe) et les producteurs (un groupe). Le dernier groupe comprend le juge – ou le président du jury – qui distribue la parole et veille à ce que tout le monde puisse s’exprimer, et le jury, qui après avoir entendu toutes les parties, délibèrera pour arriver à une conclusion.

La documentation des sous problèmes par les quatre groupes d’élèves comme moment de la construction du problème

28L’enseignant a préparé la plaidoirie en sélectionnant des documents-sources à partir d’une recherche bibliographique collaborative et a parfois didactisé les documents trouvés.

29Chaque groupe d’accusation a reçu un corpus de documents. Ces derniers ont été répartis entre les élèves du groupe. Après lecture individuelle, les élèves ont sélectionné les informations utiles. La sélection a été approuvée par tous. Ils ont ensuite organisé les passages sélectionnés pour composer les textes-supports des plaidoyers. Les intervenants avocats été experts ont été désignés et se sont entraînés à la plaidoirie. Des affiches ont été réalisées pour soutenir les plaidoiries.

30Le groupe juge/jury a écrit le règlement intérieur du procès. Il a planifié l’ordre d’intervention des différentes parties, puis créé des affiches pour annoncer le procès aux autres classes de l’école, aux parents et aux enseignants-chercheurs impliqués dans le projet. Il a ensuite fait un plan de la salle du procès, organisée comme une salle d’audience.

Le débat pour l’exercice du dialogue « défenseur-contradicteur » 

31Exercer le dialogue « défenseur-contradicteur » ne signifie pas soutenir son seul point de vue, fut-il argumenté, en l’opposant à d’autres. Il ne s’agit pas non plus de mener un « combat » d’un « camp » contre un autre en restant sur la position initialement défendue. Il s’agit de participer à un débat, c’est-à-dire à des échanges où chacun expose ses arguments et écoute les arguments des autres pour étudier les arguments contradictoires et s’engager « à dépasser cette perturbation sociale et cognitive. C’est le but du procès. La simultanéité des réponses incompatibles provoque la prise de conscience de réponses autres que les siennes et, corollairement, une décentration de son point de vue propre. » (Sorsana & Troadec, 2007, p. 287).

32Le débat est un artefact médiateur, à savoir une « entité […] intermédiaire […] qui met […] les acteurs en interaction » (Pham, 2014, p. 120) afin que le dialogue « défenseur-contradicteur » relatif aux quatre sous-problèmes conduise l’élève à se laisse altérer par des points de vue différents, à circuler de l’un à l’autre, à retenir certains arguments, à en rejeter d’autres et à se décentrer de son point de vue propre afin d’en construire un autre petit à petit.

33Le procès est également un artefact médiateur qui a « la capacité de lier différents mondes sans recours aux consensus » (Pham, 2014, p. 120). Ce que montrent les extraits suivants du procès :

Président du jury 

Mesdames et messieurs, si nous sommes ici présents, c’est pour le procès de l’huile de palme. L’huile de palme extraite du palmier à l’huile est utilisée dans de fabrication de très nombreux produits alimentaires. Elle est accusée d’être mauvaise pour la santé et pour l’environnement mais tout le monde n’est pas du même avis. Je vous présente les différentes parties représentées dans ce procès. A ma gauche, voici l’accusation santé et l’accusation environnement. A ma droite, la défense des producteurs et la défense des industriels de l’huile de palme. Nous les entendrons tous chacun à leur tour. L’accusation parlera en premier c’est elle qui a provoqué ce procès. La défense s’exprimera en suite mais pourra faire des objections de temps en temps à son tour de parole à condition de lever la main. Chaque partie est représentée par un avocat qui pourra faire appel à des experts. Le public n’aura pas droit à la parole. A la fin du procès le jury et le juge délibéreront pour savoir s’il faut condamner ou non l’huile de palme.

Monsieur le Juge, mesdames et messieurs les membres du jury, je m’appelle Joane. Je représente ceux qui accusent l’huile de palme de nuire à la santé. Je vous montrerai grâce à mes experts que l’huile de palme peut conduire à l’obésité. L’huile de palme étant riche en acides gras saturés, peut favoriser des maladies cardiovasculaires. L’huile de palme peut augmenter des risques de cancer du poumon chez des fumeurs.

Monsieur le Juge, mesdames et messieurs les membres du jury, je m’appelle Angèle. Je représente ceux qui accusent l’huile de nuire à l’environnement. Je vous montrerai grâce à mes experts que l’huile de palme est responsable de la déforestation de la zone de forêt naturelle, l’huile de palme contribue aux dérèglements climatiques, elle est une menace pour 500 animaux sauvages et pour la biodiversité. Enfin, l’huile de palme met en danger 500 peuples qui vivent dans la forêt.

Monsieur le Juge, mesdames et messieurs les membres du Jury, je m’appelle Naj. Je représente la défense des producteurs d’huile de palme principalement situés en Asie et en Afrique. Nous allons d’abord présenter au jury les qualités nutritionnelles de l’huile de palme. Je vous parlerai ensuite des mesures prises par des pays producteurs d’huile de palme pour faire des plantations durables et pour protéger la nature, les animaux et les gens. Je vous montrerai ensuite que l’huile de palme permet de faire vivre beaucoup de personnes dans les pays pauvres et que si on arrête d’en consommer, ces gens vont devenir encore plus pauvres. Enfin, je vous montrerai que les plantations de palmier à l’huile permettent aussi de lutter contre le réchauffement climatique.

Monsieur le juge, mesdames et messieurs les membres du jury, je m’appelle Yogousmar. Je représente la défense des industriels comme Nutella qui utilisent l’huile de palme dans leurs produits. Nous allons d’abord expliquer au jury pourquoi beaucoup d’industriels préfèrent utiliser de l’huile de palme. Je vous montrerai ensuite que l’huile de palme n’est pas si mauvaise que ça pour la santé. Je vous présenterai enfin toutes les mesures qui ont été prises par de grandes marques comme Nutella pour faire de l’huile de palme « responsable » qui ne nuit pas à l’environnement.

34On le voit, les arguments défenseurs et contradicteurs sont portés à la parole de tous, distinctement, mais, dans un premier temps, sans possibilité pour le public d’interagir. Le but est que tous les participants soient instruits de la totalité des points de vue travaillés par les quatre équipes afin de construire leur propre point de vue. Ce qui est une étape permettant de susciter le dialogue « défenseur-contradicteur » individuellement et intérieurement.

Le débat à l’issue du procès pour exercer le processus de problématisation

35La deuxième étape conçue par l’enseignant pour initier un débat collectif et continuer de susciter le processus de problématisation est celle qui va poser les conditions pour que les élèves intègrent les différents points de vue. Après que le jury soit sorti pour délibérer, l’enseignant instaure un échange avec tous les participants, ce qui va constituer le débat proprement dit. Un extrait en est transcrit ci-dessous.

Enseignant : le jury est sorti pour délibérer c’est-à-dire pour prendre une décision et là on peut profiter de ce moment si vous voulez poser des questions. Est-ce qu’il y a des choses que vous n’avez pas bien compris ?

[…]

Président du jury : nous, on ne condamne pas l’huile de palme, mais nous diminuons strictement la consommation d’huile de palme.

[…]

Enseignant : le jury a dit qu’il n’empêchait pas la consommation d’huile de palme, mais il voulait la diminuer, qu’est-ce que vous en pensez ?

Joane : moi, pour mon groupe, il y en a qui ne sont pas trop d’accord. Ils auraient préféré qu’ils arrêtent tout. Mais moi s’ils arrêtent beaucoup l’huile de palme, s’ils en mettent un tout petit peu dans mon produit, ça me dérange pas mais… il faudrait bien qu’il…. n’y ait pas trop de mort, trop de cancers du poumon, trop d’obésité, tout ce qu’on a dit heu….. Trop d’espèces qui meurent, voilà, tout ça.

Enseignant : alors, qui veut prendre la parole, heu…..Nai

Nai : ben… moi je trouve ça bien parce qu’il y a moins d’obésité…

Enseignant : Oui Fiona,

Fiona : moi je trouve ça pas bien parce qu’il ya trop d’animaux qui meurent… Enseignant : Ok t’es pas d’accord parce qu’il y aura trop d’animaux qui meurent et vous qui représentez la défense, vous en pensez quoi ?

Yogousmar : je trouve qu’il faut garder l’huile de palme,

Enseignant : Ok, mais par rapport à quoi,

Yogousmar : ben si on enlève l’huile de palme à tous nos gâteaux il n’aura pas beaucoup de goût.

Enseignant : tout à l’heure vous avez dit que l’huile de palme n’a pas de goût. Vous défendez les industriels. Si on arrête l’huile de palme qu’est-ce que ça va faire chez les industriels ? Nathan.

Nathan : ben…Ben…Il y aura beaucoup plus de gens pour en demander, on peut s’en passer alors que...ça va être plus compliqué dans les villes.

Enseignant : ça c’est peut-être les producteurs qui vont en parler. Mais vous, vous parlez plutôt des consommateurs qui risquent d’avoir moins de produits c’est ça ?

Nathan : les habitants ils auront moins d’argent parce que les habitants ils sont payés pour donner leurs territoires pour planter les palmiers et s’ils n’ont plus d’huile de palme, ils vont les donner à qui ?

Enseignant : vous entendez l’accusation ? Il y a des gens qui dépendent de la production de l’huile de palme. Qu’est-ce que vous proposez pour eux, pour compenser ? Angèle.

Angèle : mais ils ne sont pas tous obligés de chasser, il y a des fruits aussi il y a pas que ça.

Enseignant : pour les gens qui gagnent de l’argent en cultivant le palmier à l’huile, comment on fait pour compenser le fait qu’ils ne pourront pas cultiver ?

Angèle : Ils peuvent planter autres choses, par exemple….

Enseignant : et du coup, peut être que et comment ? Les pays qui comptent les aider qui consomment l’huile de palme ne sont pas les mêmes qui produisent. Souvent les pays comme le nôtre, (les pays riches) on va dire sont ceux qui consomment le plus d’huile de palme mais ceux qui le produisent en amont ce sont des pays qui sont beaucoup plus pauvres, comment on peut compenser la perte de revenu chez ces gens-là ? Joane.

Joane : eh ben, qu’ils aillent dans d’autres pays, qu’ils se trouvent une maison, qu’ils trouvent un très bon travail, qu’ils puissent gagner leur vie sans faire du mal aux personnes. Parce que même la défense, ceux qui sont en train de défendre peut être un jour l’huile de palme, ils vont peut-être devenir obèses, ils vont peut-être avoir des maladies cardiovasculaires, ils vont peut-être avoir un cancer du poumon même ils peuvent mourir à cause de ça. Et du coup, il faudrait dire aux producteurs qu’ils se trouvent un autre travail.

36Cet extrait montre Nathan a intégré les arguments « défenseur et contradicteur » et circulent de l’un à l’autre pour construire son point de vue et produire une réponse qui porte la trace d’avancées et de questionnements nouveaux. En revanche, d’autres comme Yogousmar ou Joane ont de la difficulté à sortir du point de vue qu’ils ont étudié pendant deux mois et qu’il leur a été demandé de défendre pendant l’instruction du procès : c’est une sorte de cristallisation. On note ici l’importance de l’action de l’enseignant qui va permettre une triangulation des échanges entre l’accusation, la défense et lui-même. Son rôle est essentiel en ce qu’il questionne les élèves pour les pousser à réfléchir et à dépasser leur point de vue antérieur.

Conclusion : quelques conditions pour la problématisation ?

37Revenons à la question initiale de cette contribution : les éducations à liées à la culture civique favorisent-elles automatiquement les apprentissages intellectuels relevant de la problématisation chez les élèves de cycle 3 ?

38Il a d’abord été montré que le processus de problématisation est tacitement présent dans les IO relatives à l’EMC. Autrement dit, de manière implicite, la problématisation est conçue comme fondamentale dans l’exercice de la citoyenneté politique des élèves. Il a ensuite été mis en évidence à partir de travaux de recherche que les situations concrètes d’enseignement de l’EMC conduisent les élèves à appliquer et exécuter des techniques et des consignes plutôt qu’à problématiser.

39La question portée par l’article a alors été la suivante : comment les enseignants de cycle 3 peuvent-ils favoriser la problématisation en EMC ? Quatre résultats ressortent.

40Le premier est que la connaissance par l’enseignant du type de problème d’éducation à et du processus de problématisation des élèves constitue une base d’orientation de l’action qui peuvent lui permettre d’analyser a priori le problème, d’anticiper l’action mais aussi de s’y orienter. Le deuxième est que des artefacts médiateurs habilement choisis – par exemple le procès et le débat – favorisent les interactions problématisantes et le dépassement des points de vue initiaux. Le troisième est que la problématisation ne surgit pas de la défense d’un point de vue –fut-il argumenté – contre un autre, mais lorsque les élèves sont instruits de la totalité de points de vue étudiés et lorsque ces derniers peuvent être intégrés afin de construire une réponse. Ici, et c’est le quatrième résultat, la capacité de l’enseignant d’exercer un questionnement qui pousse les élèves à réfléchir est déterminante.

41En somme, il n’y a pas d’automaticité de la problématisation en EMC, pas plus que de méthode au sens algorithmique du terme. En revanche, il existe des conditions d’enseignement qui ne garantissent pas la problématisation mais guident efficacement l’enseignant dans sa mise en œuvre. Les quatre résultats supra en sont quatre d’entre elles.