1Depuis un quart de siècle environ, de plus en plus de pays portent un intérêt croissant au bien-être et à la réussite de l’élève à l’école, les plaçant au cœur de leur système éducatif. Cet intérêt repose sur un enchaînement logique – certes simple, mais en tout cas efficace : un élève, bien à l’école, apprend mieux, est plus performant et sera ainsi capable, à plus long terme, de s’intégrer socialement et professionnellement et de participer ainsi, en prenant place au sein de la société, à l’activité économique du pays (Konu et Rimpelä, 2002b ; Rousseau et Espinosa, 2018).

De la définition du bien-être et des relations dans ce bien-être

2Bien qu’il soit peu aisé de définir le bien-être en général et le bien-être de l’enfant à l’école en particulier, il est toutefois possible de mieux saisir le bien-être à l’aide des deux traditions quant à la façon de le penser, dessinant ainsi deux perspectives d’appréhension de ce bien-être. Il convient néanmoins, à l’instar de Exenberger et al. (2019), d’avoir conscience des critiques ayant cours sur la littérature actuelle traitant du bonheur et le bien-être car ces deux traditions « sont enracinées dans les courants de pensée occidentaux » (p. 748), les conceptions orientales étant, elles, plutôt négligées (Joshanloo, 2014). Diener et ses collaborateurs, depuis Diener (1984), ont largement participé à l’étude du bien-être en concentrant particulièrement leurs efforts sur l’étude du bien-être subjectif, associé à son approche hédonique, première tradition quant à la façon de le penser. Dans cette perspective, trois composantes définissent le bien-être subjectif : la satisfaction à l’égard de la vie, les affects positifs et ceux négatifs. Le ressentir signifie, le plus souvent, déclarer un degré élevé de satisfaction à l’égard de sa vie et éprouver un niveau élevé d’affects positifs, un faible niveau d’affects négatifs (Deci et Ryan, 2008 ; Suldo et Huebner, 2006). Dans cette perspective, est à relever la présence massive des relations dans les dimensions ou indicateurs permettant les modélisations du bien-être subjectif de l’élève à l’école. Par exemple, le modèle de Konu et ses collaborateurs (2002a ; 2002b) signale l’importance des relations sociales à l’école (social relationships (loving)), comprenant les relations enseignant·e-élève et entre pairs. Il en va de même dans les travaux de Hofman et al. (1999), Samdal et al. (1999) ou Engels et al. (2004) qui appréhendent le bien-être à l’école au moyen de plusieurs indicateurs dont l’un, en plus de la connotation générale concernant le fait d’aimer ou de ne pas aimer l'école, est les relations avec les enseignant·e·s. La seconde tradition quant à la façon de penser le bien-être est l’approche eudémonique. Dans cette perspective, le bien-être est considéré comme étant « plus que le simple bonheur », suggérant que l’individu qui déclare être heureux (ou qui déclare une satisfaction à l’égard de sa vie et éprouver des affects positifs) n’est pas nécessairement un individu bien psychologiquement (Deci et Ryan, 2008, p. 2). Le bien-être est appréhendé non pas comme « un résultat ou un état final » mais plutôt comme un « processus d’accomplissement ou de réalisation » de ses potentiels et, partant, de soi (Deci et Ryan, 2008, p. 2 [notre traduction]). C’est dans la perspective du bien-être eudémonique que les travaux de Ryff et ses collaborateurs s’inscrivent (notamment Ryff, 1989 ; Ryff et Singer, 2008), le nommant, en outre, le bien-être psychologique. Selon Ryff (2014), six composantes définissent ce bien-être : l’autonomie, la maîtrise de l’environnement, la croissance personnelle, les relations positives avec les autres, les buts dans la vie et l’acceptation de soi. Cet ensemble élabore un modèle. Chacune de ces six composantes contribue au bien-être psychologique d’un individu et concourt à la réalisation de soi. Dans cette perspective, c’est l’étude du processus d’accomplissement de soi qui est centrale, les relations positives avec les autres, notamment, participant à ce processus. Ainsi, que l’on se place dans une perspective hédonique, eudémonique ou, depuis quelques années, mixte, il est aujourd’hui admis que les relations enseignant·e-élève (Delle Fave et al., 2011 ; Haïat et Charron, 2022 ; Mabilon-Bonfils et al., 2023 ; Rees et al., 2013) et entre pairs (Baudrit, 2000, 2005 ; Buchs et al., 2008 ; Darnon et al., 2008 ; Howden et Rouiller, 2010 ; Connac, 2022) jouent un rôle d’importance dans le bien-être et la réussite de l’élève à l’école. Si elles sont positives, les relations participent en effet, d’une part, à vivre et ressentir, à l’école, du plaisir, de la satisfaction, du bonheur et, d’autre part, au processus de réalisation de soi de l’élève.

Présentation du dossier thématique

3À la poursuite de ces bien-être et réussite, ce sont les relations enseignant·e-élève et entre pairs, et ainsi les conditions relationnelles favorisant les apprentissages, que nous posons au cœur de ce dossier : des relations en tant que forces pour apprendre, à l’instar de la formulation de Mallet (2015) avançant que l’amitié entre enfants ou adolescent·e·s constitue une force pour grandir. Il s’agit ainsi, dans ce dossier, d’explorer l’influence des relations sur les apprentissages de l’élève, nous interrogeant ainsi sur ce qui permet d’éclairer les voies relationnelles susceptibles de mener au bien-être, aux progrès et à la réussite de l’élève à l’école.

4Ce dossier fut envisagé selon deux axes. Le premier concernait les relations éducatives enseignant·e-élève (Espinosa, 2003, 2016 ; Espinosa et al., 2023 ; Gaberan, 2003 ; Postic, 2001 ; Virat, 2014, 2019) : qu’explorent précisément les recherches menées sur la relation enseignant·e-élève ? Que ces recherches révèlent-elles ? Quelles pistes d’intervention proposent-elles ? Par ailleurs, quelles modalités relationnelles favoriseraient la réussite et le bien-être des enfants et adolescent·e·s à l’école ? Quelles modalités pour une éducation au bien-être à l’école également ? Quelles conditions apparentes peuvent être indiquées pour favoriser les liens entre processus d’enseignement et d’apprentissage ? Le second axe selon lequel fut envisagé ce numéro de revue concernait les relations entre pairs. Cet axe comprenait, d’une part, les relations et amitiés entre enfants et adolescent·e·s à l’école : si ces relations font partie intégrante de l’environnement de ces enfants et adolescent·e·s à l’école et si elles influencent leurs apprentissages et leurs réussites scolaires (Dejaiffe et Espinosa, 2013 ; Kindermann, 2016 ; Ryan et Ladd, 2012), que leur apportent-elles exactement qui favoriserait leur adaptation à l’école ainsi que leurs apprentissages ? Cet axe comprenait, d’autre part, les relations coopératives entre pairs (Connac, 2017a, 2017b, 2018, 2022) : quelles organisations coopératives contribuent ou contreviennent au bien-être des élèves ? En quoi l’augmentation de relations horizontales n’altère-t-elle pas le climat scolaire et l’attention des élèves ? Quelles sont les conditions pédagogiques identifiées pour entretenir la sérénité des relations ? En outre, sur ces deux axes, nous invitions les futur·e·s auteurs et autrices à proposer des contributions s’interrogeant sur les formes que pourraient prendre les formations initiale et continue des enseignant·e·s pour permettre le développement de relations enseignant·e-élève et de relations entre pairs favorisant bien-être et réussite des enfants et adolescent·e·s à l’école.

5Les propositions de textes reçues, en réponse à notre appel à contributions pour l’élaboration de ce dossier thématique, nous permettent aujourd’hui sa constitution. Onze articles, s’ancrant dans les deux axes que nous avions envisagés, constituent donc ce dossier. Ce dernier comprend deux parties. La première propose six articles traitant des relations éducatives enseignant·e-élève, la seconde partie présente cinq articles portant sur les relations entre pairs.

Les relations éducatives enseignant·e-élève

6Dans la première partie sur les relations éducatives enseignant·e-élève, le premier article, de Séverine Haïat, Gaëlle Espinosa et Annie Charron se positionne selon la littérature scientifique internationale affirmant le caractère déterminant de la relation enseignant·e-élève dans la réussite éducative de l’enfant et le bien-être de l’élève et de l’enseignant·e à l’école. Il interroge la notion de qualité de la relation enseignant·e-élève et la manière dont les pratiques enseignantes sont susceptibles d’évoluer dans la perspective d’une amélioration de cette relation. Pour ce faire, les autrices expliquent le modèle Teaching Through Interactions (TTI, Hamre et Pianta, 2007) permettant notamment de mieux comprendre l’importance d’interactions de qualité en contexte scolaire.

7Le deuxième article, de Marlène Martin et Pascale Haag, s’inscrit dans cette même approche. Les autrices présentent ainsi l’outil Classroom Assessment Scoring System (CLASS, Pianta et al., 2008) qui découle du modèle TTI. Elles centrent toutefois leur étude sur les dimensions du modèle portant sur la qualité des relations entre élèves et enseignant·e·s, cette qualité étant reconnue comme un déterminant essentiel du bien-être de l’élève à l’école. Au-delà de cette présentation, les autrices explorent ensuite, dans la littérature scientifique, l’usage de ce modèle pour évaluer de telles relations et en vue de la formation des enseignant·e·s à cette relation. Elles discutent enfin cette possibilité d’évaluation et de formation à la qualité́ de la relation enseignant·e-élève dans le contexte français.

8Le troisième article, de Sandrine Biémar et Line Fischer, s’intéresse justement à la formation des futur·e·s enseignant·e·s aux aspects relationnels et émotionnels du métier. Les autrices font d’abord le constat, à l’international en général, en Belgique francophone en particulier, d’une bien faible existence de dispositifs, en formation initiale notamment, permettant le développement des compétences relationnelles et émotionnelles des futur·e·s enseignant·e·s. Elles proposent alors la présentation puis l’évaluation d’un tel dispositif mis en œuvre dans une université de Belgique francophone.

9Le quatrième article, de Pascaline Tissot, présente les points de vue d’élèves, scolarisés en France, émis lors de groupes de parole, quant à leurs ressentis sur la notion de bien-être et la position de l’enseignant·e. L’autrice propose de considérer le bien-être sous l’angle du rapport au(x) savoir(s) dans le lien de transmission. Elle s’interroge alors sur la possibilité d’accompagnement de l’élève dans ses apprentissages afin que son désir de savoir se transforme en curiosité intellectuelle. Elle développe ensuite le bien-être dans la transmission, à envisager éventuellement, dans la capacité de l’enseignant·e à promouvoir cette activité sublimatoire.

10Le cinquième article, de Stéphanie Frigout, présente, quant à lui, les points de vue d’enseignant·e·s exerçant en France récoltés au cours d’entretiens cliniques de recherche. L’analyse menée de ces entretiens à partir du terme bienveillance montre que la question des limites – réelles, symboliques, psychiques – dans la relation notamment à l’élève surgit fréquemment. L’article ambitionne ainsi de souligner l’intérêt de questionner les enjeux des limites en vue de penser la relation éducative. Il propose ensuite des dispositifs groupaux susceptibles d’encourager une telle relation apaisée et bénéfique.

11Le sixième article, d’Émilie Dubois, achève la première partie de ce dossier thématique sur les relations éducatives enseignant·e-élève. Son autrice situe sa réflexion sur la relation enseignant·e-élève dans le paysage des pédagogies alternatives, tout particulièrement dans la pédagogie Montessori. L’autrice s’interroge ainsi sur les spécificités et les invariants de la relation éducative adultes-enfants dans une telle pédagogie et sur l’idée qu’il puisse s’agir d’une éthique éducative fondée sur l’empathie. La réflexion est menée en alliant herméneutique textuelle et observation ethnographique, contextualisant des écrits de Maria Montessori avec des exemples de situations de classe en France.

Les relations entre pairs

12Dans la seconde partie sur les relations entre pairs, le septième article, de Sophie Levrard, aborde la question des tiers-lieux à l’école en tant qu’espaces qui, du point de vue des adultes, ne sont ni scolaires, ni strictement récréatifs. L’autrice se demande dans quelle mesure ces tiers-lieux sont des espaces d’expression du bien-être des enfants. Sa méthodologie qualitative de type ethnographique, mise en œuvre dans une école de milieu rural en France, lui permet de saisir la façon dont les enfants investissent de tels espaces, dans lesquels les relations sociales enfantines se tissent, vivent.

13Le huitième article, de Sophie Necker, Joséphine Rémon et Émilie Magnat, s’appuie sur un dispositif méthodologique particulier de recueil de données : la « boîte à moments spéciaux ». Les billets, anonymes, ainsi récoltés sont rédigés par des élèves scolarisés en dernière année d’école primaire en France. L’analyse de ceux signalant autrui, des relations et les émotions contiguës, permettent d’accéder au bien-être subjectif de ces élèves.

14Le neuvième article, de Véronique Barthélemy, s’intéresse au programme Devoirs faits, en collèges, au secondaire en France, visant la réussite de chaque élève. L’autrice tente de mieux comprendre dans quelle mesure ce programme est susceptible de promouvoir la réussite éducative des élèves qui le fréquentent. Les conditions de travail, les interactions entre élèves – et entre élèves et enseignant·e·s – ainsi que l’importance octroyée à la continuité́ entre temps scolaire et familial se révèlent être des pistes pour cette promotion.

15Le dixième article, de Sylvain Connac et Albert Irigoyen, aborde tout particulièrement la question des relations coopératives entre pairs. Cet article, théorique, propose une tentative de dialogue entre deux approches de la coopération scolaire : le cooperative learning (l’apprentissage coopératif) et les pédagogies coopératives. Au-delà de réelles différences entre ces deux approches, elles se révèlent également, et notamment, complémentaires pour penser la place des relations en pédagogie.

16Enfin, le onzième article, d’Amélia Legavre, propose de présenter les points de vue d’élèves, scolarisés en fin d’école primaire en France, sur des modalités de travail à plusieurs en classe, donc des modalités quelque peu coopératives. La méthodologie qualitative mise en œuvre permet la récolte d’observations en classes et d’entretiens menés avec de tels élèves. L’analyse de ces données dévoile que les interactions entre élèves en classe, dans l’ensemble appréciées, améliorent différemment leur expérience scolaire, en fonction, notamment, de leur niveau de résultats scolaires.

17Nous espérons que la découverte et la lecture de l’ensemble de ces contributions offriront quelques éclairages sur la place et le rôle des relations – enseignant·e-élève et entre pairs – dans le bien-être et la réussite de l’élève à l’école, soulignant ainsi l’importance de considérer ces relations à l’école.