• 1 Les universités d’été sont des sessions de formation des formateurs du Ministère de l’Éducation nat (...)
• 2 Équipe « Étude Systémique des Territoires Educatifs Locaux » (ESTEREL) de l’IUFM de l’Académie de M (...)
• 3 Charlot B., Du rapport au savoir : éléments pour une théorie, Anthropos, 1997.
• 4 Nous avons critiqué son intitulé : « De l’indiscipline à la vie en commun » en ce sens qu’il nous s (...)

1À l’occasion d’une récente université d’été1, il nous a été donné de travailler, à l’aide de documents écrits et de vidéos, le rapport à la règle scolaire de six élèves (de l’école élémentaire à la première année d’université) réunis pour la circonstance. Si la présente étude ne peut aboutir à une vérité établie selon des critères scientifiques, elle s’inscrit dans un ensemble de travaux2 dont la finalité est plus liée à la découverte de pistes à explorer en utilisant des méthodes multidisciplinaires qu’à une saturation statistique de données recueillies avec rigueur mais sans hypothèse innovante. Les liens familiaux entre la plupart de ces élèves et leur réussite scolaire (passage au niveau supérieur) déterminent un éclairage assez original sur le rapport qu’ils entretiennent à la règle scolaire3 : ce sont en général les « élèves en difficulté » qui sont actuellement l’objet de toutes les attentions des chercheurs, ce qui est bien compréhensible. La plupart des propos que nous tiendrons ont été corroborés, si ce n’est inspirés, par les douze participants à l’atelier thématique4 que nous animions avec Chantal Fenrich. Que tous trouvent ici l’expression de notre gratitude pour leur participation à ce travail.

• 5 Durand M. (L’enseignement en milieu scolaire, PUF, l’éducateur, 1996) s’appuie sur les travaux d’Yv (...)
• 6 C’est en 1937 que l’Éducation nationale a remplacé l’Instruction publique et l’Inspecteur général B (...)
• 7 Les lycéens, Le Seuil, 1991.

2Conformément aux résultats produits par les approches de nature ergonomique qu’il serait trop long de rapporter ici5, les propos des élèves confirment qu’ils sont en quelque sorte instrumentalisés par les adultes dont la mission d’instruction (i.e. la transmission des savoirs) prévaut sur toutes les autres : nous tâcherons d’établir comment cette dérive6 finit par faire prévaloir la lettre du règlement sur l’esprit des lois. Puisque celui qui édicte la règle est aussi celui qui enseigne, comment s’étonner que l’apparition progressive de la passivité soit suivie d’une valse hésitation entre soumission à la règle, mais surtout à la personne, et comportement individualiste guidé par les intérêts de l’acteur, valse dont les contraintes de la réussite scolaire marquent le tempo selon les observations de François Dubet7 ?

• 8 Cette confusion est dénoncée avec obstination par Bernard Defrance depuis de nombreuses années (La (...)
• 9 Ballion R., Les consommateurs d’école. Stock, 1982.

3À ces phénomènes maintes fois décrits, il faut ajouter les deux faillites éducatives liées à l’absence de la loi dans l’école : en premier lieu, la confusion entre le législatif, le judiciaire, l’exécutif et l’enseignement8 pousse les professeurs vers l’autoritarisme et sape leur autorité. N’étant pas inactif, l’élève en tire ses propres conclusions de « consommateur d’école »9 et la socialisation qui en résulte ressemble plus à la technique du « pas vu, pas pris » qu’à la prise de conscience d’une responsabilité personnelle dans une cité démocratique, ce qui constitue le deuxième échec de notre système. Quand la punition prévaut sur la sanction et la peur l’emporte sur l’adhésion, quel sens peut bien avoir la majorité civile et civique qui survient au cours des années de lycée pour la plupart des élèves ?

• 10 Ballion R., Le lycée, une cité à construire. Hachette Education, 1993
• 11 Meirieu Ph., Le dire et le faire, ESF, 1994.

4Pour éviter cette socialisation perverse, sauvage, libérale, nous proposons une toute autre construction du système : voir dans l’école, le collège et le lycée des cités à construire10. Le prix à payer ? Légiférer pour établir la règle scolaire. L’autorisation (dans le sens de devenir auteur) devient un exercice constant du parcours scolaire, l’habileté dans le repérage des niveaux d’injonction se développe et la citoyenneté active ou passive sert de référence. Ce projet exige une cohérence sans faille entre les actes et les dires11 : il fait renoncer à l’évaluation comme sanction, découvrir la notion de préjudice et de réparation sans la confondre avec la sanction et démultiplie les lieux d’écoute et de dialogue dans des institutions naguère dévolues au seul professorat.

• 12 Nous rejoignons en cela, comme sur bien des points, dénudation exceptée, les propos de Bernard Defr (...)
• 13 Il s’agit de la racine indo-européenne *leg qui a donné, par exemple, le mot « collection ».
• 14 « Moi je suis le lion. » C’est l’ultime argument d’un pouvoir régalien que d’affirmer, sans fard, q (...)

9Pourquoi différer plus longtemps l’affirmation brutale que nous inspire l’analyse de ces propos : les règles de l’école sont un moyen bien commode pour masquer l’absence de la loi dans l’établissement scolaire12 ? La loi est ce qui, au sens étymologique13, est recueilli pour être dit, présenté comme une référence et un élément de médiation en cas de conflit entre des personnes. Or, cette pratique prend du temps, elle suppose qu’on puisse être en désaccord sur ce qui la fonde pourvu qu’on n’enfreigne pas celle qui est en vigueur et elle peut même entraîner sa révision. En classe, prévaut la démarche du « Ego sum leo14 » qui fonde le recours à la règle, au règlement intérieur dont tout le monde sait qu’il est édicté et « non négociable ».

• 15 Voir les analyses de Jean-Pierre Obin (La crise de l’organisation scolaire. Hachette Education, col (...)
• 16 Bressoux P., « Le maître aussi fait son effet », Cahiers pédagogiques, n^o 354, p. 16-18, 1997.

10Les élèves assimilent l’éducation à la succession des enseignants. Dès lors, la cohérence du discours éducatif est masquée sinon ruinée par l’incohérence des attitudes enseignantes, incohérence relative soulignée par cette déclaration : « L’année dernière, j’avais deux maîtresses, une qui était sévère, l’autre qui l’était moins. La sévère, on n’avait pas envie de l’écouter. » La naïveté de l’affirmation fait réfléchir : ce n’est certes pas en raison de noirs desseins que les comportements enseignants varient ainsi. C’est plutôt le reflet d’une image traditionnelle du métier15 : naguère profession libérale, l’enseignement a eu à faire face à plusieurs vagues de massification. Or, la notion d’établissement, les valeurs partagées dans une école, un collège ou un lycée, ne sont aujourd’hui qu’exceptionnellement à l’œuvre, ce que confirment les travaux de Pascal Bressoux16 en établissant la prééminence de l’effet maître sur l’effet établissement. Il est à remarquer qu’un seul de nos élèves a parlé de l’administration de son établissement pour la traiter de « distante » et « imposante », ce qui la disqualifie pour jouer un éventuel rôle de médiation. À l’origine de ce constat, il y a l’effroyable solitude de l’enseignant dans la classe : condamné à ne faire qu’exceptionnellement de l’éducation à la citoyenneté, juge et partie, il s’efforce d’adapter le cadre réglementaire à son intervention, quitte à le tordre à la limite du supportable ou à le suspendre à son profit exclusif.

• 17 Etienne R., Baldy A. et R., Benedetto P., Le projet personnel de l’élève, p. 21, Hachette Education (...)

11Pour ces élèves, la punition l’emporte sur la sanction, autrement dit, selon leur témoignage, tout est piloté par une gradation qui va de la réprimande à l’exclusion dont le principe organisateur est celui du « hors-jeu » : la théorie de la motivation sous-jacente est celle que nous avons qualifiée avec Pierre Benedetto17 « de la carotte et du bâton ». Elle provient d’une approche naïve de la psychologie, même si elle peut être efficace mais seulement en cas d’urgence. En effet, le prix à payer de cette attitude enseignante est l’instauration d’un climat de peur, voire de terreur, l’hésitation permanente que nous avons relevée entre la soumission et le picorage libéral, la renonciation à une démarche d’adhésion ou mieux encore de construction des valeurs et des attitudes. Dès lors, comment faire d’autres choix ? Comment s’engager vers de nouvelles pratiques ? Comment faire émerger une citoyenneté réfléchie et même réflexive dans un lieu aussi contraint que la classe ?

• 18 Etienne R., Lerouge A., Enseigner en collège ou en lycée : repères pour un nouveau métier, p. 141-1 (...)

12Contrairement à beaucoup d’auteurs qui fondent leur argumentation sur l’inégalité de savoir qui détermine une inégalité de pouvoir, des praticiens et des chercheurs de plus en plus nombreux proposent une démarche plus cohérente18 : comme l’inégalité de savoir ne fonde aucune classification citoyenne, elle ne peut être évoquée qu’au sein de la démarche d’acquisition de connaissance. La question de la minorité de l’enfant qui apprend mérite un autre traitement : il lui convient d’expérimenter l’attitude citoyenne qui consiste à être l’auteur et l’exécutant de la loi. Être auteur de la loi c’est comprendre le mécanisme de sa nécessité, de son émergence et de son adoption, être celui qui se conforme à la loi c’est agir selon une éthique personnelle, faire respecter ses droits dans une société organisée tout en respectant ceux des autres.

• 19 Neill A.-S., Libres enfants de Summerhill, Gallimard, 1985.

13Il n’est plus de bon ton de citer Neill19 mais son radicalisme met en exergue un aspect négligé du système éducatif qui fonctionne encore par référence exclusive à sa mission première d’instruction : éduquer à la citoyenneté revient à mettre en œuvre une progression, une méthode et des moyens liés aux objectifs. Quel est notre modèle de la citoyenneté ? Comment le faire acquérir aux élèves ?

• 20 Rémond R., « Eduquer à la démocratie », Le Monde, 15 juin 1993 cité par Obin J.-P., Les établisseme (...)

14Notre définition de la citoyenneté fait de la loi le produit direct ou indirect du peuple. Les jurés ne jugent-ils pas « au nom du peuple français » ? Certes, les « démocraties » occidentales s’éloignent de plus en plus de ce qui, même dans l’Athènes du 5^e siècle, n’était qu’une vue de l’esprit (l’influence du citoyen sur la vie de la cité) et la mondialisation ou globalisation prônée par les Anglo-Saxons oublie largement la citoyenneté pour prôner le libéralisme, l’individualisme, le consumérisme. Le modèle latin, méditerranéen, de la citoyenneté active, brouillonne peut-être, mais reconnaissant à ceux qui habitent la cité le droit de se déterminer, devrait s’affirmer davantage. Il repose sur cette certitude qu’il vaut mieux assumer ses erreurs que de se laisser enfermer dans le « meilleur des mondes ». René Rémond20 l’établit en trois temps : « Le déficit démocratique est en grande partie un déficit d’éducation à la citoyenneté. (…) On ne naît pas démocrate : on le devient. (…) Chaque génération doit donc réinventer la démocratie. »

• 21 Nous avons développé cet aspect dans un chapitre d’un ouvrage récent (Etienne R., Amiel M., La comm (...)

15Une école qui prétend éduquer à la citoyenneté renonce à une simple substitution technique aux parents ou à toute machine à enseigner. C’est un rôle nouveau pour elle : au débouché d’un long parcours qui a débuté avec l’instruction civique, elle a obligation de rendre citoyens les élèves qui lui sont confiés par la nation. Pour poursuivre à un niveau plus opérationnel, il n’est pas d’autre solution que de faire pratiquer la démarche démocratique, notamment de légiférer21 sur ce qui peut être décidé au niveau de l’établissement, le règlement intérieur dans le cadre qui nous intéresse. Cette expérience irremplaçable doit être renouvelée avec chaque nouvelle génération d’élèves. Tout le monde aura compris qu’une telle proposition vient ruiner les pratiques fondées sur la reconduction à l’identique, bien commodes pour les professionnels de l’éducation mais totalement inefficaces pour « réinventer la démocratie ».

• 22 Etienne R., Lerouge A., op. cit., p. 98-99,1997.
• 23 Le Québec, le Portugal, les Pays-Bas ou la Belgique, pour ne citer que quatre « pays » qui ont déjà (...)

16L’objection la plus fréquemment présentée est que la loi doit être votée selon un cadre constitutionnel et politique dont l’établissement scolaire n’est ni une copie conforme ni une maquette didactique. En réalité, les élèves sont les premiers à le comprendre et à ne pas entretenir de confusion entre la société et le cas particulier que représente la classe ou l’établissement. Pas plus qu’ils ne s’imaginent écrivains quand ils rédigent ou mathématiciens quand ils résolvent un problème. Mais, comment éduquer sans faire éprouver ? Deux dispositifs didactiques permettent de surmonter cette difficulté (si tant est qu’elle existe) : la première est celle de l’induction, l’école étant un temps de suspens (le mot signifie loisir en grec ancien) destiné à faire acquérir des compétences, faire et faire appliquer des règles, c’est se donner les moyens d’une métacognition et d’un transfert aux lois et à la conduite d’une institution, voire d’un pays. La pédagogie institutionnelle ne dit rien d’autre quand elle distingue soigneusement « l’institué » et « l’instituant », avec une nette préférence éducative pour la seconde situation. En second lieu, nous nous référons au « contrat didactique »22 qui donne les conditions nécessaires pour apprendre, et notamment pour apprendre la démocratie, par la pratique et par la réflexion sur la pratique. Tout élève pourra alors acquérir la notion fondamentale selon laquelle il y a une classification hiérarchique des textes injonctifs partant des déclarations des droits de l’homme et de l’enfant pour aller aux règlements intérieurs en passant par les traités internationaux, la constitution, les lois, les décrets. Reste l’argument majeur selon lequel « il n’y a pas de temps pour ça » auquel il faudra bien répondre par l’instauration d’un temps spécifique réservé au développement personnel et citoyen, comme dans d’autres pays23.

• 24 Ballion R., op. cit., p. 208-209, 1993,
• 25 Etienne R., Amiel M., op. cit., p. 164, 1995.

17Réduite à cette compétence de création et de mise en œuvre de la loi, même prise dans une acception métaphorique, la citoyenneté se réduirait au juridisme, elle ne s’orienterait que vers la dérive du droit qui est de toujours trouver un coupable. Ce qui est essentiel dans la vie de la cité est qu’elle ne soit pas trop souvent interrompue par la démarche judiciaire. Cela revient à mettre en avant des pratiques citoyennes plus tournées vers l’action qu’axées sur le jugement. C’est à travers la participation réflexive à un certain nombre de projets que s’acquiert cette compétence indispensable pour lutter contre le juridisme qui risque de paralyser une société gouvernée exclusivement par la notion de préjudice telle qu’on la voit se dessiner dans certaines évolutions nord-américaines. Là encore, l’induction permet d’élargir à l’ensemble de la société une démarche éprouvée dans son « bahut »24 : si le défaut de nos démocraties tient dans leur degré d’abstraction, l’élève doit, pour cet apprentissage également, éprouver dans son environnement proche l’effet de sa prise de décision. Les premières déceptions sur la démocratie nous ont trop souvent été rapportées par des élèves délégués alors que des solutions concrètes permettent de faire progresser la cause de la démocratie25.

• 27 Bonniol J.-J., Vial M., Les modèles de l’évaluation, de Boeck-Université, Bruxelles, 1997.

19Or, la confusion règne, elle règne dans la lecture des pratiques enseignantes que nous soumettent nos élèves « ordinaires » : la première mission semble occuper toute la scène, réduisant les autres comme peau de chagrin. Plutôt que d’entamer l’habituel discours d’autojustification, il vaudrait mieux analyser en quoi les pratiques enseignantes délivrent un message à ce point équivoque. La question de l’évaluation semble une des origines de ce malentendu : sans vouloir développer outre mesure ce que bien des chercheurs ont établi depuis une vingtaine d’années27, nous rappellerons le distinguo entre ce qui est de l’ordre de la connaissance (première mission de l’école dont l’enseignant est censé posséder le référent), qui peut être réglé par une pratique allant de la coévaluation vers une autoévaluation de moins en moins assistée, et ce qui relève du domaine social pour lequel des instances sont mises en place depuis que l’idée de démocratie a germé dans des esprits humains.

• 28 Obin J.-P., op. cit., p. 162, 1997.
• 29 Kant E., Fondements de la métaphysique des mœurs, éd. Muglioni J., Bordas, 1988.

21Trop souvent, comme le fait remarquer Jean-Pierre Obin28, une seconde confusion obère l’éducation à la citoyenneté : considérer que la réparation vaut effacement de la transgression. Toutefois, même si nous partageons cette analyse, il n’en reste pas moins que la question du préjudice et du retour à une situation antérieure, donc de la réparation se pose dans tout lieu social. À l’école de déterminer comment elle fait effectuer ce retour à un état de droit, mais elle ne peut l’envisager dans une perspective d’effacement. C’est le fait de lier préjudice et sanction qui constitue le début d’un glissement vers le confusionnisme ; c’est ainsi que le bien public est souvent mal traité, parfois même par les fonctionnaires, sous le fallacieux prétexte que nul n’est lésé. Ce débat nous semble porteur en ce qu’il permet d’établir la primauté du civique (le pénal) sur le civil (la réparation des préjudices). Si réparer ne suffit pas, c’est non seulement parce que tout n’est pas « réparable », mais aussi et surtout parce que l’attitude kantienne29 qui consiste à ériger la maxime de son action en loi universelle est la seule qui permette de guider un choix éthique. En ce sens également, l’adhésion à un pacte scolaire, à un contrat social est d’autant plus forte qu’elle repose sur une « auto-socio-construction » comme le propose le Groupe Français d’Education Nouvelle depuis quelques décennies déjà. La seule nuance que nous apporterons est que ce projet doit maintenant quitter le terrain de l’action militante pour entrer dans la pratique sociale de référence au sein de l’établissement scolaire.

• 30 Etienne R., L’école : du système éducatif aux réseaux éducatifs, Hatier, 1998.

22Règle et loi, lettre et esprit ont toujours eu du mal à cohabiter. Nous ne sommes donc que peu étonnés du désarroi des élèves installés dans un jeu scolaire au sein duquel la plupart acceptent de slalomer. Mais, ceux qui veulent un autre ordonnancement doivent s’attendre à piloter un ensemble rétif : le récent colloque « Quels savoirs enseigner dans les lycées ? » dont l’organisation a été assurée par Philippe Meirieu a eu l’immense mérite de mettre en évidence les différences d’attentes entre enseignants, élèves et établissements. La « vie scolaire » ne prendra un sens que quand les seconde (former des professionnels efficaces) et troisième (éduquer à la citoyenneté) missions de l’école bénéficieront aux yeux des acteurs d’une même légitimité que la première (transmettre des savoirs). Il faut imaginer ici un paysage totalement bouleversé, des établissements à visée éducative globale et à intervention systémique, distinguant ce qui doit l’être, n’intervenant sur un point précis qu’avec la préoccupation du sens et des valeurs qui fondent l’action. Pour nous c’est la révolution que prépare la mise en réseau des établissements30 : l’exemple concret que nous prendrons et développerons rapidement concerne la mise en place de lieux d’écoute et de dialogue qu’il nous a été donné d’observer dans plusieurs établissements de l’enseignement agricole. Le déracinement des élèves en situation d’internat ou d’éloignement de leur famille a rendu plus aigus les problèmes liés à l’insertion dans une vie sociale et une telle initiative doit être considérée comme une anticipation.

• 31 Appellation bien préférable à celles d’élèves en difficulté ou de public prioritaire qui stigmatise (...)

23Alors que les connaissances s’accroissent à un point tel qu’aucune femme ou homme ne puisse envisager de les transmettre à la manière d’un Pic de la Mirandole, l’organisation de nos sociétés repose encore sur un équilibre selon lequel le développement personnel du jeune reste confié à sa famille. Cet équilibre est rompu. Partout en Europe et dans le monde, les « nouveaux publics31 » de l’école font éclater cette fiction. Un choix fondamental reste à faire au niveau éducatif entre une responsabilité laïque qui confie à l’école le soin de mettre en place des valeurs universelles, en termes de construction sociale et démocratique, et une vision plus communautariste, dans laquelle on abandonne aux intégrismes le soin de dire le bien commun. Le choix des élèves est simple à deviner. Leur déception cependant est grande parce que l’école n’a pas actuellement les moyens de sa politique, ni des enseignants formés pour de tels enjeux. À l’école de réagir, notamment dans le domaine de son organisation et de la formation de son personnel aux seconde et troisième missions, ce qui sera long et probablement difficile.

• 32 Ardoino J., « Les enjeux de la décentralisation », Cahiers pédagogiques, n^o 325, p. 15 du dossier s (...)

25Mais la tâche serait trop aisée si elle devait se faire au détriment des deux autres missions d’instruction et de formation professionnelle ; en fait, la nécessité impose de réaliser cette mutation en jouant sur les interactions au sein de l’établissement situé dans une perspective de mise en réseaux, à une nouvelle organisation du système éducatif autour de valeurs fondatrices centrales mises en œuvre localement et à une formation du personnel (y compris de direction et d’inspection) intégrant dans l’acte éducatif ce qu’on appelle aujourd’hui l’orientation et la vie scolaire. Au même titre que le traitement de l’information et de la communication, tout ce qui est professionnel et citoyen reste trop coupé des concours de recrutement où ces questions ne font l’objet que d’une interrogation d’un quart d’heure à la fin de l’épreuve sur dossier. Il n’est pas étonnant de constater que ces domaines sont les « parents pauvres » des projets d’établissement des Instituts Universitaires de Formation des Maîtres qui viennent à peine de se voir confier la formation continue (des seuls enseignants, professeurs-documentalistes et conseillers principaux d’éducation !) pour réparer une omission remontant à leur création32.