Introduction

1Chaque année en France, plus de 600 000 élèves de terminale éprouvent Parcoursup, une procédure relativement récente régissant la transition entre le secondaire et le supérieur. L’allongement des études tendant à devenir la norme (Beaud, 2003 ; Hugrée et Poullaouec, 2022), la massification de l’enseignement supérieur constitue un enjeu pour lequel deux logiques a priori paradoxales se dessinent : la rationalisation et la démocratisation de l’accès au supérieur (Charles et Delès, 2020 ; Frouillou et al., 2020). Dans sa version la plus récente, cette dynamique politique s’illustre à travers la loi Orientation et réussite des étudiants (ORE) du 8 mars 2018, matérialisée par la procédure Parcoursup, pour laquelle deux arguments principaux ont été avancés par le gouvernement en place. D’une part, Parcoursup constitue une procédure renouvelée d’affectation des candidats dans le supérieur visant à pallier les dysfonctionnements de l’ancien système Admission Post-Bac (APB) (Beaud et Vatin, 2018 ; Mizzi, 2021). Outre la suppression du tirage au sort, les modalités d’accès à l’enseignement supérieur sont transformées par l’introduction d’une combinaison entre une « intervention humaine » et un traitement algorithmique. D’autre part, Parcoursup engage un renforcement de la mise à disposition de l’information et de l’accompagnement à l’orientation, afin de résorber la persistance d’inégalités socio-scolaires devant l’orientation et celle d’un taux d’échec en premier cycle du supérieur (Bodin et Millet, 2011 ; Clément et al., 2019). Parcoursup poursuit ainsi un mouvement plus ancien amenant les établissements à s’engager toujours plus dans le processus d’orientation des élèves (Draelants, 2013), ces derniers étant amenés à réifier leurs aspirations de poursuite d’études à travers des vœux non-hiérarchisés mais motivés (Belghith et al, 2019). Autrement dit, en tant que procédure d’orientation vers l’enseignement supérieur, Parcoursup viendrait d’une certaine manière achever un processus de construction d’aspirations inscrit dans le temps long.

2En empruntant à la sociologie de l’expérience (Dubet, 1994a), cette contribution propose d’appréhender la manière à travers laquelle les lycéens ont subjectivement éprouvé Parcoursup entendu comme une procédure qui engage leur processus d’orientation vers l’enseignement supérieur. il s’agit de considérer Parcoursup et plus spécifiquement l’étape de formulation des vœux comme une expérience sociale face à laquelle les lycéens, tout en étant accompagnés par les acteurs professionnels du secondaire, sont des « acteur[s] capable[s] de maîtriser consciemment, dans une certaine mesure en tout cas, [leur] rapport au monde » (Dubet, 1994a, p. 128). Autrement dit, il importe d’approcher la manière à travers laquelle les lycéens ont perçu l’information et l’accompagnement qui les inviteraient à articuler les différentes logiques de l’action que sont l’intégration, la stratégie et la subjectivation face à cette étape spécifique de la procédure Parcoursup.

3Afin de mener cette analyse, il convient dans un premier temps de resituer les enjeux de la procédure Parcoursup au regard de la littérature portant sur l’orientation scolaire, tout en justifiant le prisme choisi de mobiliser la sociologie de l’expérience. Dans un second temps, l’enquête menée par entretien et par questionnaire auprès d’étudiants néo-bacheliers d’une université de province sera présentée. Enfin, à partir d’une approche compréhensive, il s’agira d’appréhender cette expérience Parcoursup vécue par les lycéens en articulant leur processus d’orientation et la perception qu’ils ont eu de l’accompagnement reçu au sein de leur lycée d’origine.

Parcoursup, une procédure d’orientation

4Si la procédure Parcoursup transforme les modalités d’accès à l’enseignement supérieur, elle s’inscrit également dans une dynamique politique plus ancienne visant à résorber les inégalités sociales et scolaires qui structurent le processus d’orientation.

Une procédure d’orientation renforcée inscrite dans une dynamique politique plus ancienne

5Bien que renvoyée à l’élève et à sa famille depuis la Loi d’orientation sur l’éducation de 1989, l’orientation scolaire constitue un processus au cours duquel les élèves sont, de droit, accompagnés et informés par l’ensemble de la communauté éducative. L’orientation revêt alors une dimension éducative, frôlant parfois une approche psychologisante, visant à conduire l’élève dans la connaissance de soi, du système de formation et de son environnement socio-économique (Boissinot, 2021). Cette conception institutionnelle est matérialisée par des politiques telles que l’école orientante (Canzittu et Demeuse, 2017 ; Pelletier, 2001) et l’orientation active (circulaires n°2008-13 et 2011-1015) selon lesquelles un accompagnement personnalisé et une mise à disposition de l’information permettraient une « orientation éclairée » des lycéens, sous-entendue adéquationniste « entre les compétences acquises au lycée et celles nécessaires pour réussir dans le supérieur » (Pistolesi, 2015, p. 107). En réunissant la quasi-totalité des formations du supérieur sur une même plateforme, Parcoursup permettrait ainsi la généralisation de l’accès à l’information puisqu’un certain nombre d’éléments est précisé pour chacune d’entre elles (attendus, critères généraux d’examen des vœux, taux d’accès notamment). Parallèlement, un ensemble de dispositifs introduit par la loi ORE vise le renforcement de l’éducation à l’orientation dans les établissements publics locaux d’enseignement (EPLE) aux niveaux temporel (54 heures annuelles dédiées à l’orientation et semaine de l’orientation) et humain (binôme de professeurs principaux en terminale et Fiche avenir). En étant accompagnés et informés de manière renforcée, les lycéens seraient à même d’opérer des choix d’orientation post-bac éclairés, stratégiques et réflexifs (Frouillou et al., 2020).

6Parcoursup embrasse ainsi une logique formelle de l’orientation (Lemêtre et Orange, 2017) qui renvoie à des individus, accompagnés et informés, mais socialement et scolairement inégaux, la responsabilité de leur orientation (Chauvel, 2014). En cela, cette conception institutionnelle mériterait d’être nuancée par un ensemble de considérations tenant aux inégalités devant l’orientation.

Une procédure d’orientation mise en œuvre selon la politique des établissements

7Les inégalités devant l’orientation se manifestent notamment au niveau scolaire à travers l’engagement dans l’orientation de l’établissement fréquenté (Draelants, 2013), selon qu’il est constitué comme un canal vers l’enseignement supérieur général long ou vers l’enseignement supérieur court et professionnalisant. Outre les caractéristiques structurelles du lycée telles que l’offre de formation ou la composition socio-scolaire du public accueilli (Dupriez et al., 2012 ; Landrier et Nakhili, 2010), cet engagement se concrétise à travers le projet d’établissement comme traduction locale des politiques éducatives (Derouet et Dutercq, 1997). La mise en œuvre des dispositifs d’accompagnement et d’information – binôme de professeurs principaux, temps d’accompagnement, forums de l’orientation ou autres événements inscrits dans les 54 heures – est donc déclinée localement selon les priorités affichées en matière d’orientation (Daverne-Bailly et Bobineau, 2020).

8Dans le cadre de cette politique d’établissement, les acteurs professionnels et en particulier les professeurs principaux (PP) dont la mission d’orientation est renforcée (circulaire n°2018-108) disposent néanmoins d’une certaine marge de manœuvre. , ces acteurs développent leurs propres pratiques et discours dans la mesure où « le travail de ceux qu’on appelle les agents d’exécution se réduit rarement à une simple et stricte application de règles et d’instructions au demeurant jamais suffisamment univoques pour empêcher la possibilité de réinterprétations » (Dubois, 2012, p. 3). Ainsi, selon l’appropriation et l’implication dans les missions d’orientation des PP, l’accompagnement des élèves est susceptible de différer d’un enseignant à l’autre, notamment en termes de contenu et de temporalité (Cour des comptes, 2020 ; van Zanten, 2015). Toutefois, quel que soit leur engagement, les acteurs du secondaire font communément face à une même contrainte : le manque de transparence du fonctionnement de Parcoursup dans le supérieur (Michaut et Pannier, 2023).

9En effet, cette mise en œuvre locale dans les lycées est tout autant observée dans le supérieur (CESP, 2019). Innovation de Parcoursup, l’« intervention humaine » se matérialise, pour chaque formation, par une Commission d’examen des vœux (CEV) chargée de préciser les informations sur la plateforme – attendus et critères généraux d’examen des vœux – et de classer l’ensemble des candidatures reçues. Pour opérer ce classement, les CEV disposent d’une plus ou moins grande marge de manœuvre selon la politique de l’établissement (Frouillou et al., 2019) dans le choix, le paramétrage et la pondération des éléments à disposition dans les dossiers (résultats académiques, Fiche avenir et projet motivé). Ce classement pédagogique des CEV est ensuite partiellement modifié après implémentation de l’algorithme national de Parcoursup. Il en découle une mise en œuvre des CEV et de la procédure d’affectation particulièrement locale (Geuring et Masy, 2020) qu’il s’avère complexe de généraliser mais surtout d’anticiper pour les élèves et les acteurs les accompagnant.

Un processus d’orientation empreint d’inégalités socio-scolaires

10Plus encore, les inégalités devant l’orientation sont socialement marquées lorsque la responsabilité du passage de l’espace subjectif des possibles à l’espace objectif du probable (Bourdieu, 1974) est renvoyée à l’individu. Or, si l’espace des possibles est d’ores et déjà en partie contraint par l’engagement de l’établissement, l’origine sociale s’avère d’autant plus déterminante lorsque l’appréhension de l’espace du probable nécessite la connaissance d’un système d’enseignement supérieur complexe et diversifié. Cette appréhension socialement marquée pourrait être résorbée par la mise à disposition d’informations, telle que l’assure la politique d’orientation active. Pour autant, outre une présentation parfois compartimentée du supérieur par les acteurs professionnels (Bodin et Orange, 2013), la compréhension et surtout l’appropriation des informations par les élèves sont inégalement partagées (Frouillou et al., 2020). Par ailleurs, s’orienter nécessite une certaine maîtrise du temps lorsqu’il s’agit de se projeter dans le temps à venir tout en prévenant les risques d’échec (Bodin et Orange, 2019). Autrement dit, l’orientation en appellerait à l’ambition autant qu’à la maîtrise de l’avenir quand le rapport au temps est pourtant inégalement partagé (Masy, 2014). Enfin, si l’origine sociale influence de manière directe le processus d’orientation à travers le phénomène d’auto-sélection, elle agit également de manière indirecte en jouant sur les performances scolaires qui, elles-mêmes, se répercutent sur le sentiment de compétence à réussir dans le supérieur (Draelants et Braeckman, 2013).

11Ces inégalités sociales et scolaires – auxquelles peuvent être ajoutées les inégalités tenant au genre ou encore à l’origine géographique – se renforcent plus ou moins mutuellement. L’engagement de l’établissement décliné par les acteurs professionnels, est susceptible d’influencer, de canaliser ou de renforcer des aspirations socialement marquées (van Zanten, 2015). Or, si la procédure Parcoursup s’inscrit dans une injonction au projet (Biémar et al., 2013) et consacre le « choix » d’orientation à travers la formulation – a priori accompagnée et informée – de vœux, le processus d’orientation peut s’avérer contraint par ces inégalités socio-scolaires. Dès lors, la notion d’« aspirations » semble heuristique afin de rendre compte, plus loin que le simple choix d’orientation, d’un rapport au temps et à soi empreints de ressources ou de contraintes socio-scolaires. Autrement dit, les aspirations constitueraient une projection plus ou moins structurée de l’avenir, plus ou moins structurante du présent mais aussi plus ou moins marquée par le passé. Outre l’appréhension de la probabilité d’advenir de ces aspirations selon qu’elles sont « rêvées » ou « effectives » (Bourdieu, 1974), il s’agit de considérer la manière qu’ont les lycéens de les réifier en vœux en étant accompagnés par leurs enseignants. À cet égard, nous proposons d’appréhender Parcoursup comme une expérience que vivent et éprouvent les élèves, dans leur processus de construction d’aspirations de poursuite d’études.

Au prisme de la sociologie de l’expérience

12En posant Parcoursup comme une expérience sociale (Dubet, 1994a), il s’agit de saisir comment les lycéens sont accompagnés à articuler les différentes logiques d’action que sont l’intégration, la stratégie et la subjectivation, en particulier lors de l’étape de la formulation des vœux. Plus précisément, l’intégration renvoie aux normes, rôles et appartenances acquis au cours des différentes socialisations tout en restant dynamiques puisque « chacun reconstruit sans cesse cette intégration qui est aussi une subjectivité personnelle » (Dubet, 2007, p. 99). La logique de la stratégie suppose quant à elle la définition d’intérêts, en l’occurrence un projet d’apprendre (Jellab, 2011) ou un projet professionnel (Dubet, 1994b), dont la réalisation tient autant aux ressources de l’acteur, qu’à « l’exercice d’une subjectivité au sein de contraintes qui n’appartiennent pas à l’acteur » (Dubet, 1994b, p. 513). En ce sens, si Parcoursup peut contraindre les possibilités d’une rationalité, les dispositions socio-scolaires constituent autant de potentielles ressources que de possibles contraintes. Enfin, la subjectivation se singularise à travers la définition que se donne l’acteur « par une distance à lui-même et par une capacité critique qui en font un "sujet" […] affirmant par là une double distance au conformisme de l’intégration et à la seule utilité scolaire » (Dubet et Martuccelli, 1996, p. 64-65). Rapportée à l’enseignement supérieur, la subjectivation s’entend comme les perspectives d’accomplissement intellectuel à travers les études et l’expérience étudiante. Considérer Parcoursup comme une expérience sociale revient donc à examiner comment les candidats articulent de manière subjective ces trois logiques de l’action, tout en étant accompagnés, informés voire influencés par leur lycée d’origine : comment réceptionnent-ils l’information sur la procédure Parcoursup et sur l’enseignement supérieur proposée par les acteurs professionnels du lycée ? Comment vivent-ils l’accompagnement de la procédure ? Comment éprouvent-ils l’accompagnement reçu dans leur processus de construction d’aspirations de poursuite d’études ?

Méthodologie

13Cette contribution s’appuie sur une double enquête, par entretien et par questionnaire, auprès de néo-bacheliers inscrits en première année de licence (L1) à l’Université Joséphine Baker. Faisant partie des Petites et moyennes universités (PMU) selon le rapport éponyme de l’IGAENR (2016), elle est malgré tout l’une des universités les plus importantes dans son académie du fait d’une offre de formation non-sélective, relativement restreinte mais parfois rare dans les domaines Arts, lettres, langues et communication (ALLC), Sciences humaines et sociales (SHS) et Sciences et techniques des activités physiques et sportives (STAPS). Par ailleurs, le même rapport PMU (IGAENR, 2016) la présente comme un établissement de démocratisation du supérieur du fait d’un recrutement socio-scolaire ouvert et donc d’une population étudiante hétérogène. En transformant les modalités d’accès à l’enseignement supérieur, la mise en œuvre de Parcoursup a donc constitué un réel enjeu politique à Joséphine Baker. Outre un cadrage d’établissement commun à toutes les formations imposant notamment l’équilibre entre les éléments quantitatifs (notes) et qualitatifs (Fiche avenir et projet motivé), chaque CEV dispose néanmoins d’une certaine marge de manœuvre de laquelle découle des paramétrages diversifiés du classement des candidatures (Geuring et Masy, 2020 ; Masy et al., 2023). En dehors de quelques filières en tension (Psychologie, STAPS, Communication et Sciences de l’éducation) pour lesquelles le taux d’accès est de fait limité (Dirani et Piquée, 2024), très peu de candidats « restent sur le carreau » à l’issue de la procédure Parcoursup selon le vice-président chargé de l’orientation de Joséphine Baker.

14Dans cette université, la double enquête par entretien et par questionnaire a été menée auprès de néo-bacheliers inscrits en L1, afin de les questionner rétrospectivement sur leur vécu (objectif et subjectif) de la procédure Parcoursup, tout en interrogeant leur perception de l’information et de l’accompagnement reçus dans leur processus d’orientation. À cet égard, il convient de préciser que si d’autres acteurs ont été considérés (famille et pairs, notamment), cette contribution porte la focale sur les professeurs principaux dont le rôle est renforcé. Visant une stratégie d’articulation, celle de la triangulation (Aguilera et Chevalier, 2021), questionnaire et entretiens ont été conçus de manière concomitante de sorte que les thématiques abordées et les questions posées sont similaires d’un outil à l’autre : une première rubrique porte sur les différentes étapes de la procédure, les sources d’informations et les personnes ressources mobilisées ; une seconde rubrique sonde la satisfaction des enquêtés à l’égard de la procédure Parcoursup et du processus d’orientation, en termes d’informations, d’accompagnement et de vécu plus subjectif. Pensées ensemble, afin de répondre à la même question de recherche, ces deux méthodologies conservent toutefois leurs spécificités : les entretiens, de type compréhensif (Kaufmann, 2016) permettent d’approfondir le discours des enquêtés ; le questionnaire permet de saisir le poids des réponses données dans un ensemble plus vaste. Il convient de souligner que cette enquête rencontre un biais puisqu’elle porte uniquement sur des néo-bacheliers ayant accédé de manière effective à l’enseignement supérieur.

16Le questionnaire a été envoyé par mail aux étudiants de L1 de Joséphine Baker au cours du second semestre de l’année universitaire 2019-2020. Or, la limite presque inhérente de la passation auto-administrée d’un faible taux de réponse (Parizot, 2012), a été renforcée par cette temporalité qui correspond au premier confinement lié au Covid-19. Après nettoyage, l’échantillon de 387 réponses pour un taux de réponse d’environ 10 % a contraint la réalisation d’une seconde passation auprès des étudiants de l’année 2020-2019 en conservant les mêmes modalités en termes de contenu, de temporalité et de nettoyage. Après une rigoureuse vérification des potentielles différences entre les deux cohortes, la fusion a pu être opérée pour un échantillon final de 713 répondants. En termes d’analyses, les variables relatives au genre, à l’origine scolaire (type de Baccalauréat) à l’origine sociale (PCS des parents) et à l’existence d’un projet professionnel au cours de la procédure Parcoursup ont été retenues (tableau 1). Concernant la PCS des parents reprenant la nomenclature en 24 postes de l’INSEE, un recodage a été effectué sur la base de la PCS la plus élevée de l’un au moins des deux parents, à l’instar des regroupements traditionnels des statistiques ministérielles (RERS, 2022). Cette origine sociale regroupée a toutefois été adaptée à la taille de l’échantillon et à l’objet de cette contribution. La catégorie « favorisée » renvoie aux répondants dont au moins l’un des deux parents est cadre ou de profession intellectuelle supérieure ; « intermédiaire » dont au moins l’un des deux parents est agriculteur exploitant, artisan, commerçant et chef d’entreprise ou de profession intermédiaire ; « modeste » dont au moins l’un des deux parents est employé, ouvrier ou inactif. Bien que cette caractérisation standardisée manque de finesse quand on sait pourtant l’importance des capitaux culturel et économique dans l’orientation (Rossignol-Brunet, 2023), lesquels influencent les demandes d’accompagnement par les acteurs professionnels du lycée (van Zanten, 2009) elle semble néanmoins acceptable pour approcher la perception qu’ont les élèves sur cet accompagnement à une procédure récente. . À cet égard, les caractéristiques des établissements ont pu être recodées à partir d’une question ouverte portant sur le nom et la localisation du lycée d’origine, lorsque la réponse était exploitable (n=692). Parmi ces lycées, 75,3 % sont publics ; 50,9 % sont des LEGT, 22,1 % des lycées polyvalents et 27 % des autres lycées (lycées généraux ou agricoles notamment). Parmi la cinquantaine d’établissements considérés comme étant relativement pourvoyeurs (au moins quatre répondants en sont issus) (n=444), 54,1 % proposent un BTS, 16,7 % une CPGE et 29,3 % uniquement des filières du secondaire (tableau 2).

L’expérience Parcoursup de néo-bacheliers

17Appréhender Parcoursup comme une expérience à laquelle ont fait face les néo-bacheliers appelle à considérer leur subjectivité ce que permet l’approche compréhensive menée. Les résultats proposés ne portent donc pas sur la mise en œuvre de Parcoursup dans les lycées ou les gestes professionnels des enseignants, sinon sur la manière subjective à travers laquelle les enquêtés ont perçu et vécu l’information et l’accompagnement à l’orientation.

Être accompagné face à une procédure temporellement contrainte

19Toutefois, c’est davantage sous l’action des professeurs principaux que cette information semble prendre sens, selon les enquêtés par entretien, d’autant plus lorsqu’elle est donnée au cours des différentes étapes de la procédure. Il convient alors de préciser que certains d’entre eux ont souffert d’un manque d’accompagnement, comme Marion (public, général, CPGE) qui a d’autant plus trouvé injuste de n’avoir qu’une seule PP pour sa classe de L que cette dernière est partie en congé maternité : « nous on trouvait ça nul, parce que les autres élèves quand ils avaient un problème ils avaient deux personnes à qui s’adresser, mais nous, vu qu’elle était pas là, bah on était tout seuls, quoi ». Marion (bac L, TB – favorisée) a donc été contrainte à une forme d’autonomie renforçant son appréhension face à la procédure, tout en bénéficiant néanmoins de dispositions favorisées et d’une aspiration affirmée pour une licence de Psychologie.

20En revanche, quelles que soient leurs caractéristiques socio-scolaires et celles de leur lycée, 67 % des répondants au questionnaire ont déclaré avoir principalement été accompagnés par leurs PP tout au long de la procédure. On notera néanmoins que ceux qui avaient un projet professionnel ont davantage relevé l’accompagnement par leurs PP (x²=9,574 au seuil de 0,01). Cet accompagnement se matérialise notamment par un rappel des échéances pour lesquelles tout manquement s’avérerait préjudiciable. Les professeurs principaux sont alors perçus par les enquêtés comme les « garants » du temps. Ayant un droit de regard sur l’avancée de chaque élève, ce rappel des délais à tenir voire le rappel à l’ordre par les PP permettrait en outre aux retardataires de se maintenir dans le temps, comme l’avoue Tomy (bac STI2D, AB – intermédiaire) qui a tardé à faire son inscription de telle sorte qu’« on a dû [lui] rappeler quelques fois [rires] ». Pour la majorité des enquêtés, ces rappels sont appréciés en ce qu’ils permettent de tempérer la pression temporelle qu’engendre la procédure. Cet effet rassurant est d’autant plus prégnant lorsque chaque étape est explicitée et accompagnée, notamment la première phase (inscription et formulation des vœux) que 36,7 % des répondants au questionnaire ont réalisé en classe, sans qu’aucune différence n’apparaisse selon les caractéristiques du lycée ou celles des élèves. En ce qui concerne la dimension administrative de la procédure, les enquêtés ont ainsi reconnu le rôle de leurs PP dans la mise en conformité procédurale. Le lexique du « suivi » ressort en effet dans de nombreux entretiens, comme c’est le cas dans le discours que tient Cléo (public, polyvalent, BTS) : « [notre PP] a beaucoup suivi, en fait, ce qu’on a fait. Il nous rappelait toujours les dates, on a eu des entretiens avec lui […] il a suivi ça de près, quoi ». Statistiquement, les lycéens interrogés ayant déclaré leurs PP comme principales personnes ressources sont en moyenne plus satisfaits de l’information relative à la procédure Parcoursup (m=4,48, σ=1,245) et de l’accompagnement reçu (m=4,41, σ=1,197) (tableau 3), ce qui semble concordant avec les résultats de l’Observatoire national de la vie étudiante (OVE) d’après lesquels près des deux tiers candidats enquêtés au niveau national « se déclarent satisfaits ou très satisfaits de l’accompagnement des professeurs principaux » (Belghith et al, 2019, p. 4).

21À un premier niveau de l’analyse, la sphère d’intégration qu’est le lycée permettrait de contenir les appréhensions émergeant face à l’expérience que représente la procédure Parcoursup, tout du moins, dans sa dimension la plus technique. Autrement dit, les élèves ainsi en partie acculturés à Parcoursup disposeraient de ressources afin d’éprouver cette procédure néanmoins marquée par l’incertitude. Or, les constats sont plus nuancés en ce qui concerne la formulation des vœux à travers lesquels les élèves sont appelés à réifier leurs aspirations de poursuite d’études.

Être accompagné dans la formulation des vœux

22Interrogés à travers une question à choix multiples (deux modalités de réponse attendues), les répondants ont déclaré s’être appuyés sur leur intérêt pour la formation (85,3 %), leur projet professionnel (56,1 %) et les débouchés (23,3 %) davantage que sur leurs résultats scolaires (9,7 %) ou leur type de Baccalauréat (11,5 %) pour formuler leurs vœux. A priori, la logique de l’intégration rapportée au seul rôle scolaire ne semble donc pas dominante, à la différence de la stratégie transparaissant à travers un projet professionnel ou de la subjectivation lorsque l’intérêt intellectuel est privilégié. En d’autres termes, les répondants déclarent moins s’appuyer sur leur rôle scolaire (intégration) que sur ce que leur permettraient les études en termes d’utilité (stratégie) ou d’épanouissement (subjectivation). Ces éléments traduiraient aussi un besoin de se projeter dans les études et dans leur portée. Or, si les répondants attestent d’une mise à disposition de l’information sur les études supérieures, ils en sont plutôt insatisfaits (m=3,35, σ=1,337), quelle que soit leur origine socio-scolaire. En revanche, ceux qui n’avaient pas de projet professionnel au cours de la procédure sont d’autant moins satisfaits de ces informations (F=5,668 au seuil de 0,05). Dans une proportion proche des résultats de l’OVE (Belghith et al., 2019), les répondants au questionnaire ont principalement mobilisé internet (44,3 %), les Journées portes ouvertes (38 %) et le site de Parcoursup (29,2 %), des sources témoignant davantage d’une démarche active de l’orientation. Par ailleurs, ils se sont également appuyés sur leurs enseignants (34,8 %) ou sur des forums ou salons de l’orientation proposés par le lycée (15,8 %).

23Concernant cette dernière source d’information, faisant a priori partie des 54 heures, l’engagement de l’établissement semble jouer dans la mesure où les répondants issus d’un lycée privé y ont davantage eu recours que ceux de lycées publics (x²= 5,283 au seuil de 0,05). Une explication tiendrait à l’idée de continuité comme l’a supposé Mila en associant le statut privé de son lycée à la sur-représentation d’établissements d’enseignement supérieur privés au salon qu’elle a pu visiter :

Avec le lycée, en tout cas, on a fait des salons […] sauf que le problème c’est qu’on est dans un lycée privé et que donc on était dans des salons pour facs, genre [nom d’une université privée], la Cordée de la réussite, tout ça. Donc… bah donc ils proposaient tous la même chose.

24Outre un enchaînement du privé vers le privé, Mila pointe la limite d’une moindre diversification des formations proposées, tout du moins au regard de ses appétences et de son aspiration à poursuivre ses études dans le supérieur public. D’autres ont davantage perçu une présentation compartimentée voire orientée des formations, notamment lors des forums qu’ils relient directement à l’engagement de leur établissement. C’est le cas de Gaspard (bac L, AB – intermédiaire) qui a été frustré de la moindre présentation de formations en SHS lors du forum organisé par son lycée public dont il considère l’ancrage scientifique marqué :

[Au forum] y avait personne de Joséphine Baker ou… rien de littéraire. Y avait même pas psychologie, j’crois, non. Y avait pas grand chose pour les… pour les littéraires. Surtout, la physique et les maths, ouais. C’est c’qui… était mis en avant par notre lycée […]. J'avais vite fait le tour [rires] !

25La frustration de Gaspard tient à l’absence de représentants de la filière qu’il cible, psychologie, et à une impression de valorisation des formations scientifiques. Ce qu’a ressenti Gaspard pourrait être généralisé aux répondants dont les aspirations s’inscrivent dans les domaines ALL-SHS ou, du moins, aux bacheliers littéraires qui sont en tendance moins nombreux à s’être appuyés sur ces forums de l’orientation (x²=7,063, p=0,070).

26Lorsque la mise à disposition de l’information est proposée, son appropriation par les élèves nécessite toutefois une correspondance entre l’offre et la demande. Or, dans les discours, il n’est pas rare que les enquêtés pointent une « pondération de l’enseignement supérieur » (Bodin et Orange, 2013, p. 94), y compris dans le discours des PP, ouvrant ou, au contraire, fermant l’espace de leurs possibles. Dans la continuité, l’un des regrets énoncés par les enquêtés réside dans l’impossible exhaustivité des informations délivrées que ce soit sur les formations ou sur la vie étudiante, en faveur d’une présentation générale des différentes voies de poursuite d’études, comme l’estime Leah (bac ES, AB – intermédiaire) : « les profs, ils savent à-peu-près ce qu’il y a, mais c’est pas… c’est pas précis ». Toutefois, si les jeunes interrogés ont exprimé des attentes en termes d’informations plus proches de leurs aspirations, ils semblent conscients de la diversité des formations du supérieur dont la maîtrise dans le détail s’avère inatteignable, comme l’admet Cléo (bac L, TB – favorisée) : « on peut pas nous parler de tout, quoi, c’est impossible […]. Même eux [les profs] ils doivent pas savoir tout ce qui est possible de faire ». Malgré tout, les répondants ayant principalement été accompagnés par un PP sont statistiquement plus satisfaits à l’égard des informations reçues sur les études supérieures (F=11,746 au seuil de 0,001), comme le présente le tableau ci-dessous.

27Ce résultat invite à considérer plus finement l’accompagnement personnalisé tel que l’ont vécu les enquêtés, que ce soit lors d’entretiens ou de discussions plus informelles avec leurs enseignants. Ils ont alors exprimé le sentiment d’avoir reçu, de la part de leurs PP, trois types de conseils portant sur leurs vœux, chacun suggérant une manière d’articuler les trois dimensions de l’expérience. Le premier type, qualifié de « méritocratique », a été ressenti par des enquêtés ayant eu l’impression que ces conseils portent avant tout sur leur profil scolaire. Les élèves ayant de bons résultats scolaires ont été encouragés à demander des formations prestigieuses quand d’autres ont discerné une canalisation de leurs aspirations par des discours plus dissuasifs. C’est le cas de Lou (bac ES, AB – modeste) qui ayant des aspirations encore fluctuantes, a intériorisé ce que lui promettaient ses compétences scolaires en se fondant sur le conseil de sa PP en faveur d’un Institut de formation en soin infirmier (IFSI). Suivant le discours de sa PP, Lou a privilégié une filière secondarisée assurant un encadrement personnalisé plutôt qu’une filière universitaire nécessitant un degré d’autonomie a priori inaccessible pour elle : « En fait la Fac… en fait au lycée j’étais pas très assidue, j’y allais pas très souvent et tout ça et du coup [ma PP] s’disait qu’à la Fac j’allais vraiment plonger, quoi, puisque faut tout faire tout seul ». À travers ce type de discours, les élèves interrogés se sont sentis incités à prioriser la logique de l’intégration en favorisant leur mise en conformité à un rôle défini par leurs résultats scolaires. De manière sous-jacente, ils ont saisi la nécessité d’être stratégiques en délimitant leur espace des possibles par ce que leur permettrait ce rôle scolaire.

28Le second type de conseils perçus repose sur la représentation d’un « continuum » entre le secondaire et le supérieur. Certains enquêtés ont ainsi éprouvé des prescriptions d’orientation à travers lesquelles leur série du Baccalauréat a été présentée comme un canal vers un segment spécifique du supérieur. Au cours d’une première professionnelle, Oriane (bac STMG, B – modeste) a changé le sens qu’elle donnait au travail scolaire en découvrant son appétence pour les apprentissages théoriques au détriment de la pratique, ce qu’elle a confirmé en se réorientant dans la voie technologique. Prenant appui sur ce rapport au savoir, elle souhaite alors poursuivre ses études à l’université comme une manière de poursuivre son accomplissement intellectuel. Or, elle a reçu un discours de sa PP fondé sur une gestion préventive des risques d’échec :

Quand j’lui disais [à ma professeure principale] que je voulais faire la fac et tout, elle me disait de pas fermer des portes, euh… En soi elle avait raison, qu’il fallait pas que je me ferme des portes, mais elle était vraiment genre BTS, IUT… Parce qu’elle avait des exemples d’élèves qu’avaient été à la fac et qu’avaient raté, quoi [donc] y a des moments j’étais là "bah… est-ce que, vraiment, j’peux aller à la fac ? 

29Oriane a été invitée à formuler des vœux stratégiques et cohérents avec son passé scolaire au point de remettre en cause ses aspirations et son sentiment de capacité à réussir à l’université. Parfois, ce type de continuum est projeté au niveau curriculaire, y compris lorsque la connaissance des formations par les PP est nécessairement partielle, comme l’a ressenti Cléo (bac L, TB – favorisée) quand elle a évoqué la licence d’Arts du spectacle que son PP a considéré comme étant dans la continuité de son Bac :

Quand je lui ai parlé d’Arts du spectacle, il savait pas du tout ce que c’était […]. Étant donné que j’étais en… en L et en spé musique, il s’est dit "bah c’est une filière artistique, tu seras forcément bien dedans", quoi. Il est parti de ce principe-là, plutôt… voilà, il me voyait dans quelque chose de plutôt artistique.

30À travers le retour de son PP, Cléo a saisi une forme de subjectivation : parce qu’elle est bachelière littéraire et musicienne, Arts du spectacle constitue une formation pour laquelle elle serait « faite ». Ainsi, la dimension psychologisante rejoint les possibilités d’accomplissement intellectuel. Toutefois, Cléo dispose de ressources socio-scolaires favorisées garantissant a priori son acceptation dans une filière universitaire non-sélective. Lorsqu’ils l’ont perçue dans les discours de leurs PP, la logique de la subjectivation semblait, pour les enquêtés, bien souvent subordonnée aux logiques de l’intégration et de la stratégie. Il s’agit avant tout de garantir l’accès au supérieur à l’issue de la procédure Parcoursup rejoignant alors le troisième type de conseils qui viserait un objectif de « placement ».

31En effet, de nombreux enquêtés ont été incités à formuler un « vœu de secours », reproduisant le principe des « pastilles vertes » sous APB, c’est-à-dire ces formations dont l’accès est garanti. Pour ce type de vœux, les jeunes ont moins ressenti un besoin de correspondance avec leurs aspirations qu’un encouragement à maximiser les chances face à une procédure d’affectation difficilement anticipable (stratégie). Outre une pression du nombre, ils ont eu le sentiment de devoir formuler des vœux leur garantissant une place. C’est le cas d’Alice (bac STMG, TB – intermédiaire) qui, aspirant à devenir professeure des écoles, a demandé Sciences de l’éducation et Sociologie « pour vraiment "bouée de sauvetage" » dans deux universités. Faisant preuve de stratégie pour s’assurer de faire advenir son aspiration, elle a entendu l’inquiétude de sa PP :

Ma professeure principale, vu ce que j’avais mis sur mon Parcoursup, m’a dit "Alice, vraiment, ça va pas du tout ! Y en n’a pas assez, imagine ça marche pas, t’es pas prise en Fac : comment tu fais, où est-ce que tu vas !". Donc, me voilà à mettre deux nouvelles licences : j’ai mis AES à Joséphine, j’ai mis… euh… qu’est-ce que j’ai mis d’autre… ? j’ai mis un truc "Sanitaire et social je sais pas trop quoi". J’avoue que je mettais des trucs à la fin, c’était un peu… pour faire plaisir [rires] !

32Si Alice s’est pliée à ce conseil, ce sentiment de devoir prévenir les risques a renforcé son appréhension déjà existante à l’égard de la procédure, en raison de son Baccalauréat technologique.

33Tel que l’ont vécu les enquêtés, les PP soumettraient à travers leur discours des propositions d’articulation des différentes dimensions de l’expérience. Quand bien même serait-elle mise en avant sur un mode parfois psychologisant, la logique de la subjectivation demeurerait toutefois subordonnée aux logiques de l’intégration et de la stratégie. Les lycéens interrogés ont ainsi ressenti la nécessité de prendre avant tout en compte leur rôle scolaire (fondé sur leurs résultats, compétences et parcours scolaires), mais aussi de considérer les risques face à l’incertitude de la procédure, afin de formuler des vœux stratégiques. Toutefois, quelle que soit la manière à travers laquelle les enquêtés ont réceptionné et pris en compte ces conseils, l’accompagnement par un PP permettrait d’éprouver la procédure Parcoursup de manière plus satisfaisante (F=19,367 au seuil de 0,001).

Conclusion

34L’objectif de cette contribution était de comprendre comment les néo-bacheliers éprouvent, au sens de la sociologie de l’expérience, cette procédure Parcoursup qui engage leur processus d’orientation vers l’enseignement supérieur, en ne considérant que cette étape de formulation des vœux. À travers la double enquête menée, il s’agissait notamment de comprendre leur réception de l’information et de l’accompagnement reçu dans leur lycée.

35D’après le discours des enquêtés, accompagnement et mise à disposition permettrait de s’approprier plus facilement cette procédure dématérialisée, technique et temporellement contrainte. Que ce soit à travers une présentation générale de la plateforme, l’explicitation des différentes étapes ou le rappel des échéances, l’appréhension de la procédure s’en trouve facilitée. Dans le cas contraire, l’expérience globale de la procédure Parcoursup s’avère plus délicate. Plus précisément, il ressort de cette analyse une réelle reconnaissance par les élèves de leurs professeurs principaux, en particulier par le suivi procédural et temporel qu’ils assurent. Néanmoins, toutes les appréhensions ne peuvent être estompées, notamment lorsque les aspirations de poursuite d’études demeurent fluctuantes tandis que la procédure force leur expression à travers les vœux.

36À cet égard, les enquêtés ont relevé une forme de régulation de leurs aspirations. D’une part, l’information sur l’enseignement supérieur, qu’elle soit mise à disposition lors d’événements d’orientation ou proposée par les PP, est bien souvent vécue comme partielle. Si les grandes lignes sont dressées, la complexité du système d’enseignement supérieur français limite la possibilité de le parcourir de manière exhaustive. Or, tel que l’ont ressenti certains enquêtés, cette présentation nécessairement compartimentée s’avère parfois orientée lorsque la hiérarchisation entre formations du supérieur est véhiculée ou que certains segments sont peu représentés. Dès lors, cette information partielle pourrait autant conforter des aspirations déjà existantes, que les modérer. Il convient de rappeler que si le prisme du lycée est ici considéré, les aspirations de poursuite d’études demeurent socialement marquées en dépendant notamment de la structure du capital parental et de la pente de la trajectoire familiale (Bourdieu, 1974).

37D’autre part, la réception du diptyque information-accompagnement portant plus spécifiquement sur ces aspirations est nuancée. Tel qu’il est perçu, le discours des PP tendrait vers un modèle d’articulation des trois dimensions de l’expérience priorisant la stratégie à travers une gestion préventive des risques d’échec. Face à l’incertitude de la procédure, les enquêtés ont eu l’impression de ne pas avoir le droit à l’erreur en formulant des vœux garantissant leur admission ou en reconsidérant leurs aspirations à l’aune, non plus de leur sentiment, sinon de leur capacité objective à réussir dans l’enseignement supérieur (stratégie). De même, ils ont bien souvent ressenti la prépondérance de la logique de l’intégration lorsque les résultats, compétences ou le mérite scolaires délimitent l’espace des possibles. Que ce soit à travers des conseils vécus comme « méritocratiques » ou appuyés sur un « continuum », certains enquêtés ont ainsi ressenti la nécessité de respecter une mise en conformité scolaire. Enfin, les jeunes interrogés ont perçu la possibilité de mettre en avant leur subjectivation sous couvert de vœux préalablement validés comme stratégiques (stratégie) et cohérents (intégration), davantage qu’en la projetant vers ce que leur permettrait leur expérience étudiante.

38Toutefois, il convient de rappeler que l’appropriation de l’accompagnement et de l’information demeure socialement marquée. La relative homogénéité socio-scolaire de la cohorte enquêtée constitue l’une des principales limites de cette contribution. Elle correspondrait néanmoins à celle d’une population déjà sélectionnée puisque ayant accédé à l’enseignement supérieur de manière effective. Cette expression de « population déjà sélectionnée » ne renvoie alors pas à la procédure Parcoursup, mais à l’idée d’une diffusion presque banalisée de la poursuite d’études (Hugrée et Poullaouec, 2022). Pour autant, les analyses proposées ont mis en avant le rapport à l’accompagnement et à l’information selon la nature et le degré de construction des aspirations.

39En cela, il convient d’ouvrir sur la prise en compte de ce diptyque information-accompagnement par les enquêtés dans leur propre articulation des trois dimensions de l’expérience. Ceux pour lesquels l’intégration est dominante semblent confrontés à un « plafond de verre » dans leurs aspirations. Autrement dit, ils ferment plus au moins leur espace des possibles selon leur sentiment de capacité à réussir, ce que l’accompagnement reçu renforce en encourageant une mise en conformité au rôle scolaire. Pour ceux dont les aspirations sont associées à un projet d’apprendre ou un projet professionnel, la stratégie constitue la logique principale. Éprouver la procédure Parcoursup revient alors à maximiser les chances de rendre effectives ces aspirations. Dans ce cas, l’accompagnement semble davantage reçu comme un support validant un projet construit dans le temps long. Enfin, ceux pour lesquels la subjectivation est dominante semblent vivre l’accompagnement avec une forme de détachement lorsque leurs aspirations sont pensées à l’aune d’un accomplissement intellectuel ou d’un projet de jeunesse étudiante qu’ils ne retrouvent que peu dans les discours tenus par les acteurs professionnels.

40Dans cet article, nous nous sommes limitée à l’analyse du rôle du lycée d’origine dans l’expérience de Parcoursup des néo-bacheliers lors de la formulation de leurs vœux. Il serait toutefois intéressant d’élargir l’étude en considérant d’autres acteurs importants pour les lycéens dans leur processus de construction d’aspirations de poursuite d’études, les pairs et la famille notamment. De même, outre le temps long du parcours, ce processus mérite d’être inscrit dans un autre temps : celui des résultats d’affectation et du choix final, lesquels déterminent la possibilité d’éprouver cette nouvelle expérience sociale qu’est l’arrivée dans l’enseignement supérieur.