2L'appellation ne doit pas faire illusion car les censeurs, nommés auprès des proviseurs, et les directrices détenaient le pouvoir dans l'établissement mais en relation avec l'inspection d'académie, le rectorat et l'inspection générale. Jean-Paul Payet (1997) a qualifié ce travail de « sale boulot » mais il n'a pas fallu attendre son étude pour que s'impose ce que Georges Brassens a qualifié de « mauvaise réputation » et c'est tout l'intérêt de l'ouvrage de Christine Focquenoy Simonnet que d'opposer « figures littéraires et profils historiques » en étudiant les premières étendues au cinéma, au théâtre, au dessin de presse, et même à la chanson, dans une première partie qui contraste avec la seconde où sont interrogées les archives, reconstituées les biographies de 137 personnes et rapportées des entrevues avec 25 personnes dont 12 SG. Les SG sont-elles et sont-ils ces personnes perverses et quelque peu sadiques dont fourmille notre littérature ? Que signifie l'apparition des conseillères et conseillers d'éducation ainsi que l'émergence d'une nouvelle désignation autant pour un lieu que pour un service, la « vie scolaire » ? Comment et qui a déterminé une nouvelle vision de l'établissement scolaire et de son fonctionnement comme lieu d'éducation ? C'est à ce parcours que nous convie Christine Focquenoy Simonnet au fil des 515 pages d'un livre écrit par une historienne des idées reçues qui s'appuie sur un solide travail d'historienne des organisations pour les mettre en examen.

Du côté de la littérature et d'autres arts ayant figé l'image du « surgé »

3La première partie est consacrée aux stéréotypes et aux mythes qu'il n'est pas difficile de caractériser tant ils sont nombreux et tant leur « noyau central » (Abric, 1997) présente de résistance. De nombreuses citations portant sur des personnes, des institutions aussi médiatisées qu'Angela Merkel ou la « Troïka » qui a mis la Grèce en coupe réglée confortent l'image négative et répulsive du "surgé" » (p. 37) puisqu'on les affuble de cette appellation alors qu'elles œuvrent dans des domaines bien éloignés de l'enseignement secondaire. Le décor est planté mais d'où vient cet excès d'indignité ?

4Le chapitre I consacré à « l'exemple emblématique de la trilogie vallésienne » permet de poser la méthode et de comprendre comment Christine Focquenoy Simonnet procède dans son enquête : l'analyse des traces biographiques des auteurs (dans un sens large) a pour principal intérêt de révéler ce qui fonde leur représentation des métiers de la surveillance et plus particulièrement de la personne qui exerce cette profession au deuxième niveau. « Chez Vallès, les pions partagent tous la même misère morale et sociale » (p. 60). L'attaque est sociale, politique mais aussi familiale puisque son père est vilipendé pour sa participation à ce système reposant sur la violence des coups et l'enfermement au cachot. Mais le parcours de vie de Jules Vallès, sa participation à la Commune pourraient expliquer une injustice dans ses propos envers un système scolaire qu'il verrait comme une entreprise de répression et de conformation à une société qu'il rejette.

5Autre « écrivain du XIX^e siècle » (p. 83), Alphonse Daudet, auteur du Petit Chose, y raconte sous forme de fiction une déchéance familiale qui l'a conduit au pionnicat. Ce qui permet d'introduire dans le chapitre II, et de manière explicite, une opposition qui court dans tout l'ouvrage : « le monde de la nature et l'imaginaire, terrain de liberté et d'émancipation, s'oppose à l'univers scolaire castrateur » (p. 84). Même si le dernier adjectif questionne la démarche interprétative, c'est bien de l'enfermement entre des murs noirs et sales qu'il est question. Dès lors, il n'est pas étonnant que le maître des clés, M. Viot, soit aussi celui des lieux. Terrorisé par leur frinc, frinc, frinc qui annonce le « surgé » (p. 98), Daniel Eyssette se laisse aller à une expulsion d'élève de l'étude. Il n'avait pas compris l'inanité d'un règlement ne parlant que de devoirs du maître d'études sans qu'il y fût jamais signifié d'être prudent vis-à-vis de la noblesse locale. Ce qui fournit un autre thème récurrent : l'intervention des notables dans la bonne marche des établissements et donc ce que l'on peut appeler la surveillance des surveillants.

6Le chapitre III regroupe d'assez nombreuses références littéraires repérées dans les deux siècles que couvre l'ouvrage. C'est d'abord Honoré de Balzac qui décrit, avec son talent bien connu, les « punitions et châtiments » réservés aux élèves déviants dans Louis Lambert avec un régent qui distribue sans compter les pensums sous forme de lignes à copier et manie avec frénésie la férule pour mater le défi d'un simple regard. La condamnation à « huit jours de prison » est vécue comme une délivrance (p. 105) car l'enfermement est synonyme de coupure avec cet univers. Chez Marcel Pagnol, même si « le surveillant général apparaît comme un exécutant administratif » (p. 109), son humanité transparaît sous une obséquiosité contrainte par sa soumission au censeur et au proviseur. Paul Guth, Daniel Pennac et Albert Camus s'inscrivent dans la même lignée de « l'oppression scolaire » fonctionnant sous la forme d'une machine infernale. Le passage au titre de conseiller principal d'éducation n'y change rien dans le roman Le Chagrin de Lionel Duroy (2010) avec une « conduite au parloir par les oreilles » (p. 119). Au féminin, ce n'est pas la même histoire puisque Jeanne Ancelet-Hustache livre dans Lycéenne en 1905, recueil de souvenirs publié en 1980, un témoignage bien différent en parlant même de « gentillesse » (p. 121). C'est surtout l'inégalité de traitement avec le système au masculin qu'elle déplore citant notamment à plusieurs reprises « la privation du latin pénalisante pour les filles » (ibid.).

7Le chapitre IV clôt cette première partie en s'intéressant aux images cinématographiques et iconographiques du SG. Il commence par la difficulté de trouver dans la production contemporaine des figures bien différenciées de celle du surveillant. Dans Les Choristes (2004), un surveillant tente de faire fonctionner autrement une institution qui n'applique que le principe « action réaction » (leitmotiv des adultes). Il faut remonter aux années 1930 pour découvrir deux films qui rejoignent le cauchemar vécu par Jule Vallès et Alphonse Daudet : Zéro de conduite (1933) de Jean Vigo avec son personnage de Bec-de-Gaz dont le comportement entraîne une « révolte finale […] hymne anarchiste […] qui vise les acteurs scolaires (p. 140) et Les disparus de Saint-Agil (1938) de Christian-Jaque avec un Planet qui « hante le collège jour et nuit » (p. 142) mais « s'endort quand la complicité du directeur est révélée » (p. 143). Seul Marcel Pagnol fait vivre dans Merlusse (1935) un conte de Noël dans lequel le personnage éponyme fait peur aux élèves parce qu'il a peur d'eux mais il distribue à ceux qui ne peuvent rejoindre leur famille le jour de Noël friandises et jouets dans leurs souliers. Rare figure d'humanité dans un univers visuel qui rejoint celui de Daumier ou de Gustave Doré au XIX^e siècle ou encore de Goscinny et Cabu au XX^e dans lequel le SG est « figé dans la discipline et le maintien de l'ordre » (p. 168). Une chanson de Michel Sardou qui le traite de « vieux rat » (p. 171) complète la caricature en ajoutant la contention sexuelle à tous les actes de répression déjà dénoncés. Toutes les œuvres évoquées font du SG « un pantin ridicule en représentation dans la cour, mais aussi pendant les cérémonies » (p. 174). Qu'en est-il « au prisme de l'archive » ? Autrement dit, le travail rigoureux de l'historienne pourra-t-il réhabiliter le SG ?

Ce que révèlent les archives et les témoignages recueillis et analysés

8Loin des passions et des souvenirs traumatisants, la seconde partie a pour intention de quitter les histoires personnelles d'artistes pour s'intéresser à l'histoire de l'enseignement secondaire en France. Le chapitre V donne le ton et rappelle la naissance de l'Université napoléonienne qu'il ne faut surtout pas confondre avec l'École de la république. L'empire et l'empereur en personne ne sont pas intéressés par l'école communale héritée des écoles paroissiales. Elle sent trop le peuple et son histoire s'inscrit dans « une cohabitation biséculaire » (Lelièvre, 1994) entre le local et le central. Ce n'est pas elle qui va construire le système mais les 37 lycées voulus par Napoléon qui se retrouvent au nombre de 46 en 1842 avec 18697 élèves. L'internat est la référence et l'externat libre (dispense d'études) l'exception. Tout cela provoque une dichotomie entre les études, domaine des répétiteurs, et les cours, limités à deux heures quotidiennes données par les professeurs. On comprend dès lors le rôle majeur des SG (96 en 1887 pour 100 lycées et 1804 emplois de maîtres répétiteurs pour lesquels la licence est exigée en principe). C'est dans ces années-là que « la surveillance générale est chargée du maintien de l'ordre et de la discipline » (p. 198) mais il faut attendre 1904 pour que soit créé un corps féminin de surveillantes générales, même si des surveillantes générales exercent dès 1884 dans les lycées de jeunes filles car jusqu'alors elles ne pouvaient qu'accéder à la fonction sans être titularisées. Travaillant de 5 heures du matin à 22 heures, très peu de SG peuvent espérer une promotion comme proviseur (8% sur l'échantillon de 137 dossiers complets examinés), censeur (12%) ou professeur (14%).

9Christine Focquenoy Simonnet détaille les sources qu'elle utilise : les archives départementales et nationales qui permettent de constituer la cohorte étudiée. Une triangulation est effectuée à l'aide de 25 entretiens datés et renseignés. Plusieurs tableaux non numérotés (p. 222-223 ; p. 224-227 ; p. 229-233 ; p. 234-238 ; p. 238 ; p. 239 ; p. 240 ; p. 241) permettent de situer les élèves, les établissements et les personnes suivies. C'est un ensemble précieux dans la mesure où la suite du livre repose sur le choix d'approches biographiques. D'importantes différences apparaissent entre femmes et hommes, les seconds étant nombreux à décéder en service (11%, majoritairement en raison des guerres et maladies) alors que les premières sont à 0% pour ce taux. Elles sont plus nombreuses à terminer dans le cadre prestigieux et rémunérateur de Paris (30%) alors que leurs collègues masculins ne sont que 9% à l'intégrer.

10C'est justement le chapitre VI qui fait le point sur les déroulements de carrière. Placés sous l'autorité du chef d'établissement et sous le regard des notables pour leur recrutement, les SG vivent un véritable « parcours du combattant » (p. 245). Presque tous (91%) exercent d'abord comme répétiteurs, situation humble et mal rémunérée dont ils doivent s'extraire. Il leur faut, pour les lycées, une licence, même si beaucoup feront fonction de SG sans jamais être titularisés pour cette raison. L'appui de notables et de personnalités politiques se révèle précieux, même s'il n'est pas toujours déterminant, car le dévouement est un critère premier, gage de soumission au proviseur ou à la directrice. Les femmes doivent en plus, être « gracieuses » (p. 261). L'absence de concours de recrutement détermine un écart d'âge très important entre les hommes qui accèdent à la fonction : 18 ans pour le plus jeune et 57 ans pour le plus ancien après une longue carrière de maître répétiteur puis de répétiteur général. Ces fonctions de répétition ont d'ailleurs disparu au profit de celles de surveillant et d'adjoint d'enseignement (36 heures de service, chaque heure d'enseignement étant comptée pour deux). La nécessité d'obtenir la licence pour être nommé en lycée se heurte au fait que « la charge de travail des surveillants généraux [est] préjudiciable à la préparation de la licence » (p. 272). En fait, la nomination comme SG qui ne devrait être qu'une étape vers le professorat ou l'administration se transforme en condamnation à perpétuité tant elle laisse peu de loisirs pour les études ou la vie familiale (ainsi les femmes sont célibataires à 70%, mariées sans enfant pour 20% et seulement 10% sont mariées avec enfants). Rappelons que leur mobilité vers Paris est plus fréquente mais la taille de l'échantillon est plus indicative que représentative. Rappelons aussi le poids des notables qui obtiennent des déplacements ou des congédiements parfois pour de sombres raisons d'adultère ou de tenue déplorable, notamment dans le cadre de la fréquentation des estaminets. Enfin, les dossiers consultés présentent de fréquentes traces de plaintes sur les rémunérations qui ont longtemps dépendu des recettes de l'internat et de la demi-pension avec la compensation du logement et de la cantine mais au prix de journées de dix-sept heures déjà signalées plus haut. Le chapitre se termine sur une comparaison entre le SG modèle et le « médiocre » : ainsi Oscar Meunier a exercé la fonction pendant 40 ans au collège du Quesnoy avec une Légion d'honneur pour le distinguer alors que Louis Anfray « a plus l'air du concierge que du principal de collège » (p. 331) qu'il était pourtant devenu après une carrière de SG. L'historienne rappelle alors les biais ou « aléas » de l'évaluation en s'appuyant sur l'examen de dossiers présentant des contrastes saisissants qui ne peuvent s'expliquer que par l'examen du nom et de la fonction de la personne signataire.

11C'est au prisme du genre qu'est consacré le chapitre VII. Il commence par l'analyse historique de la victoire sur l'emprise cléricale que représente la mise en place d'un enseignement pour jeunes filles en 1880. Mais il ne s'agit pas pour autant de mettre sur un même pied les deux systèmes car, pour Camille Sée, dont la loi porte le nom, « la femme est née pour être épouse, elle est née pour être mère » (p. 341). En conséquence, le réseau reste réduit avec huit fois moins d'établissements pour les filles en 1887 que pour les garçons, toujours pas de latin ni de proviseur ou de censeur, seulement des directrices secondées tardivement par des surveillantes générales. Un point commun toutefois : « la claustration étouffe les élèves mais aussi les personnels » (p. 347). Et une typologie ternaire : la figure ancillaire toute dévouée à la « Maison » et à sa directrice (Mlle Grès par exemple), la figure de la religieuse d'un « dévouement intelligent et affectueux » (Mlle Blanchevoix, p. 352) et celle de la mère, notamment sous le régime de Vichy (Mlle Perrier). Malheur à celle qui n'adopte pas l'une des trois : « Mlle Chrétien est une agitée qui ne pense qu'à elle » (p. 359). Un autre point remarquable réside dans la création de « duos » composés de la directrice et de la surveillante générale qui peuvent dysfonctionner ou au contraire aller dans le sens d'une très ou trop grande entente. Certaines SG le comprennent et cultivent une forme de retrait qui leur permet de ne pas entrer dans des relations trop marquées par l'affectif. Enfin, il y a aussi les luttes pour faire reconnaître leurs droits notamment quand elles ont subi des préjudices comme des services assurés sans inscription dans leur carrière lors des deux guerres mondiales. Pourtant, ce sont bien certaines d'entre elles, comme Mlle Blanchevoix, qui ont anticipé, dans leur action et dans leur relation aux élèves, l'évolution vers une tâche éducative qui s'est traduite par la création de la vie scolaire. Sans doute faut-il y voir une opposition à tout le mortifère porté par les figures littéraires mais aussi par l'examen d'un certain nombre de dossiers centrés sur « le maintien de l'ordre et de la discipline ».

13Trois guerres ont marqué la période étudiée et les SG n'ont pas vécu hors de la société, même s'ils étaient enfermés entre les murs de leur établissement pendant l'année scolaire, voire avant et après par nécessité de service. Le chapitre VIII rappelle qu'ils ont payé un lourd tribut à la maladie (tuberculose par exemple), à la guerre (mort en service ou blessures graves) mais aussi à la rigidité d'une organisation administrative plusieurs fois bouleversée par les changements politiques : monarchie, république, empire puis république à nouveau, État français avec le régime de Vichy et enfin deux nouvelles républiques. Ce fut le sort de tous les fonctionnaires d'État dont la moralité a été tout aussi surveillée que les engagements politiques. C'est seulement avec la création d'un concours de recrutement qu'une protection minimale a pu leur être apportée, même si la notation et l'avancement de carrière sont laissés à la discrétion des inspections d'académie et des rectorats avec le concours de l'inspection. Enfin, le dernier paragraphe sonne comme une apologie de leur action dans la société avec « des surveillants généraux, expurgés de leur image de pleutre soumis, combattant courageusement au front ou luttant contre l'occupant en zone occupée » (p. 480). Faut-il y voir une réhabilitation de ce corps spécifique au système secondaire français ? Ou la conclusion qui s'impose dans le cadre d'une enquête historique rigoureuse ?

Une démarche historique d'une grande richesse et une approche bienvenue de la réalité d'un système complexe

14Peu de personnes ont autant marqué les « cancres », les « mauvais élèves » ou les « rebelles » que les surveillants ou les surveillants généraux. Les premiers étaient dans un statut intermédiaire qui leur permettait de financer leurs études ou de faire face à un revers familial mais les seconds ont été placés dans une situation impossible qui était liée à la prédominance de l'internat au milieu du XIX^e siècle. Leur recrutement et leur titularisation souffraient de nombreuses incertitudes issues de leur histoire personnelle mais aussi de la mise en place d'un système élitiste qui est devenu, à partir du décret Berthoin (1959), le modèle du fonctionnement de tout le système scolaire imposé par une prolongation de l'instruction obligatoire à 16 ans.

15Il leur a donc fallu constamment s'adapter d'abord pour être recruté d'abord, ensuite pour exercer leur métier sous le regard exigeant de leur hiérarchie et des notables locaux habitués à intervenir dans l'éducation de leurs enfants. Christine Focquenoy Simonnet a su mobiliser ses compétences d'historienne des idées pour interroger l'image négative des surveillants généraux dans la littérature et l'art en général mais aussi mener l'enquête en historienne des organisations et des institutions.

16Il est possible de préférer une présentation par vignettes à une succession de thèmes qui amènent à revenir fréquemment sur quelques figures emblématiques comme celles de Mlles Blanchevoix et Grés ou de M. Meunier. Mais il faut reconnaître les apports indéniables d'une somme qui est non seulement éclairante sur la profession étudiée mais contribue à la description de la longue et incertaine mise en place d'un système secondaire français aujourd'hui massifié. Enfin, le recours à une étude contrastée entre des figures plus ou moins déformées par les ressentiments et des profils historiques ne se fait pas au détriment de la qualité d'écriture. Bien au contraire. Et nous attendons la suite qui est annoncée dans le livre et qui pourra confirmer l'étendue du rôle des conseillers principaux d'éducation. Nous espérons qu'elle se penchera alors, entre autres sujets, sur la mise en œuvre d’une éducation à la citoyenneté (Chauvigné, 2010) qui intéresse notre revue depuis ses origines.

17Bibliographie complémentaire à celle du livre :