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Dossier
Les relations éducatives enseignant·e - élève

La relation éducative dans la pédagogie Montessori : réflexion sur des invariants pouvant contribuer au bien-être de l’élève.

Émilie Dubois

Résumés

La pédagogie Montessori semble aujourd’hui bien installée dans le paysage des pédagogies alternatives. Ses particularités : un héritage de l’Éducation nouvelle, une rupture avec la forme scolaire, mais aussi, par l’intermédiaire d’un matériel médiateur, un changement dans relation éducative adultes / enfants. Comment la qualifier ? Quels sont ses spécificités, ses invariants ? Parce qu’elle repose sur des valeurs comme l’épanouissement de l’élève, le développement de ses capacités, de ses réussites ; mais aussi sur une posture de l’adulte-éducateur particulière, suffisamment en retrait pour ne pas gêner l’élève, tout en étant une ressource, une béquille, une source de motivation pour se mettre au travail, cette pédagogie pourrait, pour ces raisons, contribuer au bien-être de l’élève à l’école. Et s’il s’agissait d’une éthique éducative basée sur l’empathie ? C’est en mettant en perspective certains écrits de la pédagogue avec des exemples de situations de classe que nous proposons de réfléchir à cette question, en adoptant une posture de recherche qui mêle l’herméneutique textuelle et l’observation ethnographique.

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Texte intégral

Introduction

  • 1 Nous utilisons dans cette contribution, à l’instar de Maria Montessori, enseignant.e / éducateur/(t (...)
  • 2 Au total, nous comptabilisons plus de 340 heures d’observation.
  • 3 Ces observations sont menées dans le cadre de nos travaux de recherche sur la pédagogie au sein du (...)

1La question du bien-être des élèves à l’école est une préoccupation récente à l’échelle de l’histoire scolaire française. Le mouvement de l’éducation nouvelle, malgré la diversité qui le caractérisait (Riondet et al., 2018), a été traversé par cette notion au point de la placer au cœur de ses préoccupations (Serina-Karski, 2020). Les politiques publiques ont mis plus de temps à s’en emparer, n’approuvant la place de l’élève au centre du système scolaire qu’en 1989 (avec la loi d’orientation dite Loi Jospin). Désormais, dans l’école de la bienveillance, le bien-être de l’élève n’est plus optionnel. On parle volontiers d’amélioration du climat scolaire au service de la réussite éducative. Néanmoins, force est de constater qu’il est difficile, pour les acteurs, de le mettre en œuvre dans les classes, tant les facteurs favorisant son émergence sont pluriels (Debarbieux, 2015). Parmi les variables identifiées, la question des relations entre élèves, mais également entre adultes de l’établissement et élèves, est significative. C’est sur cette relation entre éducateur/(t)rice1 et élèves que nous proposons un éclairage dans cette contribution, à la lumière d’observations menées dans une école privée Montessori d’une grande agglomération française, mises en perspective avec notre lecture des écrits de la pédagogue. D’un point de vue méthodologique, notre ancrage est double. D’abord, l’herméneutique des discours des pédagogues historiques (Meirieu, 2004 ; Maulini, 2006) ; ici la focale est mise sur certains écrits de Maria Montessori. Sans chercher à être exhaustive, nous proposons de mettre en lumière la vision de la pédagogue quant à la place de l’enfant dans la relation éducative. Il s’agit de faire émerger les critères de ce qui pourrait être caractéristique d’une relation à l’enfant montessorienne, de voir comment ils peuvent contribuer au bien-être des enfants et de les mettre en perspective avec des observations de classe. En effet, le second volet de la méthodologie est ethnographique. Il repose, essentiellement, sur des observations libres et non participantes, à l’aide d’un carnet de bord sur lequel nous reportons aussi bien les activités des enfants, que les interactions entre eux ou avec les adultes. Il s’agit de conserver les traces du terrain, les conduites et les discours des individus (Lansade, 2015). Cela fait plus de cinq années désormais que nous observons, une fois par mois au minimum, les différentes classes d’une école privée Montessori (des enfants de 2 à 12 ans2). Durant ces journées d’immersion, nous n’interagissons presque pas avec les enfants, cherchant à essayer d’être discrète parmi les adultes présents en classe3. La démarche ethnographique permet une réduction d’échelle d’observation intéressante. Le temps long de l’enquête de terrain ouvre la voie à la saisie des expériences du quotidien des individus, sans objectif de recherche a priori, mais plutôt dans une vision de construction constante et mouvante de la recherche, à partir des acteurs, à travers la revisite des traces, dans une vision de l’ethnographie à taille humaine, à « hauteur d’homme » (Bensa, 2010). L’objectif de l’article est donc de faire émerger des invariants de la relation à l’enfant, décrits par la pédagogue, illustrés par des fragments empiriques issus de nos observations de pratiques de classes montessoriennes, pour alimenter la réflexion. L’approche herméneutique des textes de Maria Montessori, combinée aux observations ethnographiques, offre l’avantage de construire du sens, de retrouver l’héritage dans lequel les pratiques pédagogiques s’inscrivent, par opposition à une rémanence de pratiques ou de conceptions qui seraient sans racines (Bugnard, 2006). L’idée est également de redonner de la place aux discours historiques, aux écrits des pédagogues comme potentiellement vecteurs de savoirs et de culture dans la démarche de recherche en éducation.

2Avant de commencer, prenons le temps de proposer deux définitions, qui ne manqueront pas de faire écho / débat, avec les autres contributions de ce dossier. Le bien-être d’abord. Selon Aziz Jellab et Christophe Marsollier, en contexte scolaire, « le sentiment de bien-être ne peut être séparé du rapport au savoir, de la mobilisation sur les contenus » (2018, p. 33). Ses composantes sont subjectives, liées au sentiment d’efficacité personnelle, à l’évaluation, aux émotions, au regard des adultes, des pairs. Aussi, il devient parfois difficile à objectiver (Jellab et Marsollier, 2018). D’où l’intérêt d’essayer de le caractériser en adoptant un regard très large et pluriel sur ses conditions d’apparition et en gardant présent à l’esprit ces premiers critères qui nous sont proposés. Les enquêtes internationales, comme PISA, envisagent également le bien-être dans ses dimensions multifactorielles, à l’exemple de Borgonovi et Pál (2016), qui ont longuement travaillé sur les critères du bien-être selon l’OCDE et dont nous rappelons, brièvement, les cinq dimensions du bien-être dans l’environnement scolaire : le bien-être cognitif, psychologique, physique, social et matériel ; comme autant de dimensions auxquelles nous sommes sensible dans cette contribution.

3Voyons maintenant des définitions de la relation éducative. Marcel Postic la définit comme l’ensemble des rapports sociaux qui s’établissent entre l’éducateur et ceux qu’il éduque, pour aller vers des objectifs éducatifs, dans une structure institutionnelle donnée, rapports qui possèdent des caractéristiques cognitives et affectives identifiables, qui ont un déroulement, et vivent une histoire (2001, p. 22).

4Il précise un peu plus loin : « Les méthodes pédagogiques, quand elles ne sont pas une constellation de techniques et qu’elles mettent en action un choix philosophique, introduisent des différences fondamentales » (Postic, 2001, p. 23), ce que nous mettons à l’épreuve avec la pédagogie Montessori qui dépasse cette accumulation de techniques, et repose plutôt sur une philosophie de l’éducation spécifique. Florence Lhomme (2020), quant à elle, revient sur les spécificités d’une relation éducative émancipatrice : l’éducabilité de tous, la bienveillance et l’exigence, la place des savoirs, la rencontre avec l’élève, ou encore la confiance. Tels sont les éléments constitutifs d’une relation éducative qui contribuent au bien-être de l’élève que nous rechercherons dans la pédagogie Montessori.

5Convenons maintenant de l’intérêt de problématiser l’ensemble : d’un côté, nous chercherons à décrypter quelle forme prend la relation éducative dans la pédagogie Montessori, héritière de l’Éducation nouvelle (Wagnon, 2019, 2021 ; Poussin, 2021) ? D’un autre côté, nous questionnerons aussi ce qui, dans cet héritage, contribue au bien-être de l’élève. Pour ce faire, nous examinerons, tout d’abord, comment la prise au sérieux de l’élève, par les adultes de la classe, contribue à façonner, puis à conforter, ce sentiment de bien-être. Nous comprendrons, ensuite, que cette recherche du bien-être passe, par le postulat d’un accompagnement de l’élève dans la réalisation de son travail scolaire dans un cadre propice aux apprentissages, qui soit à la fois sécurisant, structurant, mais aussi et presque paradoxalement, souple et rigide. Enfin, dans un troisième et dernier temps, c’est au prisme de l’analyse micro de la relation entre une assistante-éducatrice et une élève en situation de handicap, que nous tenterons d’aller plus loin et d’illustrer ce qui pourrait être une posture professionnelle éthique de recherche du bien-être, à travers le développement de l’empathie au service de l’inclusion de l’enfant.

Un élève pris au sérieux

Respecte-moi !

6« Je suis petit, mais important. J’ai le droit d’être respecté » (Luc, 2010, p. 20). Voici ce qu’écrit Jean-Noël Luc en référence au célèbre pédagogue polonais, précurseur des droits de l’enfant et contemporain de Maria Montessori, Janusz Korczak (1978-1942). Ce dernier écrit d’ailleurs :

l’enfant — c’est déjà un habitant, déjà un citoyen, déjà un homme. […] Les années d’enfance — c’est la vie réelle, non un prélude de l’avenir. La joie et la douleur sont vraies, non des chimères. Chaque instant de sa vie qu’il prend au sérieux est vécu consciencieusement, et non à l’essai ou pour rire (Korczak, 1927, p. 1).

7Il nous semble que cette prise au sérieux de l’enfant, dans sa condition humaine et citoyenne, non en devenir, est particulièrement visible dans la pédagogie Montessori. En tout cas, c’est forte d’une recherche qui s’inscrit dans une temporalité relativement longue que nous pensons avoir été témoin, à plusieurs reprises, de cette expression. Les émotions, les envies, les rythmes de chacun, y sont exprimés, entendus, respectés par les adultes de l’établissement, mais aussi par les enfants entre eux. Cette écoute active est un exercice délicat, une posture qu’il est nécessaire de travailler, de perfectionner pour ne pas que l’avis du plus fort s’impose à celui qui se laisse convaincre trop facilement. Dans le monde de l’école, lorsqu’il s’agit pour l’adulte d’être disposé à cette écoute singulière des enfants, c’est un renversement total de la relation éducative induite par la pédagogie traditionnelle - telle que Jean Houssaye la définit (2014) - qui s’opère. D’ailleurs, quand il liste les nombreux reproches faits par l’Éducation nouvelle à la pédagogie traditionnelle, Jean Houssaye évoque également sa conception de « l’enfant comme un adulte en miniature ou comme une forme d’un adulte à réaliser. […] sa méfiance envers l’état d’enfance et d’adolescence » (p. 282).

8Dans la pédagogie Montessori, le respect du rythme biologique de l’enfant prime sur l’exercice scolaire. S’il a faim, soif, s’il est fatigué, s’il a besoin de se lever, de marcher par exemple, il trouvera une collation en libre accès le matin, de l’eau toujours à portée de verre, un tapis sur lequel il peut s’allonger, des fauteuils sur lesquels se relaxer. S’il veut se déplacer, il peut assez librement bouger. À cet effet, Bérangère Kolly a bien décrit ces élèves montessoriens nomades et les circuits qu’ils pouvaient réaliser dans les classes (2018b). Maria Montessori, elle-même, écrivait : « L’enfant doit avoir le droit de dormir quand il a sommeil, de s’éveiller quand il a fini de dormir, et de se lever quand il le veut » (1936/2004, p. 68). Leur offrir cet environnement pourvoyeur de réponses à l’expression de leurs besoins physiologiques, nous paraît facteur de considération et de bien-être des élèves.

Fais-moi confiance !

9Il s’agit peut-être, avant tout, d’une histoire de confiance. Des portes ouvertes, des enfants qui se déplacent seuls dans les couloirs, les escaliers, qui utilisent parfois sans surveillance adulte des couteaux pour éplucher des fruits, ou bien des ciseaux, des enfants qui manipulent à longueur de journée du matériel fragile en verre, en porcelaine, qui se casse facilement ; tels sont les témoignages les plus visibles de cette confiance qu’ont les adultes envers les enfants dans la pédagogie Montessori. D’ailleurs, au fil de nos observations, nous constatons que les élèves font plutôt bon usage de cette confiance car les incidents sont rares. Lorsqu’ils se produisent, les éducateurs/(t)rices rappellent toujours les conséquences possibles, les règles à respecter et rassurent les enfants, au besoin. Ce fut le cas, par exemple, de Madelaine (enseignante) qui dû rassurer le jeune Samuel (4 ans) qui, en déposant un plateau sur une table individuelle, a fait tomber le vase qui s’y trouvait le brisant au sol : « Quelle bêtise j’ai fait » dit-il. « Ça va aller Samuel ? » le questionne Madelaine. « Recule-toi de l’eau, prend un seau, une serpillère, on va t’aider à nettoyer et ramasser ce qui est cassé ». Samuel se sent rassuré, mais aussi responsabilisé dans la réparation de sa maladresse. Maria Montessori écrit :

Nous trouvons aussi de gracieux petits objets fragiles, en verre ou en porcelaine ; si l’enfant les fait tomber, ils se cassent et seront perdus à jamais, mais la peine qu’il ressentira sera pour lui la plus terrible des punitions. Quel chagrin, la perte d’un objet cher ! Qui peut résister à l’envie de consoler un petit, au visage rouge inondé de larmes, face à un beau vase cassé ? Mais dorénavant, quand il aura à déplacer des objets fragiles, il fera volontairement des efforts pour obtenir des gestes mesurés (1936/2007, p. 63-64).

10La confiance est également de mise au service du collectif. En règle générale, un ou deux enfants réalisent la préparation de la collation au bénéfice de tous. Il en est de même au moment du déjeuner durant lequel, à tour de rôle, ils participent aux placements des tables, des couverts, des assiettes et des verres, puis au service. Les élèves ont également pour mission le soin des plantes de l’ambiance (dépoussiérage, arrosage), ou encore le pli du linge de toilette. Les activités de la vie quotidienne, au service des autres, ont toute leur place et se réalisent en autonomie, confiance et responsabilité.

Regarde-moi, entends-moi !

11Bérangère Kolly écrit : « Considérer l’enfant au sérieux peut débloquer des situations qui paraissent indénouables en termes de comportement, mais également à propos du savoir » (2018a, p. 142). C’est parce que l’observation des enfants au contact du matériel est quotidienne que les éducateurs/(t)rices affinent leurs regards. Contrairement à la relation éducative induite par la pédagogie traditionnelle, qui reposerait sur la magistralité (Houssaye, 2014), la pédagogie Montessori se fonde sur une relation directe entre l’enfant et le matériel didactique qui est mis à sa disposition. L’adulte n’est que le trait d’union entre les deux, celui ou celle qui va présenter à l’élève son bon usage et le laisser l’utiliser, l’explorer. Le matériel médiateur parle de lui-même par ses vertus autocorrectives. Débarrassé de ce fastidieux travail de relevé des erreurs faites, l’adulte peut pleinement s’adonner à la « science occulte de l’observation » (Montessori, 1926/2016, p. 119). À destination des maitresses, Maria Montessori écrit : « Nous devons modifier notre attitude et applaudir la grandeur de l’enfant en fonction de ses accomplissements plutôt que de souligner sans cesse les petites erreurs qu’il commet et qui, bien souvent, sont causées par notre faute » (1946/2017, p. 20). Il s’agit donc d’adopter une vision optimiste de l’enfant, visant à mieux distinguer les efforts accomplis, la ténacité engagée, les initiatives, les réussites des élèves.

12Les enfants ressentent cette écoute qui leur est consacrée, ce refus du jugement adulte et les regards bienveillants qui les entourent. D’ailleurs, dans le dialogue qui s’instaure entre adultes et enfants, nous comprenons que cette prise au sérieux est réciproque. Les adultes utilisent un vocabulaire qui n’infantilise pas et responsabilise les enfants, que ce soit à travers la dénomination du matériel, ou encore dans l’explicitation des compétences visées à travers l’usage d’un matériel. Madelaine (enseignante) demande à Henri (5 ans) de lui montrer parmi les « solides » qui lui sont présentés : « la pyramide, l’ovoïde, le cône ». Et lorsque des conflits entre enfants éclatent, les adultes engagent une médiation dialogique assez intéressante, appelant au respect de l’autre dans son désir d’activité : « je ne peux pas te laisser empêcher Cléo de travailler » (Madelaine). Quand le conflit se produit avec un adulte, ce dernier met tout en œuvre pour ne pas laisser apparaitre son énervement et ne pas blesser l’enfant avec des mots trop durs. D’où un usage répété d’euphémismes du type « je risque d’avoir envie de me fâcher » (Madelaine, enseignante). On frôle ici l’éducation positive et l’éducation non violente dont Sylvain Wagnon essaie de situer les places respectives dans les pédagogies alternatives en 2019. Et la pédagogie Montessori, à la différence d’autres approches plus récentes, comme celles que l’on peut retrouver dans les écoles démocratiques par exemple, s’est construite autour d’une réflexion visant à proposer aux enfants des nouveaux chemins pour apprendre. La question des apprentissages demeure centrale. Cela n’est pas en contradiction avec tout ce qui précède, au contraire. Nous restons dans une école, les enfants y sont reçus pour apprendre. Les adultes le rappellent très souvent « ici tu es à l’école, pas à la maison » ou encore « on n’est pas dans un dessin animé, c’est la vraie vie ». La notion de travail y est fondamentale, ce qui en fait une caractéristique importante. C’est pour cela que nous proposons, maintenant, de réfléchir à la manière dont les enfants sont accompagnés dans ce travail, autour des apprentissages scolaires, mais aussi émotionnels.

À l’école, on travaille

13Comme partout ailleurs, les enfants sont à l’école pour apprendre. Néanmoins, le rapport au temps scolaire diffère dans la pédagogie Montessori ; ce qui laisse aux élèves la possibilité de ne pas être constamment au travail. En effet, les classes multi-âges permettent une projection sur le développement des compétences bien plus longue que l’année scolaire ordinaire. Cela relève plus d’une approche par cycle que par niveau de classe. Aussi, il n’est pas rare de voir des enfants ne rien faire, attendre, jouer, et cela malgré les incitations des adultes à la mise au travail. Nous avons d’ailleurs montré, dans une précédente publication, comment il était pourtant attendu de l’enfant montessorien qu’il soit au travail, mais aussi comment se construisait cette image de l’élève concentré, persévérant et authentiquement intéressé par le matériel utilisé (Leroy, Dubois et Durler, 2021). Même si chacun va à son rythme, c’est bien vers le travail que l’élève doit arriver, quitte à ce qu’il prenne un peu plus de temps.

L’adulte force de propositions

14L’adulte, même en retrait, veille. Il prend souvent la parole pour solliciter, encourager, inciter l’élève à choisir une activité. Et lorsqu’il présente un nouveau matériel à l’enfant, il est au centre de l’attention (il est observé, écouté). Bérangère Kolly utilise la métaphore du professeur de gymnastique ou de piano pour illustrer cette relation éducative singulière : « le gymnaste, le pianiste se forment eux-mêmes, en s’exerçant. Pour autant, les professeurs sont essentiels, en ce qu’ils donnent “une direction”, indiquent la manière de faire » (Kolly, 2018a, p. 135). L’adulte montre à l’élève comment le matériel doit être utilisé et dévoile, progressivement, toutes ses composantes didactiques. Maria Montessori écrit : « Le principe de liberté n’est donc pas un principe d’abandon : mais en nous faisant passer de l’illusion à la réalité, il nous guide vers un soin plus positif et plus efficace de l’enfant » (2007, p. 25). Accompagner l’enfant dans sa mise au travail, voire dans la réalisation de son travail, est donc une manière de prendre soin de l’élève, ce qui contribue, de fait, à son bien-être. Et plutôt que de le contraindre à une activité, c’est sur le mode de la proposition que le soutien s’opère. L’individualisation totale de cette pédagogie permet des propositions variées, qui ont plus de chances de convenir à l’enfant. Alba (enseignante) dit à Adrien (5 ans) : « Toi Adrien tu aimes les mathématiques… veux-tu prendre la boite des fuseaux ? ». L’adulte accepte, et cela se produit souvent, que l’enfant dise non. C’est un équilibre à trouver pour que les sollicitations ne soient pas trop insistantes et trouvent un écho dans les attentes des enfants.

15Attention, même s’ils essaient au maximum de soutenir la liberté des élèves et de s’adapter à leurs rythmes de travail, leurs envies, cet équilibre parfois leur échappe. Madelaine (enseignante) s’adresse à Paul (5 ans), manifestement agacée : « Là, tu es juste en train d’attendre que le temps passe et ça m’exaspère un peu. Moi je t’observe, et je vois que tu ne fais rien depuis tout à l’heure. Tu es à l’école pour travailler ». « Mais moi je n’ai pas envie ! », répond Paul. « Je sais, dit Madelaine, et moi j’ai envie de t’observer travailler ». C’est donc sous étroite surveillance, avec une forme de douce pression, que Paul se met au travail, pour quelques minutes seulement, puisque décidé ce matin-là à ne rien faire, le travail sera vite réalisé, de manière à se libérer du regard de Madelaine, satisfaite d’avoir vu l’enfant, un peu, en activité. Le travail montessorien est un indicateur de la relation de l’enfant avec le monde qui l’entoure : « Lorsque l’enfant travaille, l’enfant entre en relation avec le monde, et avec les autres. Du travail, compris comme construction de l’humanité, naît la sociabilité et l’éthique, c’est-à-dire un comportement juste avec le monde et les autres » (Kolly, 2018a, p. 186).

Quand l’affection s’en mêle

16Si les enfants expriment assez facilement leurs envies, c’est certainement parce qu’ils se sentent dans un environnement sécure, dans un climat assez propice à l’expression de leurs émotions. Effectivement, lors de notre toute première observation de classe Montessori, ce qui nous a marqué dans la relation éducateur/(t)rice et élèves, c’est l’effort constant des adultes pour se mettre à l’écoute de l’enfant, physiquement, sur le petit tabouret à côté des élèves, mais aussi directement au sol lorsque le travail se réalise sur un tapis. Presque tous les échanges se font à niveau d’élève, ce qui symboliquement renvoie à une volonté d’atténuer la domination physique de l’adulte sur l’enfant. C’est ainsi que de la tendresse, de l’affection trouvent leur place dans la relation et s’expriment de part et d’autre. Pourtant, Ghislain Leroy a bien décrit la disparition progressive de certaines thématiques affectives dans les programmes et les pratiques enseignantes des écoles maternelles, surtout à partir des années 2000 (Leroy, 2019), remplacées par des notions comme celle du plaisir, du travail. Ce qui montre bien le virage opéré et la volonté de laisser à la sphère familiale ce qui relève de l’affectivité éducative. Et pourtant, nous ne comptons plus les câlins à l’adulte que nous avons observés, surtout chez les plus petits (2-6 ans). Que ce soit le matin, lorsque l’arrivée à l’école est un peu difficile, et que l’enfant a besoin de ce moment de tendresse avant de se lancer dans sa journée d’école ; ou encore le câlin spontané qui est tout à fait accepté par l’adulte ; mais aussi, et c’est peut-être plus original, le câlin-médiateur, au service de la résolution des conflits.

17Un matin, un conflit éclate entre Madelaine (enseignante) et Thomas (4 ans) : Madelaine trouve dans la poche de l’enfant un tout petit cube. Elle rappelle qu’il est interdit de mettre du matériel de l’ambiance dans la poche. L’enfant se braque, est vexé, bras croisés. Madelaine s’abaisse face à Thomas et lui dit : « regarde-moi dans les yeux quand je te parle ». L’enfant refuse catégoriquement et se met à pleurer. Madelaine propose : « veux-tu un câlin avant que je ne te rappelle les règles ? ». Elle lui fait un câlin, explique les règles de la classe. En retour, l’enfant exprime sa très forte envie d’apprendre à utiliser la tour rose, d’où provient le petit cube. Madelaine se dirige vers le cahier dans lequel elle note toutes les présentations déjà réalisées et celles à venir, et dit à l’enfant : « tu vois dans cette colonne, je note tous les travails que les enfants ont envie de faire, j’ai bien noté ton envie de travailler avec la tour rose ». Le conflit prend fin immédiatement. Ici, le câlin est au service du renforcement du registre d’apprentissage identitaire-symbolique de l’enfant (Rayou, 2020). Il est aussi un déclencheur pour un rappel du cadre de fonctionnement normé de la classe Montessori. Les règles sont nombreuses, connues des enfants, rappelées très souvent. Elles concernent, par exemple, le déplacement (« je me déplace en marchant, surtout quand j’ai du matériel dans les mains », le repos (« je peux me reposer sur un tapis »), l’appel à un adulte (« lorsque je veux appeler un adulte, je pose ma main sur son épaule ») ; la gestuelle adaptée pour s’asseoir à table, l’usage des chaises, l’observation des camarades (« je demande à mon camarade si je peux l’observer réaliser son travail. S’il accepte, je m’installe non loin de lui, les mains dans le dos »), etc. Au-delà des règles en vigueur, le câlin a donc été, dans l’exemple cité, une proposition introductive au dialogue et à l’explication.

L’accompagnement au langage

18Si les enfants sont invités à laisser leurs émotions s’exprimer, cette expression prend souvent la forme du langage, de la verbalisation orale, ce qui n’est pas le cas de toutes les pédagogies différentes. En effet, d’autres approches vont, au contraire, proposer aux élèves des voies multiples d’expression des émotions, et pas seulement le langage verbal. C’est le cas par exemple de la pédagogie de Reggio Emilia à laquelle est pourtant souvent comparée la pédagogie Montessori (Dubois, 2021). Dans les deux cas néanmoins, le rôle de l’adulte est central. Il accompagne activement l’enfant dans cette expression, et pour le cas qui nous intéresse ici, dans la verbalisation. Il l’encourage ainsi à assumer la prise de parole dans le collectif. À propos du langage d’ailleurs, Montessori écrit : « Le langage n’est pas une possession personnelle : il dépend des autres » (1946/2017, p. 97). Elle ajoute :

Une certaine timidité apparaît parfois à cette période et nous [les éducateurs/(t)rices] devons toujours encourager l’enfant, car c’est une stimulation directe de sa force vitale. Ainsi, nous pouvons :

Mettre en place un environnement stimulant ;

Influencer les émotions de l’enfant.

Nous pouvons lui donner du courage en évitant d’interrompre ses efforts, ce qui freinerait son enthousiasme (Montessori, 1946/2017, p. 97).

19Il s’agit donc d’accueillir la parole de l’élève comme elle arrive, sans nécessairement la corriger à tout prix, au risque d’accentuer la timidité de l’enfant car « il sera[it] constamment confronté à ses défauts ». (Montessori, 1946/2017, p. 98). Par contre, l’adulte, lui, emploie du vocabulaire varié, riche, souvent technique. Il cherche à habituer les oreilles des enfants à ces mots, parfois nouveaux pour eux, qu’ils retiennent assez aisément, sans nécessairement toujours saisir la définition exacte.

Par nature, l’enfant est avide de nouveaux mots ; il aime les longs mots étranges comme les noms de dinosaures ou de constellations. Il apprend tous ces mots sans en connaître la définition, car son esprit est toujours au stade d’intégration du langage par un processus d’absorption inconscient (Montessori, 1946/2017, p. 205).

20La prononciation précise des mots par l’adulte va montrer à l’enfant l’usage adapté du vocabulaire et, par miroir, l’élève va progressivement développer, à son tour, un usage plus juste des mots.

21Au terme de cette seconde partie, nous pouvons dire que dans la pédagogie Montessori, les enfants travaillent. Les adultes s’assurent qu’ils travaillent effectivement. Pour cela, ils veillent à la préparation d’un espace scolaire propice à l’individualisation pédagogique. Ils instaurent une relation à l’enfant active, le sollicitant très souvent, favorisant l’expression de ses émotions, de ses affects, l’accompagnant fortement dans le développement de son langage. Ces éléments sont suffisamment caractéristiques de la relation éducative montessorienne pour que nous les soulignions. Et s’il n’était pas finalement question d’empathie ? C’est ce que nous proposons à la réflexion dans cette troisième et dernière partie, pour compléter notre catégorisation, à travers le triptyque bien-être, éthique et empathie, à la lumière de l’étude d’un cas d’inclusion scolaire.

Bien-être, éthique et empathie au service de l’inclusion scolaire

22Comment finalement comprendre cette relation éducative que nous avons, jusqu’ici, essayé de catégoriser ? Sur quoi repose la posture professionnelle des adultes de cette pédagogie ? Il nous parait opportun, tout d’abord, de rappeler, comme nous le mentionnions en introduction, l’influence majeure du mouvement de l’Éducation nouvelle du début du XXe siècle. Au fondement de cette révolution copernicienne de la pédagogie (Ottavi, 2009), on retrouve le postulat d’éducabilité de tous. « Le postulat d’éducabilité, autrement dit le postulat chez l’éducateur que toute personne dont il a la responsabilité possède toujours une aptitude à être éduquée et à progresser » (Terraz et Denimal, 2018, p. 6). Maria Montessori, comme d’autres pédagogues de cette période, croyait à ce principe fondamental. Elle s’insurgeait contre la domination des éducateurs/(t)rices à l’encontre des enfants et pour cela, tentait de proposer une pédagogie plus respectueuse de l’enfant, et de son bien-être à l’école, en rupture avec le modèle traditionnel, considéré comme violent. C’est ainsi qu’elle écrit : « l’action de l’adulte sera, non celle de la tyrannie et de la directivité ; non celle de l’abandon ; mais celle du “soin” de l’enfant » (Montessori, 2007, p. 25).  L’éducateur/(t)rice renonce à la violence et l’imposition pour épouser une démarche pédagogique liée à ce que l’on qualifierait aujourd’hui volontiers l’éthique du care. « Le courant du care, né dans les années 1980 dans les pays anglo-saxons, consiste justement à réhabiliter le “prendre soin“ d’autrui, le souci de l’autre, la notion de sollicitude » (Terraz, 2016, p. 4). Né dans les milieux du handicap, du soin, du travail social, il déborde désormais l’ensemble des métiers de la relation et s’applique donc au champ scolaire.

  • 4 Accompagnante d’élève en situation de handicap.
  • 5 Association Montessori France.

23Dans l’école que nous observons, une élève Louise, 9 ans, est scolarisée dans la classe de Charlotte, enseignante de la classe 6-12 ans, avec son AESH4, Sandra, par ailleurs assistante formée AMF5. La petite fille est atteinte d’une maladie qui la handicape fortement. Elle ne se déplace pas seule, ne parle pas. Nos observations témoignent d’une inclusion en partie positive de l’enfant. D’abord, de très nombreux élèves se montrent soucieux vis-à-vis de Louise et de son bien-être. À son arrivée, chaque enfant la salue, lui disant bonjour. Certains.es ajoutent : « je suis content.e de te voir Louise ». La proximité physique est forte, les enfants n’hésitent pas à lui prendre la main pour témoigner leur présence. En retour, Louise sourit et manifeste également de la joie de retrouver ses camarades. Dès que cela s’avère nécessaire, ils/elles proposent leur aide à Sandra. Par exemple, lorsque Léo (9 ans) s’aperçoit que les lunettes de Louise glissent de son nez, il dit : « Sandra, ses lunettes sont sur sa bouche. Elles sont toutes mouillées maintenant. Je vais les essuyer si tu veux ». Ce souci de l’autre se manifeste aussi lorsque Sandra essaye de faire un peu marcher Louise dans la journée, sur les conseils du kinésithérapeute de l’enfant. Plusieurs de ses camarades se mettent à ses côtés pour l’encourager vivement : « Aller Louise, tu vas y arriver ! » ou encore « Comme ça, quand tu iras en Espagne, ils verront que tu marches ».

24Nous remarquons que la petite fille occupe une place importante au sein du collectif enfants. Sandra multiplie les actions pour cela. Elle installe toujours la petite fille aux îlots centraux qui composent l’ambiance, au milieu des autres enfants, même si Louise a besoin d’un matériel spécifique pour apprendre. Lors des moments de travail, elle oralise beaucoup les activités réalisées, elle pose des questions aux autres enfants voisins, qui écoutent, répondent, se sentent impliqués dans le travail de Louise. L’enfant n’est pas dans le fond de la classe avec son AESH. Au contraire, Sandra lui construit une place, avec douceur et patience. Tommy Terraz écrit : « La relation bienveillante devient centrale dans l’émergence de l’autre comme personne ; là se situe selon nous la force de l’éthique du care » (Terraz, 2016, p. 2). Sandra veille au bien-être de Louise, à son épanouissement. La pédagogie Montessori qu’elle pratique y est sans nul doute pour beaucoup car elle lui fait confiance, elle croit en ses possibilités de développement. C’est encore ce postulat d’éducabilité dont nous parlions plus tôt. Il engage éthiquement l’éducateur/(t)rice. D’ailleurs, Martine Janner-Raimondi fait référence au « registre du souci d’autrui », en référence aux travaux de Gilligan et Tronto, qui montrent que le concept de care « permet de revendiquer une éthique spécifique visant à la compréhension et à la reconnaissance des personnes dans le cadre pragmatique des relations d’aide à autrui » (Janner-Raimondi, 2017, p. 98). Il s’agit bien, pour Sandra, d’aider Louise en tant que personne, de lui faire bénéficier d’une forme de qualité de présence à l’autre. C’est pour Sandra une éthique éducative qu’elle manifeste au service de l’inclusion de la petite fille en développant une « posture empathique » (Janner-Raimondi, 2017, p. 81).

25Cependant, l’empathie n’est pas une posture aisée en éducation. Elle comporte des risques, parmi lesquels la projection de soi sur l’autre. C’est un glissement que nous pensons avoir vu sur notre terrain d’observation. C’est d’ailleurs un peu en contradiction avec la pédagogie de l’autonomie de Maria Montessori qui exige une mise en retrait de l’adulte. Car c’est souvent l’inverse qui se produit dans le binôme Louise-Sandra. Sandra réalise à la place de Louise presque toutes les activités de l’enfant. Mais comment faire autrement ? Car l’enfant ne peut pas vraiment bouger volontairement et avec précision ses bras, ni ses jambes, ni sa tête. Et c’est là, à nouveau, que la notion d’empathie conserve toute sa puissance. Pour dépasser ce paradoxe manifeste, entre l’autonomie visée dans la pédagogie Montessori et la réalité de la situation physique de Louise, Sandra essaie de trouver comment aider l’enfant en mobilisant trois actions décrites par Martine Janner-Raimondi dans la relation empathique :

  1. Adapter les situations proposées [ce qui] renvoie à la prise en compte du sujet, indépendamment de l’efficacité de cette prise en compte. […]

  2. Ajuster sa relation à l’enfant […] comme dans le cadre de l’accompagnement d’équipes, [ce qui] nécessite sa prise en considération. […]

  3. Établir des liens avec d’autres interlocuteurs [ce qui] constitue une autre modalité d’aide (2017, p. 177-181).

26Autre fait notable, lors de nos observations, nous n’avons pas vu Charlotte, l’enseignante en charge des autres élèves de la classe, s’occuper de Louise. Nous avons entendu des échanges, Sandra rappelant à Charlotte ce qui avait été vu avec l’enfant, nous avons entendu Charlotte se préoccuper du bien-être de Louise, mais nous ne l’avons pas vue en tête à tête avec l’enfant, comme elle a pu l’être avec tous les autres enfants de la classe, sans exception, à un moment donné de nos observations. Cela ne signifie pas, nécessairement, que l’enseignante ne la prend jamais en main directement, ni que Charlotte ne se soucie pas de l’enfant. Néanmoins, la présence spécifique de Sandra a aussi pour effet collatéral cette relative distance que nous voyons entre l’enseignante et l’élève. Au final, si l’inclusion dans le groupe-classe de Louise semble positive et contribue au bien-être de l’enfant, comme à celui de ses camarades, l’intensité de la relation établie avec Sandra pourrait, en partie, limiter le bien-être de l’enfant dans le développement d’une relation plus ordinaire, à l’instar de ses camarades, avec son enseignante.

Conclusion

27L’objectif premier que nous nous étions fixé avec cette contribution était celui de repérer des invariants de la relation éducative, dans la pédagogie montessorienne, qui contribueraient au bien-être des élèves. En reprenant certaines positions de la pédagogue, nous avons fait émerger certains traits caractéristiques de cette relation à l’enfant, en lien avec des observations de classe, que nous schématisons dans l’illustration suivante :

Figure - Les invariants de la relation éducative montessorienne contribuant au bien-être

28Le chemin que nous avons parcouru dans ce texte, nous a amenée à réfléchir à la manière dont la pédagogie Montessori induisait une relation éducative qui pouvait contribuer au bien-être des élèves. Nous avons retrouvé plusieurs caractéristiques d’une « relation enseignant/e-élève réussie », telle que Gaëlle Espinosa (2016) les spécifie ; comme par exemple : la relation de confiance et de respects mutuels, l’engagement dans les activités d’apprentissage, la bienveillance, les conditions d’une relation affective non défensive avec l’élève, la mise en confiance dans l’accomplissement de la tâche ou encore l’éducation à l’autonomie. Cela signifie donc que ces facteurs, contribuant au bien-être de l’élève, ne sont pas réservés à la pédagogie Montessori mais que la manière dont cette pédagogie considère l’enfant et la relation adulte-enfant, pourrait participer, selon nous, à son bien-être, et en référence aux travaux de Gaëlle Espinosa, à une relation éducative réussie.

29Le développement de notre pensée nous a conduit à mettre la focale, dans un dernier temps, sur une relation duelle entre une assistante Montessori, endossant le rôle d’AESH, et Louise, élève en situation de handicap. Cette analyse, plus spécifique, a fait émerger des valeurs comme l’éthique, l’empathie, mais aussi les limites d’une relation empathique assez exclusive. À la lumière de l’ensemble du développement, nous aimerions tenter de répondre à la question suivante : quelle spécificité y aurait-il entre cette inclusion en pédagogie Montessori et une inclusion en milieu ordinaire plus traditionnel ? Nous voyons au moins deux pistes de réponse. La première, nous la proposons à la suite de Jean Houssaye qui, dans la préface de l’ouvrage de Martine Janner-Raimondi, que nous citions plus tôt, évoque une origine de l’empathie en pédagogie chez les grands pédagogues, parmi lesquels Jan Amos Comenius, Johann Heinrich Pestalozzi, Fernand Oury, Anton Makarenko, mais aussi Janusz Korczak, auquel nous faisions référence au début de ce texte. Nous proposons, à l’issue de notre réflexion et, en référence aux travaux de Martine Janner-Raimondi et Tommy Terraz, de compléter la liste de ce qu’il nomme « la pédagogie du cœur » (2017, p. 7) en y ajoutant le nom de Maria Montessori.

30La seconde piste de réponse est formulée comme suit par Sylvain Wagnon à propos des écoles alternatives :

Ces écoles à pédagogies alternatives centrées sur les intérêts issus des besoins fondamentaux des enfants savent mieux gérer les différences et les singularités de chacun. Le plus souvent, ces écoles ne sont pas non plus spécialisées dans la prise en charge d’un enfant handicapé, mais elles abordent cette problématique avec une plus grande sensibilité (Wagnon, 2019, p. 46).

31Nous retrouvons, dans les propos de l’auteur, la question du cœur à travers la notion de sensibilité. Il est fort probable que dans la pédagogie Montessori, le rapport à la différence soit plus familier qu’ailleurs. Il est sans doute question d’éducation du regard de chacun, des enfants comme des adultes, portée sur la différence, la diversité et la dignité humaine. Maria Montessori elle-même écrit :

« S’intéresser à l’enfant, c’est s’intéresser à l’humanité. Il faut enseigner à l’adulte que l’humanité peut devenir meilleure seulement s’il s’intéresse d’abord à l’enfant. Nous devons tous nous rendre compte que l’enfant construit l’homme » (Montessori, 1946/2017, p. 19).

32Aujourd’hui, alors que la diffusion des pédagogies différentes s’accélère dans la société, il nous paraît opportun de ne pas laisser penser que toutes les pratiques pédagogiques alternatives, même celles se revendiquant d’inspiration montessorienne, sont systématiquement pourvoyeuses de bien-être à l’école parce qu’elles affichent, par exemple, l’autonomie des élèves comme fer de lance. Des recherches en éducation apportent, à ce propos, des précisions non négligeables. Des travaux, comme ceux d’Héloïse Durler (2015) sur l’autonomie, rappellent à quel point l’autonomie de l’élève en contexte scolaire est une construction sociale, le produit d’une éducation intense, qui suppose des dispositions scolaires et familiales. Un autre spécialiste de l’autonomie scolaire Philippe Foray (2016) évoque, quant à lui, l’autonomie intellectuelle fonctionnelle, qui serait celle renforcée par les pédagogies de l’autonomie, et qui, poussée à l’extrême, dans une société individualiste qui peine parfois à trouver ce qui fait culture, pourrait conduire à une forme d’abandon scolaire, l’éducateur/(t)rice préférant laisser l’enfant se débrouiller seul.e, sous couvert de respect de sa liberté, dans le cadre d’une prétendue formation à l’autonomie.

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Notes

1 Nous utilisons dans cette contribution, à l’instar de Maria Montessori, enseignant.e / éducateur/(t)rice / maitre.sse sans distinction.

2 Au total, nous comptabilisons plus de 340 heures d’observation.

3 Ces observations sont menées dans le cadre de nos travaux de recherche sur la pédagogie au sein du laboratoire des sciences de l’éducation et de la formation de l’Université de Rouen (CIRNEF, UR-7454). Nos terrains d’enquête sont multiples et diversifiés. Ils ne se limitent pas à la pédagogie montessorienne.

4 Accompagnante d’élève en situation de handicap.

5 Association Montessori France.

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Pour citer cet article

Référence électronique

Émilie Dubois, « La relation éducative dans la pédagogie Montessori : réflexion sur des invariants pouvant contribuer au bien-être de l’élève.  »Éducation et socialisation [En ligne], 67 | 2023, mis en ligne le 31 mars 2023, consulté le 07 juin 2023. URL : http://journals.openedition.org/edso/22685 ; DOI : https://doi.org/10.4000/edso.22685

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Auteur

Émilie Dubois

Maitresse de conférences, Université de Rouen, Laboratoire CIRNEF - emilie.dubois@univ-rouen.fr

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Droits d’auteur

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