1Marie-Laure Viaud est une fine connaisseuse des questions d’éducation, plus spécifiquement des pédagogies différentes qui pourraient apporter un renouveau au monde scolaire. Elle travaille depuis plus de vingt-cinq ans sur ces sujets, principalement en se rendant dans les établissements scolaires qui mettent en œuvre des pédagogies nouvelles. Elle est l’autrice d’un nouvel ouvrage de propositions pour l’école, en particulier le collège, avec une entrée délibérément réaliste, progressiste et optimiste pour notre avenir éducatif. Son travail s’appuie sur des méthodologies sociohistoriques, fondées sur un croisement entre la collecte d’avis d’acteurs de l’école (sous forme d’observations de pratiques et d’entretiens), l’accompagnement d’équipes pédagogiques et le dépouillement d’archives témoignant de pédagogies alternatives.

2Cet ouvrage de 142 pages est articulé en cinq grandes parties.

3La première partie souligne les raisons de l’urgence du changement. « Il est vital de former des adolescents dotés d’un solide esprit critique, qui aient la capacité, non seulement formelle mais aussi réelle, à penser par eux-mêmes et à mettre en œuvre des projets collectifs fondés sur l’entraide et la coopération » (p. 14). D’après l’autrice, c’est encore loin d’être le cas. Or, ce serait nécessaire pour qu’élèves et personnels soient autorisés à prendre davantage d’initiatives, pour que les liens avec le monde hors l’école soit plus présent pour les jeunes (notamment pour qu’ils aient plus d’expériences autonomes) et pour lutter contre toutes les dégradations de divers ordres auxquelles les collèges doivent actuellement faire face. Marie-Laure Viaud s’appuie sur plusieurs travaux scientifiques qui détaillent ces freins : des résultats du système éducatif français en dessous des performances des pays de l’UE et de l’OCDE, un faible enrôlement des jeunes français dans les enjeux de la destruction de l’environnement ou un déficit de connaissances dans le domaine de l’économie et des relations sociales. Ces dégradations progressives conduisent à des élèves qui s’ennuient, une stigmatisation des plus en difficultés et « plus d’un tiers des adolescents qui sont en souffrance psychologique » (p. 26). Les élèves se comportent ainsi en consommateurs de l’école, d’un savoir livré clé en main, passifs et individualistes.

4L’engagement en faveur d’actions pour les collectifs représenterait alors un moyen de lutte contre les dérives individualistes, traduites par la sélection et la concurrence entre élèves. Cela constituerait une vraie main tendue à la fois aux élèves les plus fragiles qui pourraient gagner en estime d’eux-mêmes et à leurs camarades plus en réussite pour l’apprentissage du risque, de la curiosité et de l’incertitude.

5La deuxième partie s’intéresse à l’opportunité des pédagogies différentes. Marie-Laure Viaud présente les principaux résultats de recherche qui en soulignent l’intérêt et fait référence aux dynamiques mondiales qui montrent une attirance forte par de nombreux systèmes éducatifs pour une véritable alternative aux pédagogies scolaires conventionnelles. « Ces pédagogies parviennent à susciter le plaisir d’apprendre et la motivation ; la violence et les incivilités y sont bien moindres que dans les écoles standards, alors que, sur le plan des performances académiques, leurs acquis sont souvent meilleurs » (p. 30). Partout dans le monde, les familles seraient « de plus en plus à la recherche de pratiques qui favorisent le plaisir d’apprendre, l’épanouissement, le respect des rythmes et de la personnalité de chacun » (p. 31). Elle explique aussi que ce rebond est malheureusement observé au sein d’écoles privées (souvent hors contrat) qui, par définition, n’accueillent qu’une partie choisie de la jeunesse, avec une nouvelle réalité consistant à accorder des bourses pour que des élèves issus de familles modestes puissent y être inscrits.

6La troisième partie dresse un inventaire de ce qui empêche les acteurs pédagogiques de développer de nouvelles organisations du travail des élèves dans leurs contextes d’exercice professionnel. Marie-Laure Viaud souligne d’abord le poids d’un contexte sociopolitique défavorable : « La France est un pays de tradition centralisatrice et utilitaire. […] De nombreux français sont extrêmement attachés à l’idée d’égalité et profondément convaincus que l’égalité des chances passe par un même enseignement dispensé à tous » (p. 51). Il est aussi sujet de conditions actuelles très difficiles pour l’exercice du métier d’enseignant novateur en France, avec « de nombreuses équipes d’enseignants motivées, dynamiques, désireuses de disposer d’une petite marge de liberté pour mettre en place plus de pluridisciplinarité et de coopération, dépenser une énergie considérable pendant plusieurs années, ballottées de promesses en promesses, pour finalement ne rien obtenir » (p. 65). Il y aurait un décalage entre la notion d’innovation et la valorisation de pratiques pédagogiques durables : « les dispositifs, pour être soutenus, ne doivent être ni trop audacieux ni porteurs d’une remise en cause du fonctionnement du système établi » (p. 67). Ainsi, les conséquences pour les élèves, leurs familles et la société en général est une inertie globale. Pour les enseignants, le changement pédagogique est source d’un stress permanent, avec une demande accrue de temps à consacrer aux projets, qui se double par une demande de preuve d’efficacité non exigée pour des fonctionnements connus pourtant pour leur inefficience. « L’institution décourage les novateurs » (p. 68). C’est ce qui serait la cause d’un système à deux vitesses : une école pour les moins avertis et des systèmes de contournement et d’évitement développant à la fois l’enseignement privé et la démission d’enseignants.

8Ensuite du côté de l’organisation des apprentissages des élèves, avec des pédagogies qui les responsabilisent, les encouragent à s’engager au profit de la vie du collège, une refonte du temps accordé au « travail académique » ou à la promotion des pédagogies de projet mêlant différentes disciplines. Dans le collège suivi, les élèves ont été associés aux « commissions d’amélioration chargées de préparer les choix soumis à l’approbation de tous lors des conseils » (p. 98). Une attention a été attribuée à l’entretien d’une relation de confiance entre et avec les élèves : « plusieurs élèves curieux d’apprendre, motivés, enthousiastes, ont joué un rôle moteur dans le groupe » (p. 101). L’emploi du temps des élèves a été ritualisé, avec des cours académiques et du travail personnalisé en matinée ou des conseils coopératifs en début d’après-midi. Cela permet d’articuler des temps collectifs à des moments adaptés aux singularités, permettant notamment de l’autocorrection des exercices d’entrainements et du tutorat entre pairs, pendant lesquels « au lieu d’exécuter des consignes, les élèves deviennent acteurs » (p. 105). Le travail des adultes est ainsi transformé, priorisant l’aide à chacun en fonction de ses besoins et pour maintenir une ambiance propice au travail.

9La cinquième partie décrit les mesures qui pourraient contribuer à une dynamique de changement. Marie-Laure Viaud rappelle l’impasse des mesures imposées hiérarchiquement (des réformes top-down qui ne tiennent « pas compte de la diversité des conditions d’exercice des équipes, des contextes réels et des difficultés d’application » (p. 127)) tout comme celle de fonctionnements scolaires calqués sur des modèles libéraux (bottom-up, consistant « à donner une grande liberté aux établissements pour permettre la mise en place d’une variété de pratiques tout en supprimant la carte scolaire et la sectorisation pour laisser aux familles le libre choix de leur école » (p. 129).

11L’ouvrage rédigé par Marie-Laure Viaud ne fournit pas de nouvelles idées révolutionnaires pour l’avenir de l’école. En revanche, il dresse une synthèse rigoureuse des raisons de l’impasse actuelle et des mesures qu’il serait possible d’engager pour une école porteuse de réussites démocratisées, à partir de ce que l’on sait des richesses du monde des pédagogies différentes. Cet ouvrage est utile aux enseignants et chercheurs qui souhaitent accéder au croisement de ces mesures. Il est aussi une perche tendue au monde politique éducatif afin qu’il puisse mettre en œuvre des décisions allant dans le sens de l’intérêt commun, en particulier celui de l’enfance et de la jeunesse.