1Après avoir été disqualifié dans les années 80 et 90, le Certificat d’Aptitude Professionnelle (CAP) fait l’objet de politiques volontaristes visant à sa revalorisation depuis les années 2000, notamment au sein des lycées professionnels (Maillard, 2012). En 2015, la part d’élèves de troisième s’orientant en CAP est de 11%, dont 6,5% par voie scolaire et 4,5% par l’apprentissage (Testas et al., 2018). Malgré les différentes campagnes de revalorisation, le CAP a toujours une image de relégation scolaire et sociale. Il est souvent considéré que les élèves y sont orientés « par défaut » (Léonardis et al., 2006 ; Palheta, 2015). Les élèves orientés en CAP sont majoritairement issus de classes populaires et ont pu connaître des parcours scolaires difficiles (Palheta, 2015). Néanmoins, le profil des élèves de l’enseignement professionnel n’est pas homogène (Charlot, 1999 ; Jellab, 2014 ; Palheta, 2015). Lors des différents processus de sélection et la hiérarchisation des filières, les élèves inscrits en voie scolaire se distinguent de ceux inscrits en apprentissage, accueillant, en moyenne, une part moins importante de filles, de jeunes issus de l’immigration et de jeunes dont les parents sont sans emploi (Arrighi et Gasquet, 2010 ; Testas et al., 2018). Des différences sont également observées au sein même de ces statuts selon les spécialités du diplôme.
2Des travaux en sociologie et psychologie sociale (Capdevielle-Mougnibas et al., 2013 ; Charlot, 1999 ; Jellab, 2014) montrent, par ailleurs, une diversité de rapports à l’école et aux savoirs des élèves de l’enseignement professionnel, qui va dépendre notamment de leur expérience scolaire antérieure, de leur socialisation familiale et du contexte scolaire. Peu de travaux se sont intéressés au rapport au marché de travail de élèves de CAP. À partir des enquêtes Génération, Béduwé et Dupray (2018) montrent que les diplômés de CAP et de Brevets d’Études Professionnelles (BEP) présentent une moindre inquiétude concernant leur avenir professionnel par rapport aux autres diplômés. L’étude du rapport au marché du travail de ces élèves lors de leurs études nous paraît particulièrement importante du fait qu’ils y sont confrontés très tôt lors de leurs études et qu’une partie d’entre eux vont chercher à s’insérer sur le marché du travail une fois leur diplôme obtenu. En effet, comment les élèves de CAP appréhendent leur entrée sur le marché du travail ? Quelle valeur accordent-ils au diplôme sur le marché du travail ? Comment s’articulent rapport au marché du travail et rapport à l’école ? Dans cet article, à partir d’une enquête quantitative, nous proposons ainsi d’analyser le rapport au marché du travail de ces élèves et comment celui-ci peut être mis en lien avec leur rapport à l’école.
3Dans une première partie, nous revenons sur la littérature portant sur la diversité des rapports à l’école des élèves de l’enseignement professionnel et définissons les différentes dimensions du rapport au marché du travail. Dans une seconde partie, l’enquête conduite auprès d’environ 750 élèves inscrits en CAP est présentée. La méthodologie employée pour la construction d’une typologie est présentée. Enfin, la dernière partie est consacrée aux résultats et à leur discussion.
4Un ensemble de travaux (Capdevielle-Mougnibas et al., 2013 ; Charlot, 1999 ; Jellab, 2014) souligne la diversité du rapport à l’école et aux savoirs des élèves de l’enseignement professionnel malgré des caractéristiques socio-économiques a priori relativement homogènes. Le rapport à l’école a été notamment appréhendé en lien avec le sens donné à l’orientation des élèves vers l’enseignement professionnel. Pour une partie des élèves, l’orientation en enseignement professionnel est vécue comme « non choisie » ou « par défaut » pouvant entraîner un sentiment de « relégation » et d’« amertume » (Palheta, 2015). Néanmoins, les recherches (Léonardis et al., 2006 ; Moreau, 2003 ; Palheta, 2015) révèlent que les élèves de l’enseignement professionnel peuvent également donner sens à leur orientation en évoquant une « vocation », la préparation d’« un métier » ou encore le souhait de rompre avec leur scolarité antérieure. Ces différentes formes d’adhésion à l’enseignement professionnel (Moreau, 2005) sont fortement dépendantes de l’expérience scolaire antérieure du jeune ainsi que de sa socialisation familiale et sociale. Des travaux (Valérie Capdevielle-Mougnibas et al., 2013) soulignent également un rapport différencié à l’école des élèves selon la voie de formation (voie scolaire vs apprentissage) et au sein de celle-ci, selon les spécialités de formation, pouvant en partie s’expliquer par la différence de composition du public d’élèves au sein de celles-ci. L’enseignement professionnel se caractérise, en effet, par une ségrégation sexuée importante conjuguée à une ségrégation ethnique et sociale au sein des différentes filières (Moreau, 2015). Par ailleurs, Jellab (2014) montre que le rapport à l’école et aux savoirs des jeunes va également se construire lors de leur formation par leurs relations avec les pairs, les enseignants ou encore leurs maîtres de stage/d’apprentissage. Pour certains jeunes, l’enseignement professionnel pourra être un moyen de se « réinventer un avenir » et donner lieu à une « remobilisation scolaire » (Charlot, 1999).
- 1 Cette définition se rapproche du rapport au monde professionnel défini par Longo (2018, p.75) où el (...)
5Le rapport au marché du travail des élèves de l’enseignement professionnel a, à notre connaissance, fait l’objet de peu de travaux. Jellab (2003) souligne les inquiétudes que les élèves de l’enseignement professionnel peuvent exprimer sur leurs futures conditions d’insertion sur le marché du travail. Les difficultés d’insertion des diplômés de CAP notamment sous voie scolaire ont été montrées dans de nombreuses études (Rhun et Marchal, 2017). Néanmoins, la manière dont les jeunes vont appréhender leur entrée sur le marché du travail ne va pas dépendre seulement des conditions réelles sur le marché du travail mais renvoie de manière plus large à leurs représentations à l’accès au marché du travail, et notamment la valeur du diplôme ainsi que les opportunités perçues pour eux sur le marché du travail1.
6La première dimension du rapport au marché du travail concerne la valorisation du diplôme et des études par les jeunes sur le marché du travail. Le rapport au marché du travail des jeunes ne peut être dissocié de leur croyance en la méritocratie et notamment en la méritocratie scolaire (Tomlinson, 2007). Duru-Bellat et Tenret (2009) montrent le rôle relativement important accordé par les jeunes au diplôme sur la réussite. Dans un contexte de massification scolaire, les travaux (Poullaouec, 2010) révèlent une conversion des familles populaires aux études longues, pouvant entraîner une dévalorisation de l’enseignement professionnel. Les études sont considérées comme un moyen de connaître une mobilité sociale ascendante et d’échapper au chômage notamment chez les familles issues de l’immigration présentant des aspirations scolaires élevées pour leurs enfants (Brinbaum et Kieffer, 2009). D’ailleurs, Palheta (2015) montre que, pour certains élèves de l’enseignement professionnel, les études sont perçues comme un moyen d’échapper aux emplois d’ouvrier de leurs parents. Ces élèves peuvent ainsi garder l’espoir de rejoindre la filière générale ou de poursuivre dans l’enseignement supérieur. A contrario, des auteurs révèlent l’existence d’une « culture anti-école » (Willis, 2011) ou plutôt d’une « culture anti-école » renouvelée (Delay, 2018) notamment parmi les apprentis. Ces jeunes nourris « d’un anti-intellectualisme populaire » (Moreau, 2005, p. 40) souhaitent entrer rapidement sur le marché du travail et n’aspirent pas à des études longues. Si le diplôme préparé est perçu comme « un passeport pour l’emploi » (Charlot, 1999, p. 50), ces élèves considèrent que ce sont avant tout l’expérience au travail (Moreau, 2005) et la motivation personnelle (Lehmann, 2005) qui leur permettront de s’insérer sur le marché du travail et de devenir de bons professionnels. Le mérite professionnel est ainsi perçu comme plus important que le mérite scolaire sur le marché du travail (Duru-Bellat et Tenret, 2009).
7La seconde dimension à prendre en considération réside dans les conditions d’accès et les opportunités perçues par les jeunes pour eux sur le marché du travail. La représentation du marché du travail va être fortement déterminée par le parcours des jeunes, par leurs premières expériences avec le marché du travail (Longo et al., 2020) ainsi que par les expériences de leurs proches et entourage (Atkin et al., 2020). Certains jeunes s’appuyant sur les expériences de « débrouilles » (Périer, 2008) ou de réussite de leurs maîtres d’apprentissage et de leurs proches peuvent avoir une vision plutôt optimiste de leur insertion (Lehmann, 2005). Ces jeunes peuvent ainsi considérer que le marché du travail est accessible et dépend notamment de leur réussite individuelle. Par contre, lorsque l’entourage a vécu des situations de déclassement, chômage ou discrimination, les élèves risquent d’avoir peu d’espoir quant à la valorisation de leurs études dans l’accès à l’emploi. Mickelson (1990) montre que les jeunes et notamment ceux d’origine populaire et issus de l’immigration peuvent valoriser le diplôme et les études dans la société mais percevoir de faibles opportunités pour eux sur le marché du travail. Ce « paradoxe » (valorisation des études/faible perception d’opportunités) peut entraîner une moindre adaptation aux exigences scolaires de ces élèves et affecter leur rapport à l’école. Par ailleurs, le parcours scolaire du jeune (difficultés scolaires, parcours d’orientation) ainsi que les premières expériences sur le marché du travail (difficultés à trouver un stage, etc.) sont susceptibles de renforcer leur perception de barrières existantes pour eux dans leur parcours d’études et sur le marché du travail. Charlot (1999) donne l’exemple de jeunes issus de l’immigration qui, par leur difficulté à trouver un stage, ne se font peu d’illusion sur leur chance de trouver un emploi par la suite. Pour ces jeunes, le marché du travail peut être jugé comme difficilement accessible et fortement inégalitaire.
8Ces éléments soulignent une diversité de rapports au marché du travail où s’entremêle un ensemble de dimensions qui vont dépendre notamment du parcours et de l’expérience scolaire du jeune ainsi que de sa socialisation familiale. Par ailleurs, le rapport à l’école et le rapport au marché du travail n’apparaissent pas univoques. Une valorisation du diplôme ne va pas forcément de pair avec la perception d’une insertion professionnelle sans difficulté et un rapport positif à l’école et inversement. Nous proposons, dans cet article, de mieux appréhender quels rapports les élèves de l’enseignement professionnel développent vis-à-vis de l'école et du marché du travail et comment ces rapports se construisent en prenant en considération la diversité des parcours et expériences de ces élèves.
- 2 Cette recherche a bénéficié d’un financement Bonus Qualité Recherche de l’Inspé Bourgogne et d'un f (...)
- 3 Au sein de trois établissements, la passation sur ordinateur n’a pas été possible faute de disponib (...)
- 4 Les taux de non réponses les plus élevés concernent les questions en lien avec la situation familia (...)
- 5 Certaines expressions comme le « piston » n’ont pas toujours été comprises par les élèves notamment (...)
9Pour cette enquête2, l’ensemble des chefs d’établissement des lycées professionnels et centres de formation d’apprentis de la région Bourgogne été contacté par mail. Au total, neuf chefs d’établissement de lycées professionnels et un directeur d’une école des métiers ont accepté de participer à cette enquête. Au sein de chaque établissement, les élèves ont répondu à un questionnaire auto-administré. Dans la majorité des établissements, la passation3 a eu lieu en salle informatique, le questionnaire étant informatisé, sur un temps aménagé lors d’une période de cours. Le chercheur présentait, tout d’abord, le projet de recherche et l’objet de l’enquête aux élèves en soulignant que leur participation était sur la base du volontariat et que leurs réponses seraient anonymes. Après avoir répondu aux éventuelles questions des élèves, ils étaient invités à remplir le questionnaire. Les élèves disposaient d’une heure pour y répondre, le temps de passation moyen a été de 45 minutes. Nous avons pu noter que la passation du questionnaire a été souvent perçue par les élèves comme un « exercice scolaire » du fait qu’elle se déroulait lors d’une période de cours (Orange, 2012). Sur les 812 élèves interrogés, 753 ont répondu à l’ensemble des questions4. Le questionnaire comprenait plusieurs rubriques portant sur l’orientation, le rapport à l’école et au marché du travail ainsi qu’un ensemble d’informations sur le parcours scolaire antérieur et les caractéristiques sociodémographiques de l'élève. Lors de la passation, un certain nombre de difficultés ont été rencontrées dues à des problèmes de compréhension de certaines questions de la part des élèves et du fait qu’une partie des élèves soit allophone. L’enseignant de la classe ainsi qu’un chercheur étaient présents lors des passations et pouvaient être amenés à reformuler ou traduire certaines parties du questionnaire afin d’aider les élèves présentant des difficultés5.
10L'échantillon est composé de 753 élèves inscrits en première (54 %) et seconde année de CAP (46 %). Parmi ces élèves, 43% sont inscrits sous voie scolaire et 57% en apprentissage. Au sein de notre échantillon, 32% sont inscrits au sein de filières relevant des secteurs de la Bouche et Hôtellerie, 36% du secteur des Services (Esthétique, Santé Sociale, Environnement) et 32% du secteur de l'Industrie et du Bâtiment. La répartition des filières selon le statut scolaire n'est pas uniforme, le secteur de l'Industrie et du Bâtiment étant surreprésenté parmi les apprentis. L’échantillon comporte une part plus importante de garçons (61%) que de filles (39%). Conformément aux résultats d’autres études (Arrighi, Gasquet, 2010), il est observé une forte ségrégation sexuée des filières avec une surreprésentation des filles dans le secteur des Services (76%) et une sous-représentation dans le secteur Industriel et du Bâtiment (7%).
- 6 Pour déterminer le statut migratoire de l'élève, nous ne disposons que du pays de naissance des par (...)
11Les élèves immigrés de première génération6, déclarant être nés à l’étranger ainsi que leurs parents, représentent 14% des élèves de notre échantillon. Par ailleurs, 12% de élèves sont issus de l’immigration de seconde génération (déclarant être nés en France dont au moins un des deux parents n’est pas né en France). Les élèves issus de l’immigration de première et seconde génération sont surreprésentés au sein de la voie scolaire, respectivement 58 % et 50 % contre 40 % pour les élèves non issus de l’immigration.
- 7 La profession des parents (ou du dernier emploi occupé) était demandée aux élèves en clair. A parti (...)
12Concernant le parcours scolaire antérieur, 34% des élèves de l'échantillon ont obtenu le Certificat de Formation Générale ; ce diplôme étant généralement proposé aux élèves scolarisés au collège dans les classes de Section d’enseignement général et professionnel adapté (Segpa), d’Unité localisée pour l’inclusion scolaire (Ulis) ou d’Institut médico-éducatif (IME). Par ailleurs, 59% ont obtenu le brevet des collèges ou professionnel. Enfin, les élèves sont majoritairement issus de milieux populaires. En effet, 58% des élèves déclarent que leur père a un emploi d'ouvrier, employé, artisan ou assimilé7 et 16 % des élèves ont leurs deux parents qui ne travaillent pas au moment de l’enquête.
- 8 L’ensemble des questions du questionnaire utilisées pour cette étude sont en annexe I.
13Le rapport à l’école et au marché du travail peuvent être difficiles à appréhender par questionnaire d’autant que comme nous l’avons souligné auparavant ils peuvent être étroitement liés. Des choix méthodologiques ont dû être réalisés. Un ensemble de questions ont été formulées afin de prendre en considération les différentes dimensions du rapport à l’école et au marché du travail. La plupart des questions sont tirées d’enquêtes préexistantes portant sur un public relativement similaire (âge et/ou niveau d’étude)8. Certaines reformulations ont pu être apportées afin de prendre en compte la spécificité du diplôme de CAP.
14Selon Charlot (1999, p. 83), le rapport à l’école peut revêtir deux sens : un rapport identitaire « la valeur, désirabilité : est-ce que cela vaut la peine, est-ce que c’est important d’aller à l’école et d’y apprendre des choses » et un rapport épistémique dont « la signifiance : travailler, apprendre, comprendre, qu’est-ce que cela signifie ? ». Dans cet article, la mesure du rapport à l’école se rapproche de la première définition donnée par Charlot (1999), soit le « sens » donné par l’élève d’aller à l’école. Nous distinguons le sens donné à l’école au sens donné aux périodes de stage et d’apprentissage qui font partie de la formation des élèves de CAP.
15Le sens donné à l’école est mesuré à partir de 4 items tirés des enquêtes PISA. En reprenant la classification de Duru-Bellat et al. (2008), deux items se rapportent à l’apport de l’école pour leur future vie d’adulte : L'école me donne confiance en moi pour prendre des décisions ainsi que L'école ne fait pas grand-chose pour me préparer à la vie d'adulte et deux items pour leur future vie professionnelle : L'école m'apprend des choses qui pourront être utiles dans mon futur travail et L’école est une perte de temps. Chacun de ces items est mesuré sur une échelle de Likert à 4 points (Pas du Tout d'accord à Tout à fait d'accord).
16Le sens donné aux périodes de stage et d’apprentissage : les mêmes items ont été utilisés que pour le sens donné à l’école où nous avons remplacé le terme école par « Les stages, l'apprentissage en entreprises ».
- 9 Ces items sont tirés du questionnaire de Boudesseul, Grelet et Vivent (cf. Boudesseul, 2008).
- 10 Cette question a été inspirée d’une question des enquêtes de l’Observatoire nationale de la Vie étu (...)
17Quant au rapport au marché du travail, différentes questions ont été mobilisées pour appréhender ses différentes dimensions. Elles portent sur la perception des élèves sur :
- la valeur du diplôme sur le marché du travail : deux items9 ont été mobilisés : Selon toi, plus on fait des études longues, plus on a un bon salaire ? ainsi que Selon toi, plus on fait des études longues, plus on est compétent dans son métier ? Les réponses sont ici binaires : oui/non ;
- l’insertion sur le marché du travail : tu penses qu’après ton diplôme, tu trouveras un emploi ? l'élève pouvant répondre sur une échelle de 1 à 4 (Très difficilement à Très facilement) ;
- les facteurs de réussite sur le marché du travail : selon toi, pour avoir un bon métier, il faut ?10 les élèves devaient juger d’un ensemble de facteurs sur une échelle de 1 à 4 en lien avec les efforts individuels : être motivé, s’en donner les moyens ; avec le diplôme : avoir le bon diplôme, avoir de bonnes notes, avec l'expérience : avoir des connaissances acquises grâce aux activités extérieures, avoir une expérience importante en entreprise, de facteurs « externes » : en lien avec le contexte : avoir de la chance, l'origine ; être de la bonne origine et le réseau : connaître des personnes qui t’aideront pour y arriver, le « piston »
- le sentiment d'égalité des chances : deux questions issues de l’enquête Dynegal ont été mobilisées : les gens ont tous les mêmes chances de réussir dans la vie quelle que soit leur origine sociale et aujourd'hui, l'école donne la même chance de réussite à tout le monde. Ces items sont également mesurés sur une échelle de Likert de 4 points.
- 11 L’indice de KMO est de 0,7775.
- 12 Le partitionnement en k-moyennes (ou k-means en anglais) est une méthode de partitionnement de donn (...)
18Après avoir présenté de manière descriptive le rapport à l’école et au marché du travail des élèves inscrits en CAP, nous proposons de construire une typologie permettant d’identifier différents « profils-types » d’élèves. À l’instar des travaux de Capdevielle-Mougnibas et al. (2012) et Kergoat et al. (2017), nous mobilisons une méthode de classification. Pour cela, dans un premier temps, nous réalisons une analyse en composantes principales sur l’ensemble des variables d'intérêt. Puisque ces variables sont ordinales, l’analyse en composantes principales est basée sur la matrice des corrélations polychoriques. Celle-ci nous a permis d’identifier six axes avec une valeur propre supérieure à 111. La contribution des différentes variables à ces axes est présentée dans le tableau I en annexe. Dans un second temps, une classification ascendante hiérarchique par la méthode de Ward est effectuée à partir des composantes issues de l’ACP. Afin de stabiliser les classes, nous utilisons une méthode de partitionnement « k-means »12.
19Les élèves de CAP présentent, en moyenne, un rapport plutôt positif à l’école (cf. figure 1). Ce rapport positif est plus marqué concernant leur future vie professionnelle que leur future vie d’adulte. En effet, 90 % des élèves déclarent que l’école leur apprend des choses qui leur seront utiles dans leur futur travail, 47% étant tout à fait d’accord avec cette affirmation et 43% d’accord. Ils sont 80% à déclarer que l’école n’est pas une perte de temps (36% tout à fait d'accord et 44% d'accord). En comparaison, 74% s’accordent sur le fait que l’école les prépare pour leur vie adulte et 60% considèrent que l’école leur donne confiance pour prendre des décisions. Ils sont néanmoins seulement 18% à être tout à fait d'accord avec cette dernière affirmation. Ces résultats sont relativement proches de ceux de Charlot (1999, p. 50, 332) qui souligne que pour une partie des élèves de l’enseignement professionnel, l’école est jugée comme importante mais « c’est l’école comme institution délivrant des diplômes, et donc un passeport pour l’emploi » ainsi « elle n’apprend guère à connaître la vie et à comprendre les gens ».
20Par ailleurs, les élèves valorisent fortement les périodes de stage et en entreprise. En effet, les élèves s’accordent majoritairement sur l’apport du stage et des périodes en entreprise pour leur future vie professionnelle (plus de 90%) et future vie d’adulte (plus de 80%). Le fort intérêt des périodes en entreprise pour ces élèves a été souligné dans d’autres travaux, révélant la forte valorisation des « savoirs professionnels » acquis lors des périodes en entreprise (Charlot, 1999 ; Jellab, 2001) considérés comme plus à même à les préparer à leur futur métier.
Figure I : Rapport à l’école des élèves
Note : Pour faciliter la lecture et la comparaison entre les items, certains items ont été inversés pour la présentation des résultats. Par exemple, l'école est une perte de temps devient l'école n'est pas une perte de temps.
21Les élèves ont une vision plutôt optimiste vis-à-vis de leur future insertion professionnelle, comme le montre la figure II. Ils sont, en effet, 77% à déclarer qu’ils trouveront un emploi sans difficulté (17% déclarant trouver un emploi très facilement et 60% plutôt facilement). Ils valorisent également les études sur le marché du travail. 66% des élèves considèrent que de plus longues études permettent d’être plus compétents dans son métier et 57% de percevoir un meilleur salaire.
Figure II : Insertion et valorisation des études sur le marché du travail
22Concernant la perception des différents facteurs de réussite sur le marché du travail, la figure III montre le poids important que les élèves accordent à la motivation et à l'effort individuel dans la réussite professionnelle. 82% et 70% des élèves déclarent respectivement qu’« être motivé » et « s’en donner les moyens » comme très important pour trouver un bon emploi. Puis « avoir le bon diplôme » et « avoir une expérience importante en entreprise » sont considérés comme très important dans l'insertion professionnelle pour respectivement 57% et 45% des élèves. « Avoir de bonne notes » et les « connaissances acquises par des activités extérieures » sont jugés jouer un moindre rôle, respectivement 32% et 26%.
23Les facteurs « externes » dans la réussite professionnelle sont estimés comme les moins déterminants hormis le réseau (37% des élèves). « Avoir de la chance » est considéré par seulement 13% des élèves comme très important afin de trouver un bon emploi. Nous pouvons également noter que l’origine dans la réussite professionnelle est perçue comme minime par les élèves (11%). Ces résultats rejoignent dans une certaine mesure ceux de Forsé et Parodi (2016) qui montrent que les diplômés de l’enseignement professionnel ont une forte croyance en l’égalité des chances dans la société. D'ailleurs, 70 % des élèves s'accordent avec le fait que les individus ont tous les mêmes chances de réussir dans la vie quelle que soit leur origine sociale ; 47% étant tout à fait d'accord avec cette affirmation et 23% d'accord. Ce résultat est encore plus marqué concernant l'école, 47% d'élèves et 31% déclarant être respectivement tout à fait d'accord et d'accord avec le fait qu'aujourd'hui l’école donne les mêmes chances de réussite à tous.
Figure III : Facteurs de réussite et égalité des chances
24Ces premiers résultats soulignent l’importance accordée à l’école et aux périodes de stage/apprentissage pour les élèves inscrits en CAP notamment pour leur future vie professionnelle. Ils valorisent le diplôme pour leur future insertion et croient en l’égalité des chances par l’école et lors de leur entrée sur le marché du travail. Ces élèves n’anticipent pas, en moyenne, de difficultés importantes pour leur entrée sur le marché du travail et valorisent fortement l’effort, « s’en donner les moyens » au détriment des facteurs externes. Ils semblent, en moyenne, avoir intériorisé le discours dominant de la réussite individuelle. Néanmoins, ces analyses descriptives ne permettent pas de prendre en compte la diversité des profils des élèves dans l'enseignement professionnel ; il s’agit ainsi de mieux comprendre comment le rapport à l’école et au marché du travail se conjuguent et sont susceptibles de se construire selon leurs expériences scolaires, d’orientation et socialisation familiale.
- 13 Le nombre de classes à retenir a été déterminé à l’aide du test de Duda-Hart et du dendrogramme
25À partir de la classification, quatre « profils-types » ont été identifiés13. La labellisation et l’interprétation des « profils-types » doivent être réalisées avec précaution afin de ne pas « intensifier » certains traits et surinterpréter certaines variables (Egan, 1984). L’ensemble des variables mobilisées pour la classification sont présentées par profil dans le tableau II. Afin de faciliter la labellisation et l’interprétation, les variables les plus discriminantes par profil sont mises en évidence (en gras). Le tableau III en annexe présente les variables en lien avec l’orientation, les caractéristiques socio-économiques et l’expérience scolaire du jeune permettant de caractériser ces différents profils.
Tableau II : Présentation des quatre « profils-types » du rapport à l'école et au marché du travail
|
Profil 1 36%
|
Profil 2
22%
|
Profil 3
19%
|
Profil 4
24%
|
L'école m'apprend des choses qui pourront
être utiles dans mon futur travail (3,33)
|
3,60
|
3,67
|
2,88
|
2,97
|
L'école n'est pas une perte de temps (3,07)
|
3,37
|
3,59
|
2,49
|
2,59
|
L'école me donne confiance
en moi pour prendre des décisions (2,62)
|
2,64
|
3,44
|
2,26
|
2,13
|
L'école me prépare à la vie d'adulte (3,01)
|
3,34
|
3,33
|
2,53
|
2,60
|
Le stage en entreprise, l’apprentissage m'apprennent des choses
qui pourront être utiles dans mon futur travail (3,54)
|
3,75
|
3,82
|
2,92
|
3,45
|
Le stage en entreprise, l’apprentissage ne sont pas une perte de temps (3,60)
|
3,83
|
3,80
|
2,95
|
3,58
|
Le stage en entreprise, l’apprentissage me donnent confiance
en moi pour prendre des décisions (3,22)
|
3,39
|
3,72
|
2,63
|
3,01
|
Le stage en entreprise, l’apprentissage me préparent à la vie d'adulte (3,33)
|
3,69
|
3,44
|
2,60
|
3,30
|
Avoir de la chance (2,15)
|
1,65
|
2,81
|
2,63
|
1,90
|
Avoir des bonnes notes en cours (2,92)
|
2,99
|
3,53
|
3,05
|
2,16
|
Connaître les bonnes personnes, le « piston » (3,06)
|
2,95
|
3,47
|
3,38
|
2,61
|
Etre motivé (3,78)
|
3,94
|
3,92
|
3,62
|
3,52
|
Connaissances activités extérieurs (2,70)
|
2,56
|
3,07
|
3,03
|
2,30
|
Avoir le bon diplôme (3,42)
|
3,56
|
3,85
|
3,48
|
2,74
|
S'en donner les moyens (3,63)
|
3,82
|
3,8
|
3,51
|
3,28
|
Avoir une expérience importante en entreprise (3,25)
|
3,35
|
3,66
|
3,26
|
2,74
|
Etre de la bonne origine (1,71)
|
1,18
|
2,41
|
2,30
|
1,40
|
Faciliter à trouver un emploi (2,91)
|
2,99
|
2,87
|
2,63
|
3,01
|
Plus on a un bon salaire (0,57)
|
0,54
|
0,75
|
0,69
|
0,40
|
Plus on est compétent dans son métier (0,66)
|
0,73
|
0,82
|
0,69
|
0,40
|
Les gens ont tous les mêmes chances de réussir dans la vie quelle que soit leur origine sociale ? (3,02)
|
3,63
|
2,56
|
2,72
|
2,75
|
Aujourd’hui, l’école donne les mêmes chances de réussite à tous ? (3,18)
|
3,61
|
3,40
|
2,90
|
2,57
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Notes : Les chiffres entre parenthèses correspondent aux moyennes des différentes variables pour l'ensemble de l'échantillon. Pour chaque profil, les chiffres en gras correspondent aux cinq variables les plus discriminantes à partir des résultats des tests de Kruskal-Wallis. Les valeurs en italique signifient que la valeur de la variable au sein du profil ne présente pas de différence significative par rapport à la moyenne des trois autres profils.
26La première classe représente 36 % des élèves de l'échantillon. Les élèves de ce profil ont un rapport positif à l’école et aux périodes de stage/d’apprentissage, laissant supposer qu’ils jugent ces deux modes de formation comme complémentaires (cf. Charlot, 1999). Ils se caractérisent également par une forte croyance en l’égalité des chances dans la société et par l’école. Les facteurs externes tels que le réseau, la chance sont jugés comme relativement faibles dans la réussite professionnelle. Ils accordent un poids peu élevé à l'origine dans la réussite. En contrepartie, ils valorisent fortement l’investissement individuel, « le fait d’être motivé », « de s’en donner les moyens » ainsi que le diplôme pour trouver un emploi.
27Le tableau III montre que les élèves de ce profil se déclarent globalement satisfaits de leur orientation, 70% d’entre eux étant tout à fait satisfaits de leur orientation. Les motifs évoqués pour le choix de leur formation sont du registre de la « vocation » (Palheta, 2014) et de « l’amour d’un métier » (Moreau, 2004). En effet, 65% d’entre eux déclarent avoir choisi cette formation car elle est nécessaire pour le métier qu’il souhaite exercer plus tard et 51% par « envie de travailler, être dans l'action ». Ces résultats se confirment lorsque les élèves sont interrogés sur leur projet professionnel. Une majorité d’entre eux (75%) ont une idée précise du métier qu’ils envisagent, celui-ci étant étroitement lié à la formation préparée. De plus, ils sont plus de 80% à déclarer que le plus important pour leur métier futur est de travailler dans un domaine qui les passionne. Ils sont également nombreux (76%) à souhaiter poursuivre leur étude après leur CAP et notamment afin d’obtenir un diplôme leur permettant de se spécialiser dans le métier préparé (Mention complémentaire et Brevet professionnel).
28Au sein de ce profil, on trouve une part plus importante d’élèves non issus de l’immigration (81%), de filles (47%) et ayant obtenu le brevet des collèges (66%). La majorité des élèves de ce profil déclare, par ailleurs, avoir été aidés dans leur orientation par leur parent. Un effet filière apparaît avec une surreprésentation de la filière coiffure, esthétique (22% contre 14% pour l’ensemble de l’échantillon), considérée comme une des filières les plus « attractives » (Jellab, 2014).
29Au sein du second profil, comprenant environ 22% des élèves de l'échantillon, les élèves présentent également un rapport positif à l’école et aux périodes de stage et d’apprentissage. Ils valorisent l’école à la fois pour leur futur métier mais également pour leur future vie d’adulte. Ils accordent également une grande importance au diplôme pour entrer sur le marché du travail. Contrairement au premier profil, ces élèves ont une faible croyance en l’égalité des chances dans la société. La chance, le fait de connaître les bonnes personnes et surtout l'origine sont jugés comme déterminants pour avoir un emploi. Par contre, ils semblent avoir une forte croyance dans l’égalité des chances par l’école. Les élèves de ce profil ont ainsi une confiance élevée envers l'école et le diplôme dans la réussite tout en anticipant un marché du travail fortement inégalitaire.
30Le rapport positif à l’école n’apparaît pas forcément lié avec la préparation d’un « métier » précis mais par le souhait d’obtenir un diplôme leur permettant de s’insérer sur le marché du travail et dans la société. En effet, le projet professionnel de l’élève n’est pas toujours en lien avec la formation préparée (tableau III).
31Au sein de ce profil, 34% des élèves sont issus de l'immigration de première génération contre 14% pour l’ensemble de l’échantillon. Par ailleurs, les élèves de ce profil sont plus fréquemment scolarisés en lycée professionnel (55%) dans les filières de l’environnement ainsi que de santé, social et transport logistique. Ils sont moins nombreux à déclarer que leurs deux parents travaillent.
32Contrairement aux deux premiers profils, les élèves du troisième profil (19%) se caractérisent par un rapport plutôt négatif à l’école et surtout aux périodes de stage et d’apprentissage. Ce sont, par ailleurs, les élèves qui anticipent le plus de difficultés dans leur insertion sur le marché du travail. Ils remettent en cause à la fois l’égalité des chances par l’école et dans la société. Ils accordent un poids relativement important à la chance, aux réseaux ainsi qu’à l’origine afin de trouver un bon emploi. Pour autant, les élèves de ce profil valorisent positivement le diplôme et les études sur le marché du travail.
33Il apparaît que ce n’est pas réellement la valeur de l’école et du diplôme qui soit remise en cause mais leur formation en enseignement professionnel. En effet, le tableau III montre que les élèves de ce profil ont plus fréquemment « subi » leur orientation. Une part moins importante de ces élèves déclare que leur formation était leur premier choix d’orientation (61%) et à être satisfait de leur orientation (37%). Lorsqu’on les interroge sur les motifs dans leur choix de formation, 40% déclarent avoir été inscrits à cette formation pour ne pas rester sans rien faire. On retrouve, dans une certaine mesure, le profil d’élève identifié par Charlot (1999, p. 178) où « cette orientation a été imposée, ils n’en voulaient pas et ils n’en veulent toujours pas ». Les élèves de ce profil sont d’ailleurs plus nombreux à déclarer ne pas avoir de projet professionnel précis ou à avoir un projet éloigné de leur domaine de formation. Ils se distinguent également par des attentes différentes en terme d’emploi : ils sont 49% à juger « bien gagner sa vie » comme important dans leur futur métier (contre 38% pour l’ensemble). Une partie de ces élèves semble avoir des aspirations éloignées de leurs études actuelles. Ils sont d’ailleurs 40% à souhaiter poursuivre leur étude après le CAP et parmi ceux-ci à envisager des études tel que le bac professionnel, l’enseignement supérieur ou encore dans une autre filière. Le rapport négatif à leur formation et les faibles perspectives d’avenir professionnel semblent entraîner une forme de « démobilisation scolaire » de la part de ces élèves se traduisant par des absences et retards plus nombreux et un moindre respect envers les professeurs et des règles de vie de classe.
34Au sein de ce profil, la part d’élèves issus de l’immigration de seconde génération est de 19% contre 12% pour l’ensemble de l’échantillon. Par ailleurs, les élèves de ce profil sont également plus fréquemment issus de l’enseignement spécialisé (48% ont le CFG) et scolarisés en lycée professionnel (56%). Par rapport aux autres profils, on trouve une part plus importante d’élèves inscrits dans les filières du BTP (29%) et de la maintenance (26%).
35Enfin, les élèves du quatrième profil (24%) ont un rapport plutôt négatif à l’école et plus précisément à la préparation à la vie d’adulte, mais un rapport plutôt positif aux périodes de stage et d’apprentissage. Ils remettent en cause l’égalité des chances par l’école et considèrent le diplôme et le fait d’avoir de bonnes notes comme peu déterminant dans la réussite professionnelle. Par contre, ils ont une vision relativement optimiste de leur insertion professionnelle, laissant ainsi supposer que, pour ces élèves, l’entrée sur le marché du travail dépend d'autres facteurs que le diplôme et ne passe ainsi pas par l’école. On retrouve, dans une certaine mesure, au sein de ce profil une des formes d’adhésion identifiées par Delay (2018) ainsi que par Moreau (2005, p. 40) pour les apprentis qui recouvre « le désamour avec l’école, la dépréciation de la théorie au profit de la pratique ». Les élèves de ce profil sont plus nombreux à déclarer comme motif d’orientation le souhait d’apprendre autrement qu’au collège et expriment moins le souhait de poursuivre leurs études après le CAP. Ils mettent en avant une certaine autonomie dans leur choix d’orientation et leur projet professionnel. En effet, une part moins importante d’entre eux déclare avoir été aidé dans leur orientation par une personne de leur établissement scolaire. Ils sont également plus nombreux à déclarer comme priorité le fait d’avoir une liberté dans leur travail (13% contre 8% pour l’ensemble).
36On trouve au sein de ce profil une part importante d’élèves en apprentissage (71%). Par ailleurs, seulement 8% de ces élèves déclarent qu’aucun de ses deux parents ne travaillent contre 16% de l’échantillon.
37Les résultats montrent une diversité du rapport à l’école des élèves inscrits en CAP, ce qui rejoint les résultats de travaux antérieurs (Charlot, 1999 ; Palheta, 2015) mais également de leur rapport au marché du travail. Au sein des quatre « profils » identifiés, la répartition des élèves selon la voie de formation (apprentissage vs. voie scolaire), la spécialité de formation ainsi que le genre et l’origine migratoire n’est pas homogène.
38En effet, les apprentis sont surreprésentés dans le profil « la réussite hors l’école » par rapport aux lycéens professionnels. Les travaux (Capdevielle-Mougnibas et al., 2013; Moreau, 2003) ont montré que lors de leur orientation, les apprentis valorisent plus fortement l’expérience, la « pratique » et sont plus enclins à rejeter la forme scolaire. Les apprentis semblent également appréhender de moindres difficultés concernant leur entrée sur le marché du travail et attribuer peu de poids au diplôme dans leur insertion. Par leurs premières expériences de travail, nous pouvons supposer que ces apprentis déconnectent le mérite scolaire du mérite professionnel (Tenret, 2011), jugeant ainsi que le diplôme révèle de manière imparfaite les compétences professionnelles jugées nécessaires sur le marché du travail.
39Les lycéens professionnels se trouvent quant à eux plus fréquemment dans les profils « s’en sortir par l’école » et « un avenir incertain, les relégués ». Ce résultat souligne l’hétérogénéité importante des parcours scolaires et d’orientation des lycéens professionnels (Kergoat et al., 2017). On trouve, d’une part, des élèves en lycée professionnel avec un parcours scolaire plus difficile (généralement issus de l’enseignement spécialisé) et orientés par « défaut » en CAP notamment dans les filières du BTP, de l’industrie et de la maintenance. Le parcours de ces élèves n’apparaît pas influencer seulement leur rapport à la formation en enseignement professionnel mais également leur rapport au marché du travail qu’ils perçoivent comme difficilement accessible pour eux. D’autre part, des élèves de lycée professionnel ont de fortes attentes envers l’école et une croyance élevée en l’égalité des chances par l’école tout en ayant une perception plutôt inégalitaire de la réussite. Les élèves de ce profil appartiennent aux fractions les plus précaires des classes populaires. Il apparaît que c’est avant tout le diplôme qui est recherché afin d’accéder au marché du travail.
40Par ailleurs, les apprentis et lycéens professionnels sont également répartis au sein du profil « la réussite par soi et par l’école ». Les élèves de ce profil semblent avoir développé une « identité vocationnelle positive avec la possibilité de réussir sa vie non en opposition aux idéaux dominants de la classe moyenne » (Lehmann, 2005, p. 22). Ces élèves se distinguent par un parcours scolaire moins difficile, un plus grand soutien de leurs parents dans leur choix d’orientation et se trouvent dans les filières les plus « attractives ».
41Les différences observées peuvent ainsi s’expliquer par un effet de socialisation des filières de formation mais également par les différences de composition des publics d’élèves au sein de celles-ci (Denave et al., 2020). Il existe, en effet, une ségrégation sexuée et ethnique importante au sein des différentes voies et spécialités de formation (Moreau, 2015).
42Les résultats montrent, d’ailleurs, un effet de genre marqué au sein des profils avec une surreprésentation des filles dans le profil « la réussite par soi et par l’école » et une sous-représentation dans le profil « la réussite hors de l’école ». Les sociologues de l'éducation soulignent une socialisation différentielle, jouant sur les inspirations et les choix d'orientation scolaires et professionnelles des filles et des garçons (Duru-Bellat, 1994). Pendant leur formation, un rapport différencié à leurs études a également été observé avec un « meilleur ajustement des filles à l’ordre scolaire » (Denave et al., 2020) et un rapport positif plus important à leurs études ainsi qu’une vision plus optimiste de leur avenir professionnel (Bergamaschi et al., 2016).
43Enfin, le rapport à l’école et au marché du travail est fortement différencié selon le statut migratoire de l’élève. Les travaux ont déjà souligné que les jeunes issus de l’immigration déclarent plus fréquemment avoir eu une orientation contrainte au sein de l'enseignement professionnel (Brinbaum et Guégnard, 2012), se trouvent plus fréquemment dans les filières les moins « attractives » et accèdent moins à l’apprentissage (Arrighi et Gasquet, 2010). Nos résultats montrent que les jeunes issus de seconde génération de l'immigration, majoritairement scolarisés en lycées professionnels, se trouvent plus fréquemment dans le profil « un avenir incertain, les relégués ». Nous pouvons supposer que ces élèves issus de l’immigration ont pu ressentir et subir des formes d’injustices et de discriminations dans leur orientation puis dans leur recherche de stage et de contrat d’apprentissage (Brinbaum et Primon, 2013 ; Charlot, 1999), pouvant entraîner une perte de confiance dans leur avenir professionnel et une appréhension fortement inégalitaire du marché du travail. Par contre, les jeunes issus de la première génération d’immigration sont surreprésentés dans le profil « s’en sortir par l’école » . L’investissement scolaire peut apparaître pour ces élèves comme un moyen d'échapper à leur situation précaire (Brinbaum et Kieffer, 2004). Le rapport positif vis-à-vis de l’école des jeunes migrants a été d’ailleurs observé dans différentes études. Schiff (2020) souligne que pour ces jeunes, aller à l’école « donne un sens à leur présence en France ». Les élèves semblent néanmoins conscients que l’accès au marché du travail ne dépend pas seulement du diplôme mais que d’autres facteurs entrent en jeu.
44Les résultats montrent que, de manière générale, les élèves de CAP ont une perception plutôt positive de leur entrée sur le marché du travail et valorise fortement l’investissement individuel dans la réussite. Néanmoins, ce résultat cache une diversité de rapport au marché du travail et le lien avec le rapport à l’école n’est pas univoque. Le parcours scolaire et d’orientation des élèves en enseignement professionnel va influencer leur rapport à l’école mais également leur rapport au marché du travail. Des différences importantes sont observées selon la voie de formation (apprentissage vs voie scolaire) et les domaines de formation qui sont révélateurs de la ségrégation importante sexuée et ethnique au sein des filières et de l’effet de socialisation des filières.
45Cela étant, cette recherche présente un certain nombre de limites. Afin de mieux appréhender comment se construisent ces différents rapports à l’école et au marché du travail, il serait intéressant de mener des entretiens qualitatifs auprès des élèves. Le poids des pairs, la diversité des conditions de scolarisation au sein des établissements et les effets de territoire (Jellab, 2014) pourraient ainsi être mieux analysés. Par ailleurs, la construction de l’identité sociale et professionnelle du jeune n’est pas figée et peut évoluer selon ses différentes expériences. Il est donc important de mieux comprendre comment les premières expériences du jeune sur le marché du travail et notamment les conditions de stages ou d’apprentissage (Kergoat, 2015) sont susceptibles de faire évoluer leur rapport à l'école et au marché du travail. Enfin, les résultats de cette étude révèlent que la majorité des jeunes inscrits en CAP ne perçoivent pas de difficultés majeures à trouver un emploi après leurs études. Une partie de ces élèves semble avoir fortement intériorisé le discours de la motivation individuelle dans la réussite, notamment chez les jeunes filles. Au vu des difficultés d’insertion de certaines catégories de diplômés de CAP, le risque est que ces jeunes connaissent certaines « désillusions » (Devineau, 2006). Le vécu des conditions d’entrée de ces jeunes sur le marché du travail demande à être mieux appréhendé à l’instar des travaux d’Eckert (1999) et de Bonnet et al. (2018).
Longo, M.-E., Bidart, C., Alfonsi, J., Noël, M. et Berthet, T. (2020). Le rapport au travail : mise en lumière de l’agentivité des jeunes en situation de vulnérabilité au Québec et en France. Revue Jeunes et Société, 5(2), 33-58. https://doi.org/10.7202/1085571ar
Maillard, F. (2012). Ambitions et limites de la « refondation » du CAP (1998-2010). Revue française de pédagogie. Recherches en éducation, 180, 19-30. https://doi.org/10.4000/rfp.3775