Introduction

2Rappelons que le développement professionnel des enseignants est un enjeu autant au Québec (Brodeur, Deaudelin et Bru, 2005 ; CSE, 2014, 2004) qu’ailleurs dans le monde (OCDE, 2017 ; Timperly, 2011 ; Timperly, Wilson, Barr and Fung, 2007 ; TALIS, 2009 ; Thomas, 2016). Ces travaux et bien d’autres soutiennent que les enseignants doivent être les maîtres d’œuvre de leur propre développement professionnel, car, autrement, ils s’y désintéressent et n’en voient guère la pertinence (Thomas, 2016). Par ailleurs, ils mettent en évidence le caractère trop sporadique des formations continues, leur faible articulation entre théorie et pratique, ainsi que leur manque de liens avec les conditions de travail et les besoins des enseignants (TALIS, 2009 ; CSE 2014).

3Or, depuis un certain temps, en réaction à ces critiques, différents auteurs préconisent des formations très ancrées sur les besoins des praticiens, ainsi que la formation par la recherche, à la recherche ou par une pratique appuyée sur la recherche (Brodeur et al., 2005). Des projets de recherche collaborative (Morissette et Desgagné, 2009 ; Christianakis, 2010) ou de communautés d’apprentissage professionnelles (Leclerc et Labelle, 2013) sont mis de l’avant, et ce, afin de soutenir le développement professionnel des enseignants. Dès lors, la collaboration entre chercheurs et praticiens est considérée comme un levier pour assurer l’accompagnement des processus de changement chez les praticiens, la pérennité des actions entreprises par ces derniers, ainsi que des rapports plus horizontaux entre chercheurs et enseignants au regard de savoirs mis en jeu (Savoie-Zajc, 2005 ; 2010). Spécifiquement, dans le cadre des communautés d’apprentissage professionnelles, la collaboration entre chercheurs et praticiens est considérée positivement, car le regard externe des chercheurs contribue à ébranler certaines pratiques inconsistantes consolidées ou routinières, dont celles des enseignants. Étant souvent submergés dans l’action, ces derniers ont de la difficulté à reconnaitre les subtilités de leurs pratiques (Timperly et coll., 2007). D’ailleurs, l’un des principaux problèmes des communautés d’apprentissage qui ne bénéficient pas d’un tel regard externe serait leur tendance à maintenir le statu quo. Néanmoins, si la participation des chercheurs est vécue de façon intrusive et normative par les enseignants, elle peut renforcer des hiérarchies déjà existantes entre ces acteurs, mais aussi entre l’école et l’université, entre les connaissances issues de la recherche et les savoirs d’action des praticiens (Christianakis, 2010).

4Or, que sait-on de la collaboration entre chercheurs et praticiens à l’intérieur de projets d’accompagnement et de développement professionnel ? Quels sont les enjeux qui caractérisent la collaboration entre chercheurs et praticiens dans un tel contexte ?

5Ce texte rend compte de notre expérience au sein du Projet SHV-ÉPS et des enjeux de la collaboration entre chercheurs et praticiens à partir de la documentation et des résultats de l’évaluation du projet par les enseignants. D’entrée de jeu, nous situons brièvement le cadre du projet, son origine et la problématique à laquelle il essaye de répondre. Par la suite, nous étayons ses bases théoriques conjuguant formation, recherche-action et collaboration. Nous décrivons également les grandes lignes du programme mis en place ainsi que ses participants. Nous appuyant sur des données collectées pendant deux ans lors des phases d’évaluation du projet SHV-ÉPS par les enseignants, nous faisons part de leurs perceptions à ce propos et examinons quatre enjeux : a) les rôles respectifs des praticiens et des chercheurs; b) la collaboration entre les différents acteurs; c) les savoirs ou connaissances partagés ou coconstruits ; d) enfin, la temporalité qui caractérise ce processus. En guise de conclusion, nous cherchons à explorer quelques pistes autant pour la recherche que pour les activités de formation de ce type.

Le projet SHV-ÉPS : à quelle problématique veut-il répondre ?

6Les éducateurs physiques se retrouvent aujourd’hui au cœur des enjeux de la promotion de saines habitudes de vie et d’un mode physiquement actif chez leurs élèves. Comme le décrit Armour (2010, p. 1) : « the physical education profession has, by virtue of its expertise in young people and physical activity, the potential to deliver a broad range of desirable educational and health-related outcomes ». Parallèlement, les modèles les plus récents en promotion de la santé prônent des approches centrées sur l’empowerment des enfants et des jeunes (Ioannou, Kouta et Charambolous, 2014 ; Thompson et Robertson, 2012). Ils prônent aussi des partenariats qui pourraient accroitre le travail conjoint et la collaboration entre plusieurs intervenants, dont l’enseignant. Au Québec, selon le Programme de formation de l’école québécoise (PFEQ), les enseignants d’éducation physique doivent développer chez leurs élèves trois compétences disciplinaires dont la compétence 3 (C3) Adopter un mode de vie sain et actif (MEQ, 2001 ; 2004). Celle-ci est déclinée en trois composantes que doivent développer les élèves avec le soutien de leurs enseignants : « élaborer un plan visant à modifier ou à changer certaines de ses habitudes de vie ; mettre en œuvre son plan ; évaluer sa démarche et l’état de ses habitudes de vie » (MELS 2004, p. 20). De plus, à travers le « domaine général de formation Santé et bien-être », le PFEQ préconise « une action concertée de l’ensemble du personnel, tout particulièrement des enseignants d’éducation physique ; […] et de tout autre intervenant du milieu scolaire ou communautaire (MELS, 2004, p. 6). L’objectif est de maximiser les environnements éducatifs et de mobiliser tous les intervenants scolaires, afin de favoriser un impact positif sur le changement des habitudes de vie chez les élèves tant du primaire que du secondaire.

7Sur le terrain, toutefois, les enseignants assument ces orientations avec difficulté. Des recherches suggèrent que les orientations imposées par le PFEQ parviennent mal à s’incarner dans les pratiques enseignantes (Turcotte, Gaudreau, Otis et Desbiens, 2010). Quoique les universités aient créé des cours spécifiques en promotion de la santé et de l’activité physique (Lèbe, 2003), des études interpellent la formation initiale quant à l’appropriation du PFEQ (Turcotte, 2006) et évoquent le besoin d’une formation continue adaptée. D’autres recherches suggèrent que les valeurs sous-jacentes aux orientations du PFEQ semblent ambigües (Rivard, 2010 ; Le Bot, Pasco et Desbiens, 2010), rendant difficile leur appropriation par les enseignants, tandis que l’enseignement en éducation physique, traditionnellement centré sur la transmission d’informations et le développement du savoir-faire, ne contribue pas suffisamment à ce que les élèves se responsabilisent vis-à-vis leur propre santé (Blais, 2004 ; Michaud, 2002). Par ailleurs, bien que le PFEQ prévoit un volet de connaissances essentielles sur les habitudes de vie (MEQ, 2001 ; 2004), celles-ci ne sont pas suffisantes pour inciter les enfants et les jeunes à bouger. Ce volet plutôt théorique, soulignons-le, n’est qu’une petite partie de la compétence 3, laquelle, en tant que « supra-compétence », est censée fournir un contexte pour le développement des compétences 1 Agir et 2 Interagir dans les contextes de pratiques d’activités physiques. (MELS, 2001 ; 2004). En fait, le tournant vers la promotion de la santé interroge les activités sportives traditionnellement proposées par les enseignants, puisqu’elles ne favorisent pas à elles seules l’adoption d’un mode de vie sain et actif à long terme chez les élèves (Armour et Harris, 2013). De plus, les éducateurs physiques semblent interpelés, car ils voient leur rôle modifié face aux nouveaux objets d’enseignement introduits par l’ajout de la compétence 3 (Bezeau, 2014). Ils craignent aussi l’introduction de trop de « paperasse » en gymnase et surtout la diminution du temps consacré à l’activité physique lors de leurs leçons (Borges, Kalinova, et Le Cren, 2006).

8Face à ces constats, le projet Saines habitudes de vie – éducation physique et à la santé (SHV-EPS) est né d’une demande du milieu scolaire qui a mobilisé, par la suite, des enseignants, des représentants de la Direction régionale de la santé publique et du Centre intégré universitaire de la santé et de services sociaux du Centre-Sud de l’Île-de-Montréal (DRSP, CIUSSS) et des universitaires. Plus précisément, l’équipe de coordinateurs du projet a établi un partenariat incluant deux représentants de la Direction régionale de la santé publique, deux professeurs des Universités McGill (UMcGill) et de Montréal (UdeM), deux conseillers pédagogiques de la Commission scolaire de Montréal (CSDM) et de la « English Montreal School Board » (EMSB) et deux étudiantes de maîtrise de l’UdeM. Une chercheuse de McGill et une professeure de l’Université d’Édimbourg ont contribué à différentes étapes du projet. Douze enseignants se sont joints initialement au projet.

9Les trois objectifs poursuivis par le SHV-ÉPS sont : 1) identifier les meilleures pratiques pédagogiques en ÉPS, selon les connaissances issues de la recherche et de la pratique, en lien avec la promotion d’un mode de vie sain et actif chez les élèves ; 2) cerner le rôle et les besoins de l’éducateur en ÉPS à cet égard ; et 3) créer une modalité de formation et d’accompagnement orientée vers le développement professionnel des éducateurs physiques, en promouvant leur autonomie pédagogique et leur leadership au sein de l’équipe scolaire. La collaboration et la coconstruction de savoirs sont donc au cœur de ce projet.

Les présupposés théoriques du Projet SHV-ÉPS

10En s’inscrivant dans une perspective de développement professionnel (Uwamariya et Mukamurera, 2005) le projet SHV-ÉPS se veut un point d’articulation entre théorie et pratique, ainsi qu’un espace de collaboration et de coconstruction de connaissances entre praticiens et chercheurs. En soutenant la participation à part entière des enseignants, en valorisant leurs savoirs, leur expérience et leur jugement professionnel, le projet mobilise trois composantes, soit la formation, la recherche-action et la collaboration.

111) La formation a trait à l’ensemble d’actions coordonnées visant une certaine transformation des pratiques chez les participants. Cette définition rejoint celle proposée par Tardif et Lessard (2003), car elle s’inscrit dans un contexte précis (les ateliers), fait appel à des outils, ressources et techniques variés (les formateurs, les activités proposées, etc.), et vise la transformation des pratiques enseignantes (améliorer leur enseignement, introduire des innovations, valider leurs pratiques, etc.), et ce, dans la perspective de leur développement professionnel.

122) La recherche-action, quant à elle, concerne l’intégration de l’action mettant en œuvre une planification développant, par la recherche, une compréhension de l’efficacité de sa propre mise en œuvre (Anadón, 2007 ; New South Wales Department of Education and Training, 2010). Selon Roy et Prevost (2013) la recherche-action a trois caractéristiques principales : 1) elle est réalisée avec les gens, plutôt que sur les gens ; 2) elle trouve son ancrage dans l’action, dans la nécessité de changer les choses ; 3) elle emprunte une voie non linéaire et cyclique. En ce sens, la recherche-action correspond au processus décrit par Kemmis et McTaggart (2000), présenté sous la forme d’une spirale, où alternent des cycles de recherche et d’action sur le terrain.

13Succinctement, chaque cycle est une suite de planifications, d’actions, d’observations de l’action, de réflexions et replanifications où l’action initiale est revisitée ou mise à jour. En contexte éducatif, ce processus commence par l’identification des problèmes ou des besoins vécus par les enseignants, à l’aide d’une démarche de réflexion sur l’action, elle-même nourrie par des collectes de données ou d’informations sur le contexte examiné. Puis, des pistes de solution sont identifiées, ce qui mène à la planification qui, à son tour, conduit à l’action. Par l’observation et la prise de données continues, les effets de l’action sont observés, voire évalués, de nouvelles données sont récoltées ou des mesures sont prises, toujours à l’aide de la réflexion, ce qui permettrait par la suite de réaligner le tir et de bonifier l’action. Ce cycle se répète jusqu’à ce que le problème soit résolu ou procure un résultat satisfaisant au regard des participants. En ce sens, l’on peut dire que la recherche-action est réfléchissante ou réfléchie (Mertler et Charles, 2008), autrement dit, elle concerne un processus où alternent la mise en œuvre du plan et la réflexion critique sur celui-ci.

14Signalons également que, selon Catroux (2002), la recherche-action a comme objectif de fournir des balises aux investigations effectuées par les enseignants et les chercheurs en situations complexes ; c’est un processus « destiné à doter tous les participants de la scène éducative, qu’il s’agisse des étudiants, des enseignants ou d’autres intervenants, des moyens d’améliorer leurs pratiques grâce à leurs expériences éclairées et nourries des savoirs théoriques en cours » (p. 2). Enfin, la recherche-action présuppose des retombées autant pour la pratique que pour la recherche, elle est collaborative et participative, tout en se fondant sur une démarche principalement qualitative, mais qui peut également s’appuyer sur des données d’enquête et, bien sûr, des données documentaires.

153) La collaboration entre chercheurs et praticiens est évidemment au cœur de la recherche-action, car elle nécessite l’engagement de tous. Ainsi, on ne peut pas concevoir une recherche-action sans la négociation conjointe du plan d’action, lequel inclut l’identification des problèmes, la prise de décision sur les opérations à réaliser, la participation à des synthèses, à des collectes de données ou de mesures, la définition des stratégies et des modalités de travail (Kemmis et McTaggart, 2000 ; Catroux, 2002 ; Roy et Prevost, 2013). À l’instar de Kuntz, Presnall, Priola, Tilford et Ward (2013), ajoutons que la collaboration, dans le cadre d’une recherche-action, peut être vue comme un outil qui contribue aux échanges, au partage et à l’analyse des pratiques dans des contextes distincts, tout en offrant aux enseignants et aux chercheurs la possibilité d’échanger et de questionner leurs pratiques, de mettre de l’avant leurs propres perspectives, croyances et interprétations et de négocier leurs propres conceptions, lorsque celles-ci sont remises en question par celles des autres partenaires ou par des théories ou des recherches. Pour Roy et Prévoit (2013), les praticiens contribuent autant aux aspects méthodologiques et pratiques de la production des connaissances qu’à la détermination de l’objet de recherche et de qui bénéficiera de ses retombées. Ceci veut dire, selon eux, que les participants deviennent des cochercheurs dans le processus de production de connaissances et qu’ils « déterminent ce qu’ils veulent expérimenter pour changer la situation qui les confronte » (p. 146). En ce sens, collaborer signifie pour les enseignants et chercheurs participer activement à toutes les étapes et décisions du processus, selon un rapport d’égalité et de respect mutuel. Cela dit, la collaboration peut varier selon l’expertise et l’implication de chacun. Enfin, bien que le degré de participation des chercheurs et des praticiens puisse varier et même évoluer tout au long du processus, l’efficacité des projets de recherche-action « dépend de l’accord et de l’implication de tous ceux qui seront affectés par sa mise en place » (Catroux, 2002, p. 14).

Le projet SHV-ÉPS : les ateliers et ses participants

16Concrètement, le projet SHV-ÉPS est structuré sur la forme d’ateliers collaboratifs combinant des activités diverses, notamment l’identification de problèmes et de pistes de solution, des activités de planification et d’évaluation des actions, des phases de réflexion sur la pratique et d’appropriation des connaissances issues de la recherche qui contribuent à éclairer les problèmes vécus dans la pratique.

Les ateliers

17Au total, huit rencontres comportant chacune deux ateliers, soit 16 ateliers en tout, ont été réalisées sur une période de deux années. Chaque rencontre, d’une durée de six heures, permettait la réalisation des deux ateliers, l’un en matinée et l’autre en après-midi. Puisque les deux communautés francophones et anglophones participaient à ce projet, les ateliers se déroulaient en français et en anglais : les enseignants s’exprimaient dans leur langue maternelle et les formateurs alternaient leurs interventions dans les deux langues.

Les participants au projet

20Au total, 12 enseignants, soit six femmes et six hommes, ont participé au projet, quatre de la CSDM et huit de la EMSB. Sept enseignent au secondaire et cinq au primaire. La plupart d’entre eux avaient entre 5 et 10 ans d’expérience, à l’exception de deux enseignantes en début de carrière et d’un enseignant proche de la retraite. À l’exception de ces trois derniers, l’âge moyen du groupe se situait dans la trentaine. Les plus jeunes avaient été formés à la promotion de saines habitudes de vie pendant leur formation initiale à l’enseignement. Les autres avaient eu quelques cours de promotion de la santé, sans plus. L’enseignant proche de la retraite avait connu les deux programmes scolaires québécois, l’actuel (implanté depuis 2000) et le précédent (1980-2000), sans pour autant avoir eu de formation plus soutenue dans le domaine de la C3. Notons que ce groupe formé dès la 1^re année n’est pas resté stable, il a changé avec le départ non volontaire de plusieurs de ses membres. Nous reviendrons sur ce point lorsque nous aborderons les enjeux du Projet SHV-ÉPS.

Démarche méthodologique de documentation du projet SHV-ÉPS

21À l’instar de Roy et Prévost (2013), nous décrivons la démarche méthodologique utilisée dans le cadre du projet SHV-ÉPS comme un processus flexible et itératif où la réflexion à toutes les phases (planification, action-observation et replanification) est nourrie autant par l’expérience des praticiens que par les connaissances théoriques issues de la recherche. Comme le montre la Figure 2 ci-dessous, la prise de données et de mesures et l’évaluation s’inscrivent dans cette perspective et peuvent s’appuyer sur des entrevues individuelles, des entrevues de groupe, l’observation des rencontres, la cueillette et l’analyse de la documentation ainsi que sur l’évaluation des points forts et à améliorer, l’identification des apprentissages et des difficultés rencontrées (Roy et Prévost, 2013).

Afin de mieux cerner le rôle et les besoins des éducateurs physiques et de documenter le processus de formation dans le cadre des ateliers ainsi que les pratiques pédagogiques mises sur pied par les enseignants dans le cadre de leurs projets respectifs, plusieurs données ont été recueillies autant en anglais qu’en français. Les données sont issues de : a) l’enregistrement en format audio de tous les ateliers, b) la prise de notes et les comptes rendus produits lors de chaque rencontre, c) les évaluations du processus réalisées à la fin des années 1 et 2 respectivement. Nous n’avons pas réalisé d’entretiens individuels ni d’entretiens de groupe. Comparant avec le schème de Roy et Prévost (2013), notre collecte de données, comme indiquée dans la Figure 3, fut quelque peu différente. Soulignons que tout le matériel partagé, produit et compilé lors des ateliers a été rendu disponible aux participants par courriel et sur le site Web du projet.

22La production de toutes ces données a deux finalités essentielles. La première s’inscrit dans la dynamique d’accompagnement (Savoie-Jacz, 2010), soit l’appropriation du matériel par les participants et sa réutilisation dans le processus de coformation, où le compte rendu des activités devient un outil de réflexion et de partage. Chemin faisant, toutes ces données permettent de répondre à la seconde finalité, soit d’analyser le processus d’accompagnement mis en œuvre et d’identifier ses limites.

23Dans cet article, nous nous intéressons plus spécifiquement aux résultats des deux évaluations produites par les participants respectivement à la fin de l’année 1 et de l’année 2. Ces évaluations avaient pour but d’amener les enseignants à exprimer leurs perceptions et leur appréciation par rapport à l’ensemble du projet SHV-ÉPS. Nous les décrivons brièvement ci-dessous.

25La deuxième évaluation s’inscrivait dans une activité de Think-pair-share, où les enseignants s’exprimaient librement et partageaient leurs points de vue et appréciations sur différents aspects des ateliers et sur les apprentissages découlant du processus durant l’année 2. Les questions proposées au groupe abordaient : 1) les attentes de chacun au début du projet ; 2) le degré d’atteinte de ces attentes ; 3) l’influence du projet d’un point de vue professionnel ou personnel. Les formateurs ont eux aussi participé au Think-pair-share. Comme nous l’avons mentionné précédemment, cette seconde évaluation a aussi permis de faire un retour sur l’ensemble des projets élaborés par les enseignants, en identifiant les points forts et les points à améliorer, ainsi que sur l’identification des apprentissages et des difficultés rencontrées.

26L’analyse descriptive des questionnaires a permis de dégager l’appréciation des participants par rapport aux thématiques traitées, aux liens théorie/pratique, aux dynamiques des ateliers, ainsi que par rapport à la logistique du projet, soit l’ensemble de moyens utilisés pour soutenir le déroulement des ateliers. Tandis que l’analyse des questions ouvertes a permis d’approfondir l’évaluation des ateliers, l’exercice a surtout contribué à la réflexion, autant sur sa propre participation au projet qu’à celle des intervenants, et à la redéfinition de certaines orientations de l’année 2. Enfin, l’analyse de contenu des notes prises lors de l’activité Think-pair-share a permis de restituer l’appréciation des participants à propos du projet, leur perception du processus et de leur participation ainsi que les défis et les écueils relativement à la mise en œuvre de leurs projets dans leurs écoles respectives.

Résultats

27Rappelons que l’objectif de ce texte est de présenter les résultats de l’évaluation des ateliers par les enseignants et d’examiner, à leur lumière, quatre enjeux qui caractérisent la collaboration entre chercheurs et praticiens : a) la collaboration entre les différents acteurs ; b) le statut ou le rôle des praticiens et des chercheurs ; c) les savoirs coconstruits ; d) la temporalité dans le processus.

28Nous faisons part des résultats issus de ces évaluations. Soulignons que celles-ci éclairent sur les points forts du projet, sur des enjeux et des écueils auxquels nous nous sommes confrontés, ainsi que sur l’évolution du projet, puisque l’évaluation de l’année 1 a servi à réorienter l’année 2. En ce sens, nous présentons les résultats sur la forme de bilans, l’un pour la première année et l’autre pour la deuxième.

Le bilan de la première année

29En ce qui a trait à l’année 1, il ressort de l’évaluation des enseignants une appréciation généralement positive du projet et de la démarche empruntée. Bien que 12 enseignants aient participé au projet lors de la première année, 10 enseignants ont répondu à l’évaluation de l’an 1, puisque deux enseignants ont dû quitter le projet pour des raisons personnelles.

30Ainsi, en ce qui a trait aux thématiques abordées lors des ateliers et leur contribution à la compréhension de la compétence 3 Adopter un mode de vie sain et actif (C3), les réponses des enseignants sont presque unanimes : 7 sont en accord, 2 légèrement en accord et 1 légèrement en désaccord. Quant à l’évaluation de la C3, leurs réponses sont similaires : légèrement en accord (n =7), en accord (n =2) et légèrement en désaccord (n =1). Bref, leurs réponses sont somme toute très positives. Cependant, bien qu’un seul enseignant signale être légèrement en désaccord et deux légèrement en accord avec ces items, ces nuances nous semblent importantes, considérant que la C3 est une compétence qui inclut plusieurs thèmes, dont certains n’ont pas pu être abordés en profondeur. Quant à la question sur l’évaluation de la C3, nous sommes conscients que, probablement lors des ateliers, nous n’avons pas pu apporter des réponses à certains questionnements des enseignants, car il y a peu d’outils dans le domaine de l’éducation physique sur l’évaluation de la C3 et ceux qui existent ne font pas encore consensus. Par ailleurs, tous les enseignants considèrent favorablement que les thématiques ont favorisé le développement de leur vision de la promotion des activités physiques (en accord n =8 et légèrement en accord n =2 respectivement) et des saines habitudes de vie (en accord n =6 et légèrement en accord 4 respectivement).

31En ce qui a trait aux liens théorie/pratique, les répondants sont légèrement en accord (n =5) ou en accord (n =3) pour affirmer que la démarche adoptée dans le projet SHV-ÉPS a contribué à établir des liens entre les connaissances issues de la recherche et leurs pratiques pédagogiques à propos de la C3. Deux enseignants cependant sont légèrement en désaccord. Par ailleurs, à l’exception d’un enseignant qui a indiqué être légèrement en désaccord, les autres enseignants ont indiqué être légèrement en accord (n =6) ou en accord (n =3) sur le fait que les liens théorie/pratique ont permis de valider leurs savoirs pratiques sur la compétence 3. Ici, encore, nous constatons des nuances dans leurs réponses ; cependant, à la lumière de celles-ci, il parait que les liens entre théorie et pratique ou la validation de leurs savoirs pratiques n’ont pas été négligés, mais que des besoins d’approfondissement se font encore sentir.

32Plus particulièrement à propos de la dynamique des ateliers, les enseignants sont d’accord (n =8) ou légèrement d’accord (n =2) pour dire que les ateliers ont contribué au partage d’expériences et aux échanges sur les pratiques. Ils sont également d’accord (n =6) ou légèrement d’accord (n =4) pour affirmer que les ateliers ont favorisé la réflexion sur la pratique, ainsi que l’identification de pistes d’action pour promouvoir la C3 (7 légèrement d’accord et 3 d’accord). Quant à la contribution des ateliers à l’identification de partenaires pour soutenir le développement de la C3, seulement 1 a indiqué être en accord, 7 légèrement en accord et 2 légèrement en désaccord. Leurs réponses à ces items ont suscité notre attention. D’une part, il semble que le partage d’expériences, les échanges sur les pratiques, la réflexion et l’identification de pistes d’action ont été des points forts de la dynamique des ateliers, ce qui nous semble très positif à l’égard de nos objectifs initiaux dans ce projet. D’autre part, quant au fait que la dynamique des ateliers semble avoir peu contribué à l’identification des partenaires, nous nous sommes questionnés sur le besoin d’apporter des éclairages sur l’importance d’identifier des partenaires, puisque ceci va de pair avec une vision plus large du développement de la C3, car cette compétence excède le cours d’éducation physique et fait appel à l’équipe-école, mais aussi à des partenaires externes à l’école, les chercheurs y compris. Nous y reviendrons dans notre discussion. Enfin, tous les enseignants signalent un haut degré de satisfaction quant à la logistique du projet ; ils reconnaissent également que l’environnement de travail était agréable et stimulant pour eux.

33Quant aux questions ouvertes, en plus d’aborder des thèmes non couverts par les questions à choix multiples, les enseignants ont fait des suggestions pour l’année 2, lesquelles convergent sur trois points :

341) Approfondir les thèmes et questionnements autour de la C3. Il ressort notamment de leurs propos une critique face à un certain manque de profondeur en ce qui a trait aux sujets abordés. Les enseignants indiquent que les discussions ont permis de faire le tour de la question (sur la C3 et sur la promotion de saines habitudes de vie) ; elles ont aussi favorisé le partage d’idées et de pratiques, tout en mettant en lumière les réalités distinctes de la communauté scolaire anglophone et francophone. Cependant, les enseignants auraient aimé approfondir davantage les questions abordées autour de la promotion de saines habitudes de vie et surtout de l’évaluation de la C3, en travaillant sur des aspects plus proches de leur réalité.

352) Concevoir des outils et des stratégies pour la C3. De plus, ils expriment un besoin de développer des stratégies, des outils et du matériel plus concrets pour mettre de l’avant des initiatives visant la promotion de la C3, afin de mieux faire face aux écueils rencontrés dans leur quotidien : absence de ressources, de temps et d’appui, manque de motivation des élèves, faible connaissance sur l’évaluation de la C3 et sur les manières de la relier aux compétences 1 et 2.

363) Enfin, bâtir collectivement des projets ou des SAÉ en lien avec la C3. Ainsi, les enseignants manifestent leur intérêt pour le développement des projets, leur mise en œuvre et leur validation collective. Aucun d’entre eux n’indique vouloir un accompagnement plus rapproché, par exemple avec des observations en classe, car ils considèrent les dynamiques des ateliers satisfaisantes. Comme le dit cet enseignant : « nous faisons déjà très bien en termes de partage et/ou de réflexion ». Un autre enseignant mentionne que « nous sommes tous encore dans le processus de développement de la C3 ». Un autre ajoute : « Il est important de s’améliorer chaque année. Je pense qu’il serait préférable de bien développer le côté pratique de la C3 plutôt que de procéder à des analyses plus en profondeur. Gardez cela simple ! ».

37Bref, comme on peut voir, le bilan de l’année 1 est, somme toute, assez positif, autant en ce qui a trait aux thématiques abordées et aux liens théorie/pratique qu’à la dynamique collaborative dans les ateliers et la logistique. Néanmoins, trois limites du projet ont été identifiées par les enseignants lors des évaluations écrites : 1) le besoin d’approfondir les thématiques abordées ; 2) le rapprochement insuffisant des ateliers de leurs problèmes quotidiens ; 2) la production d’outils pour répondre à ces problèmes, les mettre en œuvre et les valider collectivement.

38Certes, le projet visait dès le départ à répondre aux besoins des enseignants en ce qui a trait au développement de la compétence 3, en produisant et validant des outils pour la promotion des saines habitudes de vie. Cependant, lors de l’année 1, il n’était pas possible d’engager spontanément les enseignants dans une démarche de production d’outils sans qu’on identifie au préalable les problèmes et l’état de la situation sur le terrain. Ainsi, lors de cette première année, le projet a-t-il été centré sur la mise en commun de leurs pratiques, l’identification des besoins et des pistes de solution, l’appropriation de certaines connaissances issues de recherches par la lecture de textes, le partage d’expériences, la mise en commun de certains outils utilisés par les enseignants et les deux conférences. Toutefois, le groupe a peu avancé dans l’élaboration des projets, la planification conjointe et le développement d’outils pour répondre aux besoins et affronter les enjeux auxquels les enseignants font face avec leurs groupes d’élèves dans leurs établissements respectifs.

39Orientée par le bilan de l’année 1, l’équipe a décidé collectivement de passer, à l’année 2, à l’étape d’élaboration conjointe de projets et d’outils répondant aux besoins exprimés par les enseignants et mieux arrimés aux réalités de leurs divers milieux scolaires. Plus précisément, lors de l’année 2, nous nous sommes attardés collectivement, pendant les quatre ateliers, sur la planification, la mise à l’essai, la réflexion, l’évaluation et la replanification des projets, à la suite de l’identification des besoins et des objectifs spécifiques à atteindre à l’échelle de la classe ou de l’établissement.

40Rappelons encore une fois que l’année 2 s’inscrit précisément dans le cycle de recherche-action présenté précédemment, car en partant de leurs contextes de travail et des réalités du milieu scolaire, les enseignants ont bâti collectivement des projets, dont trois ont été complétés sur papier et, parmi ceux-ci, deux ont été effectivement expérimentés et validés par l’équipe. Ces projets portaient sur :

422) L’appropriation par les élèves du secondaire de la salle d’entrainement, projet mis en œuvre par deux enseignants dans leurs établissements respectifs.

433) L’analyse nutritionnelle et l’interprétation des menus de restaurants de restauration rapide, par les élèves du secondaire, afin d’identifier les aliments et les calories présents dans ce type de nourriture, qui est très appréciée des jeunes. Ce dernier projet avec trois enseignants du secondaire est resté à l’état d’intention, les enseignants comptant le mettre sur pied l’année suivante.

Le bilan de la deuxième année

44En relation avec l’année 2, l’évaluation effectuée à partir de la dynamique du Think-pair-share a révélé plusieurs enjeux et écueils découlant de la démarche mise sur pied par l’équipe. Nous les synthétisons ci-après. Il est à noter que les constats suivants ont émergé des notes prises individuellement, ainsi que des mises en commun aux fins de synthèse lors de cette activité d’évaluation.

45Un premier écueil a été le départ involontaire de certains membres : deux formateurs et quatre enseignants. Pour des raisons différentes, ils ont dû quitter le projet, ce qui a réduit la masse critique du groupe et a généré une certaine démotivation. L’arrivée d’un nouvel enseignant a été bénéfique, mais le groupe est devenu déséquilibré et majoritairement formé par des enseignants du secondaire dont les besoins sont différents de ceux du primaire.

46Un deuxième écueil fut la résistance du milieu scolaire et le peu d’appui des directions d’établissement, bien que celles-ci furent mises dans le coup dès le début du projet. À titre d’exemple, l’une des enseignantes du primaire n’a pas reçu l’appui attendu de son directeur pour le projet du Temple de la renommée et elle se sentait très isolée dans son établissement. Or, comme nous avons constaté nous-mêmes dans d’autres études sur collaboration en milieu scolaire (Borges et Lessard, 2007 ; Borges et Tardif, 2009) l’appui de la direction est essentiel à la consolidation du changement. Par ailleurs, avec quelques exceptions où l’on retrouve deux éducateurs physiques par école au primaire, un seul éducateur physique assume généralement toute la tâche d’enseignement de l’ensemble des groupes d’élèves dans une école primaire. Avec une charge de travail couvrant tous les niveaux, il est difficile pour ce spécialiste de travailler de manière rapprochée avec les titulaires de classe (Borges, 2011 ; Borges et Lessard, 2007). Des difficultés à transposer leurs projets dans la pratique ont été aussi perçues par les enseignants du secondaire, mais pour d’autres raisons. Le temps réduit de l’ÉPS en est une.

47Un troisième écueil a trait à un ralentissement dans les activités scolaires et parascolaires. En effet, avec les compressions budgétaires imposées par le gouvernement au début de l’année 2 du projet, plusieurs enseignants commençaient à sentir la pression de leur syndicat qui faisait appel à différents moyens d’opposition au gouvernement, notamment en demandant aux enseignants de se retirer de tous les projets de recherche en cours dans les établissements.

48Un quatrième écueil concernait le passage à l’action. En fait, les projets des enseignants ont évolué à géométrie variable. À titre d’exemple, lors de la 2^e rencontre de l’année 2, un groupe avait déjà mis à l’essai son projet et planifiait des réajustements ; un autre était à la veille de le faire ; tandis que le dernier groupe était encore dans la phase d’élaboration et éprouvait des difficultés à concevoir les étapes de leur projet.

49Ces quatre écueils ont quelque peu ralenti le processus selon les dires des enseignants lors de la dernière rencontre d’évaluation de l’an 2. En fait, les enseignants considéraient que les ateliers s’étiraient un peu trop, qu’ils avaient l’impression de tourner en rond et qu’ils ne progressaient pas beaucoup ou trop lentement.

50Enfin, un dernier écueil concerne l’articulation théorique établie avec les problématiques vécues par les enseignants. Cet écueil a été exprimé principalement par les formateurs et dans une moindre mesure par les enseignants. Ces derniers ont manifesté peu d’intérêt par rapport aux ancrages théoriques proposés lors des ateliers, lesquels visaient à étoffer leurs projets. En fait, le choix de faire des exposés conceptuels (par exemple, sur les environnements favorables à la promotion de saines habitudes de vie ou sur les approches les plus récentes en promotion de la santé) faisait partie d’une des stratégies des formateurs pour pallier l’agenda trop rempli des enseignants, qui n’avaient pas le temps de s’approprier la documentation scientifique. Dans la même veine, la stratégie consistant à résumer un article scientifique pour ensuite le partager avec le groupe a été utilisée. Cependant, dans les deux cas, cela n’a pas suscité d’engagement de la part des enseignants, qui ne voyaient pas vraiment comment réinvestir ces éléments théoriques dans leurs propres projets.

51Néanmoins, une stratégie d’inversion de rôles a mieux fonctionné. En effet, les enseignants ont été invités à se positionner en tant qu’experts de terrain et à donner leurs points de vue sur le cours de 1^er cycle de l’un des formateurs universitaires portant justement sur la promotion des saines habitudes de vie. Les enseignants ont été invités à évaluer le contenu du cours, la pertinence et la contribution de l’approche utilisée par le formateur, afin d’outiller les futurs éducateurs physiques quant à la promotion des saines habitudes de vie chez les jeunes. Cette activité a généré une participation active des enseignants et a suscité un grand intérêt pour l’approche présentée par le formateur, une approche qui, à leurs yeux, semblait transférable au milieu scolaire et à l’élaboration des projets pour le développement de saines habitudes de vie et d’un mode de vie physiquement actif.

Discussion/conclusion

52À la lumière de ces évaluations et perceptions des enseignants, plusieurs aspects de cette recherche-action méritent d’être interrogés. Nous en retiendrons quatre qui sont reliés entre eux.

53Un premier aspect a trait aux rôles des participants tout au long de la démarche, ainsi qu’aux attentes des uns et des autres à l’égard du projet. Les évaluations des années 1 et 2 incitent à s’interroger sur les rôles des chercheurs à l’égard des enseignants et vice-versa. Dans notre projet, rappelons-le, l’équipe de coordination était formée par des chercheurs, mais aussi par des formateurs de terrain (les conseilleurs pédagogiques). Nous envisagions de la sorte une complémentarité de nos contributions respectives, mais aussi une meilleure prise en compte des besoins réels des enseignants. De plus, le projet visait un engagement des enseignants dans le processus à partir de l’identification de leurs propres besoins jusqu’à l’élaboration d’outils et de plans d’action pour y répondre. Or, une telle démarche suppose un rôle actif de la part de toutes les personnes engagées, tout en considérant la diversité de leurs contributions et apports. Quel était donc le rôle des chercheurs et des formateurs, mais aussi des enseignants dans le projet SHV-ÉPS ?

54Catroux (2002) apporte des éclairages sur cette question. Selon l’auteure, dans le cas où la recherche-action fait appel à des chercheurs, ceux-ci peuvent assumer différents rôles : responsables de la planification, catalyseurs ou facilitateurs de l’action, concepteurs de tâches ou stratégies de remédiation, observateurs, rédacteurs de la synthèse. De plus, il incombe aux chercheurs de favoriser la réactivité des acteurs de terrain, afin que ceux-ci continuent sur leur lancée, une fois la démarche comprise et entamé (Catroux, 2002). Quant au rôle des enseignants, il peut prendre différentes formes, allant d’un véritable partenariat avec les chercheurs à une participation plus restreinte. Face aux chercheurs, cependant, les enseignants peuvent avoir le sentiment que le processus leur échappe en partie, ce qui peut nuire à leur relation. Rétrospectivement, nous pensons avoir assumé plusieurs rôles : en tant que chercheurs, nous avons eu à documenter le processus ; en tant que formateurs, nous avons veillé à la planification des activités ; enfin, en tant que partenaires, nous avons agi en tant que catalyseurs et facilitateurs de l’action et de la réflexion. Ainsi, quant au rôle des enseignants, nous nous questionnons si notre démarche a contribué à une participation plus effective de leur part ainsi qu’à leur adhésion aux visées poursuivies dans ce projet. En fait, à la lumière de leurs réponses (notamment celles de l’an 2), il est apparu que leur désir du changement restait embryonnaire et caractérisé par une certaine passivité, puisqu’ils peinaient à passer à l’action ou assumer un rôle plus proactif au sein du projet, pour toutes les raisons évoquées précédemment. Si l’efficacité d’un projet de recherche-action réside dans un haut degré d’adhésion aux buts poursuivis, il y a lieu de se demander si les attentes mutuelles entre les chercheurs et les praticiens se rejoignent en fin de compte, permettant à tous d’assumer leurs rôles complémentaires dans la poursuite de buts communs. De plus, avons-nous réussi collectivement à interroger le rôle attendu des éducateurs physiques face au développement de la C3 ? Autrement dit, nos échanges ont-ils permis de toucher les véritables enjeux cachés en arrière-plan du programme de formation de l’école québécoise et de la place attribuée aux éducateurs physiques et à l’éducation physique relativement à la promotion d’un mode de vie physiquement actif ? Rappelons avec Bezeau (2014) que l’un des enjeux de l’appropriation de la compétence 3 par les enseignants est justement qu’elle interpelle leur propre identité professionnelle. Le changement de rôle chez les enseignants serait aussi relié à un questionnement sur quelle identité professionnelle s’y rattachent les enseignants d’éducation physique.

55Un deuxième aspect a trait à la collaboration entre les chercheurs et les praticiens. Comme mentionnée précédemment, la collaboration entre chercheurs et praticiens est la clef de la réussite de la recherche-action (Kemmis et McTaggart, 2000 ; Catroux, 2002 ; Roy et Prevost, 2013). Dans le projet SHV-ÉPS, plusieurs décisions ont été prises conjointement et les apports des uns et des autres ont été toujours respectés. La dynamique adoptée au long du projet semble ainsi avoir répondu aux attentes des enseignants et favorisé le partage et la réflexion (évaluation de l’année 1). Toutefois, lors de l’année 2, la mise en œuvre des projets en milieu scolaire ne semble pas avoir contribué à une collaboration plus étroite entre chercheurs et praticiens. Face aux difficultés éprouvées lors de la mise en œuvre de leurs projets dans leurs établissements, les enseignants n’ont pas fait appel, par exemple, aux chercheurs et formateurs, en tant que partenaires capables d’offrir des solutions. Par ailleurs, les apports théoriques offerts par les chercheurs ne semblent pas non plus avoir répondu à leurs besoins. En ce qui a trait à la collaboration, rappelons que tout enseignant peut s’inscrire dans une démarche de recherche-action dans son propre travail, en collaboration avec d’autres enseignants et en assumant alternativement les rôles de chercheur et d’enseignant (Christianakis, 2010). Cependant, comme l’évoque Christianakis (2010) « Through collaborative work and dialogue, practitioners and researchers can build more robust educational theories and practices » (p. 114). En ce sens, les rapports entre praticiens et chercheurs sont d’autant plus importants, comme le soulignent Mesny et Mailhot (2008), puisque les pratiques de collaboration adoptées et les rôles de participants peuvent varier grandement sur le terrain. De plus, soutiennent les auteurs, les différences entre les connaissances des chercheurs et des praticiens peuvent engendrer des tensions, voire des oppositions entre recherche scientifique et sens commun, entre connaissances formelles et connaissances tacites ou connaissances pragmatiques (pertinentes, utiles et viables) appropriées, voire consommées par les praticiens (Mesny et Mailhot, 2008). Ces éclairages apportés par les chercheurs interpellent la collaboration établie dans le cadre du projet SHV-ÉPS : celle-ci a-t-elle permis l’édification de rapports égalitaires et l’expression de véritables croyances partagées par les praticiens et les chercheurs au sujet des enjeux de la promotion de saines habitudes de vie et d’un mode de vie physiquement actif ?

56Un troisième aspect a trait aux savoirs et aux connaissances partagés et coconstruits par les chercheurs et les praticiens. Nos activités ont été, sans doute, réfléchissantes ou réfléchies (Mertler et Charles, 2008), c’est dire qu’elles ont mis en branle une réflexion individuelle et collective sur les pratiques enseignantes et sur le développement de la compétence 3 auprès des jeunes du primaire et du secondaire. Cependant, ont-elles rendu possible la coconstruction de savoirs ? Si oui, de quelle nature sont-ils ? De plus, si des savoirs relatifs à la promotion de saines habitudes de vie et à un mode de vie physiquement actif sont partagés, quelles retombées ont-ils sur les pratiques des enseignants et sur la recherche ? Par ailleurs, en référence à Mesny et Mailhot (2008), nous nous questionnons sur la pertinence de la diversité de nos expériences et connaissances de chercheurs et de praticiens venus d’horizons variés : santé publique, milieu scolaire anglophone et francophone, primaire et secondaire, milieu universitaire francophone et anglophone. Au point de départ, cette diversité nous semblait un atout à cause de la complémentarité des positions occupées par tous les participants au sein du système scolaire montréalais. Cependant, cette diversité est devenue un enjeu renvoyant à des tensions, voire à des oppositions entre les connaissances scientifiques des chercheurs-formateurs et les savoirs pratiques des enseignants enracinés dans leur quotidien et marqués par toutes les contraintes auxquelles ils font face dans leurs milieux de travail respectifs. Par ailleurs, jusqu’à quel point les connaissances mobilisées pendant les ateliers sont-elles devenues pertinentes, utiles et viables aux yeux des enseignants, échappant aux formules traditionnelles de perfectionnement où les connaissances transmises par les chercheurs-formateurs sont consommées par les praticiens ?

57Enfin, un quatrième aspect renvoie au temps ou à temporalité de la recherche-action. Éclairés par certains principes et caractéristiques de ce type de recherche, nous nous sommes rendu compte rapidement que la flexibilité évoquée par Mertler et Charles (2008) ainsi que la non-linéarité mentionnée par Roy et Prévost (2013) caractérisaient le processus, en influant temporellement sur l’ensemble des actions. En fait, en s’inscrivant dans un processus flexible et itératif où la réflexion est au cœur de tous les cycles (planification, action-observation et replanification), les activités proposées dans le cadre du projet SHV-ÉPS ont pris plus de temps que prévu initialement. Elles ont été également déterminées par les circonstances spécifiques du contexte de travail de chaque enseignant et par l’état d’avancement de sa propre réflexion. Ainsi, l’équipe de formateurs était censée entamer le processus de planification auprès des enseignants dès l’année 1. Cependant, le groupe d’enseignants aurait eu besoin de plus de temps pour se connaitre et pour établir une base commune sur laquelle s’appuyer et s’inscrire activement dans le processus. Par ailleurs, bien que les planifications mises à l’essai et les évaluations, en somme la démarche cyclique proposée dans le cadre de la recherche-action ait été entamée dans l’année 2, un seul projet par groupe d’enseignants a été bâti. En fait, les discussions pendant le processus de planification, la planification elle-même, ainsi que les retours réflexifs pour ajuster les divers projets se sont étirés plus que prévu. Bref, nous nous sommes rendu compte que le mouvement circulaire d’un cycle de la recherche-action est fait d’aller-retour et qu’il peut aussi tourner en rond sans véritables progrès notables. Des petits pas sont faits, sans plus, et le groupe semble ainsi s’engluer dans les difficultés rencontrées lors de la mise en œuvre des projets.

58Enfin, comme pistes de réflexion et de recherche, à la lumière de l’évaluation du processus au long de ces deux années, nous pensons que la démarche collaborative mérite d’être revisitée et mieux précisée, notamment lors de l’établissement des buts communs et du contrat de travail entre formateurs-chercheurs et praticiens. Cela pourrait mener à une meilleure définition des rôles et des statuts de chacun des participants dans le cadre de la collaboration. Par ailleurs, si l’on souhaite mieux documenter et appréhender les savoirs produits ou partagés ainsi que l’impact réel de ce type de recherche-action, il semble nécessaire d’aller sur le terrain, plus précisément dans le milieu scolaire, afin d’observer les véritables retombées des projets des enseignants sur les élèves et leurs apprentissages en ce qui a trait à l’adoption d’un mode de vie sain et actif.