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Dossier
(Re)politiser par l’initiative et l’action éducative

Soutenir la justice épistémique par la formation réciproque au cœur d’initiatives citoyennes de transition énergétique porteuse de justice sociale

Laurence Brière, Guillaume Moreau, Maude Prud’homme, Isabel Orellana, Marie-Ève Marleau and Martine Chatelain

Abstracts

The eco-citizen movement for an energy transition is working to transform the dominant economic-energy system aiming for social justice and respect for the environment. Collaborating with the people engaged in this mobilization in the context of a participatory action-research, we have raised epistemic justice issues inherent to this political project. We also wanted to create spaces for reciprocal learning that would highlight the complementarity of different types of knowledge. We reflected on the crucial needs and possible vectors for intensifying collaboration and knowledge sharing between the different groups of actors that make up the movement: labor associations, environmental and community groups, citizen committees and academia. We have also proposed an innovative conceptual framework for energy justice that takes into account the very concrete realities of eco-citizen struggles and initiatives.

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Author's notes

Cette recherche a été financée par le Conseil de recherche en sciences humaines du Canada, le Fonds de recherche du Québec – Société et culture et le Programme d’aide financière à la recherche et à la création du Service aux collectivités de l’Université du Québec à Montréal.

Full text

1Les enjeux énergétiques auxquels nous sommes actuellement confrontés soulèvent des questions éthiques et économiques vives. Les espaces de discussion, de conception de scénarios, d’élaboration de projets et de débat relatifs à ces enjeux sont devenus des contextes privilégiés d’apprentissage du politique. Sur le terrain de leur militance, les groupes écologistes et les comités écocitoyens ont incidemment acquis des savoirs et des expertises d’une grande valeur (Sauvé, 2015 ; Sauvé et Batellier, 2011). Nombre de recherches (entre autres, Brière, 2020 ; Grisoni et coll., 2018 ; Orellana, Brière et Aranciaba, 2020) ont aussi documenté l’apport crucial des mobilisations citoyennes en contexte de controverses socio-écologiques, particulièrement en ce qui a trait à la caractérisation critique des enjeux et à l’identification de pistes de solution appropriées. En outre, depuis le début des années 2000, plusieurs chercheur·e·s (dont Callon, Lascoumes et Barthe, 2001 ; Wals, 2007) ont souligné la fécondité du dialogue des savoirs de divers types (citoyens, expérientiels, ancestraux, autochtones, scientifiques, codifiés, etc.) lorsqu’il s’agit d’appréhender la complexité de questions socio-écologiques urgentes pour développer une conscience sociale et environnementale qui s’actualise dans des projets politiques réfléchis.

2La transition énergétique est dorénavant promue dans plusieurs politiques publiques, en plus d’être soutenue par nombre d’organisations de la société civile et d’entreprises, même issues du secteur des énergies fossiles. La notion de transition énergétique est devenue si élastique que l’on se doit de rester vigilant·e·s quant aux visions de ceux et celles qui la mobilise. Par ailleurs, l’idée de transition comporte des écueils importants, surtout si elle est pensée dans la continuité du modèle économique actuel. Entre autres, il apparait très peu probable d’arriver à découpler consommation énergétique et croissance économique (Hickel et Kallis, 2020). Puis, la transition (des hydrocarbures vers les énergies solaire, hydroélectrique, éolienne et autres), sans réduction importante de la production énergétique globale, ne fera qu’épuiser les ressources non renouvelables nécessaires à la construction des infrastructures d’énergies renouvelables (Legault, Theurillat-Cloutier et Savard, 2021, p. 115). En outre, les inégalités économiques se creusent malgré trois décennies de politiques publiques en faveur d’un développement soi-disant durable et les iniquités socio-écologiques s’accroissent face au dérèglement climatique. La perspective d’une transition énergétique au cœur d’une économie capitaliste fait aussi craindre une exacerbation de l’extractivisme, déjà à l’origine de graves violations des droits humains. Il nous est donc apparu très important de penser les enjeux et les conditions d’une justice énergétique. C’est ce que soutient d’ailleurs le Front commun pour la transition énergétique (FCTÉ), qui a élaboré – par le biais d’un important travail intersectoriel – des principes fédérateurs pour une transition énergétique qui soit porteuse de justice sociale.

3Cela étant, les enjeux épistémiques relatifs à l’idéal de justice énergétique ont été très peu abordés dans le mouvement pour une transition énergétique porteuse de justice sociale au Québec. La question épistémique a même été éludée jusqu’ici dans les recherches académiques portant sur la justice énergétique. Pourtant, les savoirs autres que scientifiques souffrent d’un grand manque de légitimité dans l’espace public et ce problème est particulièrement important dans le traitement des questions énergétiques, qui sont le plus souvent envisagées sous l’angle technoscientifique. Conséquemment, les porteurs de savoirs situés, expérientiels ou militants concernant ces questions vives ne valorisent pas suffisamment leur potentiel, manquant des occasions importantes d’en faire bénéficier les membres de leur groupe ou de leur coalition d’organisations. Le corollaire de cette situation est qu’il existe très peu d’initiatives à même de susciter et de consolider des dynamiques de co-construction de savoirs sur les questions énergétiques. Les groupes mobilisés travaillent essentiellement sur des dossiers urgents nécessitant des actions rapides. Les impératifs de l’action concourent ainsi à ce que la coformation – que l’on nommera plutôt « partage d’informations » par exemple – se fasse le plus souvent de manière informelle et ponctuelle, en lien avec un objectif immédiat précis. Dès lors, peu de traces restent de ces échanges et relativement peu de personnes en profitent. Or, selon les résultats d’une enquête diagnostique que nous avons réalisée en 2018-2019, les acteurs et actrices mobilisées sur les questions énergétiques au Québec souhaitent la formalisation de dynamiques de partage d’expériences et de savoirs, surtout si elles peuvent contribuer à accélérer les transformations sociales qu’ils et elles souhaitent (Brière et coll., 2021). Le FCTÉ a d’ailleurs exposé certains enjeux et certaines pistes en matière d’andragogie dans sa Feuille de route pour la transition. Nous observons donc un certain consensus sur le terrain quant à l’importance d’aménager des espaces d’éducation au politique au cœur du projet de transition énergétique porteuse de justice sociale.

4Le projet de recherche partenariale FORJE – FORmation collaborative pour la Justice Énergétique a ainsi exploré les perspectives de déploiement d’un réseau de formation « par et pour » les acteurs et actrices mobilisé·e·s sur les questions énergétiques au Québec, dans une perspective de justice sociale et de respect de l’environnement. À mesure que le projet FORJE avançait, le Front commun pour la transition énergétique (FCTÉ) prenait un espace de plus en plus important dans la mobilisation citoyenne pour une justice énergétique, proposant des initiatives de plus en plus structurantes, notamment dans le cadre de son projet Québec Zéro émission Nette (Québec ZéN). Dans ce contexte, nous avons en cours de route choisi d’arrimer plus étroitement nos travaux à ceux du FCTÉ, qui regroupe aujourd’hui plus de 80 organisations syndicales, écologistes, communautaires et citoyennes.

Design de la recherche

  • 1 Les partenaires du projet sont le Réseau québécois des groupes écologistes (RQGE), le Front commu (...)

5Dès le départ, un comité de pilotage a été mis sur pied dans l’optique de développer le projet de recherche FORJE. Composé de trois chercheur·e·s et de trois représentantes d’organisations militantes1, leaders dans leur réseau et milieu, ce comité a eu une fonction décisionnelle tout au long du projet. Coordonné en alternance par deux professionnelles du Service aux collectivités de l’Université du Québec à Montréal, le comité a veillé à la définition des orientations de la recherche et à la coordination de l’ensemble des étapes de réalisation. Dans cette recherche engagée, nous avons cheminé avec l’intention que notre processus et ses résultats soient des contributions directes à la mobilisation. D’ailleurs, les chercheur·e·s se sont impliqué·e·s activement et à long terme dans deux dynamiques initiées par les partenaires, à savoir le projet d’Université populaire pour une justice énergétique coordonné par le Comité pour les droits humains en Amérique latine (CDHAL) et le projet Québec ZéN (« zéro émission nette »), porté par le FCTÉ. Ce dernier projet accompagne l’émergence de Chantiers territoriaux de transition énergétique porteuse de justice sociale.

6Les paradigmes épistémologiques interprétatif et critique ont orienté de manière complémentaire le projet FORJE. Dans une perspective interprétative, nous nous sommes intéressé·e·s à la signification que les personnes militantes donnent à leurs expériences écopolitiques, aux représentations qu’elles y construisent et aux besoins spécifiques de dialogue des savoirs qu’elles ressentent. Selon une perspective critique, nous avons déconstruit certains mécanismes d’interaction politique problématiques existant entre les différents groupes d’actrices et d’acteurs sociaux concerné·e·s par les questions énergétiques, en particulier à l’échelle territoriale. Nous nous sommes aussi intéressé·e·s aux dynamiques de travail ayant court au sein des milieux militants et écologistes. Sur ces deux plans, nous avons ensuite proposé des pistes de reconstruction qui puissent favoriser des rapports plus constructifs, en misant plus particulièrement sur des approches et des stratégies de formation réciproque et d’animation socioculturelle.

7Le design méthodologique de cette recherche s’inspire de la méthodologie de la théorisation enracinée et de la recherche-action. Tout au long du projet, nous avons travaillé dans une perspective de mise en valeur et d’hybridation des savoirs portés par les participant·e·s et les membres du comité de pilotage de la recherche. Dans le même temps, et en fonction des enjeux, des besoins et des pistes identifiés par les participant·e·s, nous avons réalisé des recensions d’écrits thématiques pour enrichir nos réflexions collectives. Nos analyses se situaient dès lors dans un processus d’inférence abductive (Anadón et Guillemette, 2007). En somme, la recherche a été structurée en deux volets inter-reliés, dont les objectifs et la méthodologie sont résumés au Tableau 1.

Tableau 1. Plan de la recherche

Tableau 1. Plan de la recherche

Les dimensions de la justice énergétique

8Dans l’enquête FORJE, nous avons notamment voulu cerner les conceptions de la justice énergétique qui prévalaient chez les participant·e·s, à partir de questionnements ouverts (c’est-à-dire sans fournir d’éléments de réponse). Parallèlement à cette enquête, nous avons réalisé une recension des textes académiques portant spécifiquement sur la justice énergétique, publiés en anglais et en français entre 2014 et 2020 (soit 24 articles et/ou livres). Ces démarches, ancrées dans une observation participante prolongée au cœur du mouvement pour une transition énergétique porteuse de justice sociale, nous ont permis à la fois de théoriser des perspectives d’action écocitoyenne issues du milieu et de développer une critique fine des propositions théoriques existantes sur la justice énergétique. Dans ces allers-retours entre le terrain et la théorie, nous avons développé un cadre conceptuel soutenant une vision holistique et émancipatrice de la justice énergétique.

Les enjeux d’une justice énergétique selon les participant·e·s à la recherche

9L’analyse des données de l’enquête FORJE a ainsi permis d’identifier quatre grands principes associés à un idéal de justice énergétique au sein de la mobilisation québécoise sur les questions énergétiques. Les participant·e·s ont mentionné : 1) l’importance d’inclure les perspectives des Premiers Peuples dans les réflexions et de redonner à ces communautés un pouvoir sur le territoire ; 2) le besoin d’impliquer la population et les syndicats dans les processus décisionnels ; 3) la nécessité de reconnaître les enjeux de justice sociale inhérents à la transition énergétique et donc les réalités concrètes des personnes marginalisées ou en situation de pauvreté et 4) l’urgence de reconnaître les impacts environnementaux des énergies dites vertes. Des visées critiques, de solidarité sociale et de partage du pouvoir délibératif et décisionnel sont donc au cœur des préoccupations des participant·es à l’enquête FORJE. Nos observations participantes prolongées au sein du mouvement québécois de la transition énergétique nous amènent également à constater que cette mobilisation s’ancre dans une vision communautarienne de la justice. De ce point de vue que nous partageons, la justice énergétique fait globalement référence à la nécessité de transformer, par l’engagement populaire, le système économico-énergétique hégémonique dans une perspective d’équité sociale et de respect de l’environnement, avec l’objectif de développer une écogestion participative des systèmes énergétiques.

Les principales composantes des conceptions théoriques de la justice énergétique

10Dans la littérature scientifique, les cadres conceptuels de la justice énergétique apparaissent tantôt ancrés dans une conception communautarienne de la justice, tantôt liés à une conception libérale de la justice. Nous avons néanmoins observé qu’à ce jour, en recherche, ce référentiel a surtout été mobilisé dans une perspective descendante (top-down) d’accompagnement des décideurs dans le développement de projets ou de politiques. Par ailleurs, le courant théorique de la justice énergétique n’offre pas de pistes précises face aux enjeux sociaux et environnementaux caractéristiques du système économico-énergétique hégémonique. Il propose néanmoins des clés de lecture critiques et des leviers éthiques pour faire évoluer ce système dans une perspective de droits. Ainsi, plusieurs auteurs mentionnent que la justice énergétique s’articule selon les cinq composantes mentionnées dans le Tableau 2.

Tableau 2. Cinq composantes de la justice énergétique (selon McCauley et coll. 2019 ; McHarg, 2020c ; Heffron et McCauley, 2017)

Justice énergétique

Justice distributive

Justice procédurale

Justice par la reconnaissance

Justice réparatrice

Justice cosmopolitique

Assurer une distribution juste des impacts et des services reliés à la production énergétique sur un territoire et à travers le temps

Assurer une justice dans les procédures reliées à la production et à la consommation énergétiques

Reconnaitre les torts infligés au nom de la production énergétique ; donner une voix aux personnes victimes de ces préjudices

Obliger les décideurs à considérer l’ensemble des injustices causées par une activité énergétique afin de les rectifier ou d’offrir une compensation.

Viser une application universelle de la justice énergétique en considérant également toutes les nations et tous les êtres humains.

11Sur un registre plus libéral, Patridge et collègues (2018) mettent de l’avant l’importance d’assurer la disponibilité, l’accessibilité et la durabilité des systèmes énergétiques tout en responsabilisant les différentes parties prenantes dans le processus. Dans la même veine, Sovacool et Dworkin (2015) proposent huit « principes » de justice énergétique, à savoir : la disponibilité de l’énergie (pour tous et toutes), son abordabilité, la bonne procédure (consulter les populations et respecter leurs droits), la bonne gouvernance, la durabilité, la responsabilité (à l’égard des écosociosystèmes) et l’équité inter et intra générationnelle.

12Parmi les perspectives théoriques que nous avons recensées et analysées, celle qui se rapprochait le plus de la vision de la justice énergétique que nous avons développée dans le projet FORJE est de Malakar et collègues (2019). En effet, ces auteurs orientent leurs travaux vers l’élaboration d’un cadre d’analyse et d’action visant à : 1) déceler les injustices produites par un système énergétique ; 2) comprendre comment certains groupes se retrouvent ignorés ou opprimés par ce système ; 3) offrir des solutions de transformation et 4) juger de l’équité du processus de réparation proposé.

Les lacunes des visions communautariennes de la justice issues de la littérature

13Plusieurs éléments se recoupent entre les visions de la justice énergétique des participant·e·s au projet FORJE et celles issues de travaux académiques ancrés dans le communautarisme. Les concepts de justice distributive, de justice procédurale, de la justice dans la reconnaissance et de justice réparatrice trouvent résonnance dans les propos des militant·e·s interviewé·e·s. Toutefois, nous voyons que la somme des repères théoriques avancés jusqu’ici dans le domaine ne répond pas entièrement aux perspectives des participant·e·s au projet FORJE ni à celles de son comité de pilotage. Bien que certains des travaux universitaires répertoriés intègrent l’approche intersectionnelle et tiennent compte, à travers ce prisme d’analyse, des réalités de groupes opprimés, aucun n’a mis l’emphase sur les oppressions vécues par les communautés autochtones, qui sont pourtant parmi les premières affectées par les mégaprojets énergétiques, au Nord comme au Sud. Dans cet esprit, il nous est apparu important d’intégrer à notre cadre conceptuel de la justice énergétique, les enjeux historiques et contemporains en matière de droits autochtones, en particulier en ce qui a trait au rapport au territoire et au pouvoir d’autodétermination.

14Provenant surtout de cultures occidentales, les écrits sur la justice énergétique ont jusqu’ici peiné à intégrer les réalités des Suds, les réalités autochtones, les visions non occidentales du monde (Monyei et coll., 2018 ; Malakar et coll., 2019) et les épistémologies qui les soutiennent. Il nous apparait par ailleurs difficile de conjuguer le modèle occidental de justice – qui prend difficilement en compte les conséquences historiques et actuelles du colonialisme – aux conceptions de la justice que portent les différentes communautés autochtones.

15Le système énergétique mondial étant également structuré en faveur des pays du Nord, l’idéal d’une justice énergétique cosmopolitique apparait problématique, surtout lorsque nombre d’écrits académiques sur la justice énergétique promeuvent le développement de politiques publiques par approche descendante (top-down) – ou s’accommodent de cette approche à tout le moins. Dans ce contexte, il apparait très improbable que s’interfécondent une justice cosmopolitique et une justice de la reconnaissance qui intègre les principes de résistance et d’intersectionnalité. Prenons la situation énergétique de ce que l’on appelle aujourd’hui le Canada. Comment y reconnaitre les droits autochtones, comment y travailler de nation à nation dans une perspective de justice de la reconnaissance si l’on élude le fait que nous somme en territoire non cédé et que l’on s’accommode du schème de gouvernance environnementale dominant ? Cet exemple expose certaines lacunes majeures des repères théoriques sur la justice énergétique développés jusqu’ici par les universitaires occidentaux.

16Par ailleurs, bien que les apports du milieu académique intègrent multiples éléments promouvant une certaine justice sociale, la majorité des recherches répertoriées sur le sujet de la justice énergétique n’ont pas impliqué les communautés concernées dans l’identification ni dans l’analyse des enjeux de justice étudiés. En outre, dans les articles consultés, aucune mention n’est faite de l’importance de la participation des différents acteurs sociaux aux processus d’analyse et d’élaboration de projets énergétiques (incluant les projets de politiques publiques). Conséquemment, aucun des principes de justice énergétique définis par les auteurs et autrices ne concerne l’implication des communautés dans les processus décisionnels. La question de la souveraineté énergétique des communautés est encore moins abordée. Il semble donc que les chercheur·e·s se soient jusqu’ici plutôt attaché·e·s à éclairer les décideurs publics.

Les pièges des visions libérales de la justice énergétique issues de la littérature

17La notion libérale de « bonne gouvernance », issue du langage managérial et érigée en principe de justice énergétique par Savacool et Dworkin (2015), nous apparait aussi problématique. Dans une logique de gouvernance, des acteurs de la société civile citoyenne (ONG, citoyens), de l’État (gouvernement, fonction publique) et de l’entreprise privée (compagnies, lobbies, institutions financières) – mus par leurs intérêts particuliers et reconnus dans leur expertise ou leur statut ­­– deviennent partenaires de la réalisation d’un projet spécifique (venture), à forte dimension économique (Mappa et Conti, 2009). La notion d’intérêt est au cœur de l’approche de la gouvernance alors que celles de bien commun, de légitimité, de représentativité (au sens politique) et de dialogue des savoirs y font défaut. Plusieurs auteurs (dont Sierra et Lewis, 2011) dénoncent par ailleurs la disproportion des rapports de force caractéristiques du schème de la gouvernance, à faveur des élites politico-économiques. Si la participation est un des principes-clés de la gouvernance, elle demeure dans les faits limitée voire exclusive, cela notamment à cause de la cooptation qui y prévaut (Deneault, 2013, p. 15 ; Hermet et Kazancigil, 2005, p. 9-10).

18Nous sommes en outre critiques des principes de durabilité et de responsabilité – qui sont mobilisés dans le cadre conceptuel de la justice énergétique selon Savacool et Dworkin (2015) – lorsque celles-ci restent ancrées dans une perspective de développement durable. Cette vision anthropocentrique, basée sur une primauté des besoins des humains et sur la possibilité d’une croissance économique infinie, nous semble effectivement incompatible avec la perspective d’une transition énergétique porteuse de justice sociale. Nous choisissons donc de parler de sobriété énergétique plutôt que de durabilité énergétique, et de « responsabilité écopolitique » (Brière, 2014) plutôt que de responsabilité (tout court). Cette responsabilité écopolitique fait référence à une responsabilité d’engagement des personnes et des organisations dans les processus politiques et délibératifs visant la transformation des réalités écosociales problématiques. Nous envisageons par ailleurs cette responsabilité à l’égard de l’ensemble de la communauté biotique, soit dans une perspective écocentrique.

La souveraineté énergétique comme principe de justice

19Avec le projet « Énergie, pour qui et pour quoi ? », le CDHAL (Comité pour les droits humains en Amérique Latine) proposait « l’appropriation collective du concept de justice énergétique, en s’inspirant des analyses sur la souveraineté énergétique des mouvements d’Amérique latine » (Mas et coll., 2017, p. 3). Ces auteurs expliquent entre autres que la justice énergétique implique de « décentraliser, autonomiser, diversifier et adapter la production d’énergie au lieu d’origine et aux besoins locaux [et] d’arrêter tout type de projet faisant appel à la dépendance et à la destruction des biens communs » (ibid., p. 3). Au lieu de prioriser la sécurité énergétique ou encore la décarbonisation, l’idéal de souveraineté énergétique vise à ce que les communautés puissent prendre en main leur système énergétique (Schelly et coll., 2020). Il implique de donner le pouvoir aux communautés de s’organiser et de faire leurs propres choix. Le concept de souveraineté énergétique priorise la voix et les savoirs des communautés locales dans le processus décisionnel et assure un droit à l’autonomie et à l’autodétermination (ibid.). Dans une perspective de souveraineté énergétique, la transition vers d’autres sources d’énergie moins polluantes est à planifier par la communauté ; à ses membres de faire les choix en fonction de leurs connaissances du territoire. Dans le cadre conceptuel de la justice énergétique que nous avons développé, nous avons donc soustrait le principe de « bonne gouvernance » proposé par Savacool et Dworkin (2015) et intégré celui de souveraineté énergétique.

La justice épistémique comme composante transversale d’une justice énergétique

20Nous avons constaté qu’une dimension à notre sens cruciale de la justice sociale et environnementale, à savoir sa dimension épistémique, a été éludée autant dans la littérature scientifique portant sur la justice énergétique que sur le terrain des luttes et des projets de transition énergétique. Les recherches déployées jusqu’ici sur le sujet n’ont effectivement pas pris en compte les enjeux de nature épistémique, pourtant cruciaux. Les participant·e·s au projet FORJE n’y ont pas non plus fait mention dans leur définition de la justice énergétique. Toutefois, en les questionnant sur leur rapport aux savoirs et sur les enjeux de leur militance, nous avons retrouvés les préoccupations épistémologiques et andragogiques à l’origine de notre recherche.

21Ainsi, les participan·e·s ont rappelé que les contextes de luttes citoyennes contre des mégaprojets impliquent invariablement de colliger et d’analyser une quantité phénoménale d’informations dans des délais très courts. Les organisations mobilisées doivent rapidement construire un argumentaire appuyé de données scientifiques et de références légales ou réglementaires pour soutenir leur position et leurs propositions. Elles interviennent donc dans l’urgence d’une consultation publique à investir, d’une mobilisation sociale à construire, face à des promoteurs qui ont mis des mois voire des années à préparer un projet, avec des ressources sans commune mesure avec celles des groupes de la société civile.

  • 2 Les prénoms employés dans le texte sont fictifs.

Ce n’est pas juste. (...) L’étude d’impact de GNL Québec, il y a quarante spécialistes qui ont travaillé là-dessus à plein temps, probablement pendant deux ans. Nous, on est tous des bénévoles. (Louise)2

22Cette disparité de moyens concourt au défi de faire reconnaître les connaissances accumulées au jour le jour sur le territoire (par l’observation, la pratique et le dialogue) à propos de l’état de l’environnement, de la santé de populations animales, du délitement d’un tissu social, etc. Dans les espaces de débat institutionnalisés, ces connaissances doivent être systématiquement appuyées par des données scientifiques ou à tout le moins corroborées par un avis d’expert·e, sans quoi elles se retrouvent reléguées du côté de l’opinion et dès lors, très peu considérées. Ce manque de considération des savoirs citoyens au sein des instances publiques tient pour beaucoup de conceptions positiviste et utilitariste de la science, qui sont prédominantes dans notre société (Simonneaux, 2011). Ces postures épistémologiques, souvent imbriquées l’une à l’autre, sont explicitement ou implicitement adoptées par une proportion importante des personnes militant pour une transition énergétique, alors que les perspectives épistémologiques critiques et socioconstructivistes trouvent somme toute peu d’écho dans le milieu. Dans ce contexte, auquel s’ajoute les contraintes précédemment mentionnées, il devient difficile de soutenir les pratiques de formation réciproque.

[Au sein des groupes écologistes et citoyens,] il y a beaucoup d’expertises qui peuvent servir aussi à d’autres groupes, mais ce n’est pas reconnu. Des fois ce sont les membres des groupes qui ont cette expertise-là, mais ce n’est pas reconnu au niveau universitaire dans le sens que ça reste dans le travail militant organisationnel, mais il y a beaucoup de connaissances accumulées au fil des années. (Pascale)

23Ce contexte fait donc aussi en sorte que les rapports entre les groupes mobilisés pour la justice énergétique et les chercheur·e·s collaborateurs se construisent le plus souvent sur l’idée d’un transfert de connaissances, des universitaires vers les groupes. Ceci dit, nous avons aussi été témoins d’initiatives qui valorisent les savoirs développés et déployés sur le terrain des luttes et des initiatives citoyennes. À titre d’exemple, notons l’Université populaire pour la justice énergétique (initiative du CDHAL), qui mettait de l’avant le parcours et les savoirs portés par des femmes autochtones militantes.

24Nous intégrons donc de manière transversale le principe de justice épistémique à notre cadre conceptuel de la justice énergétique. La justice épistémique (aussi dite justice cognitive) fait référence à une « reconnaissance active » de la co-existence et de la complémentarité des divers types de savoirs lors du traitement d’une question vive (Piron et coll., 2016 ; Visvanathan, 2009 ; Godrie et coll., 2020). Il s’agit dès lors de souligner l’apport des savoirs les plus souvent invisibilisés, tels que les savoirs expérientiels, autochtones et citoyens, de créer des espaces de dialogue des savoirs qui les mettent en valeur. Dans une perspective de justice épistémique, on visera aussi à transformer les espaces de délibération existants pour y considérer équitablement les savoirs issus de différentes épistémologies : épistémologies citoyennes, autochtones, des Suds et autres.

25La Figure 1 résume notre proposition de cadre conceptuel pour la justice énergétique, basée sur les résultats de notre recherche. Cette matrice peut servir une analyse critique et féconde de projets et de politiques énergétiques. Ce cadre, présentant les dimensions d’une vision holistique et émancipatrice de la justice énergétique, peut aussi inspirer la réflexion des personnes mobilisées en vue d’une transition énergétique porteuse de justice sociale. Il peut enfin alimenter des processus de formation à l’écocitoyenneté, en particulier au regard de questions énergétiques vives. Il est à noter que les concepts et principes composant la Figure 1 n’y sont pas placés en ordre d’importance.

Figure 1. Notre proposition de cadre conceptuel de la justice énergétique

Enjeux d’une coformation au politique au sein de la mobilisation pour une justice énergétique

26L’enquête diagnostique FORJE, réalisées auprès de 25 participant·e·s issu·e·s de 11 régions, a entre autres permis de dresser un portrait d’ensemble des enjeux contemporains de la mobilisation pour une justice énergétique au Québec. Outre le cadrage épistémologique problématique dont il a été question plus haut, deux autres enjeux sont clairement ressortis de cette enquête face aux perspectives de dialogue et de codéveloppement de savoirs portées par le projet. Il s’agit des conditions d’exercice de la militance et des difficultés de communication qui y sont vécues.

Les conditions d’exercice de la militance

  • 3 Sur la base de critères bien définis.

27La mobilisation pour la justice énergétique se construit dans des contextes organisationnels et citoyens particuliers, où la volonté et l’engagement sont très grands, mais où les ressources sont limitées et souvent conditionnées. À cet effet, plusieurs participant·e·s à l’enquête ont mentionné que la tendance accrue au financement par projet des organisations communautaires nuit à leur capacité d’action. En effet, alors que la Politique de reconnaissance et de soutien à l’action communautaire (ministère de l’Emploi et de la Solidarité sociale, 2001) avait reconnu l’autonomie de l’action communautaire en dotant notamment ces organisations d’un financement à la mission3, les différents ministères concernés ont considérablement réduit ou fait plafonner ces fonds – selon les secteurs – depuis une dizaine d’années, au profit de formules de financement orientées (Depelteau, 2013 ; Richard, Bourque et Lachapelle, 2017). Ces modalités créent des situations de compétition entre groupes, en plus d’alourdir leurs tâches et de limiter leur capacité à agir sur des dossiers émergents ou controversés. Les groupes écocitoyens nouvellement constitués n’ont quant à eux pratiquement pas accès à des ressources financières. Ils misent plutôt sur le bénévolat de leurs membres et, ponctuellement, sur les contributions en nature d’organisations sympathisantes :

Tout est bénévole et c’est surtout que c’est à long terme. Ce n’est pas ; on s’en va samedi faire une manifestation et c’est fini. Lundi matin on est au conseil municipal et après on rencontre nos députés et après on fait des rencontres citoyennes. (Pauline)

28Dans ce contexte, parce que de nouveaux méga-projets de développement apparaissent sans cesse sur le territoire québécois et puisque l’initiative de transformation du modèle énergétique hégémonique est aussi portée par la société civile citoyenne, plusieurs participant·e·s à l’enquête FORJE ont évoqué la lourdeur de leur engagement. Ils et elles ont le sentiment d’être embarqué·e·s dans une lutte sans fin, avec des moyens infiniment plus restreints que ceux des acteurs qu’ils affrontent :

Dans notre cas, ça fait dix ans qu’on travaille sur un sujet qui est difficile et pour lequel il n’y a pas de récompense et d’encouragement (...) Il y a un épuisement. (Jeanne)

Il y a des combats qui vont se mener deux ou trois fois. Il n’y a pas l’automatisme que si le promoteur n’a pas réussi son projet, le territoire va être protégé. (Pierre)

29Cette nécessité de surveillance constante des promoteurs et des gouvernements, réalisée avec des ressources très modestes, génère un sentiment de fatigue et d’épuisement généralisé au sein des groupes. Des participant·e·s ont ainsi évoqué combien il est difficile de conserver, au sein des groupes, les savoirs acquis dans les luttes précédentes et les savoirs détenus par des personnes s’étant désengagées du groupe (pour cause d’épuisement militant, entre autres) :

Le groupe citoyen est très important, mais souvent relié à un seul projet. Une fois que les projets sont finis, il y a plein de choses qui ont été apprises par ces groupes-là. Mais comme ce sont des groupes entièrement bénévoles qui ne vivent que de leurs propres efforts, de leurs propres ressources, de leurs propres recherches, de leur propre travail bénévole qui se fait en dehors de tout ce qu’ils ont d’autre à faire dans la vraie vie, il y a beaucoup d’informations qui se perdent. (Georges)

Les défis de communication

30Des participant·e·s ont par ailleurs observé que la dynamique de lutte qu’ils vivent face aux porteurs de projets indésirés se transpose malheureusement à l’intérieur du mouvement militant, comme l’explique cette personne :

Régulièrement, dans les groupes, dans les associations de groupes il y a des putschs, il y a des clashes, il y a des éclats, il y a des blessures, il y a des gens qui ne se parlent plus. C’est lourd. Moi c’est ce que je trouve dingue. En même temps, on est dans un processus de lutte. D’être toujours contre, d’être toujours en bataille, ça se transpose dans les relations avec les autres groupes. (Myriam)

31Comme les groupes travaillent dans un climat d’urgence continuelle, ces conflits internes sont trop peu souvent abordés ou résolus, or plusieurs militant·e·s aimeraient que cela change et que plus d’importance soit accordée à la sollicitude à l’intérieur des groupes.

32Des participant·e·s des milieux universitaire et syndical ont aussi fait part d’enjeux de communication qu’ils vivent dans leurs engagements pour la justice énergétique. Les scientifiques auraient ainsi avantage à sortir de leurs créneaux de diffusion habituels (conférences, panels de discussion) pour adopter des formules plus engageantes et adaptées à des publics non-initiés. Du côté syndical, on indique combien il est difficile de trouver la juste dose – et le juste ton – des messages revendicateurs ; comment éveiller aux enjeux et développer un pouvoir d’influence sans fermer la porte au dialogue ?

C’est toujours la difficulté qu’on a nous autres : de déranger, mais d’être écoutés. (...) Le but c’est de pouvoir garder cette ligne-là si on veut créer des réels changements systémiques. Il faut mobiliser le monde pour réveiller le gouvernement et garder la crédibilité pour être entendus et consultés. (Léo)

33En lien avec cet enjeu, il semble important mais ardu de sortir de la logique binaire (être pour ou contre un projet) dans les activités de communication à visées de mobilisation (Batelier et Maillé, 2017). Les communautés sont souvent divisées lorsqu’il y a un projet de développement énergétique concernant leur territoire et cette manière dichotomique d’aborder la problématique limite l’écoute, le dialogue, la mobilisation des savoirs en plus d’éluder la complexité des questions en jeu.

34Plusieurs participant·e·s à l’enquête ont célébré les récentes initiatives de mobilisation écocitoyenne des « jeunes » (adolescents, jeunes adultes), telles que La planète s’invite à l’école, La planète s’invite à l’université et la Coalition étudiante pour un virage environnemental et social (CEVES). Ils et elles ont avancé que les groupes (écologistes, syndicaux, écocitoyens) ont le devoir de soutenir la voix et les ambitions de ces jeunes, dans l’espace public comme dans les réseaux de militance sur les questions énergétiques. Dans leurs communications, ces nouveaux mouvements étudiants traitent régulièrement des contradictions et de la violence du système économique capitaliste, qu’ils identifient sans détour comme étant la principale cause du dérèglement climatique et de l’effondrement de la biodiversité. En ce sens, ils osent aborder de front une question cruciale et pour le moins sensible identifiée par plusieurs participant·e·s à l’enquête, à savoir celle de convaincre une masse critique de citoyen·ne·s de la nécessité de repenser profondément le système économique. Cette visée implique d’ouvrir largement des conversations sur des sujets clés tels que : l’analyse critique des énergies dites vertes, la transition des secteurs d’emplois et les besoins de diversification économique en région, la reconfiguration de nos modes de production et de consommation et le caractère inévitable de la transition. À cet effet, le vaste exercice de dialogue coordonné par le Front commun pour la transition énergétique, qui a mobilisé plus de 190 personnes de 85 organisations (jeunesse, communautaires, écologistes, syndicales) et 12 universités pour co-construire une Feuille de route pour un Québec carboneutre et engagé sur le plan de la justice sociale, s’avère porteur.

Des priorités pour la formation réciproque au sein du mouvement québécois pour une justice énergétique

  • 4 L’ensemble de ces pistes est présenté dans le rapport de recherche du projet FORJE : https://cen (...)

35Dans le cadre du Volet I de notre recherche, nous avons identifié et documenté quatre besoins prioritaires de co-formation au sein de la mobilisation citoyenne pour une transition énergétique porteuse de justice sociale au Québec (voir le Tableau 3). Nous avons d’abord problématisé chacun de ces grands besoins de partage d’expériences et de savoirs, pour ensuite élaborer des pistes d’intervention et de coformation qui puissent être déployées dans le cadre des activités du Front commun pour la transition énergétique. Nous ne pourrons détailler ici les différentes pistes développées dans le cadre du projet FORJE4, mais nous donnerons un aperçu des enjeux et des possibilités liés à deux des quatre besoins prioritaires ressortis de l’enquête.

Tableau 3. Besoins prioritaires ressortis de l’enquête FORJE

Priorité 1. Identifier des approches et des stratégies permettant de travailler ensemble à l’atteinte d’objectifs communs en dépit de visions divergentes, en portant une attention particulière aux réalités et aux visées des groupes marginalisés ;

Priorité 2. Cerner les approches et les stratégies de co-construction de savoirs communautés-universités à privilégier dans la mouvance récente d’engagement écocitoyen de nombreux-ses scientifiques ;

Priorité 3. Savoir reconnaître et éviter l’épuisement militant : apprendre à prendre soin de soi et des collaborateurs-trices dans le travail collectif ;

Priorité 4. Mieux connaitre les réalités et les possibilités du cadre municipal pour investir cet espace politique de proximité.

Note : Les besoins listés ne sont pas classés en ordre d’importance.

Comprendre ensemble comment créer une représentation juste au sein du mouvement

36D’une part, les militant·e·s du FCTÉ reconnaissent que la grande diversité de cultures organisationnelles et la disparité des ressources entre associations mobilisées au sein de cette coalition représentent des défis importants de la construction de prises de positions collectives et de la coordination des actions. D’autre part, ils et elles constatent que leur volonté sincère d’inclure, au sein du Front, des groupes vivant intimement les injustices sociales liées au modèle énergétique hégémonique est difficile à actualiser. Pourtant, ces groupes devraient pleinement pouvoir participer à la réflexion et aux initiatives visant la transformation de ce modèle.

37Dans les Critères d’une transition énergétique porteuse de justice sociale adoptés par le FCTÉ, il est donc question de « démocratiser la transition ». Dans les faits, ici comme ailleurs, l’homogénéité du mouvement de la transition a été soulevée par plusieurs chercheurs (Alloun et Alexander, 2013 ; Grossman et Creamer, 2017 ; Lebrun-Paré, 2018). Souvent, les personnes ou les groupes que l’on souhaitait « inclure » ont été invités dans une conversation cadrée de manière trop étroite. Dans d’autres situations, le projet était déjà passablement avancé, si bien qu’il n’y avait plus vraiment de place pour des remises en question. Dans certains contextes, l’agenda était de toute façon plus ou moins fixé par les personnes et les organisations ayant le plus de moyens et d’influence. Parmi les raisons de ces maladresses, il y a souvent le fait de ne pas bien connaître la réalité très concrète des personnes que l’on veut rejoindre et avec lesquelles on souhaite créer des ponts.

38Pour « démocratiser la transition » de manière sensible et arriver à une représentation plus juste au sein du mouvement, le FCTÉ s’est récemment doté d’un plan de travail, en s’appuyant notamment sur les pistes proposées par le projet FORJE. Un caucus a été mis sur pied avec le mandat de « tisser l’impératif d’inclusions, d’alliances et de convergences à l’ensemble des activités du FCTÉ ». Ce comité vise donc à soutenir une analyse permanente des enjeux liés à la représentation juste, en se donnant le défi de mettre en lumière les « angles morts » de la planification et des actions du Front en la matière. Pour ce faire, ce caucus met notamment l’emphase sur la formation à l’interne du Front, en soutenant que pour arriver à accueillir des groupes vivant des réalités différentes des nôtres, il faut d’abord « préparer la maison ». À titre d’exemple, le premier atelier de formation offert aux membres du Front avait pour thème Le racisme, les réalités coloniales au Canada et l’autodétermination des Premiers Peuples : quelques repères pour s’y retrouver. Ce besoin relevait du constat que les efforts réalisés jusqu’alors pour établir des collaborations avec des personnes autochtones militant sur les questions énergétiques n’avait pas porté fruits et donc que la démarche adoptée jusqu’alors n’était sans doute pas assez sensible des réalités différenciées et des priorités distinctes face à des enjeux communs.

39Au cœur du projet FORJE, nous avons appris que pour construire une action avec des groupes d’abord engagés à faire reconnaître et réparer des iniquités sociales et des erreurs historiques, nous devions développer une meilleure capacité de décentration et aussi, une volonté ferme de nous autoformer pour mieux comprendre et honorer les cadres d’analyses, les revendications et les aspirations de ces groupes. Autrement dit, nous avons compris à quel point il est porteur d’être proactif en évitant de solliciter l’autre en tout premier lieu pour qu’il nous explique ses réalités et orientations. Cette prise en charge, par les personnes privilégiées, de leur responsabilité d’éducation à la solidarité politique a effectivement le potentiel de libérer les groupes dits marginalisés ou opprimés d’une partie de leur immense tâche de sensibilisation. Cette approche peut aussi instaurer plus facilement la confiance dans la collaboration. Nous avons d’ailleurs beaucoup appris de l’analyse d’une participante à l’une des activités de mobilisation des savoirs que nous avons organisées. Cette intervenante suggérait justement de se défaire de l’idée d’« intégrer » au mouvement de la transition juste des gens « de la marge » – vision qui implique de se penser soi-même au centre du jeu –, pour plutôt mettre ces personnes au centre en se demandant ce que l’on pouvait faire pour les soutenir.

Apprendre à prendre soin de soi et des pair·e·s dans la militance

40L’engagement militant apporte beaucoup sur le plan personnel, procurant notamment un sentiment d’accomplissement et de cohérence, en plus d’offrir des occasions de rencontre et de collaboration avec des personnes partageant des valeurs qui nous tiennent à cœur. La militance a aussi son revers, dans un contexte où il y a tellement de dossiers à surveiller, de projets à dénoncer et de transformations à initier. L’épuisement guette les militant·e·s, d’autant plus que l’on dénote dans ce milieu des attentes implicites élevées quant à ce que signifie être militant·e. Parmi les représentations problématiques en cause, notons l’idée de devoir être joignable en tout temps et d’être totalement dévoué·e à la cause, en la faisant passer avant ses propres besoins, même ses besoins fondamentaux comme dormir ou manger sainement. La « culture du martyr » présente dans plusieurs mouvements sociaux est ainsi propice au développement d’un sentiment de culpabilité par rapport au fait de prendre soin de soi (Weixia et Gorski, 2015). On se considère privilégié par rapport aux gens pour qui l’on milite, ou encore excessivement responsable des torts que la société, dont on fait partie, inflige aux écosociosystèmes. Dans cet état d’esprit, la surcharge de travail et le don de soi sont le plus souvent perçus comme inévitables. S’ajoute à ce portrait des dynamiques de pouvoir délétères au sein des organisations et des mouvements, qui jouent également un rôle important dans la possibilité de vivre un épuisement militant (Gorski et Chen, 2015).

41Les visées à long terme des mouvements écocitoyens créent une liste interminable d’objectifs et de tâches à accomplir, qu’il faudrait attaquer d’urgence (Cox, 2008). Dans cette vision des choses, prendre soin de soi apparait à plusieurs comme étant un acte individualiste qui peut être mal perçu au sein du groupe (Cox, 2008 ; Weixia et Gorski, 2015). La difficulté d’obtenir des transformations sociales pèse aussi lourd pour certain·e·s militant·e·s qui vivent un manque d’appréciation sociale face à l’ampleur des efforts qu’ils et elles investissent dans une cause (Weixia et Gorski, 2015).

42Au regard du portrait qui vient d’être brossé, il ressort que les pratiques de soin – de care – sont généralement peu valorisées au sein des groupes militants et que cela est souvent justifié par un manque de ressources financières ou encore un manque de temps (Cárdenas et Tello Méndez, 2017). Ce positionnement implicite et plus ou moins conscient d’une importante proportion d’organisations et de militant·e·s représente un obstacle à la mise en place de pratiques structurantes pour la santé des militant·e·s. Il y a donc un défi à briser ce cercle vicieux de l’épuisement militant.

43Les approches féministes radicales offrent des perspectives très fécondes sur les enjeux de l’épuisement, de l’écoanxiété et sur les manières d’envisager le soin dans les milieux militants. D’abord, elles nous invitent à politiser le soin, en mettant de l’avant ses dimensions collectives et sociales (Garrau et Le Goff, 2010 ; Tronto, 2012). Dans cette perspective, la détresse vécue par les individus concerne leur groupe d’appartenance et même la société dans son ensemble. Une telle vision de la sollicitude invite d’abord à mieux comprendre les dynamiques de pouvoir qui octroient des privilèges à certains groupes au dépend de d’autres et à mieux saisir les mécanismes d’adaptation développés pour composer avec les situations d’oppression vécues ou observées au sein de la société (Profitt, 2008). Il s’agit, par cette forme d’éducation au politique, de sortir d’un espace étroitement soignant pour rejoindre un « espace relationnel » (Raymond, 2010) où développer une résilience collective et envisager le soin dans la réciprocité. On y conçoit les différents membres d’un collectif comme pouvant être tour à tour soignant·e·s et soigné·e·s.

44Dans cette perspective, le care prend en compte la relation à soi, la relation aux autres et la relation au reste du vivant – la communauté biotique (Lloro-Bidart et Semenko, 2017). Ces différents regards tendent vers une vision plus holistique et systémique du soin en proposant : de développer un sens commun du soin de soi, de l’autre et de l’environnement ; d’affiner les processus de communication et d’écoute ; d’intégrer la notion de sollicitude comme élément structurant de nos groupes et de nos communautés.

45Des pratiques relationnelles s’inspirant des éthiques de la sollicitude ont émergé dans divers milieux militants ces dernières années, en particulier dans les mouvements féministes, décoloniaux et pour la diversité de genres (Ansloos et coll., 2021 ; Casas-Cortes, 2019 ; Phillips et Willatt, 2020 ; Villoing, Rufié et Ferez, 2016) : moments dédiés à l’expression du ressenti, célébration des petites avancées collectives, jumelages d’appui mutuel, reconnaissance explicite du travail de soutien (administratif, logistique, émotionnel et autres), formation à la communication non violente, etc. Or, ce n’est que tout récemment que ces éthiques ont commencé à trouver écho dans les milieux écologistes. En effet, de jeunes cercles militant pour la justice climatique ont commencé à développer des pratiques de cet ordre. C’est notamment le cas au sein de la Coalition étudiante pour un virage environnemental et social (CEVES) au Québec, et au sein du mouvement international Extinction Rebellion, où se développent des comités de « culture régénératrice » qui soutiennent à la fois le « self-care », le « people care » et le « planet care » (Westwell et Bunting, 2020). Au regard du caractère globalisé des enjeux de justice économique et climatique, Casa-Cortes (2019) observe aussi, en Espagne, un renouvellement critique de la citoyenneté (ciudadanìa) qui s’actualise dans le développement d’une cuidadanìa (néologisme créé à partir du verbe cuidar, qui signifie « prendre soin »).

46Dans la littérature, les propositions pédagogiques structurées liées aux éthiques de la sollicitude restent limitées, souvent loin de l’andragogie, et parfois réduites à des stratégies éducatives. Certains auteurs (Brunet, 2020 ; Vea, 2020) ont apporté des pistes d’animation et de sensibilisation à propos de la gestion des émotions dans des milieux d’engagement social. Goralnik et coll. (2012, 2014) ont posé des repères théoriques et pratiques pour une « écopédagogie de la sollicitude » (environmental pedagogy of care), qui met surtout l’emphase sur la relation au milieu et le rapport au politique. Les approches ainsi privilégiées (pédagogie du lieu, analyse critique des situations locales depuis des perspectives écoféministes et transposition de cette analyse du micro au macrocosme) sont forts pertinentes dans la perspective d’approfondir une volonté de prendre soin de son milieu et de la biosphère. Elles concernent toutefois des enjeux en grande partie distincts du problème ressorti de l’enquête FORJE, soit la difficulté à prendre soin de soi et à soutenir ses pairs dans l’action pour une justice énergétique. Soulevant le manque de propositions pratiques et pédagogiques pour un apprentissage de la sollicitude dans l’action environnementale, Barniaudy (2020) suggère des pistes intéressantes, qui restent à valider. L’auteur mentionne notamment la méditation pleine conscience et des ateliers jumelant l’analyse critique des imaginaires de contrôle de l’environnement à l’idéation d’autres modes de relation, plus attentifs et sensibles à l’autre qu’humain. La réflexion pédagogique concernant l’appropriation et la mise en pratique des éthiques de la sollicitude est donc émergente et même très peu développée en ce qui a trait aux contextes d’engagement écosocial.

47En continuité du projet FORJE, nous avons donc amorcé un projet de recherche pour approfondir notre compréhension des possibilités de (co)formation dans le milieu écologiste, en vue d’y soutenir la sollicitude. Dans son volet théorique, cette recherche vise à traduire les éthiques de la sollicitude en un système inédit de compétences (critiques, éthiques, relationnelles et pédagogiques) à favoriser en contexte d’action climatique. Dans son volet empirique à venir, la recherche permettra de réaliser une caractérisation du milieu écologiste québécois en ce qui a trait aux représentations sociales du care et aux pratiques ancrées dans la sollicitude. L’objectif à plus long terme est de réaliser une recherche collaborative de développement pédagogique pour élaborer, avec le milieu, un modèle pédagogique et un parcours de formation soutenant un apprentissage collectif de la sollicitude, dans l’action écopolitique.

Faire vivre la formation réciproque au sein du mouvement : défis et possibilités

48Avec le projet FORJE, nous avons cherché à valoriser et à soutenir les dynamiques de coconstruction de savoirs au sein de la mobilisation citoyenne pour une justice énergétique au Québec. Il fut à cet effet très stimulant de constater, à l’automne 2020, que le FCTÉ choisissait de mettre la Communauté de pratiques au cœur du modèle de développement de son projet Québec ZéN.

49Au printemps 2021, le comité de pilotage du projet FORJE a organisé quatre Midis FORJE portant chacun sur l’une des quatre thématiques investiguées (Tableau 3). Ces rencontres étaient destinées aux personnes coordonnant les huit Chantiers territoriaux de transition en démarrage, de même qu’aux personnes impliquées dans des organisations membres du FCTÉ. En amont de chacune de ces rencontres thématiques virtuelles, nous avons produit et partagé une courte capsule vidéo qui résume les enjeux et les pistes d’intervention ressorties de notre analyse sur le thème concerné. Nous avons également fourni des ressources qui permettent d’approfondir la réflexion sur le sujet. Les rencontres, d’une durée de 75 minutes, étaient dès lors dédiées presqu’entièrement au partage d’expériences et de savoirs entre les participant·e·s. Après une brève mise en contexte et un rappel des objectifs de la rencontre, nous ouvrions des discussions (en plénière et en sous-groupes), à partir de questions acheminées à l’avance aux participant·e·s.

  • 5 Le projet Collectivités ZéN vise à soutenir le déploiement d’initiatives territoriales de transi (...)

50Avec ces Midis FORJE, nous avons partagé les résultats de notre recherche dans la perspective de susciter un engouement pour les dynamiques de dialogue de savoirs et d’enrichir le répertoire de pistes élaborées par l’équipe FORJE. Le bilan de ces rencontres est porté vers l’action en ce sens qu’il rattache les pistes ressorties du projet FORJE et des Midis FORJE aux objectifs et aux activités de la Planification stratégique du FCTÉ et du Plan de déploiement du projet Collectivités ZéN (Zéro émission Nette)5. Ce bilan a d’ailleurs été présenté et discuté lors d’une rencontre de la Table des Chantiers régionaux du projet Collectivités ZéN.

51Les Midis FORJE ont été la première activité de formation réciproque menée dans le cadre des activités du FCTÉ. Ces quatre rencontres ont mobilisé plus de 80 personnes de 42 organisations. Dans les sondages d’évaluation de ces rencontres, les participant·e·s ont généralement indiqué y avoir fait plusieurs apprentissages et avoir particulièrement apprécié les espaces d’échange en sous-groupe et la dynamique globale d’animation.

52Les Midis FORJE ont donc donné un aperçu de ce que pourrait être la Communauté de pratiques projetée dans le cadre du projet Collectivités ZéN. La Table des Chantiers régionaux et l’équipe de coordination du projet doivent maintenant décider du degré de priorité à donner à ce type d’espace, qui requiert énergie et engagement. Alors que le FCTÉ est habile et très engagé à construire des stratégies politiques et des projets d’action en mode collaboratif, on y observe tout de même une hiérarchisation des savoirs difficile à ébranler. De manière générale, les savoirs scientifiques et experts semblent d’ailleurs être les seuls savoirs considérés comme tel au sein de la coalition, malgré nos efforts à faire reconnaître d’autres formes de savoirs et à créer des espaces de formation réciproque basés sur un idéal de dialogue des savoirs. Une hypothèse que nous émettons à cet effet est que la perspective épistémologique linéaire qui prévalait initialement et qui continue de se maintenir au Front sert deux fonctions. Premièrement, dans une société qui continue de valoriser une vision bancaire de l’apprentissage (au sens de Freire), les conceptions positiviste et utilitariste de la science souvent privilégiées par le FCTÉ au détriment d’une épistémologie du lien (Piron, 2017) aident sans doute à convaincre les bailleurs de fonds et les acteurs sociaux du sérieux de la démarche. Deuxièmement, ce positionnement épistémologique semble jouer le rôle d’un socle rassurant pour des militant·e·s qui naviguent courageusement dans un monde réfractaire à leurs propositions de transformation profondes de différents secteurs économiques : agriculture, construction, transport, aménagement du territoire, etc.

En conclusion

53Le projet FORJE a ouvert un espace de réflexion approfondie sur les composantes d’une vision holistique et émancipatrice de la justice énergétique, en mettant l’accent sur les enjeux de dialogue des savoirs. Il reste néanmoins beaucoup de chemin à parcourir pour faire reconnaître la dimension épistémique de la justice énergétique, autant au sein de la mobilisation écocitoyenne que dans l’arène politique.

54Notre recherche a également mis en exergue et documenté, au sein du mouvement pour une justice énergétique au Québec, quatre besoins de formation réciproque qui rejoignent différentes facettes d’une éducation au politique. Dans notre dynamique partenariale de recherche-action, nous avons également élaboré des pistes d’intervention au regard de ces besoins et, plus globalement, infusé la pertinence de soutenir activement le dialogue des savoirs de manière transversale au sein du FCTÉ. Les obstacles à la création de tels espaces de partage et de coconstruction de savoirs sont toutefois importants et il nous apparait dorénavant plus réaliste et porteur d’envisager une posture intermédiaire entre formation et co-formation pour soutenir la transition énergétique porteuse de justice sociale que les militant·e·s veulent impulser sans tarder. Il nous semble en ce sens plus réaliste de déployer des approches et des stratégies de partage et de coconstruction de savoirs dans le contexte de formations thématiques prises en charge par des formateurs et formatrices que de miser sur le développement et l’animation partagée d’une communauté de pratiques. C’est d’ailleurs la perspective d’une formation axée vers le dialogue des savoirs et co-élaborée avec le milieu que nous envisageons dans la poursuite de nos travaux de recherche-développement sur l’apprentissage de la sollicitude dans l’engagement écocitoyen.

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Notes

1 Les partenaires du projet sont le Réseau québécois des groupes écologistes (RQGE), le Front commun pour la transition énergétique (FCTÉ), la coalition Eau Secours et le Comité pour les droits humains en Amérique latine (CDHAL).

2 Les prénoms employés dans le texte sont fictifs.

3 Sur la base de critères bien définis.

4 L’ensemble de ces pistes est présenté dans le rapport de recherche du projet FORJE : https://centrere.uqam.ca/projet-forje/#rapport

5 Le projet Collectivités ZéN vise à soutenir le déploiement d’initiatives territoriales de transition énergétique porteuse de justice sociale qui s’inspirent de la Feuille de route adoptée par le FCTÉ.

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References

Electronic reference

Laurence Brière, Guillaume Moreau, Maude Prud’homme, Isabel Orellana, Marie-Ève Marleau and Martine Chatelain, “Soutenir la justice épistémique par la formation réciproque au cœur d’initiatives citoyennes de transition énergétique porteuse de justice sociale”Éducation et socialisation [Online], 63 | 2022, Online since 10 April 2022, connection on 17 February 2025. URL: http://journals.openedition.org/edso/18638; DOI: https://doi.org/10.4000/edso.18638

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About the authors

Laurence Brière

Université du Québec à Montréal

Guillaume Moreau

Université du Québec à Montréal

Maude Prud’homme

Réseau Québécois des groupes écologistes

Isabel Orellana

Université du Québec à Montréal

Marie-Ève Marleau

Comité pour les droits humains en Amérique latine

Martine Chatelain

Eau secours

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