1L'ouvrage intitulé Devenir écolier ou écolière, le sens d'une transition rédigé par Catherine Amendola et Jean-François Marcel, publié en 2023 aux Éditions CEPADUES, explore la question de l'entrée précoce des enfants dans le système éducatif, en mettant en lumière les implications sociales et individuelles de cette tendance croissante.

2En Suisse, depuis l'année 2011, l'école est rendue obligatoire dès l'âge de 4 ans, suscitant ainsi des interrogations quant aux objectifs sociétaux et aux répercussions individuelles de cette politique. Les auteurs s'inscrivent dans le courant de la sociologie de l'enfance, qui considère l'enfant comme un acteur actif et compétent de sa propre vie, et cherchent à analyser la signification de cette scolarisation précoce souvent qualifiée de « précoce » pour les enfants.

3Le premier chapitre de l'ouvrage propose une analyse théorique approfondie des effets et des risques associés à la scolarisation précoce, en mettant un accent particulier sur son impact sur la socialisation des enfants. Les auteurs examinent les différentes sources de socialisation, leur interrelation dans le contexte éducatif, ainsi que les conséquences en termes d'inégalités dans la relation à l'école. Ils soulignent notamment que la scolarisation précoce peut réduire les objectifs d'apprentissage à des aspects purement cognitifs, au détriment des besoins socio-affectifs des enfants. Par ailleurs, elle peut conduire à un changement dans l'approche pédagogique, passant d'une orientation axée sur le jeu libre et la découverte en école enfantine à une focalisation sur les acquisitions scolaires, alignées sur les objectifs majeurs de l'enseignement et soumises à une évaluation systématique. La recherche d'un équilibre entre ces deux approches, celle de l'accompagnement du développement de l'enfant et celle de la préparation au cursus scolaire, constitue un défi complexe en devenir.

4Le concept de « forme scolaire » est également exploré, notamment en ce qui concerne la manière dont l'école infantile est structurée pour faciliter la transition de l'enfant vers un mode de socialisation plus adapté au milieu scolaire. La socialisation pendant l'enfance implique l'acquisition de comportements, de modes de pensée et de valeurs propres à différents groupes sociaux, tels que la famille, l'école, les structures d'accueil, ainsi que les médias et les technologies. La convergence ou la divergence entre ces domaines peut engendrer des inégalités par rapport aux attentes scolaires, créant ainsi des disparités dans l'adaptation des enfants à l'école.

5Le deuxième chapitre se penche sur l'entrée à l'école en tant que période de transition, caractérisée par le passage de l'environnement familial à celui de l'école. Cette période peut être source de déstabilisation pour l'enfant, mais elle offre également de nouvelles opportunités. Cette transition est influencée par l'environnement social de l'enfant, l'école maternelle étant considérée comme une nouvelle institution comportant ses propres normes sociales, son rythme et son organisation spatiale distincte.

6Il est important de noter que l'objectif n'est pas d'effacer les connaissances antérieures de l'enfant, mais plutôt de les intégrer dans le nouvel environnement scolaire. Cette phase de transition nécessite un ajustement, où l'enseignant joue un rôle central en identifiant les besoins individuels de l'enfant pour le guider dans cette expérience. Cependant, comme évoqué précédemment, il est relevé que l'école maternelle ne remplit pas toujours efficacement ce rôle, car elle peut parfois représenter un obstacle au développement de l'enfant plutôt qu'une opportunité.

7La réussite de cette transition dépend des ressources propres à l'enfant, de sa capacité d'adaptation, des normes de comportement acquises au sein de la famille, et du soutien apporté par l'enseignant. La médiation de l'adulte référent dans ce nouvel environnement scolaire permet à l'enfant de donner un sens à cette expérience. La continuité entre le connu et l'inconnu est favorisée par des rituels collectifs et des activités qui contribuent à l'appropriation de la culture scolaire.

8En utilisant une méthodologie ethnographique inspirée des travaux de Malinowski, le troisième chapitre relate une étude menée en Suisse, précisément dans une école vaudoise en 2019. Les résultats obtenus se fondent sur l'analyse des expériences de 20 enfants âgés de 4 à 6 ans au cours des six premières semaines suivant la rentrée scolaire. L'objectif était de décrire comment les élèves attribuent un sens à cette période de transition, comment ils la vivent en tant que période de crise, et comment ils lui donnent une signification. L'étude visait également à identifier les pratiques et les dispositifs pouvant mieux accompagner les enfants pendant cette période.

9L'analyse des données a impliqué des observations, la tenue d'un journal de recherche, des enregistrements vidéo, des entretiens individuels avec les élèves, ainsi que l'utilisation de dessins et de photographies pour recueillir des informations sur les aspects spatiaux, relationnels et temporels de leur expérience. Les résultats ont montré que la dimension spatiale était particulièrement présente dans les productions des élèves, qu'il s'agisse de dessins individuels ou de photographies commentées collectivement. Au début de l'année scolaire, les élèves se concentrent principalement sur les éléments architecturaux de leur salle de classe et des éléments de leur environnement familier. La dimension relationnelle apparaît moins dominante, avec des références aux individus de leur classe et parfois à des membres de leur famille.

10Les élèves ont identifié trois activités principales caractéristiques du temps scolaire : le dessin, le jeu et le travail. Le « travail » est perçu comme conforme aux attentes de l'enseignant et consiste généralement en des tâches effectuées en position assise. Cependant, il semble que les élèves de première année ont du mal à comprendre le rôle de l'enseignant, tandis que ceux de deuxième année en ont une meilleure compréhension. Néanmoins, les attentes en matière d'apprentissage demeurent assez floues dans l'esprit des élèves.

11Les résultats indiquent que les enfants ont besoin de temps pour s'intégrer pleinement dans l'environnement scolaire, et cette transition s'étend sur l'ensemble du premier cycle primaire, soit les quatre premières années de l'école vaudoise. L'enseignant joue un rôle central en accompagnant les élèves dans l'acquisition de nouveaux comportements et modes de pensée adaptés au contexte scolaire. La continuité entre le connu et l'inconnu est facilitée par des rituels collectifs et des activités contribuant à l'appropriation de la culture scolaire.

12Dans l'ensemble, cet ouvrage met en avant l'importance des dimensions temporelles, spatiales, relationnelles et symboliques dans le processus d'adaptation des jeunes élèves à l'école. Il insiste sur le rôle de l'adulte en tant que médiateur de cette transition, tout en reconnaissant que chaque enfant possède ses propres caractéristiques et besoins spécifiques. Enfin, il encourage à développer des pratiques éducatives adaptées à cette période particulière, tant du point de vue théorique que méthodologique, tout en reconnaissant l'enfant comme un acteur essentiel de son propre parcours éducatif.