Contextualisation de l’étude et développement de la problématique

La gestion de l’hétérogénéité à l’école

1En Belgique francophone, les équipes éducatives sont invités à prendre en compte l’hétérogénéité des élèves qui leur sont confiés. Généralement, au concept d’hétérogénéité est associé celui d’ « apprentissage » matérialisé par les différences de niveaux « scolaires » pouvant s’observer au sein d’une même classe. Pourtant, il existe un autre lien à ce concept d’hétérogénéité, moins visible et moins fréquent. Il concerne les différences entre les enfants sur le plan de la santé, notamment le fait de présenter une maladie ou un problème de santé (grave). Dans le cadre de cette étude menée en Fédération Wallonie de Bruxelles, le cas particulier des enfants présentant un diabète de type 1 (DT1) est au cœur de la démarche d’investigation. Plus précisément, la présente étude vise à recueillir les savoirs expérientiels d’enseignants du primaire relatifs à l’accueil d’enfants présentant un DT1. Une attention spécifique sera accordée aux stratégies déployées par ces professionnels en vue de promouvoir l’inclusion scolaire. Ainsi, notre intention est de mettre en lumière des dynamiques inclusives mises en œuvre en contexte scolaire afin d’identifier des leviers, mais aussi des freins et de proposer des pistes de remédiation ainsi que des perspectives de recherches en faveur d’une culture plus inclusive.

Une hétérogénéité sur le plan de la santé, le cas du DT1

2Le diabète de type 1 est une maladie chronique qui se caractérise par un taux de glucose anormalement élevé dans le sang. Ce dysfonctionnement est dit auto-immun puisque l’organisme est à l’origine de la destruction progressive des cellules bêta des îlots de Langerhans responsables de la sécrétion d’insuline, hormone qui contribue à la diminution du glucose dans le sang. Dès que le diagnostic est posé, le traitement consiste en une insulinothérapie soit par injections pluriquotidiennes soit par pompe sous-cutanée. Les objectifs sont de rétablir un équilibre glycémique, de limiter toutes manifestations aigues de la non-stabilisation de la glycémie et de prévenir l’apparition de complications comme la neuropathie, la rétinopathie et la néphropathie. A ce traitement s’ajoutent une surveillance glycémique (Robert, 2015), un contrôle alimentaire ainsi qu’un suivi médical régulier (Polak et al., 2016).

3Avec des données épidémiologiques qui augmentent chaque année, le DT1 s’impose comme une préoccupation majeure en santé publique. En 2019, parmi les régions de la Fédération Internationale du Diabète, l’Europe compte le plus grand nombre de jeunes âgés de 0 à 19 ans vivant avec la maladie (296 500 cas) et présente l’un des taux d’incidence les plus élevés (31 100 nouveaux cas par an). Plus spécifiquement, en Belgique, Dorchy (2017) estimait que 13,1 nouveaux cas de diabète étaient recensés chaque année sur 100 000 enfants âgés de 0 à 14 ans.

Un cadre législatif pour promouvoir l’inclusion d’élèves présentant un DT1.

4Au cours des dernières années, le terme « inclusion » s’est progressivement imposé tant dans le langage public, politique que scientifique (Ebersold, 2009). Ce paradigme inclusif veille à une démocratisation non plus seulement quantitative, mais aussi qualitative de la réussite scolaire pour tous (Kheroufi-Andriot, 2019). Il importe dès lors de dépasser une approche résolument ségrégative et catégorielle des troubles (Janner-Raimondi et Bedoin, 2016 ; Rousseau et al., 2017 ; Tremblay, 2015) dans laquelle le jeune doit s’adapter au fonctionnement de l’école, pour privilégier une perspective de dénormalisation où les enfants peuvent « vivre pleinement leurs différences sans avoir à les modifier pour être acceptés en société » (AuCoin et Vienneau, 2010, p. 68). En d’autres termes, nous vivons actuellement la transition d’un modèle médical du handicap empreint de ségrégation vers un modèle environnemental et interactionnel où l’école doit, à son tour, s’adapter à la diversité des apprenants (Fougeyrollas, 2010 ; Geurts et al., 2020). En ce sens, la Belgique adopte différents textes soucieux de promouvoir des valeurs plus inclusives au sein du milieu scolaire.

5De fait, en 1992, la Convention relative aux droits de l’enfant est entrée en vigueur en Belgique. Au sein de l’article 3, le pays s’engage à assurer à l’enfant les soins nécessaires à son bien-être. En outre, est stipulée l’importance de promouvoir un accès à l’éducation pour tous en vue d’une intégration sociale aussi complète que possible. Quelques années plus tard, en 2008, la Belgique francophone adopte un décret relatif à la lutte contre certaines formes de discrimination. En son sein, il est énoncé que toute discrimination fondée, notamment, sur l’état de santé actuel ou futur est interdite. Aussi, le refus de mettre en place des aménagements raisonnables en faveur d'une personne présentant une maladie chronique est considéré comme une discrimination. Le pays ratifie ensuite, en 2009, la Convention relative aux Droits des personnes handicapées qui, dans l’article 24, prône la mise en œuvre d’un enseignement de qualité et inclusif. Pour ce faire, les états signataires s’engagent notamment à mettre en place des aménagements raisonnables en fonction des besoins respectifs ainsi que des mesures d’accompagnement individualisé dans le milieu scolaire. Huit années plus tard, le décret relatif à l'accueil, à l'accompagnement et au maintien dans l'enseignement ordinaire fondamental et secondaire des élèves présentant des besoins spécifiques clarifie la notion d’aménagements raisonnables et décrit une typologie d’aménagements : matériels, pédagogiques et organisationnels.

Une implication de tous les acteurs

7Pour que la gestion du diabète à l’école soit sous contrôle, il est donc nécessaire d’établir un travail d’équipe. Ce travail collégial permet de construire le PAI, soit le référentiel reprenant les besoins médicaux de l’enfant, mais aussi les difficultés et les ressources à considérer pour élaborer les objectifs, les moyens, les stratégies et les remédiations à mettre en œuvre (Circulaire n°4888 de la Fédération Wallonie-Bruxelles, 2014). Conformément à l’injonction de renforcer l’inclusion scolaire, l’objectif général vise donc à adapter au mieux les conditions de vie scolaire aux besoins médicaux du jeune. C’est pourquoi, il est indispensable que les professionnels responsables de l’élève disposent de suffisamment d’informations au sujet du DT1 et de sa prise en charge (Hauschild et al., 2016 ; Ligue des Droits de l’Enfant, 2010). Plus précisément, cet accompagnement, selon les acteurs concernés, porte sur la nutrition à proposer, la mise en œuvre du traitement, la potentielle adaptation des locaux, la réflexion quant à l’intervention auprès du groupe classe dans lequel évolue l’enfant diabétique ainsi que la reconnaissance des signes d’une hypo ou hyperglycémie en classe ou en dehors de celle-ci.

Des ressources insuffisantes et un constat de carence…

Pour une gestion pourtant cruciale …

10Or, le diabète engendre plusieurs difficultés dans les apprentissages. Tout d’abord, l’enfant peut être amené à gérer la présence parfois visible d’une pompe accrochée à sa taille ou la réalisation d’injections pluriquotidiennes. Il doit également composer avec les contrôles glycémiques réguliers. De plus, la manifestation d’une hypoglycémie joue sur la concentration, le comportement et sur les fonctions exécutives telles que l’attention, la mémorisation et la planification. Au-delà de la présence d’une grande fatigue, d’une polydipsie et d’une polyurie, l’hyperglycémie a, à son tour, un impact sur le rendement cognitif. Peuvent aussi s’ajouter d’autres difficultés générées par le milieu d’accueil scolaire. Pour exemples, les activités physiques improvisées, les heures de repas modifiées, un nombre manquant de collations ou l’absence de formation des enseignants peuvent être des obstacles à la sécurité des enfants DT1 (Lawrence et al., 2015).

11De plus, les émotions comme l’anxiété peuvent altérer la qualité de vie du jeune (Cunningham et Wodrich, 2006 ; Fried et al., 2018 ; Sandrin-Bui, 2008). Ce ressenti peut se trouver renforcer par le fait que ces personnes apparaissent davantage victimes de stigmatisations, voire d’intimidations à cause, notamment, des circonstances et symptômes de la maladie préalablement exposés (port d’une pompe, difficultés de concentration, glycémies capillaires) (Sentenac et al., 2012, cités par Runions et al., 2019). En effet, il a été observé que les enfants souffrant de maladie chronique peuvent se sentir différents et avoir l’impression d’être traités comme tel. Pour lutter contre ces dérives, il est dès lors souhaitable de sensibiliser la classe en apportant des informations générales sur le diabète, sans pour autant nommer le jeune concerné. Cependant, si ce dernier n’y voit pas d’inconvénients et s’en sent capable, il peut également parler lui-même de sa maladie (De Cassia Sparapani et al., 2017). 

Méthodologie

Objet de recherche

12A la carence de ressources à disposition des intervenants dans le cadre scolaire, dans le monde francophone, s’additionne un très faible intérêt de la part du monde de la recherche pour traiter la question de l’accompagnement des jeunes DT1 dans l’enseignement ordinaire. Dès lors, l’objectif de cette étude est de recueillir les vécus expérientiels de dynamiques inclusives rapportées par des enseignants ayant accompagné des élèves présentant ce type de maladie chronique.

Participants

13Notre échantillon occasionnel se compose d’enseignants exerçant au sein du premier degré, soit dans l’enseignement primaire. Une invitation à prendre part à la recherche a été relayée via les réseaux sociaux et, plus particulièrement, via des groupes réunissant des enseignants exerçant leur profession en Fédération Wallonie-Bruxelles (Tableau 1).

14Plus précisément, 20 enseignantes ayant entre 3 et 34 ans d’ancienneté dans la profession ont intégré le protocole de recherche. 11 étaient dans la situation d’accueillir actuellement un élève diabétique dans leur classe. Les 9 autres, quant à elles, avaient accueilli un élève DT1 au cours des dix dernières années. Le choix d’un critère d’inclusion inhérent à la rencontre d’un élève au cours des dix dernières années se justifie par la volonté d’inscrire la récolte d’expériences dans un contexte marqué par la réflexion et la mise en œuvre effective de la convention relative aux droits des personnes handicapées et de la Circulaire ministérielle n°4888. 16 enseignantes n’ont rencontré qu’un seul enfant diabétique au cours de leur carrière, 3 en ont rencontré deux et une dernière participante en a rencontré trois. Les 4 enseignantes ayant été confrontées à plusieurs reprises à la thématique ont été invitées à n’aborder que leur dernière expérience dans la mesure où les autres dataient de plus de dix ans ou ne renvoyaient pas à une expérience directe et quotidienne de la gestion du trouble.

Enseignant	Nombre d'années d'ancienneté	Nombre d'enfants DT1 rencontrés	Année scolaire de l'enfant DT1	Accueil de l'enfant DT1 au moment de l'interview
E1	Moins de 5 ans	1	2ème primaire (équivalent au CE1 en France)	Oui
E2	De 26 à 30 ans	3	2ème primaire (équivalent au CE1 en France)	Non
E3	De 21 à 25 ans	1	6ème primaire (équivalent à la 6ème collège en France)	Oui
E4	De 11 à 15 ans	1	3ème primaire (équivalent au CE2 en France)	Oui
E5	De 11 à 15 ans	2	6ème primaire (équivalent à la 6ème collège en France)	Oui
E6	De 16 à 20 ans	1	6ème primaire (équivalent à la 6ème collège en France)	Oui
E7	De 11 à 15 ans	1	6ème primaire (équivalent à la 6ème collège en France)	Non
E8	Plus de 30 ans	1	1ère primaire (équivalent au CP en France)	Non
E9	De 5 à 10 ans	1	4ème primaire (équivalent au CM1 en France)	Oui
E10	De 21 à 25 ans	1	6ème primaire (équivalent à la 6ème collège en France)	Oui
E11	De 11 à 15 ans	2	5ème primaire (équivalent au CM2 au France)	Oui
E12	De 16 à 20 ans	1	4ème primaire (équivalent au CM1 en France)	Non
E13	De 11 à 15 ans	1	1ère primaire (équivalent au CP en France)	Non
E14	De 5 à 10 ans	1	4ème primaire (équivalent au CM1 en France)	Oui
E15	De 21 à 25 ans	1	3ème primaire (équivalent au CE2 en France)	Oui
E16	Plus de 30 ans	1	6ème primaire (équivalent à la 6ème collège en France)	Non
E17	De 11 à 15 ans	1	4ème primaire (équivalent au CM1 en France)	Non
E18	Plus de 30 ans	1	6ème primaire (équivalent à la 6ème collège en France)	Non
E19	De 26 à 30 ans	1	5ème primaire (équivalent au CM2 en France)	Non
E20	Moins de 5 ans	2	2ème primaire (équivalent au CE1) en France	Oui

Tableau 1 : Description de l'échantillon

Recueil et traitement des données

15Les données ont été recueillies à l’aide d’un entretien semi-directif. Cet outil contribue à l’exploration et au développement des connaissances ainsi qu’à la compréhension plus fine et critique d’un phénomène. Les entretiens ont été construits sur base des thématiques décrites dans le tableau II. L’analyse des retranscriptions a été réalisée en recourant à l’analyse de contenu thématique (Derobertmasure et Robertson, 2013). Pour ce faire, la grille de codage des réponses a été élaborée de manière déductive sur la base des dimensions cernées par chacun des guides d’entretien et a été encodée au sein du logiciel NVivo®. L’unité de codage retenue a été l’unité de sens.

16Dans le cadre de cette recherche, la durée approximative d’un entretien variait entre 15 à 45 minutes. Les conditions environnementales liées à la tenue des échanges ayant été similaires, une hypothèse inhérente à cette disparité relèverait de la sensibilisation personnelle du participant à la thématique. A titre d’exemple, l’enseignante témoignant de l’entretien le plus long est elle-même atteinte du DT1.

Tableau 2 : Thèmes abordés lors des entretiens semi-directifs

Résultats

Comment l’annonce est-elle réalisée dans l’école ?

17L’annonce étant fréquemment réalisée lorsque l’enfant est en maternelle, peu d’enseignants du primaire connaissent cette révélation en tant que titulaire. Dans notre échantillon, seuls deux participantes ont été directement confrontées à cette annonce, en première primaire pour l’une, en sixième primaire pour l’autre. De plus, huit rapportent qu’un(e) infirmier/ère est intervenu(e) car : « les autres enfants se posaient beaucoup de questions ». L’explication incluait un moment où « ils pouvaient tester de piquer leur doigt pour se rendre compte de ce que c’était ». Neuf participantes rapportent avoir expliqué ou donné un complément d’informations aux élèves concernant le diabète. Une autre enseignante, en deuxième primaire, a passé une vidéo explicative adaptée à l’âge des enfants. Seuls quatre jeunes diabétiques ont souhaité expliquer eux-mêmes leur maladie : deux d’entre eux étaient en 6^ème primaire, un en 5^ème primaire et un en 3^ème primaire. Dans un cas seulement, des parents sont venus compléter les informations données par une infirmière.

Quelle connaissance du diabète et de sa gestion ? Quelles sources d’informations ?

18Les informations que les enseignantes détiennent portent sur la gestion de la maladie en elle-même, à défaut d’aménagements à implémenter. En ce sens, trois-quarts des enseignantes interrogées déclarent avoir été formées par l’infirmier(ère) qui s’occupe de l’enfant . Trois autres enseignantes ont été sensibilisées par les parents tandis que deux dernières affirment n’avoir reçu aucune formation, l’une des deux étant elle-même diabétique. Ces deux dernières se sont donc contentées d’informations générales données par les parents, un collègue ou présentes dans le dossier de l’enfant. Il est également à noter qu’aucune participante n’a reçu de formation sur la thématique pendant sa formation initiale.

19L’analyse du corpus rapporte ensuite une disparité au sujet des formations dispensées en cours de carrière. Pour huit enseignantes, le contenu inhérent à la gestion du DT1 était imposé par la direction ou demandé par d’autres membres de l’équipe éducative. Selon les douze autres, cette perspective facultative était juste proposée par la direction, les parents ou l’infirmier(ère). Enfin, pour la majorité des participantes, les enseignantes qui ont suivi une formation sur le diabète souhaitent en suivre une seconde afin d’être davantage préparés si le cas devait à nouveau se présenter. Ces mêmes enseignantes sont également demandeuses d’intégrer cette thématique et, plus largement, celle des maladies chroniques au sein des contenus de formation initiale : « Cela devrait être obligatoire ». Elles trouveraient « intéressant d’apprendre les bases pour chaque maladie » et en seraient « rassurés […] puisqu’on vise à intégrer de plus en plus d’enfants » même si, « à long terme, il y a un risque d’oubli ». Parmi les enseignantes qui ne partageaient pas cet avis, deux jugent qu’« une formation n’est nécessaire que si le cas se présente dans l’école ». La dernière enseignante dit préférer « déranger les parents en cas de doutes plutôt que de se baser sur des informations vues auparavant et donc partiellement oubliées ».

Quelle gestion au sein de l’école et de la classe ?

20Comme abordé précédemment, la notion d’aménagements, bien qu’inscrite dans le cadre légal, n’était pas spontanément mentionnée dans le discours. Les verbatims collectés tiennent donc davantage de réactions suscitées à la suite de précision et de présentation par l’interviewer de différentes potentielles adaptations. La moitié des enseignantes déclare mettre en place entre quatre et cinq aménagements en faveur de l’enfant diabétique. Un maximum de huit aménagements a été cité. Parmi ceux d’ordre matériel et organisationnel est davantage mentionné le fait d’avoir dans sa classe des collations, des boissons sucrées et/ou du DextroEnergy ainsi qu’un coin repos. Est également proposée la mise en œuvre d’horaires décalés et la permission accordée à se rendre plus fréquemment aux toilettes. Concernant les aménagements pédagogiques, ceux avec la plus grande occurrence relèvent de la réduction et/ou de la dispense d’exercices ou de devoirs lorsque l’enfant est trop fatigué du fait d’une hypoglycémie. Notons que la majorité des aménagements sont réservés à l’enfant DT1. Les autres, à l’instar de préparer des devoirs ne réclamant qu’une demi-heure de temps de travail, sont pensées pour l’ensemble de la classe. De fait, en accord avec la philosophie d’une conception plus universelle des apprentissages et le principe du respect de l’hétérogénéité qui la sous-tend, les enseignantes mentionnent la volonté de considérer l’enfant DT1 en tant qu’élève comme les autres « puisque chaque enfant est différent ».

21Concernant la détection des signes hypo ou hyperglycémiques, 17 enseignantes montrent qu’elles détiennent certaines connaissances (Tableau 3). Elles se considèrent dès lors capables, en tout ou en partie, d’agir de manière préventive. De fait, dès que les enseignantes ont détecté un ou plusieurs comportements, elles mesurent la glycémie de l’enfant et le laissent prendre du sucre ou se dépenser selon le résultat. Par conséquent, ces stratégies permettent d’éviter de devoir faire une injection d’urgence. Plus spécifiquement, 11 enseignantes ont pu citer des signes ou comportements indicateurs d’une hypoglycémie et d’une hyperglycémie. Six autres ont uniquement cité des signes relatifs à une hypoglycémie tandis que les trois dernières n’ont témoigné d’aucune connaissance à ce sujet. Parmi celles-ci, une participante précise qu’elle « ne cherchait pas à détecter un quelconque signe ou comportement chez l’enfant puisqu’elle se basait sur le résultat du capteur de la pompe à insuline » qu’elle utilisait pour contrôler presque constamment la glycémie.

Tableau 3 : Signes observés par les enseignants lorsque l'enfant fait face à une hypo et une hyperglycémie

22En ce qui concerne le traitement, soit l’enfant est indépendant, soit l’enseignante est responsable de l’administration. Malgré l’indépendance ou la tendance à l’être de certains jeunes, les enseignantes assistent à la réalisation du traitement ou le font partiellement, par exemple en effectuant les contrôles glycémiques. A ce propos, le sentiment le plus fréquemment rapporté est le stress, notamment par rapport au fait de « mal faire, de se tromper dans les doses ». Trois enseignantes ne sont « pas à l’aise avec le fait de devoir réaliser les injections d’insuline et donc de devoir piquer l’enfant ». Aussi, les 20 participantes livrent n’avoir jamais bénéficié de la mise à disposition d’un lieu salubre prévu à cet effet. Dans 12 cas, le traitement se réalisait en classe (dans neuf cas, devant les autres élèves). Il arrive également que ce dernier soit mené dans un couloir ou dans des toilettes.

23Enfin, la gestion de la maladie chronique s’ajoute inéluctablement à celle de classe. Cette charge multipliée n’est pas sans conséquence sur le vécu de l’enseignante. En ce sens, la moitié des sujets mentionnent la présence de stress, voire d’angoisse. De fait, ils sont « paniqués mais conscients qu’il s’agit d’une responsabilité importante et d’une gestion supplémentaire à celle de la gestion de leur classe ». Une enseignante a également confié « ne pas se sentir à la hauteur face à la fréquence du suivi quotidien ». D’autres avouent « se focaliser constamment sur l’enfant par crainte qu’il fasse une hypo- ou hyperglycémie ». Néanmoins, ces ressentis négatifs laissent vite place à des émotions plus positives lorsque des formations spécifiques sont dispensées, lorsque le jeune est davantage indépendant à l’égard de son traitement ou que ce dernier s’avère moins contraignant. Du point de vue de la classe, la réaction des élèves face à la présence d’un enfant diabétique semble, de manière heureuse, être majoritairement positive. En effet, selon les enseignantes, aucune stigmatisation n’est à déplorer. Au contraire, 15 enseignantes relèvent de la bienveillance à l’égard du jeune à besoin spécifique qui « est souvent accompagné d’un, deux ou trois élèves pour aller aux toilettes ». Les enfants, à long terme, « finissent par comprendre que l’élève diabétique a besoin de plus d’attention ». Ils vont même jusqu’à « surveiller ses comportements indicateurs en classe et dans la cour de récréation ». A ce titre, rappelons que l’ensemble des élèves a été préalablement informé de ce qu’est la maladie diabétique. En outre, l’annonce du DT1 étant fréquemment réalisée lors de l’enseignement maternel, le groupe classe tend, depuis les débuts de la scolarité, à être sensibilisé aux caractéristiques du trouble.

Synthèse et discussion

24Si de nombreuses politiques affirment la volonté de promouvoir l’inclusion scolaire (Ebersold, 2009), force est de constater que l’opérationnalisation de cet objectif s’avère complexe, voire anxiogène pour les intervenants scolaires (Bergeron, 2011 ; Rao et al., 2016). En effet, au regard des lignes de conduite énoncées par l’ISPAD (International Society for Pediatric and Adolescent Diabetes), l’ensemble des enseignantes rencontrés semble mettre en place le niveau minimal absolu de prise en charge du DT1 à l’école. En revanche, des inégalités tendent à se creuser au niveau de la mise à disposition de formations, ce qui contribue à engendrer un manque généralisé de connaissance du cadre légal ainsi que l’expérience, chez certains, d’une détresse psychologique.

De l’absence de connaissance sur le diabète

25Un premier constat de cette étude concerne l’absence quasi-totale d’une connaissance par les enseignants du cadre administrivo-juridique inhérent à l’accompagnement de l’enfant diabétique, voire de l’enfant malade chronique, à l’école. L’étude de Devos (2020), de manière plus alarmante encore, confirme cette absence de connaissance du point de vue des directions. Si cette tendance peut s’expliquer par la très grande rareté de documents statuant spécifiquement sur ce type de sujets, le constat reste inquiétant dans la mesure où un nombre croissant de décrets se positionnent explicitement en faveur de l’inclusion scolaire des élèves à besoins spécifiques en Belgique francophone et impose la mise en œuvre d’aménagements raisonnables. Aussi, depuis plusieurs années, la communauté française du pays a pour volonté de réformer la formation initiale des enseignants, notamment en accordant une place plus importante à l’orthopédagogie dans les curricula.

26Actuellement, la méconnaissance constatée s’étend à l’ensemble des dimensions pédagogiques et relatives à la vie de classe, observations déjà relayées auprès d’autres publics enseignants (Kise et al., 2017 ; Schwartz et al., 2010). Aussi, dans notre étude, les informations sur lesquelles se basent les acteurs sont principalement communiquées par les parents et/ou l’infirmier(ère) de l’enfant. Ce constat de carence est d’autant plus à relever que l’un des documents cadres invite, mais sans prescrire, à « organiser une formation ou une sensibilisation à l’accueil des élèves souffrant de problèmes de santé et aux gestes de premiers secours » (Circulaire n°4888 de la Fédération Wallonie-Bruxelles, 2014, p. 5).

De l’inadéquation des cadres légaux en matière d’adaptations

27Idéalement, l’un des outils à mobiliser au sein des écoles concerne les aménagements raisonnables. Or, l’analyse des déclarations des enseignants concernant les adaptations mises en place indique la potentielle incompatibilité existante entre ces démarches enseignantes et les cas de figure anticipés par le législateur qui stipule que ces aménagements doivent être « limités dans leur fréquence et leur durée » (Circulaire n°6831 de la Fédération Wallonie-Bruxelles). Or, vu la dépendance qu’un enfant diabétique entretient vis-à-vis de ces aménagements, il est impossible de les limiter dans le temps (apport de sucre, coin repos mis à disposition temps de travail réduit ou allongé…). Cette analyse montre ici l’évolution juridique nécessaire pour permettre une mise en adéquation de la pratique des enseignants aux prescrits légaux, considérant que l’accueil d’un enfant présentant une maladie chronique nécessite des changements pérennes au sein de l’établissement scolaire.

De l’intérêt de l’hétérogénéité

28Comme souvent démontré dans la littérature (Geurts et al., 2020), des aménagements profitables à certains groupes d’élèves le sont souvent pour la majeure partie de la classe. Aussi, l’aménagement doit être introduit lorsque les mesures pensées pour tous ne s’avèrent pas efficaces. C’est également ce que nous rapportent les enseignants interrogés à l’égard de certains aménagements à l’instar d’une durée de devoirs fixée à une demi-heure maximum et la sensibilisation à une consommation alimentaire plus saine. A ce sujet, Cargo et al., (2006) et Baranowski et al. (2003) ont montré qu’à l’occasion de la réflexion autour du diabète, il était tout à fait possible de parvenir à modifier les habitudes alimentaires de tous les élèves en augmentant leur consommation de fruits et de légumes. En outre, le plébiscite de l’hétérogénéité permet également de développer davantage d’empathie et ce d’autant plus lorsque des informations sur la maladie sont données (Janin et al., 2018).

De la gestion du risque à la gestion du stress

29Même s’il est dans le cas d’une situation « normale » de gestion du diabète, l’enseignant n’a pas le droit de poser un geste médical tel que l’injection d’insuline ou de glucagon (De Cassia Sparapani et al., 2017 ; Hauschild et al., 2016 ; Schwartz et al., 2010). Toutefois, la question de la responsabilité et d’une certaine culpabilité dans le cas de non-assistance à personne en danger n’est pas à exclure du champ scolaire. En effet, selon l’article 422 bis du Code pénal belge, au sein d’un établissement scolaire, toute personne ayant connaissance de l’état de santé de l’enfant diabétique et du comportement à adopter peut être poursuivie pour non-assistance à personne en danger dans le cas où celle-ci décide volontairement de ne pas intervenir alors que le jeune se trouve dans un péril grave et qu’une intervention ne présente aucun danger pour lui ou autrui. Lors d’une crise d’hypoglycémie, si toutes ces conditions sont réunies, l’enseignant peut donc être poursuivi s’il refuse d’exécuter l’acte médical adéquat. En ce sens, même si 10 enseignants déclarent vivre sereinement la situation, l’autre moitié de l’échantillon confie ressentir un stress. Dans le même ordre idée, la nécessité pour des enseignants de pouvoir détecter une situation d’hypoglycémie ou d’hyperglycémie modifie la manière dont son attention est distribuée au sein de la classe. En effet, outre la question de la responsabilité juridique en cas de complication, des enseignants mesurent et ressentent le poids de la responsabilité sanitaire qui pèse sur leur dos. Des gestes a priori anodins tels que s’assurer de disposer de sucre dans sa classe ou bien d’en emporter dans le cadre de sortie scolaire revêtent, pour ces professionnels et les élèves qui leur sont confiés, une nécessité presque vitale.

Conclusion

30Au sortir de l’analyse des résultats, notre recherche permet d’illustrer la manière selon laquelle des écoles et des enseignants s’organisent dans le cadre de l’accueil d’un enfant DT1. A ce titre, il importe de préciser que la finalité de l’approche résulte dans la transférabilité des résultats et savoirs expérientiels à défaut de leur généralisation à l’échelle d’une population spécifique (Mukamurera et al., 2006). Au sein de notre recherche, les enseignants démontrent qu’ils mettent en place des aménagements, dans la mesure du possible, en fonction des moyens et des connaissances dont ils disposent, aussi maigres soient-elles parfois. La notion de responsabilité colore la majeure partie des propos des répondants et la moitié d’entre eux confie la difficulté émotionnelle liée au poids de cette responsabilité et de l’attention que requiert la gestion de la situation. Dans ce contexte exploratoire, l’identification de ces freins majeurs permet l’énonciation de pistes de réflexion et de solution susceptibles d’améliorer les stratégies déployées en vue d’une scolarité plus inclusive.

De la formation initiale ou continuée

31En 2012, selon l’Agence Européenne pour le Développement de l’Éducation des Personnes ayant des Besoins Particuliers (AEDEPBP), l’une des étapes essentielles des politiques inclusives dans les pays de l’Union Européenne est la formation des enseignants à l’accueil et à la scolarisation de la diversité des élèves. Covelli et de Anna (2020, p.186) actualisent ces propos en affirmant que « la formation des enseignants et du personnel scolaire à l’éducation inclusive reste une question centrale, tant dans les évaluations collectées que dans la littérature scientifique de référence ». A ce sujet, nous pouvons dresser le même constat que ces auteurs. Les enseignants interrogés expriment un sentiment négatif autour des parcours de formation continue destinés au personnel scolaire en soulignant le manque de formations et de contenus d’enseignement liés à la gestion d’élèves présentant des troubles graves de la santé ainsi que son caractère non-obligatoire voire individualiste en fonction des pratiques institutionnelles. Néanmoins, selon Rousseau et al. (2019), il incombe aux chefs d’établissements de rendre disponible des formations sur l’inclusion scolaire et de les insérer dans un processus de formation permanente de sorte à mieux appréhender la panoplie de situations que l’on peut rencontrer en contexte inclusif. De manière sans doute plus adaptée à la situation vécue, d’autres enseignants plaident davantage pour une formation inscrite dans le champ de la formation continue et qui ne serait nécessaire que si le cas se présente dans l’école. Ponctuellement ou dans la formation de base, cet apport serait primordial car, comme le souligne Hayes-Bohn et al. (2004), les enseignants qui ont des connaissances sur le diabète peuvent avoir un effet positif sur les élèves en créant un environnement dans lequel les enfants se sentent acceptés et en les aidant à rattraper leur retard dû à leurs éventuelles absences.

32En adéquation avec des besoins identifiés par notre panel, Puig (2015) a mis en évidence deux priorités à implémenter, à savoir , d’une part, la formation de tous les acteurs qui ont un rôle à jouer dans le parcours scolaire des élèves (et ce compris l’ensemble du personnel d’encadrement et d’inspection, des équipes de vie scolaire et les membres des équipes de santé) et d’autre part, la nécessité de faire travailler ensemble différents acteurs issus de mondes professionnels distincts, insistant sur le fait que l’école, seule, ne peut pas garantir la réussite des parcours de ces élèves. Notons, à ce titre, l’interpénétration dans la présente problématique du secteur scolaire et du secteur (para)médical.

De la nécessité d’une gestion collective

33Dans la poursuite du raisonnement, selon Kise et al. (2017, p. 365), « bien que l’aide des enseignants soit inestimable, il n'est pas raisonnable de s'attendre à ce qu’ils connaissent les signes, les symptômes et les traitements nécessaires pour tous les problèmes de santé auxquels ils seront confrontés ». Dès lors, le rôle du chef d’établissement, dans sa mission de communication avec les enseignants et les partenaires extérieurs, est cruciale et doit permettre, pour l’école, de disposer d’un apport pluridisciplinaire renforçant l’accompagnement de l’enfant. A ce sujet, plusieurs auteurs dont Martinez et Terraz, (2016) et Thomazet et Merini (2014) tendent vers une position commune : la clé de la réussite de l’école inclusive serait la collaboration entre les membres du personnel éducatif, les professionnels du médico-social et les familles. Covelli et de Anna (2020, p. 177) ajoutent que « dans cette perspective, une école inclusive et de qualité procède d’un cheminement co-évolutif de tous les acteurs en vue d’une meilleure performance du système scolaire dans son ensemble ».

34Notre recherche a également pu mettre en évidence que de nombreux enseignants interrogés mettent en place des aménagements au sein de leurs classes et font preuve d’initiatives pédagogiques. Néanmoins, ces initiatives et ces aménagements restent la plupart du temps « confidentiels ». Barry (2013) insiste sur l’importance de passer d’une invention pédagogique (dimension personnelle) à une innovation pédagogique (dimension collective). Il parle alors de socialisation de l’expérience professionnelle. Cette dynamique contribuerait à pallier le sentiment de solitude exprimé par certains enseignants, notamment face aux défis posés par l’inclusion scolaire. Enfin, cette gestion collective favoriserait l’harmonisation des pratiques pédagogiques et organisationnelles mises en place dans l’accueil et la scolarisation d’enfants diabétiques au niveau micro et macro.

Perspectives de recherche

35La présente étude a été menée auprès d’un échantillon occasionnel restreint. Un tel choix méthodologique ne peut garantir la représentativité des résultats énoncés. Aussi, une perspective de recherche renvoie au développement d’une étude adoptant une approche quantitative déployée auprès d’un échantillon plus conséquent. Aussi, les participants interrogés relèvent uniquement de l’enseignement primaire. Il paraît opportun de répliquer la démarche auprès d’homologues relevant d’autres cycles d’enseignement à l’instar de l’enseignement maternel ou secondaires.

36En outre, s’agissant de l’enseignant, deux préoccupations scientifiques émergent. L’une concerne ses pratiques pédagogiques en classe. En effet, du fait de sa centration sur l’élève et de la nécessité d’identifier chez lui certains signes annonciateurs, il n’est pas à exclure que cet intervenant, de manière plus ou moins consciente, mette en œuvre un enseignement différenciée au sein de sa classe. De même, on pourrait imaginer que suite à l’identification d’une phase de fatigue de l’élève à besoins spécifiques, les gestes professionnels visant à gérer la participation concerne l’élève diabétique moins que les autres. Cette focalisation sur la pratique pourrait également se poursuivre dans le temps, une fois que l’enfant diabétique quitte la classe : des aménagements jugés bénéfiques pour tous les élèves, lesquels sont conservés par l’enseignant ? L’autre focalisation qui pourrait être entreprise au sujet de l’enseignant accueillant un enfant diabétique ou tout enfant présentant un trouble grave de la santé pourrait concerner la double dimension de bien-être/détresse professionnel. En effet, eu égard aux déclarations des enseignants interrogés, dans un contexte plus large d’un système éducatif qui constate un arrêt massif de la profession, cette préoccupation scientifique, parce qu’elle pourrait guider les politiques de prévention, aurait tout son sens.