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Dossier
Les relations éducatives enseignant·e - élève

Évaluer la qualité des relations éducatives pour favoriser le bien-être : une utilisation possible du Classroom Assessment Scoring System (CLASS) ?

Assessing the quality of educational relationships to promote well-being: a possible use of the Classroom Assessment Scoring System (CLASS)?
Marlène Martin et Pascale Haag

Résumés

La qualité des relations est reconnue comme un déterminant essentiel du bien-être des élèves à l’école. Pour tenter de l’appréhender, différentes méthodes ont été proposées, dont le Classroom Assessment Scoring System (CLASS), outil d’observation et d’évaluation de la qualité des interactions en contexte éducatif. Élaboré par l’équipe de Pianta, La Paro et Hamre et aux États-Unis depuis 2008 et largement utilisé dans le monde, il est encore peu connu en France. Le présent article décrit cet outil en se centrant sur les dimensions concernant la qualité des relations entre élèves et enseignant-e-s. Il présente ensuite une revue de la littérature internationale explorant son usage pour évaluer les relations et à des fins de formation. En tenant compte des critiques dont il fait l’objet, sont finalement discutées la pertinence et la possibilité de son utilisation pour évaluer et former à la qualité de la relation éducative, dans le contexte français.

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Texte intégral

Introduction

1Le bien-être des élèves mais aussi des enseignant-e-s devient un enjeu important dans le contexte scolaire contemporain (Graham et al., 2016) ; il est lié à un meilleur climat scolaire (Elfrink et al., 2017 ; Kutsyuruba et al., 2015), à de meilleurs apprentissages (O’Malley et al., 2015 ; Sarrazin et al., 2006), à un meilleur devenir des élèves (Rüppel et al., 2015), à une meilleure qualité de vie au travail pour les enseignants (Dreer, 2021).

2Comme nous le montrerons dans notre première partie, l’existence de relations positives constitue l’un des déterminants majeurs du bien-être à l’école. Dans le cadre de nos recherches sur le bien-être (Haag, 2017) et de notre pratique de formation des enseignant-e-s, nous nous sommes posé la question de la possibilité de mesurer la qualité des relations, et, le cas échéant, des outils disponibles pour ce faire.

3En effet, si les formations et programmes visant un meilleur accompagnement des élèves sont nombreux, ils souffrent d’un impact limité et nécessitent une évaluation de leur efficacité avant de pouvoir être généralisés (Greenberg et al., 2003). C’est pourquoi, nous focalisant sur la qualité des relations, nous souhaitons l’évaluer en amont de la dispensation de formations dédiées à la renforcer, pour être en mesure d’estimer ultérieurement leur effet éventuel.

4Aucun consensus n’existe à ce jour quant aux façons d’évaluer la qualité des relations, mais de nombreuses propositions ont été faites. C’est à ce titre que nous nous sommes intéressées au Classroom Assessment Scoring System (CLASS), un outil holistique d’évaluation de la qualité des interactions en contextes éducatifs, conçu par une équipe américaine (Pianta et al., 2008).

5Cet outil étant peu connu et rarement utilisé en France, notre deuxième partie sera consacrée à sa présentation partielle, au regard de ses possibilités par rapport aux dimensions relationnelles.

6Dans une troisième partie, afin d’interroger l’adéquation de l’outil CLASS aux objectifs de nos recherches en préparation, nous proposerons une revue de la littérature consacrée à son usage pour l’évaluation des dimensions relationnelles et en tant qu’appui dans le cadre de formations destinées aux enseignant-e-s.

7Enfin, dans une dernière partie, nous discuterons des critiques faites à l’outil, en ce qu’elles nous imposent des précautions méthodologiques, et des possibilités d’utiliser néanmoins CLASS en contexte français pour nos recherches à venir.

Cadre conceptuel et choix méthodologique

8Bien-être, bonheur, relations positives… Les concepts psychologiques dans le champ scolaire font l’objet de débats entre les autrices et auteurs quant à leurs définitions, qui restent très discutées (Durpaire et Mabilon-Bonfils, 2014). C’est également le cas de la place de l’affectivité, dont la légitimité et les limites en contexte scolaire posent toujours question (Espinosa, 2003 ; Virat, 2019), et qui sont appréhendées différemment selon les inscriptions épistémologiques et théoriques des auteurs et autrices (Giust-Desprairies, 2007).

9Toutefois, la relation entre enseignant-e et élève(s) a été identifiée par de nombreux travaux comme un déterminant important du bien-être dans les contextes scolaires – tant celui des élèves (Engels et al., 2004 ; Espinosa, 2016 ; Samdal et al., 1999) que celui des enseignant-e-s (Roffey, 2012 ; Spilt et al., 2011) –, avec une influence réciproque (Rascle et Bergugnat, 2017). La capacité de relations positives à prévenir des effets défavorables, comme des problèmes de comportements, chez des enfants dits « à risque », a été avancée (O’Connor et al., 2011).

10Une récente revue de littérature (Mertika et al., 2020) consacrée aux relations positives démontre qu’elles sont effectivement des piliers du bien-être, à tous les âges de la vie. Les auteurs mettent en exergue quelques-unes des caractéristiques principales des relations positives : partager des moments agréables, offrir du soutien tout en respectant l’autonomie, faire preuve d’intérêt et d’engagement émotionnel.

11Graham et al. (2016), en s’appuyant sur les travaux de Honneth (2000) à propos de la reconnaissance, dégagent d’autres facteurs contribuant puissamment à la qualité des relations, du point de vue des élèves, dans un contexte scolaire : sentir que leurs enseignant-e-s s’occupent d’eux, les respectent et qu’ils comptent à leurs yeux.

12En s’inscrivant dans le cadre théorique de la psychologie positive, Xie et Derakhshan (2021) proposent un autre ensemble de traits de personnalité, de modalités de communication interpersonnelle et de comportements de la part des enseignant-e-s, qui entraînent des bénéfices en termes de résultats académiques de leurs élèves. Ils citent ainsi, entre autres, l’empathie, l’humour, les gestes d’affection, la proximité relationnelle, les compliments.

13Accroître ou renforcer le caractère positif des relations dans un but d’amélioration de différents aspects du contexte scolaire paraît donc un objectif intéressant. Toutefois, dans le cadre de l’élaboration de notre protocole de recherche se pose la question de l’évaluation de cette qualité des relations : d’une part pour cibler les contextes scolaires dans lesquels proposer une formation – ceux où il semblerait prioritaire de l’améliorer – ; d’autre part pour estimer l’effet, voire l’efficacité, de la formation au regard de cet objectif d’amélioration.

14D’une manière générale, même si l’évaluation en éducation est devenue un champ de recherche très vaste (Mottier Lopez et Figari, 2012), notamment avec le développement des études comparatives internationales à partir d’épreuves standardisées (PISA, TIMSS, PIRLS), une approche de la qualité à la granularité plus fine, telle que celle dont nous aurions besoin, suscite des interrogations nombreuses. Comme le relève Marcel (2017) dans son éditorial présentant le numéro 37 des Dossiers des sciences de l’éducation intitulé « CLASS(e) en observation », parler de qualité en éducation suppose de se référer à des normes et à des valeurs : celles-ci doivent être conscientisées et explicitées. Différentes acceptions de la qualité ont été proposées, Bigras et al. (2017) mentionnant notamment la conformité à une prescription (par exemple le respect des programmes scolaires), la qualité structurelle (équipements, niveaux de diplômes des enseignant-e-s…), ou la qualité des processus ou interactions, que l’outil CLASS tente de saisir et de mesurer.

15Concernant précisément les mesures, Draelants et Revaz (2022) montrent qu’elles s’appuient toujours sur la construction conceptuelle d’un objet qui devient alors mesurable. Pour le dire autrement, la qualité mesurée est toujours relative et jamais axiologiquement neutre : elle se comprend en référence à un cadre théorique et ne constitue qu’un éclairage parmi d’autres, sans prétendre à embrasser l’ensemble de l’expérience humaine que constituent la relation et la pratique éducatives.

16De plus, la qualité s’apprécie différemment selon les acteurs et actrices impliqués – enseignant-e-s, élèves, parents, inspecteurs-trices, chercheurs-cheuses…

17Pour notre part, nous adopterons ici la perspective de Lemay et al. (2017), qui reconnaissent « la pertinence d’une base commune de la qualité, des pratiques faisant consensus pour assurer le développement, l’apprentissage et le bien-être des enfants » (p. 15).

18Une autre question importante du point de vue de la préparation de notre recherche est celle de la méthodologie utilisée. Les recherches conduites dans les travaux cités s’appuient principalement sur des entretiens, des focus groupes ou des questionnaires. Dans notre contexte, ces approches présentent toutefois des limites, à la fois pratiques (nombres d’enquêteurs-trices mobilisables) et théoriques ; si suivre une formation peut être apprécié par les enseignant-e-s, les effets sur leurs pratiques, et spécifiquement sur la qualité des relations sont peu objectivables en s’en tenant à du déclaratif (risque d’effet Hawthorne). À ce titre, l’observation directe nous semble préférable, même si les difficultés de mise en œuvre sont identifiées (Bru, 2014).

19C’est en ayant en tête l’ensemble de ces contraintes et de ces précautions que nous avons envisagé la possibilité d’utiliser l’outil CLASS. Précisons d’emblée que cet outil propose une perspective plus large que celle que nous envisageons, puisqu’il est centré sur l’ensemble des interactions, un concept qui inclut les relations enseignant-e-s élèves mais qui se traduit également en pratiques pédagogiques, didactiques et dans l’organisation générale de la classe. Nous nous limiterons délibérément aux seuls aspects concernant les relations, dans leur rapport au bien-être des élèves, en admettant réduire la portée de l’outil.

L’outil CLASS

Description

20Le Classroom Assessment Scoring System (CLASS, qu’on peut traduire par « Système de cotation pour l’évaluation des classes ») est un outil d’observation et d’évaluation de la qualité des interactions, utilisable à des fins de recherche et de formation des personnels éducatifs. Il est développé depuis 2008 par l’équipe de Pianta et al., à l’université de Virginie (États-Unis). Il existe actuellement six versions de l’outil CLASS, destinées aux structures éducatives accueillant les enfants de 6 semaines à 18 ans : Infant (Bébé) pour les 6 semaines-15/18 mois, Toddler (Bambin) pour les 18-36 mois, Pre-K pour les 3-5 ans (la première tranche d’âge pour laquelle l’outil a été développée, qui a fait l’objet du plus grand nombre de travaux et qui a été la première traduite en français en 2014), K-3 pour les 6-8 ans, Upper Elementary (fin de l’école primaire) pour les 9-12 ans, et Secondary (secondaire) qui couvre les 13-18 ans.

21L’outil a été traduit en français par un organisme de formation québécois, Casiopée, pour la version 3-5 ans, à partir de 2012. Nous renvoyons à Cosnefroy et al. (2014) et Dessus (2022), pour une présentation détaillée en français de l’outil, et ne ferons ici qu’une description rapide.

22 Dans toutes ses versions, l’outil se présente comme une grille d’observation structurée en quatre niveaux hiérarchisés : domaines, dimensions, indicateurs, marqueurs comportementaux. Les trois domaines sont le Soutien émotionnel, celui sur lequel nous nous appuierons car il explore directement la qualité des relations, l’Organisation de la Classe (dimensions plus fonctionnelles et matérielles) et le Soutien aux apprentissages (dimensions pédagogiques et didactiques). À titre d’illustration (les droits de reproduction de l'outil étant réservés), la figure 1 présente la manière dont s’articulent ces quatre niveaux dans la version originale de l’outil destinée aux enfants de 3 à 5 ans.

23Figure 1 : Exemple de la structure de l’outil CLASS®, version 3-5 ans, avec domaine, dimension, indicateurs et marqueurs comportementaux. Teachstone, 2008, Casiopée, 2012, tous droits réservés.

24Si la structure globale à quatre niveaux reste la même pour toutes les versions, les contenus ont été adaptés aux stades de développement des enfants et des jeunes, en fonction de l’évolution de leurs besoins.

Fondements théoriques

25Les auteurs se sont appuyés sur plusieurs hypothèses relatives au développement de l’enfant, et en particulier celle selon laquelle les interactions entre adultes et enfants sont le principal mécanisme du développement et de l’apprentissage chez ces derniers (La Paro et al., 2004 ; Pianta et al., 2012a), une idée issue notamment des théories de la cognition sociale (Csibra et György, 2006). Ils relèvent également que c’est l’effet cumulatif des interactions, jour après jour, qui influence le développement (Bronfenbrenner et Morris, 1998), à travers l’ensemble des différents aspects de la vie dans les structures éducatives, plutôt que la focalisation sur un seul de ces aspects.

26En s’appuyant sur des outils développés antérieurement, et notamment l’Observational Record of the Caregiving Environment (ORCE) (Lemay et al., 2017), dans une démarche itérative entre revue de littérature sur les différents aspects favorables au développement des enfants et observation dans les contextes éducatifs (Hamre et al., 2014b), les auteurs ont cherché à englober un large ensemble de caractéristiques des interactions, qui soient observables dans les lieux d’accueil. Ces caractéristiques étaient choisies parmi celles qui, selon des travaux précédents, contribuaient à l’efficacité des interactions, c’est-à-dire celles qui étaient le mieux corrélées au développement émotionnel et cognitif des enfants et, par conséquent, favorables à leur réussite scolaire (Mashburn et al., 2008 ; Curby et al., 2009).

27La pertinence de la sélection des caractéristiques a été testée à travers nombre d’études d’étalonnage et de validation (Hamre et al., 2014a), notamment pour vérifier que, lorsque ces caractéristiques étaient de haute qualité (qualité ici entendue au sens que lui donne l’outil), des résultats meilleurs étaient effectivement constatés chez les enfants (Anderson et Phillips, 2017), voire que l’on pouvait prédire de meilleurs résultats ultérieurs des élèves si le contexte scolaire était jugé de haute qualité (Pianta et al., 2005 ; Curby et Chavez, 2013 ; Sabol et al., 2013).

Validité

  • 1 Voir https://teachstone.com.
  • 2 Les formations pour chaque niveau durent une trentaine d’heures, et coûtent autour de 900 euros (en (...)

28Le site de l’entreprise Teachstone1(organisme fondé par les auteurs de l’outil CLASS en 2008 aux fins de former les observateurs2 qui l’utilisent) recense l’ensemble des recherches menées avec et à partir de l’outil. Y sont publiées régulièrement des synthèses thématiques et des listes référençant les derniers travaux. Un document téléchargeable indique que plus de 200 études ont été réalisées en utilisant CLASS, avec des objectifs très divers et qu’il serait ainsi « l’outil d’évaluation fondé sur les données le plus largement utilisé » (Teachstone, s.d., p.1). Une recherche sur Google Scholar avec l’expression « classroom assessment scoring system » aboutit quant à elle à plus de 7000 résultats (en juillet 2022). La majorité des études utilisant CLASS ont été conduites aux États-Unis.

29Son adéquation au seul contexte nord-américain a été questionnée, mais de nombreux travaux l’ont validé dans d’autres contextes culturels : ainsi, en Amérique latine, il l’a été au Mexique (Jensen et al., 2020) et en Equateur (Lopez Boo et al., 2019). Des recherches ont également été menées en Afrique, par exemple au Niger (Jang et al., 2019). En Asie, l’étude menée en Inde par Grijalva et al. (2018) conclut que CLASS s’avère prédictif des performances des enseignants évalués, malgré les différences culturelles ; en Chine, Hu et al. (2016), après avoir utilisé l’outil dans 400 classes, trouvent une structure de résultats comparables à celle observée aux États-Unis, et concluent également à la validité de l’outil dans le pays. Pour l’Europe, Pakarinen et al. (2010) ont estimé que l’outil était valide pour les éducateurs finlandais. Longobardi et al. (2020) ont testé et reconnu sa validité structurelle auprès d’élèves et d’enseignant-e-s d’élémentaire italiens.

30Finalement, un nombre croissant d’auteurs et d’autrices dans le monde (Slot, 2018) semble manifester de l’intérêt pour l’outil et cherchent à vérifier sa pertinence dans leurs contextes éducatifs nationaux, voire l’utilisent directement pour évaluer les lieux d’accueil ou les pratiques des enseignant-e-s. Nous inscrivant à leur suite, nous ne discuterons pas ici la pertinence intrinsèque ou la validité de l’outil pour évaluer la qualité des interactions. Nous les admettrons, en restant pleinement conscientes des critiques que tout outil de ce type peut susciter, et des limites qu’il présente, notamment en ce qui concerne le sens donné aux situations et pratiques observées (Marcel, 2017).

Méthodologie et mise en œuvre

31Techniquement, la grille présentée sert de base à une observation armée (Mialaret, 2004), après une formation spécifique. Différentes précautions sont prises par les formateurs-trices afin de tenter de neutraliser la subjectivité lors des observations, mais comme le souligne Marcel (2017), celle-ci demeure irréductible et une part d’interprétation dans ce qui est observé est inévitable. En pratique, un-e observateur-trice formé-e et certifié-e observe de manière non participante une même classe pendant quatre à six sessions de 20 minutes, en présence d’au moins un-e adulte et un-e enfant, dans une même journée. Chaque session est suivie d’un temps de cotation de 10 minutes ; ces observations peuvent concerner n’importe quelle activité ou n’importe quel cours, que ce soient les jeux ou les repas pour les jeunes enfants, ou des enseignements de toute discipline, des récréations ou des sorties pour les élèves plus âgés.

32Ajoutons enfin que le protocole strict et standardisé de formation, de certification et de recertification annuelle vise à « créer un langage commun pour décrire les différents aspects de la qualité des interactions » (Manuel CLASS 3-5 ans, Pianta et al., 2012b, p. 2) et à garantir une certaine homogénéité dans l’utilisation de l’outil - c’est d’ailleurs un enjeu majeur, puisqu’il s’agit de permettre des comparaisons dans le temps et entre contextes éducatifs différents.

Les relations dans l’outil CLASS

  • 3 Des co-variances existent entre les différents domaines (Kane et al., 2013), mais nous ne pouvons i (...)

33Nous l’avons précisé, l’outil CLASS sert à observer et évaluer de manière holistique l’ensemble des interactions (dans l’acception de l’outil, c’est-à-dire sous forme des marqueurs comportementaux retenus) au sein des milieux éducatifs ; les relations en sont une des composantes3, elles sont particulièrement représentées dans le domaine Soutien émotionnel – renvoyant à l’ensemble de ce que les enseignant-e-s mettent en œuvre pour assurer le bien-être psychologique des élèves.

  • 4 Ce terme est en usage au Québec où l’outil a été traduit en français, pour les personnels s’occupan (...)

34Comment l’outil, tel qu’il a été conçu, tente-t-il d’appréhender les relations dans les milieux éducatifs ? Le domaine Soutien émotionnel, dans la version 3-5 ans, comporte quatre dimensions - Climat Positif, Climat négatif, Sensibilité de l'Éducatrice4/Enseignant-e, Considération pour le point de vue de l’enfant.

35C’est notamment la dimension Climat positif qui comprend des indicateurs et marqueurs comportementaux liés à des relations positives (cf. figure 1 ci-dessus pour le détail des quatre indicateurs et marqueurs comportementaux associés). Pour chaque indicateur, la grille définit une fréquence – faible, moyenne, élevée – de la manifestation de ces comportements, sans qu’il s’agisse toutefois d’une liste exhaustive ou impérative. À titre d’exemple, concernant l’indicateur Relations, le manuel précise qu’un niveau faible correspond au cas où « il y a peu de signes, sinon aucun, indiquant que l’éducatrice et les enfants bénéficient de relations chaleureuses et attentives ». A contrario, concernant l’indicateur Respect, un niveau élevé correspond au cas où « l’éducatrice et les enfants démontrent régulièrement du respect les uns envers les autres » (Manuel CLASS 3-5 ans, Pianta et al., 2012b, p. 27).

36Sans entrer dans le détail de ce que tous ces intitulés recouvrent, nous pouvons convenir qu’ils renvoient explicitement à des attitudes relationnelles, qui répondent aux déterminants de relations positives tels que présentés dans notre partie conceptuelle.

  • 5 Techniquement, ce sont les dimensions qui sont cotées de manière individuelle. Certains regroupemen (...)

37Les auteurs de l’outil CLASS proposent donc de recenser des comportements observables, définis par des critères qualitatifs et quantitatifs, susceptibles de contribuer à des relations positives. Comme le note Marcel (2017), il s’agit à la fois d’observer et d’évaluer, la conformité aux critères permettant d’attribuer une note, de 1 (plus faible) à 7 (plus élevée)5. Les auteurs assument ainsi le double statut de l’outil et de la posture des observateurs-trices qui l’utilisent. Là encore, précisons-le, l’évaluation est ponctuelle, spécifique à l’outil et ses critères, et ne saurait être extrapolée à l’ensemble des aspects de la pratique enseignante, pas plus qu’elle n’éclaire les motivations des enseignant-e-s conduit-e-s à poser tel ou tel geste.

Le rôle des enseignant-e-s

38Les dimensions et indicateurs qui concernent des aspects relationnels dans CLASS font apparaître que, du point de vue des auteurs et en lien avec les recherches citées plus haut (Xie et Derakhshan, 2021), les enseignant-e-s portent la responsabilité première de la construction de relations positives. Entre autres exemples, avec les 3-5 ans, celles-ci seraient dépendantes de manifestations expressives émotionnelles (sourires, rires, enthousiasme) de leur part ; de manifestations comportementales de respect envers les élèves, au moyen du contact visuel, d’une voix chaleureuse, calme, d’un langage respectueux. Avec les 9-12 ans, il s’agirait de déployer une communication positive (attentes et commentaires positifs). Par ailleurs, toutes les formes de négativité (cris, menaces, sarcasmes, manifestations d’irritation… relevant de la dimension Climat négatif à partir de la version 3-5 ans) de la part des enseignant-e-s sont, sauf si elles sont exceptionnelles, pénalisantes pour la cotation.

39Les enseignant-e-s de tous les niveaux d’âge sont encouragé-e-s à se montrer « sensibles et réactif-ve-s » aux besoins exprimés par les enfants et les jeunes, ce qui se traduit par exemple par le fait de reconnaître leurs émotions, de leur offrir réconfort et assistance, ainsi qu’un soutien individualisé (version 3-5 ans, marqueurs comportementaux dans le domaine du Soutien émotionnel, dimension Sensibilité de l’enseignant-e, indicateur Réceptivité). Sont également valorisées dans la cotation les approches de soutien aux comportements positifs (Bissonnette et al., 2017), qui consistent à anticiper les problèmes comportementaux, en reconnaissant les comportements favorables des élèves (plutôt que de se focaliser sur les comportements inappropriés), etc.

40Dans chaque version de l’outil, dans le domaine du Soutien émotionnel, se retrouvent également des variantes d’une dimension appelée « Considération pour le point de vue de l’élève » : les marqueurs comportementaux rendent compte d’éléments tels que le fait de suivre les initiatives des enfants, les laisser bouger et se déplacer à leur guise dans la classe, leur offrir des choix et des responsabilités… Là encore, on peut penser que ce type de pratiques, qui s’appuient implicitement sur des valeurs éducatives et une certaine conception de l’enfance, qu’on pourrait rapprocher de celles des tenants de l’Éducation nouvelle (Quayret, 2015), sont constitutives d’une approche relationnelle particulière adoptée par les enseignant-e-s, et susceptibles d’avoir des effets positifs sur les enfants.

41Toutes ces attitudes de la part des enseignant-e-s sont jugées désirables car conduisant, par modélisation, à des effets positifs notamment sur les compétences socio-émotionnelles des enfants (Choi et al., 2016 ; Curby et al., 2009 ; Pakarinen et al., 2020). Le modèle comportemental et relationnel attendu de la part des enseignant-e-s relève d’une forme de travail émotionnel, tel que décrit par Hochschild (2017) et dont Delcroix (2016) a montré qu’il se manifestait de manière différentielle selon le genre des enseignant-e-s et l’âge des enfants.

Le vécu des enfants

42Si les moyens (attitudes, comportements, paroles) mis en œuvre par les enseignant-e-s font l’objet de l’évaluation via CLASS, c’est aussi le cas pour leurs résultats, c’est-à-dire la manière dont ils se traduisent en comportements des enfants : leur « confort » est ainsi estimé, selon les âges, à partir de leur capacité à solliciter l’adulte, à être réconfortés par lui ou elle, à prendre des risques, et de leur libre participation.

43D’une manière générale, les relations positives entre pairs, et notamment l’acceptation, sont prédictives du bien-être en classe (Weyns et al., 2021). L’outil s’intéresse également à cet aspect : est ainsi évaluée la capacité des enseignant-e-s à aider les enfants à prendre conscience du point de vue des autres (version 18-36 mois), mais aussi la présence d’activités entre enfants, d’entraide (version 3-5 ans), de coopération (version 9-12 ans). Ces relations positives entre pairs sont supposées découler de la mise en œuvre d’une guidance ou gestion des comportements, elle-même évaluée en tant que dimension du deuxième domaine, Organisation de la classe : les enseignant-e-s sont donc engagé-e-s à soutenir activement la construction et la régulation de relations positives entre les enfants.

44Ainsi, dans le cadre théorique et méthodologique dans lequel il s’inscrit, l’outil CLASS propose une caractérisation de ce que peuvent être des relations positives entre enseignant-e-s et élèves, à partir d’indicateurs observables. Il fournit une grille pour les recenser et les évaluer. Ces premiers éléments nous conduisent à penser qu’il pourrait effectivement être utile dans le cadre de notre besoin d’évaluation de la qualité des relations dans les classes, en amont et en aval de formations destinées aux enseignant-e-s.

45Intéressons-nous à présent aux usages déjà existants de l’outil en lien avec l’évaluation de la qualité des relations et l’état des lieux avant et après des formations.

Revue de la littérature sur l’utilisation de CLASS

46Rappelons que dans son design conceptuel, CLASS n’est pas centré uniquement sur les relations, mais bien sur l’ensemble des interactions se déroulant au sein des classes. Toutefois, la structure en domaines nous semble permettre de considérer les résultats relevant uniquement du premier, le Soutien émotionnel, au sein de la littérature existante.

47Commençons par évoquer la question de la variabilité culturelle. Même si des travaux ont montré que CLASS était valide dans différents contextes culturels, le domaine du Soutien émotionnel paraît sensible aux différences culturelles. Pastori et Pagani (2017) ont ainsi mis en évidence des continuités mais aussi des différences dans l’utilisation de CLASS, et tenté de dégager des indicateurs qui relèveraient d’une approche universelle ou au contraire culturellement dépendante de la qualité, notamment dans le domaine du Soutien émotionnel.

48Lemay et al. (2017) vont dans le même sens, en suggérant des adaptations culturelles de l’outil, parfois déjà mises en œuvre en pratique, tout en conservant une base commune. Elles illustrent ce point de vue en relevant des différences observées dans « l’expression de renforcement positif des enseignants finlandais, plus subtile et contenue que ce qui serait effectué aux États-Unis » (p. 19), qui semblent pouvoir être directement reliées à des normes culturelles.

49La récente étude de Bigras et al. (2020) offre un exemple de ce type de différence. Elle est particulièrement intéressante en ce que c’est sans doute celle qui a fait le plus large usage de CLASS en France à ce jour : 41 classes maternelles françaises et 41 centres d’accueil pour jeunes enfants au Québec ont été observés. En ne considérant que les scores obtenus dans le domaine du Soutien émotionnel, il apparaît qu’ils sont en moyenne significativement inférieurs dans les classes maternelles françaises par rapport aux structures québécoises, et également par rapport aux scores établis aux États-Unis durant la procédure d’étalonnage. On peut toutefois noter que les observations ont été réalisées par des enquêtrices québécoises, non familières des pratiques et du contexte culturel français, en l’absence d’observateurs et observatrices certifié-e-s français-e-s. Il aurait pu être intéressant de faire des observations avec des enquêteurs et enquêtrices nationaux, voire des observations croisées, les observateurs-trices se rendant dans l’autre pays.

50Bigras et collègues retrouvent des corrélations entre ce score moindre pour le domaine du Soutien émotionnel et des enseignantes ayant un plus haut niveau de diplôme en France par rapport au personnel québécois. Si ce constat peut paraître contre-intuitif, les auteurs et autrices relèvent que contrairement au personnel québécois, les enseignantes françaises indiquent ne pas avoir reçu de formation concernant les besoins développementaux des jeunes enfants, un facteur qui pourrait être explicatif de la différence entre les scores.

51Une autre corrélation est retrouvée entre un moindre score de Soutien émotionnel et un plus grand nombre d’enfants accueillis. Sans surprise, Bigras et collègues notent qu’ « il est plus difficile d’établir des relations chaleureuses, accueillantes et authentiques avec les enfants, de leur accorder une attention individualisée, et de prendre en considération leurs idées et initiatives pouvant affecter le soutien émotionnel » (p. 46) lorsque les classes sont très chargées. Confirmant cette idée, Ben Ali et al. (2019), dans leur enquête exploratoire sur les CP dédoublés auprès desquels ils ont mené des observations utilisant CLASS, indiquent que « les données observationnelles suggèrent un développement un peu plus fort du domaine du soutien émotionnel dans les classes à effectif réduit, avec une sensibilité de l'enseignant aux besoins des élèves plus importante et, dans une moindre mesure, une attention plus marquée au point de vue des élèves » (p. 21).

52D’autres résultats intéressants ont été retrouvés à propos des conséquences sur l’expérience des élèves d’un niveau faible ou au contraire élevé de Soutien émotionnel. Pour le premier cas, Qi et al. (2020) ont trouvé davantage de problèmes comportementaux chez les élèves ayant des troubles du langage, donc déjà en difficulté. Pour le second cas, Serdiouk et al. (2019) ont montré une plus grande fréquence des relations amicales entre enfants d’origines ethniques différentes (ici entre des élèves afro-américains et d’autres d’ascendance européenne).

53Plus spécifiquement, une recherche de Sher-Censor et al. (2019), s’appuyant sur le seul domaine Soutien émotionnel de CLASS, a retrouvé des associations entre un climat positif faible et un style d’attachement évitant des enseignants, exploré à l’aide de questionnaires et d’entretiens – l’outil CLASS étant ainsi susceptible de déterminer des publics-cibles de l’accompagnement de manière moins intrusive que des questionnaires psychologiques individuels.

54Citons encore des recherches ayant identifié des corrélations non pas au niveau du domaine dans son ensemble, mais au niveau des dimensions : ainsi, l’étude de Sanders et Downer (2012) a montré que les enseignant-e-s offrant un climat positif élevé (tel que mesuré par CLASS) promouvaient davantage l’acceptation de la diversité au sein de leur classe, un aspect sans doute favorable à des relations de qualité et au bien-être des élèves accueilli-e-s. L’étude de Shavega et al. (2013), menée en Tanzanie, a mis au jour une association entre un Climat positif et une Sensibilité de l’éducatrice élevés et davantage d’ajustement comportemental prosocial de la part des élèves.

55Si l’outil CLASS met en évidence les aspects positifs des relations, lorsqu’ils se manifestent de façon active à travers la dimension Climat positif, la dimension Climat négatif permet a contrario de relever des attitudes contribuant à une expérience négative des élèves. Dans la version 3-5 ans, elle comporte des indicateurs comme Affect négatif (marqueurs comportementaux associés : irritabilité, colère, ton de voix dur, agression entre pairs, détachement ou ajout à la négativité), Contrôle punitif (marqueurs : cris, menaces, contrôle corporel, punition sévère), Sarcasme/Irrespect (marqueurs : ton/commentaire sarcastique, moquerie, humiliation). De multiples travaux montrent les effets délétères de telles relations négatives entre enseignant-e-s et élèves (Hamre et al., 2008 ; Longobardi et al., 2021 ; O’Connor et al., 2011 ; Pianta et Allen, 2008). En Finlande, cette dimension a été enlevée de l’outil CLASS, car ne correspondant pas, d’après les chercheurs, à des pratiques observées (Pakarinen et al., 2010) ; en France toutefois, Merle (2012) a montré que de telles attitudes n’étaient pas complètement exceptionnelles. Il est certes improbable d’en être témoin en tant qu’observateur-trice, mais dans une perspective de formation, les mentionner comme partie intégrante de l’outil peut contribuer à lever le tabou et la méconnaissance qui les entourent (Merle, 2009).

56L’usage de CLASS restreint au seul domaine du Soutien émotionnel, comme nous nous proposons de le faire, est donc avéré. Qu’en est-il de l’usage en lien avec la dispensation de formations ?

57Aux États-Unis, il peut s’agir d’évaluer le niveau de Soutien émotionnel à l’aide de CLASS, puis de proposer aux enseignants un accompagnement adapté, plus ou moins soutenu, en fonction de leurs résultats (Zinsser et al., 2014). C’est sur ce modèle que l’entreprise Teachstone propose également du coaching et des formations. Dans d’autres cas, la grille est présentée aux enseignants et sert de support à des formations (Block et al., 2019). En Finlande, Salminen et al. (2012), ont de façon intéressante mis l’accent sur la valorisation des compétences déjà présentes, identifiées à l’aide de CLASS, avant de considérer que les « faiblesses » constatées pouvaient orienter les axes d’un développement professionnel ajusté aux besoins.

58Pour ce qui concerne le contexte francophone, les exemples sont en revanche rares. Nous avons nous-mêmes participé à une recherche-action-formation dont l’évaluation est en cours dans une académie française, auprès d’enseignant-e-s de CP. L’outil CLASS fait partie du protocole d’évaluation post-formation, même s’il n’a pas été possible de mener des observations en amont. Dix enquêteurs-trices ont toutefois été initié-e-s par nos soins à l’outil, avec l’appui de la présentation de Cosnefroy et al. (2014). Des sessions de codage conjoint ont été réalisées, et un deuxième codage a été effectué par nous-mêmes à partir d’enregistrements audio effectués dans les classes, qui a vérifié une fiabilité correcte. Ce travail, encore en cours, a permis de montrer la faisabilité de ce type de protocole, assez proche de ce qu’avaient proposé Goigoux et al. (2015), s’inspirant de CLASS afin de recenser des indicateurs d’engagement des élèves observés.

59Cantin et al. (2017) ont mené des observations à l’aide de CLASS, dont ils ont communiqué les résultats aux enseignant-e-s, à la suite de quoi ils leur ont proposé des formations. Il s’agissait alors pour elles et eux d’adopter une approche réflexive collective, pour améliorer intentionnellement les dimensions aux cotations peu élevées.

60À l’instar de ce que nous nous proposons de faire, Landry et al. (2017) ont utilisé l’outil pour évaluer l’impact d’une formation sur des enseignantes de maternelle, avec dans ce cas des évaluations menées avant et après la formation. Si les auteurs et autrices ont pu observer des différences significatives dans les cotations ante et post, le contexte d’observation semble avoir suscité une modification des pratiques habituelles, dans une volonté de « bien faire », questionnant ainsi la validité de cette approche, lorsque les enseignant-e-s savent qu’ils et elles sont observé-e-s dans un but précis.

Discussion

61Notre revue de littérature montre ainsi qu’un usage partiel de l’outil CLASS, restreint aux dimensions relationnelles, est possible, et qu’il peut effectivement être un appui à la formation des enseignant-e-s sur ces aspects.

62Plusieurs points suscitent toutefois notre vigilance. En premier lieu, même si Bigras et al. (2020) suggèrent que le domaine du Soutien à l’apprentissage serait en réalité plus sensible au contexte culturel que les deux autres, en ce que les pratiques pédagogiques et didactiques sont dépendantes des programmes scolaires et de cultures pédagogiques propres, il reste que les enseignant-e-s français-e-s semblent ne pas manifester leur Soutien émotionnel de la manière dont l’outil le valorise. Des travaux antérieurs comparant le bien-être d’élèves français et allemands, appuyés sur d’autres méthodes, avaient déjà montré un moindre niveau chez les premiers, en lien avec les attitudes des enseignantes françaises qui différaient de celles des éducatrices allemandes (Brougère, 2010). Toutefois, comme le relèvent Lemay et al. (2017), si certaines valeurs, traduites dans les attitudes des enseignant-e-s, semblent effectivement différer nettement entre des pays comme la Chine et les États-Unis (ainsi le rapport à l’individualité, à la transmission), on peut supposer que ces écarts sont moindres entre pays occidentaux. Recourir à des observateurs-trices français-e-s, ce qui n’était pas le cas dans l’étude de Bigras et al. (2020), pourrait minimiser ce biais potentiel.

63 Un deuxième point essentiel est la question de la fiabilité des observations. Certes, les auteurs de l’outil et les formateur-trices prennent d’importantes précautions pour tenter de l’assurer, et en premier lieu par des formations très standardisées. De manière concrète, les observateurs et observatrices sont averti-e-s qu’ils et elles doivent veiller à ne pas se laisser influencer :

  • par les équipements et matériels présents dans la salle : des classes richement dotées ne garantissent pas des interactions de qualité ;

  • par leur appréciation subjective de la personnalité de l’enseignant-e : même si l’estimation du degré de chaleur d’une voix conserve une dimension subjective, les rires, sourires, le ton calme (ou au contraire le ton sec et les cris) présentent un caractère relativement objectivable, et ce sont ces marqueurs précis qui doivent être relevés ;

    • 6 La majorité des observateurs et observatrices sont le plus souvent, à divers titres, des profession (...)

    par leur jugement professionnel6 sur les qualités ou défauts du cours tel qu’il est dispensé (rappelons-le, CLASS évalue également les aspects pédagogiques et didactiques, ce que nous n’abordons pas ici).

64Par ailleurs, l’objectif n’est pas de rechercher la « perfection », mais de relever numériquement le nombre d’occurrences de marqueurs précis : les auteurs mettent en garde contre le fait de donner trop de poids à un événement ou incident isolé, ils insistent sur l’importance de considérer chaque cycle (une observation de 20 minutes et la cotation qui suit immédiatement après de 10 minutes) indépendamment des 3 ou 5 autres, ils rappellent de se concentrer sur les faits tels qu’ils se produisent plutôt que sur ce que l’enseignant-e aurait pu ou dû faire (Hamre et al., 2014b ; Pianta et al., 2008 ; Pianta et al., 2012b). Si un certain nombre d’études considèrent que la fiabilité est correcte, d’autres indiquent que la cotation est dépendante de l’observateur-trice, notamment de son propre état émotionnel, qui influence positivement le score lorsqu’il est favorable (Floman et al., 2017). Styck et al. (2021) ont également montré que les dimensions n’étaient pas sensibles de la même manière aux biais liés à l’observateur-trice : ainsi, dans le domaine du Soutien émotionnel (version 3-5 ans), le Climat positif, le Climat négatif et la Sensibilité de l’éducatrice s’avéraient plus convergentes que la Considération pour le point de vue de l’enfant. Ils rejoignent ici Lemay et al. (2017), qui indiquent que les dimensions les plus consensuelles sont le Climat positif et la Sensibilité de l’éducatrice. Ces résultats nous incitent ainsi à nous appuyer davantage sur ces deux dimensions plutôt que sur la Considération pour le point de vue de l’enfant, dans la perspective d’une évaluation des effets éventuels des formations.

65Un troisième point de vigilance renvoie au positionnement de l’observateur-trice : Marcel (2017) a en effet pointé le statut ambivalent de l’outil, visant à la fois l’observation et l’évaluation. Ce type d’outil apparaît légitimement porteur du risque d’un usage normatif, voire « punitif », lorsque des professionnel-le-s ne présenteraient pas le niveau de qualité « attendu ». Il sera donc essentiel pour nous de clarifier très précisément ce point auprès des enseignant-e-s, en amont de notre recherche. Un questionnement plus large à propos de l’observation pourrait d’ailleurs concerner ses effets sur les personnes observées et leurs pratiques. De fait, en tant que méthode scientifique, l’observation a fait l’objet de multiples débats et travaux, que nous ne reprendrons pas ici. Avec ses règles, ses avantages et ses limites (Mialaret, 2004), nous admettrons qu’elle reste légitime, voire incontournable dans le champ de l’éducation (Cohen et Morrisson, 2018).

66Enfin, les utilisateurs-trices de l’outil ne peuvent ignorer les questionnements liés à ses enjeux économiques (Gaches et Hill, 2017) et plus largement, aux enjeux politiques associés à l’évaluation qu’il promeut et aux comparaisons qu’il permet. De fait, ces démarches répétées d’évaluations et de comparaisons entre systèmes éducatifs des différents pays, voire entre établissements dans un même pays, suscitent des inquiétudes légitimes : ainsi Marcel (2012), Mas (2019), Rizvi (2017) identifient, à travers la recherche d’efficacité, de preuves, l’incantation aux neurosciences, les risques d’une dérive néolibérale dans un domaine qui devrait, idéalement, en être préservé. Ce débat est particulièrement sensible dans le contexte français actuel (Blay et Laval, 2019).

67En tenant compte de ces points de vigilance et précautions, quelles pourraient alors être des manières pertinentes et éthiques de recourir à l’outil CLASS ?

68Un premier axe essentiel est de ne pas considérer les acteurs de terrains comme des récepteurs passifs, mais s’appuyer sur leurs conceptions, expériences et vécus (Revaz, 2020) ; nombre d’échecs des politiques publiques en éducation seraient liés à une insuffisance de considération pour le travail et les contraintes réels des enseignant-e-s (Draelants et Revaz, 2022). Dans le contexte français, notre focalisation sur la question du bien-être nécessitera de clarifier son importance aux yeux des acteurs. Comme le relèvent Graham et al. (2016), l’attention au bien-être constitue une évolution significative par rapport aux objectifs traditionnels de sélection et à la nature compétitive des systèmes scolaires.

69Un deuxième axe pourrait être de limiter l’importance de la dimension quantitative de CLASS, c’est-à-dire des cotations ; d’une part parce qu’elle est, comme nous l’avons vu, relative (Styck et al., 2021), mais aussi parce qu’elle peut contribuer à enfermer les enseignant-e-s et observateurs-trices dans l’illusion de l’objectivité de la note (Merle, 2018) ou les renvoyer à un rapport délicat à l’évaluation chiffrée, comme dans le contexte des inspections officielles (Inspection Générale de l’Éducation nationale, 2013). Le retour fait aux enseignant-e-s à la suite des observations pourrait être centré sur les dimensions qualitatives, en explicitant la structure et les objectifs de l’outil en lui-même, ainsi que cela a été fait par d’autres auteurs et autrices (Block et al., 2019 ; McGuire et al., 2015). Le travail de Evertsen et al. (2022), en Norvège, a pour sa part exploré la manière dont des éducateurs-trices en pré-scolaire s’appropriaient l’outil, et a montré qu’ils et elles rapportaient une communication et une collaboration améliorées, renforçant leur sentiment de communauté. Les auteurs concluent à l’intérêt de l’outil comme vecteur de développement professionnel. Duval et al. (2020) ont proposé aux enseignant-e-s de rendre compte de leurs propres pratiques en relation avec les indicateurs de l’outil.

70Ainsi, associer largement les éducatrices et éducateurs aux observations menées à l’aide de l’outil, en partageant ses fondements théoriques, ses objectifs, ses limites et ses intérêts, nous semble une voie prometteuse. La démystification de ce type d’outil, une plus grande acceptation du regard d’observateurs-trices extérieur-e-s, dans une perspective de développement professionnel, pourraient être mises au service des besoins éducatifs des enfants, qu’ils soient relationnels, émotionnels ou d’apprentissage, et en particulier des plus défavorisés d’entre eux. Selon Moen et al., (2019) et Walker et Graham (2019), c’est en effet pour eux que les effets d’un climat de classe positif et de relations de qualité avec leurs enseignant-e-s sont plus particulièrement bénéfiques et précieux.

71Il sera précisé que ce positionnement n’entrave nullement la liberté pédagogique des enseignant-e-s soucieux-ses d’offrir aux élèves un environnement d’apprentissage optimal et engagé-e-s dans une démarche réflexive ; il va de pair avec le respect d’une posture déontologique et éthique de la part des observateurs-trices et chercheurs-euses vis-à-vis des personnes observées, s’inscrivant dans le cadre de leur responsabilité personnelle et institutionnelle classique.

Conclusion : utiliser CLASS pour évaluer les relations

72Nous nous sommes efforcées de le montrer, la qualité des relations joue un rôle essentiel pour le bien-être des élèves en classe ; par ailleurs et plus généralement, selon Narea et al. (2021), la qualité des interactions pourrait avoir un rôle de « médiateur » entre le bien-être des enseignant-e-s et celui des élèves.

73C’est précisément à la qualité des interactions qu’est consacré l’outil CLASS que nous avons présenté du point de vue de l’un de ses trois domaines, le Soutien émotionnel. Ses concepteurs, s’appuyant sur des travaux antérieurs, ont formalisé une grille permettant de relever un grand nombre de marqueurs comportementaux, que des études ont associé à des résultats favorables au développement des enfants.

74Comme nombre d’études l’ont indiqué, cet outil présente une certaine fiabilité, indépendamment des contextes culturels dans lesquels il est utilisé, et parvient à mettre en évidence des comportements relationnels, chez les enseignant-e-s, qui contribuent à des relations positives et au bien-être des enfants. Cependant, il n’est pas exempt de critiques techniques, en particulier relativement à sa dépendance aux observateurs-trices : se développent d’ailleurs actuellement des outils d’observation automatisés des contextes scolaires, notamment en raison du coût lié à des observations humaines dans les pays en développement (Shapsough et Zualkernan, 2018). Certains s’appuient sur CLASS (Ramakrishnan et al., 2019), en analysant automatiquement les gestes, le ton, les mimiques des enseignant-e-s et des élèves. S’agit-il d’un progrès ? Nous laissons ouverte la question.

75Les limites de CLASS, au regard des aspects qu’il ignore, comme le point de vue des enseignant-e-s et des élèves, semblent pouvoir être compensées par l’utilisation de méthodologies complémentaires, tant pour la recherche que pour la formation, ce qui est le cas en pratique.

76Les critiques axiologiques, concernant le rapport déséquilibré entre observateurs-trices, commanditaires, voire décideurs-deuses et professionnel-le-s que CLASS est susceptible de créer, méritent la plus grande attention. Sans nul doute, les enjeux déontologiques dans son usage nécessitent une attitude prudente, et le débat est complexe. Notre position personnelle prend en compte en premier lieu la vulnérabilité des enfants (Brodiez-Dolino, 2015), et nous assumons une volonté pragmatique d’amélioration des services offerts aux enfants (Pianta et Hamre, 2009) : à partir du moment où des conditions favorables au développement des enfants ont été identifiées, il nous semble que les professionnel-le-s de l’éducation doivent s’efforcer de les leur procurer (Domitrovich et al., 2012). À ce titre, des travaux ou interventions visant à leur offrir des environnements suffisamment bons, du point de vue de la qualité recherchée par CLASS, nous paraissent acceptables.

77C’est pourquoi, de notre point de vue, CLASS constitue un outil intéressant, au sein d’un ensemble d’approches : il permet de prendre des repères, sur le plan de sa dimension évaluative, et de formaliser certaines attitudes et pratiques, pour sa dimension formatrice. Structurer une activité aussi complexe que l’enseignement est nécessairement artificiel et réducteur à certains égards, mais les usages rapportés, en formation initiale notamment, semblent intéressants (Dessus, 2015 ; McGuire et al., 2015).

78Enfin, dans un contexte où de nombreux programmes à destination des élèves, notamment ceux axés sur le bien-être, semblent ne pas avoir d’effets positifs durables (Steinberg, 2015 ; Taylor et al., 2017), l’outil CLASS – du moins dans sa forme actuelle, dépendante d’observateurs-trices humain-e-s – a peut-être l’avantage de montrer que toute approche éducative nécessite d’adopter une perspective holistique, afin qu’au quotidien, les enseignant-e-s, accompagné-e-s et outillé-e-s, soient vigilant-e-s à un maximum d’aspects – relationnels mais aussi pédagogiques –, pour espérer offrir les meilleures chances aux enfants et aux jeunes.

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Notes

1 Voir https://teachstone.com.

2 Les formations pour chaque niveau durent une trentaine d’heures, et coûtent autour de 900 euros (en juillet 2022). La certification est à renouveler chaque année, pour un coût d’environ 120 euros. Celle-ci est délivrée aux observateurs-trices capables de coter d’une manière suffisamment proche de celle des « experts » (+ ou – 1 point, sur 5 vidéos). La recertification annuelle, payante, est obligatoire pour pouvoir utiliser l’outil de manière professionnelle ou à des fins de recherche.

3 Des co-variances existent entre les différents domaines (Kane et al., 2013), mais nous ne pouvons ici entrer dans leur description. L’effort de différenciation entre les domaines, dimensions, indicateurs et marqueurs relève d’un travail conceptuel, visant à obtenir un outil utilisable par des observateurs sur le terrain, mais l’architecture globale s’appuie également sur des choix théoriques et peut être largement discutée, notamment au regard d’autres outils (Lopez Boo et al., 2019).

4 Ce terme est en usage au Québec où l’outil a été traduit en français, pour les personnels s’occupant des 3-5 ans, très majoritairement des femmes, d’où le choix du féminin générique ; les auteurs américains parlent pour toutes les tranches d’âge de teacher, enseignant-e.

5 Techniquement, ce sont les dimensions qui sont cotées de manière individuelle. Certains regroupements entre dimensions permettent d’attribuer des notes aux domaines, qui eux ne sont pas regroupables ; il n’y a donc pas de note globale (sauf pour la version Infant qui ne comprend qu’un seul domaine).

6 La majorité des observateurs et observatrices sont le plus souvent, à divers titres, des professionnel-le-s de l’éducation : personnels de direction, conseillers et conseillères pédagogiques, enseignant-e-s ou éducateurs et éducatrices eux-mêmes…

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Pour citer cet article

Référence électronique

Marlène Martin et Pascale Haag, « Évaluer la qualité des relations éducatives pour favoriser le bien-être : une utilisation possible du Classroom Assessment Scoring System (CLASS) ? »Éducation et socialisation [En ligne], 67 | 2023, mis en ligne le 31 mars 2023, consulté le 06 juin 2023. URL : http://journals.openedition.org/edso/22451 ; DOI : https://doi.org/10.4000/edso.22451

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Auteurs

Marlène Martin

Université de Caen, laboratoire CIRNEF (EA 7454), marlene.martin@etu.unicaen.fr

Pascale Haag

EHESS, laboratoire BONHEURS (EA 7517), ph@ehess.fr

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Droits d’auteur

CC-BY-NC-ND-4.0

Creative Commons - Attribution - Pas d'Utilisation Commerciale - Pas de Modification 4.0 International - CC BY-NC-ND 4.0

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